La Cité de Dieu (Augustin)/Livre V/Chapitre V

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La Cité de Dieu
Texte établi par RaulxL. Guérin & Cie (Œuvres complètes de Saint Augustin, tome XIIIp. 95-96).
CHAPITRE V.
PREUVES DE LA VANITÉ DE L’ASTROLOGIE.

Ces deux frères, dont la maladie augmentait ou diminuait en même temps, et qu’à ce signe le coup d’œil médical d’Hippocrate reconnut jumeaux, ne suffisent-ils pas à confondre ceux qui veulent imputer aux astres une conformité qui s’explique par celle du tempérament ? Car, d’où vient qu’ils étaient malades en même temps, au lieu de l’être l’un après l’autre, suivant l’ordre de leur naissance, qui n’avait pu être simultanée ? Ou si le moment différent de leur naissance n’a pu faire qu’ils fussent malades en des moments différents, de quel droit vient-on soutenir que cette première différence en a produit une foule d’autres dans leurs destinées ? Quoi ! ils ont pu voyager en des temps différents, se marier, avoir des enfants, toujours en des temps différents, et cela, dit-on, parce qu’ils étaient nés en des temps différents ; et ils n’ont pu être malades en des temps différents ! Si la différence dans l’heure de la naissance a influé sur l’horoscope et causé les mille diversités de leurs destinées, pourquoi l’identité dans le moment de la conception s’est-elle fait sentir par la conformité de leurs maladies ? Dira-t-on que les destins de la santé sont attachés au moment de la conception, et ceux du reste de la vie au moment de la naissance ? mais alors les astrologues ne devraient rien prédire touchant la santé d’après les constellations de la naissance, puisqu’on leur laisse forcément ignorer le moment de la conception. D’un autre côté, si on prétend prédire les maladies sans consulter l’horoscope de la conception, sous prétexte qu’elles sont indiquées par le moment de la naissance, comment aurait-on pu annoncer à un de nos jumeaux, d’après l’heure où il était né, à quelle époque il serait malade, puisque l’intervalle qui a séparé la naissance des deux frères ne les a pas empêchés de tomber malades en même temps. Je demande en outre à ceux qui soutiennent que le temps qui s’écoule entre la naissance de deux jumeaux est assez considérable pour changer les constellations et l’horoscope, et tous ces ascendants mystérieux qui ont tant d’influence sur les destinées, je demande, dis-je, comment cela est possible, puisque les deux jumeaux ont été nécessairement conçus au même instant. De plus, si les destinées de deux jumeaux peuvent être différentes quant au moment de la naissance, bien qu’ils aient été conçus au même instant, pourquoi les destinées de deux enfants nés en même temps ne seraient-elles pas différentes pour la vie et pour la mort ? En effet, si le même moment où ils ont été conçus n’a pas empêché que l’un ne vînt avant l’autre, je ne vois pas par quelle raison le même moment où ils sont nés s’opposerait à ce que celui-ci mourût avant celui-là ; et si une conception simultanée a eu pour eux des effets si différents dans le ventre de leurs mères, pourquoi une naissance simultanée ne serait-elle pas suivie dans le cours de la vie d’accidents non moins divers, de manière à confondre également toutes les rêveries d’un art chimérique ? Quoi ! deux enfants conçus au même moment, sous la même constellation, peuvent avoir, même à l’heure de la naissance, une destinée différente ; et deux enfants, nés dans le même instant et sous les mêmes signes, de deux différentes mères, ne pourront pas avoir deux destinées différentes qui fassent varier les accidents de leur vie et de leur mort, à moins qu’on ne s’avise de prétendre que les enfants, bien que déjà conçus, ne peuvent avoir une destinée qu’à leur naissance ? Mais pourquoi dire alors que, si l’on pouvait savoir le moment précis de la conception, les astrologues feraient des prophéties encore plus surprenantes, ce qui a donné lieu à cette anecdote, que plusieurs aiment à répéter, d’un certain sage qui sut choisir son heure pour avoir de sa femme un enfant merveilleux. Cette opinion était aussi celle de Posidonius, grand astrologue et philosophe, puisqu’il expliquait la maladie simultanée de nos jumeaux par la simultanéité de leur naissance et de leur conception. Remarquez qu’il ajoutait conception, afin qu’on ne lui objectât pas que les deux jumeaux n’étaient pas nés au même instant précis ; il lui suffisait qu’ils eussent été conçus en même temps pour attribuer leur commune maladie, non à la ressemblance de leur tempérament, mais à l’influence des astres. Mais si le moment de la conception a tant de force pour régler les destinées et les rendre semblables, la naissance ne devrait pas les diversifier ; ou, si l’on dit que les destinées des jumeaux sont différentes à cause qu’ils naissent en des temps différents, que ne dit-on qu’elles sont déjà changées par cela seul qu’ils naissent en des temps différents ? Se peut-il que la volonté des vivants ne change point les destins de la naissance, lorsque l’ordre même de la naissance change ceux de la conception ?