La Chasse au lion/Mort de Jules Gérard

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J. N. Duquet & Cie, éditeurs (p. 275-277).

MORT DE JULES GÉRARD


Au moment où nous terminons l’impression de ce volume destiné à populariser dans notre pays la mémoire du célèbre tueur de lions, nous apprenons la triste nouvelle de sa mort. Les amis de Jules Gérard en Europe et ses admirateurs en Amérique ont voulu douter jusqu’au dernier moment du funeste événement qui met fin à la carrière aventureuse de cet homme de cœur, qui est mort victime de sa témérité ; mais il leur faut se rendre à l’évidence. Ce brusque dénouement répand un nouveau, saisissant et comme douloureux intérêt sur le récit que Jules Gérard a fait lui-même de ses exploits. Il laisse un successeur en la personne de Bombonel, le tueur de panthères, dont nous ferons peut-être connaître un jour les hauts faits.

Nous trouvons dans la correspondance du Courrier des États-Unis en date de Paris 2 décembre, les détails de ce déplorable événement donnés par un des amis de Jules Gérard :

« La mort de Jules Gérard est malheusement confirmée par une lettre de M. J. Braouézec, consul de France à Sierra Leone :

« L’ancien tueur de lions s’était rendu à la côte occidentale d’Afrique, muni des instructions de la Société royale géographique de Londres, et avec l’appui de plusieurs personnages de la noblesse anglaise. Son intention était d’accomplir une exploration dans l’intérieur. Il s’était d’abord proposé de visiter la chaîne de Kong, dans la Guinée septentrionale, qui jusqu’alors n’avait été parcourue par aucun Européen. Parti d’Angleterre dans les derniers mois de 1863, il se rendit à Wyddah, et de là pénétra dans le royaume de Dahomey, d’où il datait une de ses dernières lettres, adressée au duc de Wellington.

« Après avoir inutilement essayé de pénétrer par le Dahomey dans l’intérieur de l’Afrique, Jules Gérard vint à Sierra Leone avec une lettre de recommandation de M. Brossard de Corbigny, chef de la station du golfe de Guinée, pour M. Braouézec.

« Les Anglais de Sierra Leone lui fournirent immédiatement de nouveaux moyens de voyager. Un navire de guerre commandé par M. Cochrane, fils du célèbre lord du même nom, le transporta aux environs de la rivière de Gallinas. Quelques jours après sa mise à terre, il perdit tous ses bagages et se réfugia dans le Sherboro, où les Français résidents se firent un devoir de l’aider de tous leurs moyens. Il partait donc, ravitaillé de nouveau, du village de Begboom, au mois de mai ou au mois de juin dernier, lorsque, à deux heures de marche, il fut encore complétement pillé et obligé de revenir dans le même village, où il attendit pour se mettre en route, la fin de la saison des pluies.

« Cependant, les ressources de Jules Gérard s’étant totalement épuisées il voulut retourner quand même à Sierra Leone, et il se noya en traversant le Jong, grossi par les pluies. Cette rivière charrie une énorme quantité de limon et de débris de mangliers et de palétuviers qui viennent former des îles flottantes dans le canal de Sherboro, appelé à tort une rivière.

« J’ai connu personnellement Jules Gérard. Sans parler de son courage et de son sang-froid en présence du danger, c’était une belle intelligence et un noble cœur. Sa mort est une grande perte pour la science, à laquelle il avait voué la dernière partie de son existence. »

Jules Gérard n’était âgé que de 47 ans, étant né en l’année 1817.