La Cité de Dieu (Augustin)/Livre X/Chapitre XXVIII

La bibliothèque libre.
La Cité de Dieu
Texte établi par RaulxL. Guérin & Cie (Œuvres complètes de Saint Augustin, tome XIIIp. 216-217).
CHAPITRE XXVIII.
QUELS CONSEILS ONT AVEUGLÉ PORPHYRE ET L’ONT EMPÊCHÉ DE CONNAÎTRE LA VRAIE SAGESSE, QUI EST JÉSUS-CHRIST.

Ainsi tu jettes les hommes dans une erreur manifeste, et un si grand mal ne te fait pas rougir, et tu fais profession d’aimer la vertu et la sagesse ! Si tu les avais véritablement aimées, tu aurais connu le Christ, qui est la vertu et la sagesse de Dieu, et l’orgueil d’une science vaine ne t’aurait pas poussé à te révolter contre son humilité salutaire. Tu avoues cependant que l’âme spirituelle elle-même peut être purifiée par la seule vertu de la continence[1], sans le secours de ces arts théurgiques et de ces télètes[2] où tu as consommé vainement tes études. Tu vas jusqu’à dire quelquefois que les télètes ne sauraient élever l’âme après la mort, de sorte qu’à ce compte la théurgie ne servirait de rien au-delà de cette vie, même pour la partie spirituelle de l’âme ; et cet aveu ne t’empêche pas de revenir en mille façons sur ces pratiques mystérieuses, sans que je puisse te supposer un autre but que de paraître habile en théurgie, de plaire aux esprits déjà séduits par ces arts illicites, et d’en inspirer aux autres la curiosité.

Je te sais gré du moins d’avoir déclaré que la théurgie est un art redoutable, soit à cause des lois qui l’interdisent, soit par la nature même de ses pratiques. Et plût à Dieu que cet avertissement fût entendu de ses malheureux partisans et les fît tomber ou s’arrêter devant l’abîme ! Tu dis à la vérité qu’il n’y a point de télètes qui guérissent de l’ignorance et de tous les vices qu’elle amène avec soi, et que cette guérison ne peut s’accomplir que par le Παθρικὀν Νοῠν, c’est-à-dire par l’Intelligence du Père, laquelle a conscience de sa volonté ; mais tu ne veux pas croire que le Christ soit cette Intelligence du Père, et lu le méprises à cause du corps qu’il a pris d’une femme et de l’opprobre de la croix ; car ta haute sagesse, dédaignant et rejetant les choses viles, n’aime à s’attacher qu’aux objets les plus relevés. Mais lui, il est venu pour accomplir ce qu’avaient dit de lui les véridiques Prophètes : « Je détruirai la sagesse des sages, et j’anéantirai la prudence des prudents[3] ». Il ne détruit pas en effet, il n’anéantit pas la sagesse qu’il a donnée aux hommes, mais celle qu’ils s’arrogent et qui ne vient pas de lui. Aussi l’Apôtre, après avoir rapporté ce témoignage des Prophètes, ajoute : « Où sont les sages ? où sont les docteurs de la loi ? où sont les esprits curieux des choses du siècle ? Dieu n’a-t-il pas convaincu de folie la sagesse de ce monde ? Car le monde avec sa sagesse n’ayant point reconnu Dieu dans la sagesse de Dieu, il a plu à Dieu de sauver les croyants par la folie de la prédication. Les Juifs demandent des miracles, et les Gentils cherchent la sagesse, et nous, nous prêchons Jésus-Christ crucifié, qui est un scandale pour les Juifs et une folie pour les Gentils, mais qui pour tous les appelés, Juifs ou Gentils, est la vertu et la sagesse de Dieu ; car ce qui paraît folie en Dieu est plus sage que les hommes, et ce qui paraît faible en Dieu est plus puissant que les hommes[4] ». C’est cette folie et cette faiblesse apparentes que méprisent ceux qui se croient forts et sages par leur propre vertu ; mais c’est aussi cette grâce qui guérit les faibles et tous ceux qui, au lieu de s’enivrer d’orgueil dans leur fausse béatitude, confessent leur trop réelle misère d’un cœur plein d’humilité.

  1. Voyez Porphyre, De abstin., lib. ii, cap. 32. Comp. Platon, Charmide, page 156 seq.
  2. Sur les Télètes, voyez plus haut, ch. 9.
  3. Abd. 8 ; Isa. xxix, 14.
  4. I Cor. i, 20-25.