La Cité de Dieu (Augustin)/Livre XIII/Chapitre XXI
CHAPITRE XXI
De là vient que quelques-uns expliquent allégoriquement tout ce paradis où la sainte Ecriture rapporte que furent mis nos premiers parents ; ce qui est dit des arbres et des fruits, ils l’entendent des vertus et des mœurs, soutenant que toutes ces expressions ont un sens exclusivement symbolique. Mais quoi ? faut-il nier la réalité du paradis terrestre parce qu’il peut figurer un paradis spirituel ? c’est comme si l’on voulait dire qu’il n’y a point eu deux femmes, dont l’une s’appelait Agar et l’autre Sara, d’où sont sortis deux enfants d’Abraham, l’un de la servante et l’autre de la femme libre, parce que l’Apôtre dit qu’il découvre ici la figure des deux Testaments ; ou encore qu’il ne sortit point d’eau de la pierre que Moïse frappa de sa baguette, parce que cette pierre peut figurer Jésus-Christ, suivant cette parole du même Apôtre « Or, la pierre était Jésus-Christ s. Rien n’empêche donc d’entendre par le paradis terrestre la vie des bienheureux, par les quatre fleuves, les quatre vertus cardinales, c’est-à-dire la prudence, la force, la tempérance et la justice, par les arbres toutes les sciences utiles, par les fruits des arbres les bonnes mœurs, par l’arbre de vie, la sagesse qui est la mère de tous les biens, et par l’arbre de la science du bien et du mal, l’expérience du commandement violé. Car la peine du péché est bonne puisqu’elle est juste, mais elle n’est pas bonne pour l’homme qui la subit. Et tout cela peut encore se mieux entendre de l’Eglise, à titre de prophétie, en disant que le paradis est l’Eglise même, à laquelle on donne ce nom dans le Cantique des Cantiques ; les quatre fleuves du paradis, les quatre évangiles ; les arbres fruitiers, les saints ; leurs fruits, leurs bonnes œuvres ; l’arbre de vie, le Saint des saints, Jésus-Christ ; l’arbre de la science du bien et du mal, le libre arbitre. L’homme en effet qui a méprisé la volonté de Dieu ne saurait faire de soi qu’un usage funeste ; ce qui lui fait connaître quelle différence il y a de se tenir attaché au bien commun de tous, ou de se complaire en son propre bien ; car celui qui s’aime est abandonné à lui-même, afin que comblé de craintes et de misères, il s’écrie avec le Psalmiste, si toutefois il sent ses maux : « Mon âme, s’étant tournée vers elle-même, est tombée dans la confusion », et qu’il ajoute après avoir reconnu sa faiblesse : « Seigneur, je ne « mettrai plus ma force qu’en vous ». Ces explications allégoriques du paradis et autres semblables sont très-bonnes, pourvu que l’on croie en même temps à la très-fidèle exactitude du récit historique.