La Cité de Dieu (Augustin)/Livre XI/Chapitre XXIX

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La Cité de Dieu
Texte établi par RaulxL. Guérin & Cie (Œuvres complètes de Saint Augustin, tome XIIIp. 242-243).
CHAPITRE XXIX.
DE LA SCIENCE DES ANGES QUI ONT CONNU LA TRINITÉ DANS L’ESSENCE MÊME DE DIEU ET LES CAUSES DES ŒUVRES DIVINES DANS L’ART DU DIVIN OUVRIER.

Ces saints anges n’apprennent pas à connaître Dieu par des paroles sensibles, mais par la présence même de la parole immuable de la vérité, c’est-à-dire par le Verbe, Fils unique de Dieu, et ils connaissent le Verbe, et son Père, et leur Esprit, et cette Trinité inséparable où trois personnes distinctes ne font qu’une seule et même substance, de sorte qu’il n’y a pas trois dieux, mais un seul, ils connaissent cela plus clairement que nous ne nous connaissons nous-mêmes. C’est encore ainsi qu’ils connaissent les créatures, non en elles-mêmes, mais dans la sagesse de Dieu comme dans l’art qui les a produites ; par conséquent, ils se connaissent mieux en Dieu qu’en eux-mêmes, quoiqu’ils se connaissent aussi en eux-mêmes. Mais comme ils ont été créés, ils sont autre chose que celui qui les a créés ; ainsi ils se connaissent en lui comme dans la lumière du jour, et en eux-mêmes comme dans celle du soir, ainsi que nous l’avons dit ci-dessus[1]. Or, il y a une grande différence entre connaître une chose dans la raison qui est la cause de son être, ou la connaître en elle-même ; comme on connaît autrement les figures de mathématiques en les contemplant par l’esprit qu’en les voyant tracées sur le sable, ou comme la justice est autrement représentée dans la vérité immuable que dans l’âme du juste. Il en est ainsi de tous les objets de la connaissance : du firmament, que Dieu a étendu entre les eaux supérieures et les inférieures, et qu’il a nommé ciel, de la mer et de la terre, des herbes et des arbres, du soleil, de la lune et des étoiles, des animaux sortis des eaux, oiseaux, poissons et monstres marins, des animaux terrestres, tant quadrupèdes que reptiles, de l’homme même, qui surpasse en excellence toutes les créatures de la terre et de tout le reste. Toutes ces merveilles de la création sont autrement connues des anges dans le Verbe de Dieu, où elles ont leurs causes et leurs raisons éternellement subsistantes et selon lesquelles elles ont été faites qu’elles ne peuvent être connues en elles-mêmes[2]. Ici, connaissance obscure qui n’atteint que les ouvrages de l’art ; là, connaissance claire qui atteint l’art lui-même ; et cependant ces ouvrages où s’arrête le regard de l’homme, quand on les rapporte à la louange et à la gloire du Créateur, il semble que, dans l’esprit qui les contemple, brille la lumière du matin.

  1. Au chap. 7.
  2. Toute cette doctrine psychologique et métaphysique de la connaissance est parfaitement conforme à la théorie des Idées, telle qu’on la trouve exposée dans le Timée. Voyez surtout au tome XI de la traduction française les pages 120 et suiv.