La Cité de Dieu (Augustin)/Livre XIII/Chapitre XVIII

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Texte établi par RaulxL. Guérin & Cie (Œuvres complètes de Saint Augustin, tome XIIIp. 276-277).

CHAPITRE XVIII.

des corps terrestres que les philosophes prétendent ne pouvoir convenir aux êtres célestes par cette raison que tout ce qui est terrestre est appelé vers la terre par la force naturelle de la pesanteur.

Mais il est nécessaire, disent-ils, que le poids naturel des corps terrestres les fixe sur la terre ou les y appelle, et ainsi ils ne peuvent être dans le ciel. Il est vrai que les premiers hommes étaient sur la terre, dans cette région fertile et délicieuse qu’on a nommée le paradis ; mais que nos adversaires considèrent d’un œil plus attentif la nature de la pesanteur ; cela est important pour résoudre plusieurs questions, notamment celle du corps avec lequel Jésus-Christ est monté au ciel, et celle aussi des corps qu’auront les saints au moment de la résurrection. Je dis donc que si les hommes parviennent par leur adresse à faire soutenir sur l’eau certains vases composés des métaux les plus lourds, il est infiniment plus simple et plus croyable que Dieu, par des ressorts qui nous sont inconnus, puisse empêcher les corps pesants de tomber sur la terre, lui qui, selon Platon, fait, quand il le veut, que les choses qui ont un commencement n’aient point de fin, et que celles qui sont composées de plusieurs parties ne soient point dissoutes ? or, l’union des esprits avec les corps est mille fois plus merveilleuse que celle des corps les uns avec les autres. N’est-ce pas aussi une chose aisée à comprendre que des esprits parfaitement heureux meuvent leurs corps sans peine où il leur plaît, corps terrestres à la vérité, mais incorruptibles ? Les anges n’ont-ils pas le pouvoir d’enlever sans difficulté les animaux terrestres d’où bon leur semble, et de les placer où il leur convient ? Pourquoi donc ne croirions-nous pas que les âmes des bienheureux pourront porter ou arrêter leurs corps à leur gré ? Le poids des corps est d’ordinaire en raison de leur masse, et plus il y a de matière, plus la pesanteur est grande ; cependant l’âme porte plus légèrement son corps quand il est sain et robuste que quand il est maigre et malade, bien qu’il reste plus lourd à porter pour autrui dans son embonpoint que dans sa langueur ; d’où il faut conclure que, dans les corps même mortels et corruptibles, l’équilibre et l’harmonie des parties font plus que la masse et le poids. Qui peut d’ailleurs expliquer l’extrême différence qu’il y a entre ce que nous appelons santé et l’immortalité future ? Ainsi donc, que les philosophes ne croient pas avec l’argument du poids des corps avoir raison de notre foi ! Je pourrais leur demander pourquoi ils ne croient pas qu’un corps terrestre puisse être dans le ciel, alors que toute la terre est suspendue dans le vide ; mais ils me répondraient peut-être que tous les corps pesants tendent vers le centre du monde. Je dis donc seulement que si les moindres dieux, à qui Platon adonné la commission de créer l’homme avec les autres animaux terrestres, ont pu, comme il l’avance, ôter au feu la vertu de brûler, sans lui ôter celle de luire et d’éclairer par les yeux, douterons-nous que le Dieu souverain, à qui ce philosophe donne le pouvoir d’empêcher que les choses qui ont un commencement n’aient une fin, et que celles qui sont composées de parties aussi différentes que le corps et l’esprit ne se dissolvent, soit capable d’ôter la corruption et la pesanteur à la chair, qu’il saura bien rendre immortelle sans détruire sa nature ni la configuration de ses membres ? Mais nous parlerons plus amplement, s’il plaît à Dieu, sur la fin de cet ouvrage, de la résurrection des morts et de leurs corps immortels.