La Cité de Dieu (Augustin)/Livre V/Chapitre XV

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La Cité de Dieu
Texte établi par RaulxL. Guérin & Cie (Œuvres complètes de Saint Augustin, tome XIIIp. 107).
CHAPITRE XV.
DE LA RÉCOMPENSE TEMPORELLE QUE DIEU A DONNÉE AUX VERTUS DES ROMAINS.

Si donc Dieu, qui ne leur réservait pas une place dans sa cité céleste à côté de ses saints anges, parce qu’il ne les donne qu’à la piété véritable, à celle qui rend à Dieu seul, pour parler comme les Grecs, un culte de latrie[1], si Dieu, dis-je, ne leur eût pas donné la gloire passagère d’un empire florissant, les vertus qu’ils ont déployées afin de parvenir à cette gloire seraient restées sans récompense ; car c’est en parlant de ceux qui font un peu de bien pour être estimés des hommes, que le Seigneur a dit : « Je vous dis en vérité qu’ils ont reçu leur récompense[2] ». Ainsi il est vrai que les Romains ont immolé leurs intérêts particuliers à l’intérêt commun, c’est-à-dire à la chose publique, qu’ils ont surmonté la cupidité, préférant accroître le trésor de l’État que leur propre trésor, qu’ils ont porté dans les conseils de la patrie une âme libre, soumise aux lois, affranchie du joug des vices et des passions ; et toutes ces vertus étaient pour eux le droit chemin pour aller à l’honneur, au pouvoir, à la gloire. Or, ils ont été honorés parmi presque toutes les nations ; ils ont imposé leur pouvoir à un très-grand nombre, et dans tout l’univers, les poëtes et les historiens ont célébré leur gloire ; ils n’ont donc pas sujet de se plaindre de la justice du vrai Dieu : ils ont reçu leur récompense.

  1. La théologie chrétienne distingue deux sortes de cultes : le culte de dulie (du grec δουλεία), qui est dû à Dieu en tant que Seigneur, et le culte de latrie (du grec λατρεία), qui est dû à Dieu en tant que Dieu, c’est-à-dire à Dieu seul.
  2. Matt. vi, 2.