La Cité de Dieu (Augustin)/Livre IV/Chapitre XXIV

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La Cité de Dieu
Texte établi par RaulxL. Guérin & Cie (Œuvres complètes de Saint Augustin, tome XIIIp. 86).
CHAPITRE XXIV.
QUELLES RAISONS FONT VALOIR LES PAÏENS POUR SE JUSTIFIER D’ADORER LES DONS DIVINS COMME DES DIEUX.

Voyons maintenant les raisons des païens : Peut-on croire, disent-ils, que nos ancêtres eussent assez peu de sens pour ignorer que la Félicité et la Vertu sont des dons divins et non des dieux ? mais comme ils savaient aussi que nul ne peut posséder ces dons à moins de les tenir de quelque dieu, faute de connaître les noms des dieux qui président aux divers objets qu’on peut désirer, ils les appelaient du nom de ces objets mêmes, tantôt avec un léger changement, comme de bellum, guerre, ils ont fait Bellone ; de cunæ, berceau, Cunina ; de seges, moisson, Segetia ; de pomum, fruit, Pomone ; de boves, boeufs, Bubona[1] ; et tantôt sans aucun changement, comme quand ils ont nommé Pecunia la déesse qui donne l’argent, sans penser toutefois que l’argent fût une divinité ; et de même, Vertu la déesse qui donne la vertu ; Honos, le dieu qui donne l’honneur ; Concordia, la déesse qui donne la concorde, et Victoria, celle qui donne la victoire. Ainsi, disent-ils, quand on croit que la Félicité est une déesse, on n’entend pas la félicité qu’on obtient, mais le principe divin qui la donne.

  1. Bubona vient de bobus, abl. plur. de bos. Saint Augustin est le seul écrivain qui, à notre connaissance, ait parlé de la déesse Bubona. Il y revient au ch. 34.