La Cité de Dieu (Augustin)/Livre XIII/Chapitre XXIII

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Texte établi par RaulxL. Guérin & Cie (Œuvres complètes de Saint Augustin, tome XIIIp. 279-281).

CHAPITRE XXIII.

ce qu’il faut entendre par le corps animal et par le corps spirituel, et ce que c’est que mourir en adam et être vivifié en jésus-christ.

De même que nous appelons corps animaux ceux qui ont une âme vivante, ainsi on nomme corps spirituels ceux qui ont un esprit vivifiant. Dieu nous garde toutefois de croire que ces corps glorieux deviennent des esprits ! ils gardent la nature du corps, sans en avoir la pesanteur ni la corruption. L’homme alors ne sera pas terrestre, mais céleste, non que le corps qui a été tiré de la terre cesse d’être, mais parce que Dieu le rendra capable de demeurer dans le ciel, en ne changeant pas sa nature, mais ses qualités. Or, le premier homme, qui était terrestre et formé de la terre, a été créé avec une âme vivante et non avec un esprit vivifiant, qui lui était réservé comme prix de son obéissance. C’est pourquoi il avait besoin de boire et de manger pour se garantir de la faim et de la soif, et il n’était pas immortel par sa nature, mais seulement par le moyen de l’arbre de vie qui le défendait de la vieillesse et de la mort ; il ne faut donc point douter que son corps ne fût animal et non spirituel, et cependant, il ne serait point mort, s’il n’eût encouru par son péché l’effet des menaces divines, condamné dès ce moment à disputer au temps et à la vieillesse, à l’aide des aliments dont la bonté de Dieu lui a continué le secours, une vie que son obéissance aurait pu prolonger à jamais.

Alors donc que nous entendrions aussi de cette mort sensible qui sépare l’âme d’avec le corps ce que Dieu dit aux premiers hommes : « Du jour que vous mangerez de ce fruit, vous « mourrez », on ne devrait point trouver étrange que cette séparation de l’âme et du corps ne se fût pas faite dès le jour même qu’ils mangèrent du fruit défendu, Dès ce jour, en effet, leur nature fut corrompue, et, par une séparation très-juste de l’arbre de vie, ils tombèrent dans la nécessité de mourir, avec laquelle nous naissons tous. Aussi, l’Apôtre ne dit pas que le corps mourra, « mais qu’il est mort à « cause du péché, et que l’esprit est vivant à cause de la justices. Et il ajoute : « Si l’Esprit de celui qui a ressuscité Jésus-Christ habite en vous, celui qui a ressuscité Jésus-Christ donnera aussi la vie à vos corps mortels, parce que son Esprit habitera en vous ». Ainsi donc le corps, qui n’a maintenant qu’une âme vivante, recevra alors un esprit vivifiant ; mais, quoiqu’il ait une âme vivante, l’Apôtre ne laisse pas de dire qu’il est mort, parce qu’il est soumis à la nécessité de mourir, au lieu que dans le paradis terrestre, quoiqu’il eût une âme vivante sans avoir encore un esprit vivifiant, on ne pouvait pas dire qu’il fût mort, parce qu’il n’avait point péché et qu’il n’était pas encore sujet à la mort. Or, Dieu ayant marqué la mort de l’âme (qui a lieu lorsqu’il la quitte), en disant : « Adam, où es-tu ? » et celle du corps (qui arrive quand l’âme l’abandonne), en disant encore : « Vous êtes terre, et vous retournerez en terre », il faut croire qu’il n’a rien dit de la seconde mort, parce qu’il a voulu qu’elle fût cachée dans l’Ancien Testament, la réservant pour le Nouveau, où elle est ouvertement déclarée, afin de faire voir que cette première mort, qui est commune à tous, vient du premier péché, qui d’un seul homme s’est communiqué à tous. Quant à la seconde mort, elle n’est pas commune à tous, à cause de ceux que Dieu a connus et prédestinés de toute éternité », comme dit l’Apôtre, « pour être conformes à l’image de son Fils, afin « qu’il fût l’aîné de plusieurs frères » ; ceux-là, en effet, la grâce du Médiateur les en a délivrés.

Voici comment l’Apôtre témoigne que le premier homme a été créé dans un corps animal. Voulant distinguer notre corps, qui est maintenant animal, de ce même corps qui sera spirituel dans la résurrection, il dit : « Le corps est semé plein de corruption, et il ressuscitera incorruptible ; il est semé avec ignominie, et il ressuscitera glorieux ; il est semé dans la faiblesse, et il ressuscitera dans la vigueur ; il est semé corps animal, et il ressuscitera corps spirituel ». Et pour montrer ce que c’est qu’un corps animal : « Il est écrit », ajoute-t-il, « que le premier homme a été créé avec une âme vivante ». L’Apôtre veut donc qu’on entende par ces paroles de l’Ecriture : « Le premier homme a été créé avec une âme vivante », qu’il a été créé avec un corps animal ; et il montre ce qu’il faut entendre par un corps spirituel, quand il ajoute : « Mais le second Adam a été rempli d’un esprit vivifiant » ; par où il marque Jésus-Christ, qui est ressuscité d’une telle manière qu’il ne peut plus mourir. Il poursuit et dit : « Mais ce n’est pas le corps spirituel qui a été formé le premier, c’est le corps animal, et ensuite le spirituel » ; par où il montre encore plus clairement qu’il a entendu le corps animal dans ces paroles : « Le premier homme a été créé avec une âme vivante », et le spirituel, quand il a dit : « Le second Adam a été rempli d’un esprit vivifiant ».

Le corps animal est le premier, tel que l’a eu le premier Adam (qui toutefois ne serait point mort s’il n’eût péché), tel que nous l’avons depuis que la nature corrompue par le péché nous a soumis à la nécessité de mourir, tel que Jésus-Christ même a voulu l’avoir d’abord ; mais après vient le spirituel, tel qu’il est déjà dans Jésus-Christ comme dans notre chef et tel qu’il sera dans ses membres lors de la dernière résurrection des morts.

L’Apôtre signale ensuite une notable différence entre ces deux hommes, lorsqu’il dit « Le premier homme est terrestre et formé de la terre, et le second est céleste et descendu du ciel, Comme le premier homme a été terrestre, ses enfants aussi sont terrestres ; et comme le second homme est céleste, ses enfants aussi sont célestes. De même donc que nous portons l’image de l’homme terrestre, portons aussi l’image de l’homme céleste ». Ce que dit ici l’Apôtre commence maintenant en nous par le sacrement de la régénération, ainsi qu’il le témoigne ailleurs par ces paroles : « Tous, tant que vous êtes, qui avez été « baptisé en Jésus-Christ, vous vous êtes revêtus de Jésus-Christ » ; mais la chose ne s’accomplira entièrement que lorsque ce qu’il y a d’animal en nous par la naissance sera devenu spirituel par la résurrection ; car, pour me servir encore des paroles de saint Paul : « Nous sommes sauvés par l’espérance ». Or, nous portons l’image de l’homme terrestre à cause de la désobéissance et de la mort qui sont passées en nous par la génération, et nous portons celle de l’homme céleste à cause du pardon et de la vie que nous recevons dans la régénération par le médiateur entre Dieu et les hommes, Jésus-Christ homme, qui est cet homme céleste dont veut parler saint Paul, parce qu’il est venu du ciel pour se revêtir d’un corps mortel et le revêtir lui-même d’immortalité. S’il appelle aussi les enfants du Christ célestes, c’est qu’ils deviennent ses membres par sa grâce pour faire ensemble un même Christ. Il déclare encore ceci plus expressément dans la même épître, quand il dit : « La mort est venue par un homme, et la résurrection doit aussi venir par un homme ; car comme tous meurent en Adam, ainsi tous revivent en Jésus-Christ » c’est-à-dire dans un corps spirituel qui sera animé d’un esprit vivifiant. Ce n’est pas toutefois que tous ceux qui meurent en Adam doivent devenir membres de Jésus-Christ, puisqu’il y en aura beaucoup plus qui seront punis pour toute l’éternité de la seconde mort ; mais l’Apôtre se sert du terme général de tous, pour montrer que comme personne ne meurt qu’en Adam dans ce corps animal, personne ne ressuscitera qu’en Jésus-Christ avec un corps spirituel. Il ne faut donc pas s’imaginer que nous devions avoir à la résurrection un corps semblable à celui du premier homme avant le péché : alors même, le sien n’était pas spirituel, mais animal ; et ceux qui sont dans un autre sentiment ne se rendent pas assez attentifs à ces paroles du grand docteur : « Comme il y a, dit-il, un corps animal, il y a aussi un corps spirituel, ainsi qu’il est écrit Adam, le premier homme, a été créé avec une âme vivante ». Peut-on dire qu’il soit ici question de l’âme d’Adam après le péché ? évidemment non ; car il s’agit du premier état où l’homme a été créé, et l’Apôtre rapporte ce passage de la Genèse pour montrer justement ce que c’est que le corps animal.