La Cité de Dieu (Augustin)/Livre I/Chapitre XVII

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La Cité de Dieu
Texte établi par RaulxL. Guérin & Cie (Œuvres complètes de Saint Augustin, tome XIIIp. 13-14).
CHAPITRE XVII.
DU SUICIDE PAR CRAINTE DU CHÂTIMENT ET DU DÉSHONNEUR.

S’il est quelques-unes de ces vierges qu’un tel scrupule ait portées à se donner la mort, quel homme ayant un cœur leur refuserait le pardon ? Quant à celles qui n’ont pas voulu se tuer, de peur de devenir criminelles en épargnant un crime à leurs ravisseurs, quiconque les croira coupables ne sera-t-il pas coupable lui-même de folle légèreté ? S’il n’est pas permis, en effet, de tuer un homme, même criminel, de son autorité privée, parce qu’aucune loi n’y autorise, il s’ensuit que celui qui se tue est homicide ; d’autant plus coupable en cela qu’il est d’ailleurs plus innocent du motif qui le porte à s’ôter la vie. Pourquoi détestons-nous le suicide de Judas ? Pourquoi la Vérité elle-même a-t-elle déclaré[1] qu’en se pendant il a plutôt accru qu’expié le crime de son infâme trahison ? C’est qu’en désespérant de la miséricorde de Dieu, il s’est fermé la voie à un repentir salutaire[2]. À combien plus forte raison faut-il donc rejeter la tentation du suicide quand on n’a aucun crime à expier ! En se tuant, Judas tua un coupable, et cependant il lui sera demandé compte, non-seulement de la vie du Christ, mais de sa propre vie, parce qu’en se tuant à cause d’un premier crime, il s’est chargé d’un crime nouveau. Pourquoi donc un homme qui n’a point fait de mal à autrui s’en ferait-il à lui-même ? Il tuerait donc un innocent dans sa propre personne, pour empêcher un coupable de consommer son dessein, et il attenterait criminellement à sa vie, de peur qu’elle ne fût l’objet d’un attentat étranger !

  1. Act. I.
  2. Matth. XXVIII, 3.