La Cité de Dieu (Augustin)/Livre V/Chapitre VII

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La Cité de Dieu
Texte établi par RaulxL. Guérin & Cie (Œuvres complètes de Saint Augustin, tome XIIIp. 97-98).
CHAPITRE VII.
DU CHOIX DES JOURS, SOIT POUR SE MARIER, SOIT POUR SEMER OU PLANTER.

Comment s’imaginer qu’en choisissant tel ou tel jour pour commencer telle ou telle entreprise, on puisse se faire de nouveaux destins ? Cet homme, disent-ils, n’était pas né pour avoir un fils excellent, mais plutôt pour en avoir un méprisable ; mais il a eu l’art, voulant devenir père, de choisir son heure. Il s’est donc fait un destin qu’il n’avait pas, et par là une fatalité a commencé pour lui, qui n’existait pas au moment de sa naissance. Étrange folie ! on choisit un jour pour se marier, et c’est, j’imagine, pour ne pas tomber, faute de choix, sur un mauvais jour, en d’autres termes, pour ne pas faire un mariage malheureux ; mais, s’il en est ainsi, à quoi servent les destins attachés à notre naissance ? Un homme peut-il, par le choix de tel ou tel jour, changer sa destinée, et ce que sa volonté détermine ne saurait-il être changé par une puissance étrangère ? D’ailleurs, s’il n’y a sous le ciel que les hommes qui soient soumis aux influences des astres, pourquoi choisir certains jours pour planter, pour semer, d’autres jours pour dompter les animaux, pour les accoupler, et pour toutes les opérations semblables ? Si l’on dit que ce choix a de l’importance, parce que tous les corps animés ou inanimés sont assujétis à l’action des astres, il suffira de faire observer combien d’êtres naissent ou commencent en même temps, dont la destinée est tellement différente que cela suffit pour faire rire un enfant, même aux dépens de l’astrologie. Où est en effet l’homme assez dépourvu de sens pour croire que chaque arbre, chaque plante, chaque bête, serpent, oiseau, vermisseau, ait pour naître son moment fatal ? Cependant, pour éprouver la science des astrologues, on a coutume de leur apporter l’horoscope des animaux et de donner la palme à ceux qui s’écrient en le regardant : Ce n’est pas un homme qui est né, c’est une bête. Ils vont jusqu’à désigner hardiment à quelle espèce elle appartient, si c’est une bête à laine ou une bête de trait, si elle est propre au labourage ou à la garde de la maison. On les consulte même sur la destinée des chiens, et l’on écoute leurs réponses avec de grands applaudissements. Les hommes seraient-ils donc assez sots pour s’imaginer que la naissance d’un homme arrête si bien le développement de tous les autres germes, qu’une mouche ne puisse naître sous la même constellation que lui ? car, si on admet la production d’une mouche, il faudra remonter par une gradation nécessaire à la naissance d’un chameau ou d’un éléphant. Ils ne veulent pas remarquer qu’au jour choisi par eux pour ensemencer un champ, il y a une infinité de grains qui tombent sur terre ensemble, germent ensemble, lèvent, croissent, mûrissent en même temps, et que cependant, de tous ces épis de même âge et presque de même germe, les uns sont brûlés par la nielle, les autres mangés par les oiseaux, les autres arrachés par les passants. Dira-t-on que ces épis, dont la destinée est si différente, sont sous l’influence de différentes constellations, ou, si on ne peut le dire, conviendra-t-on de la vanité du choix des jours et de l’impuissance des constellations sur les êtres inanimés, ce qui réduit leur empire à l’espèce humaine, c’est-à-dire aux seuls êtres de ce monde à qui Dieu ait donné une volonté libre ? Tout bien considéré, il y a quelque raison de croire que si les astrologues étonnent quelquefois par la vérité de leurs réponses, c’est qu’ils sont secrètement inspirés par les démons, dont le soin le plus assidu est de propager dans les esprits ces fausses et dangereuses opinions sur l’influence fatale des astres ; de sorte que ces prétendus devins n’ont été en rien guidés dans leurs prédictions par l’inspection de l’horoscope, et que toute leur science des astres se trouve réduite à rien.