La Cité de Dieu (Augustin)/Livre XIII/Chapitre IX

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Texte établi par RaulxL. Guérin & Cie (Œuvres complètes de Saint Augustin, tome XIIIp. 271).
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CHAPITRE IX.

quel est l’instant précis de la mort ou de l’extinction du sentiment de la vie, et s’il le faut fixer au moment ou l’on meurt, ou a celui ou on est mort.

Le moment où les âmes séparées du corps sont heureuses ou malheureuses est-il le moment même de la mort ou celui qui la suit ? Dans ce dernier cas, ce ne serait pas la mort, puisqu’elle est déjà passée, mais la vie ultérieure, la vie propre à l’âme, qu’on. devrait appeler bonne ou mauvaise. La mort, en effet, est mauvaise quand elle est présente, c’est-à-dire au moment même de la mort, parce que dans ce moment le mourant ressent de grandes douleurs, lesquelles sont un mal (dont les bons savent d’ailleurs bien user) ; mais comment, lorsque la mort est passée, peut-elle être bonne ou mauvaise, puisqu’elle a cessé d’être ? Il y a plus : si nous y prenons garde, nous verrons que les douleurs mêmes des mourants ne sont pas la mort. Ils vivent tant qu’ils ont du sentiment, et ainsi ils ne sont pas encore dans la mort, qui ôte tout sentiment, mais dans les approches de la mort, qui seules sont douloureuses. Comment donc appelons-nous mourants ceux qui ne sont pas encore morts et qui agonisent, nul n’étant mourant qu’à condition de vivre encore ? Ils sont donc tout ensemble vivants et mourants, c’est-à-dire qu’ils s’approchent de la mort en s’éloignant de la vie ; mais après tout, ils sont encore en vie, parce que l’âme est encore unie au corps. Que si, lorsqu’elle en sera sortie, on ne peut pas dire qu’ils soient dans la mort, mais après la mort, quand sont-ils donc dans la mort ? D’une part, nul ne peut être mourant, si nul ne peut être ensemble mourant et vivant, puisque évidemment, tant que l’âme est dans le corps, on ne peut nier qu’on ne soit vivant ; et d’autre part, si on dit que celui-là est mourant qui tend vers la mort, je ne sais plus quand on est vivant.