La Cité de Dieu (Augustin)/Livre III/Chapitre XI

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La Cité de Dieu
Texte établi par RaulxL. Guérin & Cie (Œuvres complètes de Saint Augustin, tome XIIIp. 53).
CHAPITRE XI.
DE LA STATUE D’APOLLON DE CUMES, DONT ON PRÉTEND QUE LES LARMES PRÉSAGÈRENT LA DÉFAITE DES GRECS QUE LE DIEU NE POUVAIT SECOURIR.

Il n’y a d’autre raison que cette impuissance des dieux pour expliquer les larmes que versa pendant quatre jours Apollon de Cumes, au temps de la guerre contre les Achéens et le roi Aristonicus[1]. Les aruspices effrayés furent d’avis qu’on jetât la statue dans la mer ; mais les vieillards de Cumes s’y opposèrent, disant que le même prodige avait éclaté pendant les guerres contre Antiochus et contre Persée, et que, la fortune ayant été favorable aux Romains, il avait été décrété par sénatus-consulte que des présents seraient envoyés à Apollon. Alors on fit venir d’autres aruspices plus habiles, qui déclarèrent que les larmes d’Apollon étaient de bon augure pour les Romains, parce que, Cumes étant une colonie grecque, ces larmes présageaient malheur au pays d’où elle tirait son origine. Peu de temps après on annonça que le roi Aristonicus avait été vaincu et pris : catastrophe évidemment contraire à la volonté d’Apollon, puisqu’il la déplorait d’avance et en marquait son déplaisir par les larmes de sa statue. On voit par là que les récits des poëtes, tout fabuleux qu’ils sont, nous donnent des mœurs du démon une image qui ressemble assez à la vérité. Ainsi, dans Virgile, Diane plaint Camille[2] et Hercule pleure la mort prochaine de Pallas[3]. C’est peut-être aussi pour cette raison que Numa, qui jouissait d’une paix profonde, mais sans savoir de qui il la tenait et sans se mettre en peine de le savoir, s’étant demandé dans son loisir à quels dieux il confierait le salut de Rome, Numa, dis-je, dans l’ignorance où il était du Dieu véritable et tout-puissant qui tient le gouvernement du monde, et se souvenant d’ailleurs que les dieux des Troyens apportés par Énée n’avaient pas longtemps conservé le royaume de Troie, ni celui de Lavinium qu’Énée lui-même avait fondé, Numa crut devoir ajouter d’autres dieux à ceux qui avaient déjà passé à Rome avec Romulus, comme on donne des gardes aux fugitifs et des aides aux impuissants.

  1. La guerre dont il s’agit ici est évidemment celle qui fut suscitée par la succession d’Attale, roi de Pergame, succession que son neveu Aristonicus disputait aux Romains. (Voyez Tite-Live, lib. lix.) C’est par inadvertance que saint Augustin nomme les Achéens qui étaient alors entièrement vaincus et soumis.
  2. Énéide, liv. XI, vers 836-849.
  3. Énéide, liv. X, vers 464, 465.