La Civilisation et les grands fleuves historiques/1

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CHAPITRE I


LE PROGRÈS


Notions générales sur la civilisation et le progrès. — Philosophie de l’histoire. — La définition scientifique du progrès appliquée à l’histoire — La masse, le critérium mécanique ou quantitatif du progrès dans la nature inorganique, n’a pas de valeur en biologie. — La différenciation, le critérium biologique du progrès, n’a pas de valeur en sociologie. — L’individu et la société, en botanique et en zoologie. — Le progrès du lien social chez les plantes et les animaux.


Dégagée de l’idée de progrès, l’histoire ne semble plus qu’un flux et reflux perpétuel de faits bizarres, peu susceptibles d’être subordonnés à une conception générale. À toutes les époques, chez tous les peuples et dans tous les milieux, la folie, l’hypocrisie, les crimes se reproduisent avec une écœurante monotonie. Le dévouement, la vertu même, quand par hasard on les rencontre dans les annales du genre humain, y revêtent des formes absurdes — Curtius s’élançant dans le gouffre avec son cheval et ses armes, — ou révoltantes — Manlius décapitant son fils qui, sans autorisation préalable, vient de renverser un ennemi en combat singulier.

L’admiration de la postérité, cette tardive couronne des martyrs de l’histoire, n’est jamais en raison directe de la vraie grandeur de l’œuvre accomplie. Ce qui frappe, ce qui éblouit, survit seul dans la mémoire des hommes. Les noms de ceux qui inventèrent l’usage du feu, la domestication des animaux, la culture des plantes utiles resteront à jamais inconnus ; les panthéons historiques ne sont guère peuplés que d’énergumènes, de charlatans et de bourreaux.

Les fautes, les erreurs ont souvent mieux servi l’histoire que le savoir et la grandeur d’âme : Christophe Colomb, dont la légende a fait une personnification de la science en lutte avec l’aveuglement et la superstition du siècle, doit sa gloire au coup funeste qu’il a porté à la prospérité de sa patrie : la découverte de l’Amérique n’est point le fruit de son génie, mais d’un entêtement basé sur son ignorance de la vraie forme de la terre[1]

Si, en thèse générale, on peut s’en tenir au partage, communément admis, de tous les habitants du globe en peuples historiques ou civilisés, et peuples « nature » sauvages ou barbares, on ne tarde cependant pas à s’apercevoir que cette classification, reposant sur des bases mal définies, prête à de nombreuses méprises.

Les plus misérables des peuplades que nous ont fait connaître les voyageurs présents et passés possèdent au moins quelques outils ; elles connaissent le feu ; elles ont leurs fétiches et une constitution politique et familiale plus ou moins rudimentaire ; elles ont un langage articulé. Dr ce modeste avoir est le legs de générations nombreuses ; il constitue déjà une fortune acquise ; il a son histoire et appartient de plein droit à la civilisation. Mais si, d’un côté, celle-ci, quelque humble qu’en soit le degré, se retrouve invariablement dans une de ces communautés intérieures que du haut de notre superbe nous qualifions d’abjecte et de barbare, de l’autre, cette barbarie a aussi son « ubiquité », et pas une de nos sociétés, si avancée soit-elle, n’est encore parvenue à s’en dégager entièrement. Du sauvage le plus dégradé au plus noble de ses civilisateurs, il n’existe qu’une gamme de nuances et de degrés non interrompue. Tant qu’il s’agit de comparer deux termes. extrêmes ou très éloignés de la série, les diversités sont évidentes ; on s’oriente en dépit de difficultés graves provenant de ce fait que dans l’histoire, comme dans la nature, l’évolution ne suit jamais une marche rectiligne. Entre un Anglais, par exemple, et un Maori ; entre un Batéké et le plus éclairé des agents de l’État du Congo, il n’y a pas seulement la différence qui sépare la civilisation de la barbarie, mais aussi des diversités contingentes et adventices qui embrouillent singulièrement la question. Quand, des termes extrêmes, nous passons aux termes moyens, la confusion augmente et nous livre de plus en plus au hasard de tendances et de sympathies subjectives, qui rendent nos appréciations incertaines, arbitraires et contradictoires.

En présence d’un état social déterminé, comment donc y distinguer ce qui est essentiel à la civilisation et lui appartient en propre, de ce qui est un reste ou un legs de la primitive barbarie ?

Mais, tout d’abord, qu’est-ce que la civilisation ?

« Le mot de civilisation, dit très bien M. P. Mougeolle[2], est un des plus complexes de la langue ; il embrasse la totalité des découvertes faites et des inventions réalisées ; il donne la mesure des idées en cours et des procédés en usage ; il exprime le degré de perfection de la science, de l’art et de l’industrie ; il indique l’état de la famille, de la société et de toutes les institutions existantes ; il résume enfin la vie individuelle et la vie collective prises dans leur ensemble. »

Au point de son ascension où est parvenu le genre humain sur le calvaire de l’histoire, un « signe » du moins nous apparaît éclatant, manifeste : c’est le perfectionnement technique. En comparant l’industrie actuelle à ce qu’elle était à toute autre période, nous ne saurions méconnaître le prodigieux accroissement de la puissance de l’homme sur les forces brutes de la nature, sur l’Espace et le Temps, ses deux ennemis cosmiques. Toutefois si le perfectionnement technique est incontestablement un des éléments principaux du progrès, il n’est point tout le progrès : peu importe aux hommes, en effet, la beauté du monument qui recouvre leur tombe, ou la qualité des armes qui les tuent… D’ailleurs ce perfectionnement procède par saccades et soubresauts, et, par conséquent, ne saurait nous servir de critérium pour apprécier la valeur progressive des diverses phases de l’évolution historique. Dans cet ordre de faits, nos acquisitions les plus précieuses ne datent que de la grande Révolution. À la veille de la dernière convocation des États généraux en France, l’Europe, sous le point de vue industriel, n’était guère plus avancée qu’au temps des Antonins, et, entre l’époque des Pyramides et celle de Descartes, on aurait pu constater mainte reculade. Mais quand il s’agit de prouver la persistance du véritable progrès dans l’histoire, les transformations successives du lien social, les variations consécutives des rapports d’homme à homme nous fournissent un indice plus constant et qui, pour cette raison surtout, nous semble acceptable.

Dans le domaine géologique, les grands effondrements, les éruptions volcaniques, les tremblements de terre et autres cataclysmes emportent de nombreuses victimes et frappent l’imagination ; mais, en définitive, ils ne produisent que des changements superficiels : ce sont des effets, non des causes. Les véritables forces plastiques qui créent ou modifient profondément l’épiderme de notre planète sont la goutte de pluie, le ruisseau, les courants liquides ou aériens, les incessantes alternatives de froid et de chaud… toute une légion d’agents qui, par leur action imperceptible, mais continue, désagrègent les roches les plus réfractaires, déposent et en modifient les alluvions. Ce sont les madrépores, les foraminifères qui, dans leurs microscopiques cellules, construisent grain par grain les récifs, les îles, les massifs puissants, les continents énormes. Ainsi du travail intime des générations qui nous ont précédés : seul créateur des formations historiques, il se dérobe obstinément à nos recherches. Les annales de l’humanité n’ont enregistré que l’exceptionnel, l’extraordinaire, ce qui saisissait vivement les esprits. Les monuments qui nous restent des siècles écoulés, sont, à part quelques théâtres et des tombeaux, des palais et des temples, c’est-à-dire des édifices dont la multitude était rigoureusement exclue, ou dont on ne lui livrait l’accès qu’en de rares occasions[3]. Mais les humbles demeures où le peuple vivait sa quotidienne vie, grise et monotone, et où, sous la pénible corvée historique, il périssait lentement au profit des générations à venir, celles-là, toujours et partout, ont été trop chétives pour résister à la destruction. Impossible de reconstituer l’existence passée des nations, si ce n’est d’après les lointains échos des événements qui les ont agitées, quelques débris de leurs villes et de leurs édifices publics.

Depuis l’origine des temps historiques, les destinées des peuples et de l’humanité entière ont si souvent varié en tous sens et en toutes directions, les siècles d’ignorance et de misère ont tant de fois succédé aux périodes de prospérité et de gloire, qu’il est difficile de s’orienter dans ce dédale. La « nature intime » de quelques élus se montrait avec éclat, avec grandeur, mais la condition de l’homme, c’est-à-dire des masses, ne s’améliorant point. L’histoire pragmatique — celle qui se contente d’enregistrer, dans leur désordre chronologique, les faits et gestes des principales nations du globe — n’est rien moins qu’une monographie du progrès. À une science plus abstraite, à l’histoire philosophique, ou, comme on est convenu de l’appeler, à la philosophie de l’histoire, de livrer le fil d’Ariane nécessaire pour nous conduire à travers le sombre labyrinthe qu’il s’agit d’explorer.

Mais : Y a-t-il une philosophie de l’histoire ? Telle est la question que se pose M. Francisque Bouillier et que nous nous posons tous avec lui[4].

J’ai beau chercher, dit-il, dans les systèmes compris sous le nom de philosophie de l’histoire, je n’y trouve rien qui soit susceptible de démonstration. Il n’y a qu’une seule loi, celle du progrès… Au-dessus de toutes les lois auxquelles les anciens et les modernes ont tenté d’assujettir les mouvements de l’humanité, au-dessus de tous les cycles, de toutes les alternatives, de tous les flux et reflux, de toutes les lignes droites ou brisées, en spirale ou en zigzag, de tous les rythmes, itus reditusque, comme dit Pascal, corsi e ricorsi, comme dit Vico, il n’y a que cette seule loi de progrès qui pour ainsi dire surnage, pourvu toutefois qu’on la débarrasse des erreurs, des visions qui la compromettent, qui la faussent, qui la rendent ridicule ou dangereuse. Dans cette idée seule du progrès, se fait l’accord de la plupart de ceux qui écrivent aujourd’hui sur la philosophie de l’histoire. Presque tous s’accordent à ériger le progrès en loi suprême de l’homme ; quelques-uns même en font un Dieu et ne l’écrivent qu’avec une mystérieuse majuscule. Mais si tous s’accordent à prononcer son nom, que de diversités, que d’erreurs dans la manière dont l’entendent certaines écoles ! Suivant les uns, il est fatal en tant que cosmique ; suivant les autres, il est fatal, en tant que providentiel. »

Au point de vue particulier où nous nous plaçons pour le moment, peu importe d’où vient le progrès et par quelles voies il procède ; l’essentiel est de déterminer en quoi il consiste et à quel signe définitif on le reconnaît dans l’histoire, en dehors de toute velléité subjective, de tout parti pris de système ou d’école.

Pour le savant auteur que je viens de citer, « progrès » ne signifie pas seulement une marche en avant, mais une marche intelligente, libre et consciente vers une fin qui est notre bien. L’être qui n’a ni liberté ni intelligence peut passer d’un état à un autre, se développer ou évoluer, mais il ne progresse pas. « En quoi, par exemple, demande M. F. Bouillier, l’état liquide de notre globe, pris en lui-même, est-il un progrès sur l’état gazeux ou l’état solide sur l’état liquide ? On nous dira, sans doute, que ces états successifs ont été un progrès parce qu’ils préparent l’avènement de l’homme sur la terre, ou plutôt parce qu’ils en étaient la condition préalable. Mais, entre la scène sur laquelle les acteurs doivent paraître, quand elle sera prête, et les acteurs eux-mêmes, il y a un hiatus qu’une trompeuse synonymie de mots ne saurait combler. Ne confondons donc pas le progrès avec le développement matériel des conditions de l’existence de l’humanité sur cette terre, et conservons seulement pour elle (pour la marche consciente, libre et intelligente vers une fin qui est notre bien) ce beau mot de progrès. »

M. Bouillier ne semble pas s’apercevoir que cette émondation arbitraire par lui proposée à l’idée de progrès ne saurait être acceptée sans réserve : ce serait renier, je ne dirai pas seulement les progrès philosophiques, mais aussi les acquisitions moins contestables du dernier quart de siècle dans le domaine des sciences exactes. Dans celui de l’histoire, il me semble bien difficile de faire la juste part de l’amélioration des conditions humaines et du naturel même de l’homme, amélioration effectuée librement et en connaissance de cause par des êtres capables de prévoir et d’apprécier jusqu’aux conséquences les plus lointaines de leurs actions. D’après Herbert Spencer, cette part serait bien infime en comparaison des progrès qui résultent, pour ainsi dire fatalement, du concours de circonstances imprévues, du choc et du croisement des intérêts, des passions, des actes inconscients ou inspirés par des tendances égoïstes et mesquines. Le progrès n’aurait dans l’histoire qu’une existence précaire et tout à fait problématique s’il avait pour seul agent et pour seule garantie le bon vouloir de quelques êtres d’élite : la notion même en deviendrait confuse et vaporeuse ; ce serait, de propos délibéré, ouvrir des abîmes entre la nature et l’homme, soi-disant son maître et souverain. L’histoire et la philosophie ne gagneraient rien, du reste, à ce divorce avec les sciences exactes et naturelles.

Au contraire : c’est seulement depuis « l’époque darwinienne » et l’examen approfondi de la notion du progrès par les naturalistes, que ce mot a acquis un sens précis, indépendant des systèmes métaphysiques et du verbiage d’école. Dans le domaine des sciences exactes, on entend par progrès cette sériation des phénomènes naturels où, à chaque étape de l’évolution, la force se manifeste avec une variété et une intensité croissantes ; la série est dite progressive quand chacun de ses termes reproduit les antécédents, plus quelque caractère nouveau qui n’apparaissait point encore dans la phase antérieure, et devient lui-même le germe d’un plus dans la phase consécutive. La plante est en progrès sur le monde minéral : elle nous présente le processus de la nature non organisée, plus les propriétés spécifiques de la nutrition, de la croissance, de la reproduction. L’animal, à son tour, est en progrès sur la vie végétale, puisque, aux acquisitions de la plante, il ajoute ses propres facultés de mouvement et de sensation. L’homme est en progrès sur les autres vertébrés, car sa vie sensitive et intellectuelle est susceptible d’une richesse inconnue à ses précurseurs. Et, pour répondre à ce qui semble embarrasser M. F. Bouillier, la solidification de l’enveloppe terrestre, abstraction faite de l’apparition subséquente de l’homme, constitue en elle-même un progrès, puisqu’elle provoque ainsi une intensité de vie incompatible avec l’état liquide et gazeux de la planète.

Dans les phases inférieures de l’évolution, dans ce qu’on appelle improprement la nature inerte ou inanimée, la constitution chimique des corps est relativement simple et homogène ; l’énergie déployée est en raison directe de la masse, c’est-à-dire de la quantité des particules matérielles associées à volumes égaux. Aussi, depuis nombre d’années, les sciences anorganiques ne reconnaissent-elles qu’une seule force, l’attraction moléculaire, qu’une seule loi, la gravitation newtonienne, qu’un seul critérium, le poids. Le gaz le plus « indifférent », l’hydrogène, est en même temps le plus léger, tandis que le carbone, l’élément qu’en chimie on pourrait appeler le plus progressif en raison de son rôle prépondérant dans les combinaisons organiques, dépasse la plupart des autres en pesanteur spécifique.

Dans le domaine biologique, les choses changent d’aspect. La composition chimique des corps devenant de plus en plus complexe et hétérogène, l’intensité de la vie, de la force déployée, ne dépend plus exclusivement de la quantité des molécules associées, mais aussi, et surtout, de leur diversité et de la division de plus en plus parfaite du travail commun entre les parties d’un corps ; l’organisation est d’autant plus élevée, que, à masse donnée, elle développe plus d’énergie vitale. Quelques grammes de substance cérébrale, c’est-à-dire du plus progressif des tissus organiques, sont le siège d’un travail physico-chimique infiniment plus puissant que ceux de l’énorme aérolithe d’Ovifak, ou d’un bloc de granit cubant des centaines de mètres. Un premier hiatus semble ainsi se produire entre la nature inerte et le monde organisé : il n’existe pourtant que dans notre manière de voir et d’apprécier les choses, car les plus savantes recherches ont démontré l’impossibilité de tracer une limite réelle entre la matière minérale et la matière organique, entre les plantes et les animaux. Seulement, dans son développement biologique, la vie nous présente une variété, une complication telles qu’un principe plus synthétique devient ici absolument nécessaire ; il faut, pour saisir la sériation progressive, un critérium plus délicat que celui du poids. Nous sommes obligés de changer d’outils, tout comme on rejette le thermomètre à mercure lorsqu’il s’agit de hauts fourneaux, ou de ces basses températures auxquelles durent recourir, à Genève M. Raoul Pictet, à Paris M. Cailletet, et à Cracovie MM. Wroblewsky et Olszewsky, pour obtenir la liquéfaction et même la solidification fugitive de gaz autrefois réputés permanents.

Depuis Ch. Darwin, il est généralement admis que cette loi spécifique de la biologie est la lutte pour l’existence, ou en d’autres termes la concurrence vitale, dirigée et soutenue par la sélection. Mais, avant le grand naturaliste anglais, C.-E. Baër démontrait déjà scientifiquement que, pour la série organique, le progrès possède un indice morphologique infaillible : la différenciation, c’est-à-dire la diversité de plus en marquée des parties, et leur aptitude croissante à n’accomplir qu’une portion déterminés du travail collectif. Maintenant que la biologie a nettement formulé ces deux principes, on peut la considérer, avec raison, comme définitivement constituée en une science exacte, indépendante des fictions métaphysiques et des partis pris d’école ou de système.

La civilisation, nous l’avons déjà vu, est la marche en avant des sociétés humaines, dont la vie est beaucoup plus complexe que celle des individus, plantes et animaux. De l’accord des positivistes français et des évolutionnistes anglais, la science qui s’occupe des phénomènes de la vie collective, la sociologie, est à la biologie exactement ce que celle-ci est à l’anorganologie, c’est-à-dire qu’elle en est dépendante ou indépendante suivant le point de vue auquel on la considère : dépendante, car elle étudie les étapes ou les phases supérieures de la série progressive qui, des phénomènes physiques et chimiques les plus élémentaires, s’élève sans réelle solution de continuité jusqu’aux manifestations les plus complexes de la vie sociale ; indépendante, en ce sens que sa compétence s’étend sur un domaine relativement restreint et spécial de problèmes trop compliqués pour que leur solution scientifique soit possible sans l’énoncé d’un principe plus synthétique et le secours d’un critérium nouveau. Donc, si la sociologie devient à son tour une science exacte, il faut qu’elle établisse nettement sa loi spécifique et nous révèle l’indice auquel, dans son domaine, on reconnaîtra le progrès aussi infailliblement qu’un biologiste le retrouve dans les organismes par la différenciation.

La coopération, voilà la caractéristique principale de la vie sociale. Si, dans le domaine de la biologie, les êtres plus ou moins individualisés, de la cellule à l’homme, luttent pour l’existence ou pour quelque but égoïste et personnel, sur le terrain sociologique, au contraire, ils unissent leurs efforts en vue d’un intérêt commun. Peu nous importe si, en réalité, la coopération apparaît souvent comme une conséquence nécessaire et logique de la lutte pour l’existence, l’essentiel est que, en même temps, elle soit tout aussi distincte du principe darwinien que l’est la concurrence vitale de la loi plus générale de l’attraction universelle. Qu’une ligue soit offensive ou défensive, les clauses de l’alliance n’en restent pas moins très différentes des règles du combat. La délimitation des domaines de la biologie et de la sociologie n’offre donc pas de difficulté et ne prête à aucune confusion sous le rapport des principes : la biologie étudie, dans le monde végétal et animal, les phénomènes de la lutte pour l’existence ; la sociologie ne s’intéresse qu’à ceux de l’union de forces plus ou moins centralisées, c’est-à-dire de la coopération dans ce même domaine de la nature[5].

« La société est un organisme », ont dit Auguste Comte et H. Spencer. Fourvoyés par cette définition, les savants les plus distingués ont prétendu et prétendent encore que la loi darwinienne, la lutte pour l’existence, est non seulement la base de la biologie, mais aussi embrasse le domaine de l’histoire. « La société est un organisme », c’est là simplement une façon de parler qui, depuis Menenius Agrippa, n’a plus le mérite d’être nouvelle. Rien ne s’oppose, du reste, à ce qu’on l’accepte couramment, à condition de n’en point induire que les lois et les principes de la biologie suffisent pour résoudre scientifiquement tous les problèmes. Certes, les sociétés sont des organismes comme les organismes sont des corps ; mais les corps organisés, plantes ou animaux, étant infiniment plus complexes que les minéraux, ce n’est pas à l’aide de simples formules de physique et de chimie que la science serait parvenue à en élucider l’évolution. Darwin et Baër ont magistralement expliqué celle-ci par la lutte pour l’existence et la différenciation. Or, les sociétés étant à leur tour des organismes plus complexes que les plantes et les animaux, on devrait, a priori, s’attendre à trouver les principes et le critérium spécifique de la biologie incompétents par rapport aux questions sociales. Herbert Spencer me paraît autoriser cette manière de voir : 1o par le fait qu’il considère la sociologie comme une science autonome et dépendant de la biologie dans la seule mesure où celle-ci dépend des études anorganologiques ; 2o par la distinction qu’il établit entre les trois étapes de l’évolution : mécanique, organique, et super-organique ; 3o plus directement encore, par le départ qu’il fait entre les organismes individuels, susceptibles d’une différenciation poussée au suprême degré, et les organismes sociaux où elle se trouve cantonnée dans les étroites limites que lui-même a très bien déterminées[6].

Les sociologistes de tous les temps et de toutes les écoles se sont fort préoccupés des rapports entre l’individu et la société aux phases diverses du perfectionnement social ; mais lorsque les naturalistes, habitués au langage précis des sciences physiques, se sont, à leur tour, intéressés à ces problèmes, ils n’ont point tardé à voir combien étaient confuses ces notions de l’individu et de la collectivité. Le seul véritable individu, c’est la cellule, la plastide ; en la divisant, on n’obtiendrait que de la matière informe. Ces individus absolus se suffisent à tous les points de vue biologiques ; le microscope nous en révèle des myriades qui, dans leur isolement égoïste, croissent et se multiplient, luttent pour l’existence à leurs risques et périls, sans recourir au principe supérieur et fécond de la solidarité. Mais d’autres myriades de ces organismes poussés par une force dont nous ignorons absolument la nature, se rassemblent en sociétés ou colonies. À leur tour, ces organismes collectifs ou polycellulaires se présentent, tantôt comme des individus d’un ordre secondaire, tantôt comme des parties constituantes de nouveaux groupements, formant ainsi des individus d’un ordre supérieur dont ils deviennent les tissus, les organes. Au point de vue de la biologie moderne, l’homme, l’individu dont le Contrat social de J.-J. Rousseau réglait les rapports avec la communauté, nous apparaît comme une société composée de nombreux individus d’un ordre inférieur, d’organes, ceux-ci se réduisant à leur tour à des groupes d’individus de l’ordre élémentaire, c’est-à-dire des cellules ou plastides. Un seul et même être végétal ou animal peut donc se manifester soit comme individu, soit comme organe ou membre d’une communauté représentée par un individu plus parfait, soit enfin comme une société, par rapport aux éléments qui le constituent. On est convenu de donner le nom de bions aux êtres ayant atteint le degré d’individualisation auquel sont parvenus l’homme et les animaux supérieurs.

Tout en étant beaucoup plus complexe que celle des êtres d’un ordre inférieur, l’individualité des bions est loin d’être aussi absolue que celle d’une simple cellule. Tandis que les individus monocellulaires se suffisent, non seulement pour vivre, mais aussi pour multiplier, les bions les plus parfaits doivent, pour la conservation de l’espèce, S’unir à d’autres bions de sexe différent, se soumettant ainsi à un nouveau groupement d’un ordre supérieur, le dème. L’exemple le plus élémentaire de ces dèmes naturels nous est offert par les couples conjugaux si fréquents dans le règne animal, mais ce n’est là que le point de départ d’une évolution extraordinairement riche en formes variées[7].

Notons en passant que les positivistes, d’après Auguste Comte, et les évolutionnistes anglais, avec Herbert Spencer, placent — et fort arbitrairement à mon avis — le commencement du domaine de la sociologie à l’origine des dèmes, abandonnant ainsi aux recherches biologiques l’évolution des formes inférieures de l’individualité collective. Pour A. Comte, notamment, l’attrait sexuel, qui pousse les bions à la formation des dèmes est, en quelque sorte, la base physiologique des instincts altruistes sur lesquels repose l’édifice social. J’ai examiné ailleurs[8] la valeur de cette assertion : à mon sens, le domaine sociologique se trouve partout où se manifeste un phénomène de coopération ; mais à cet égard, on ne peut tracer de limite précise entre les organismes individuels et les sociétés. Toujours est-il que les biologistes n’entendent pas exclure de leurs études les dèmes conjugaux : nous ne saurions les en blâmer, puisque le peu de lumière projetée sur ces problèmes est due aux seules recherches des botanistes et des zoologistes.

Les premiers organismes polycellulaires ou collectifs présentent des sociétés où tous les individus sont exactement semblables les uns aux autres ; nulle division du travail, nulle différenciation entre les éléments dont elles se composent : les cellules forment un tout, en tant qu’elles communiquent par leurs cavités ou sont soudées une à une par une membrane, un lien mécanique quelconque ; si un accident vient à détruire ce lien, chaque partie reprend son existence à part ; la communauté est dissoute sans qu’il en résulte un dommage appréciable pour les individus.

Par l’effet de la coopération ou de la cohabitation forcée, une division ou plutôt une spécialisation de travail, rudimentaire d’abord, ne tarde pas à s’accentuer entre les parties. Pour n’en citer qu’un exemple grossièrement schématique, les cellules périphériques, celles qui sont en contact avec le liquide nourricier constituant le milieu ambiant, se contenteront d’absorber cette nourriture, laissant le soin de la digérer aux cellules centrales, empêchées, par le lieu qu’elles occupent, de faire le travail d’absorption.

Baër constata le premier que, à partir de ce point, une différenciation de plus en plus complète, une division du travail de plus en plus spécialisée et intime, correspond à chaque nouveau progrès réalisé dans l’organisation végétale ou animale. Il serait pourtant inexact de dire que, dans la série biologique, le progrès réside dans cette différenciation même, car, pour cette série comme dans toutes les autres, il consiste dans l’intensité et la variété toujours croissantes des manifestations de la vie. Seulement, à partir des organismes polycellulaires les plus simples, la différenciation devient l’indice le plus apparent et le plus certain du progrès : elle l’accompagne fidèlement à travers toute la série biologique et en marque les hausses et les baisses, ainsi que, dans un tube thermométrique, le mercure enregistre les variations de la température. La différenciation atteint son apogée chez les vertébrés supérieurs ; dans l’organisme humain, la division du travail est déjà si parfaite, que les parties constituantes, organes, tissus et cellules, ont depuis longtemps perdu ou abdiqué toute indépendance personnelle, toute possibilité physiologique d’exister les unes sans les autres. Quand une lésion grave atteint l’un de nos organes, non seulement la communauté tout entière se sent menacée, mais les membres non directement intéressés souffrent individuellement et finissent par périr, ne pouvant se passer du travail de la partie détruite ou endommagée.

L’évolution organique ne s’arrête pas chez les bions à cette différenciation parfaite. Les fins de la reproduction des espèces poussent, nous l’avons déjà vu, les vertébrés à former des sociétés ou des individualités collectives d’un ordre supérieur, ces dèmes que les botanistes et les zoologistes regardent comme des individus biologiques ou morphologiques plus complexes que la personne humaine. Ici, le critérium infaillible de Baër, la différenciation tant prônée, interrompt brusquement ses indications précises, de même qu’au-delà de son point d’ébullition le mercure du thermomètre, sans que cette interruption nous autorise à supposer un hiatus réel dans l’évolution même.

On a beau insister sur les différences morphologiques du mâle et de la femelle chez les animaux supérieurs[9], les plus accusés de ces caractères sexuels sont peu de chose en comparaison des écarts qui se manifestent entre les divers tissus et organes de notre corps. Jamais non plus les membres constituant un dème ne perdent leur indépendance au point de ne plus pouvoir exister physiologiquement l’un sans l’autre ; Herbert Spencer, du reste, l’a fort bien démontré[10]. Si, par rapport aux phénomènes sociaux, nous persistions à maintenir la différenciation comme caractéristique du progrès, il faudrait arriver à des conclusions erronées et souvent révoltantes. Ainsi, en appliquant ce critérium biologique au perfectionnement des groupes conjugaux, nous serions logiquement amenés à voir l’idéal de la famille dans les unions que les planteurs blancs contractaient naguère avec les négresses leurs esclaves : les dissemblances natives de l’homme et de la femme se trouvaient là fort accrues par les inégalités de caste, par la diversité de race ; la différenciation était donc à son comble. Dans l’ordre purement social, aussi, nous aurions à regretter le code de Manou, si merveilleusement « différencié » que les diverses conditions y étaient représentées par des variétés ethnologiques correspondantes. Un auteur sérieux, et que j’ai déjà cité, déclare dans un ouvrage récent[11] que le peuple anglais lui paraît être le plus avancé dans la voie du progrès, parce qu’il est « celui où les différences sociales s’accusent avec le plus de netteté, où les dons de la fortune sont le plus inégalement répartis, où l’extrême richesse coudoie avec le plus d’insolence l’extrême misère ». M. Mougeolle, il est vrai, pense atténuer la portée anti-sociale de son enseignement, en ajoutant qu’il y a une bonne et une mauvaise différenciation : d’après lui, « les inégalités naturelles, celles qui proviennent, non des privilèges attachés à telle ou telle naissance, mais des aptitudes propres et des qualités individuelles, s’accusent de plus en plus sous l’action de la concurrence pacifique ; alors vont en s’abaissant les barrières élevées entre les castes pendant que, sous l’influence des croisements répétés et de la sélection sans cesse agissante, on voit s’affaiblir les inégalités artificielles, imposées, conséquence d’une époque de conquête et de spoliation. » Mais distinguer entre le naturel et l’artificiel, entre la bonne et la mauvaise différenciation, me parait bien difficile, et notre auteur lui-même s’y trompe étrangement : jamais lord du Royaume-Uni n’a prétendu posséder ses immenses domaines de par sa vertu personnelle ; tous, au contraire, se targuent de devoir ces richesses à leur filiation plus ou moins directe et authentique des envahisseurs normands ou angevins. Ce sont donc précisément les effets d’une différenciation mauvaise et artificielle, « conséquence d’une époque de conquête et de spoliation », que M. Mougeolle admire en Angleterre. Nous ne saurions lui en vouloir beaucoup, car, en comparant le régime anglais en la différenciation « naturelle », telle que nous la voyons se produire dans les États démocratiques, la France, par exemple, ou les États-Unis de l’Amérique du Nord, il nous faut trop vite reconnaître que la « sélection toujours agissante » des coups de bourse et de la spéculation effrénée ne se montre en rien supérieure au principe de l’hérédité.

Mais, pour abonder dans le sens de Herbert Spencer, reflété par l’auteur de la Statique des Civilisations et des Problèmes de l’Histoire, supposons quelque part l’existence d’un pays d’Utopie où les dons de la fortune soient proportionnés au mérite des postulants, où les représentants de l’extrême richesse soient de vrais modèles de vertu, de talents, de sagesse, tandis que l’extrême misère, « coudoyée » dédaigneusement par cette élite de l’humanité, serait réservée aux seuls lâches, imbéciles et fainéants… En quoi l’organisation sociale de cette nation imaginaire serait-elle plus progressive que celle d’un autre pays dont je ne garantis pas non plus l’existence, où tous les citoyens étant doués, presque au même degré, d’intelligence, d’énergie, de vertu, il n’existerait pas de différenciation marquée, de grandes inégalités de condition ?

Tandis que les sociologismes discutent à perte de vue sur l’universalité d’un critérium que, pour notre part, nous renvoyons à son vrai terrain, les études biologiques, les biologistes, à leurs risques et périls, s’occupent de certaines questionne de science sociale, dont les frontières coïncident ou plutôt se confondent avec celles qu’ils ont coutume de traiter. Ces recherches ayant été dirigées par une méthode rigoureuse, les résultats obtenus ont bien leur importance par rapport à la théorie et aux caractéristiques du progrès dans la nature et dans l’histoire. En résumant ce que leurs travaux renferment de plus instructif et de moins contestable au sujet de l’évolution des limites sociales, voici ce que nous pouvons établir :

L’association ou la coopération, c’est-à-dire le concours de forces plus ou moins individualisées et tendant vers un but commun, apparaît avec les premiers organismes polycellulaires, presque au début même de la série biologique[12].

Aux divers degrés de l’échelle morphologique, cette coopération au travail coordonné d’individus nombreux s’obligent par des procédés naturels différents :

Au degré inférieur (celui des premiers organismes polycellulaires), par le critérium mécanique, c’est-à-dire par des liens, membranes, soudures, adhérences ou communication de cavité, etc.

Au degré intermédiaire (jusqu’aux bions inclusivement), par la nécessité physiologique résultant de la différenciation, et de l’impossibilité, pour chaque membre isolé de la communauté, d’exister sans le travail de ses co-associés.

Au degré supérieur (les dèmes débutant par les groupes conjugaux, polygames, polyandres ou monogames), par l’attrait sexuel, qui est une impulsion voulue par les êtres qui contractent l’union ; ce lien, à son début même, n’est déjà ni mécanique, ni exclusivement physiologique, mais psychologique à un certain degré[13]. À mesure que le dème se perfectionne sans sortir encore du domaine de la biologie animale, la prédominance de cet élément psychologique l’accentue toujours davantage, le penchant sexuel cédant de plus en plus sa place à l’affection mutuelle, aux soins prodigués en commun à la progéniture, à la solidarité de plus en plus consciente des penchants et des intérêts, etc.

Le perfectionnement ou le progrès du lien social, débutant dans la série sociologique par la coercition pure et simple, s’achemine donc vers le caractère de plus en plus psychologique et libre des unions contractées. Dans cette marche ascendante, la différenciation ne caractérise que l’étape intermédiaire : au degré inférieur, elle ne parait pas encore ; au degré supérieur, elle a perdu pour nous tout intérêt ; comme la masse dans la série organique, elle n’est plus en rapport permanent et stable avec le progrès. Et, puisque, de nos jours, le langage téléologique ou anthropomorphique n’est un piège pour personne, qu’il ne soit permis d’exprimer ma pensée plus nettement en ces termes : La nature, ayant besoin de la solidarité des êtres, sans laquelle elle ne pourrait réaliser les formes supérieures du devenir, habitue d’abord ces êtres à la vie commune par la coercition ; elle les assouplit ensuite par la différenciation ; enfin, lorsqu’elle les juge mûrs pour une collaboration volontaire à son travail, elle relâche tous les liens de contrainte et de subordination, et l’œuvre la plus importante au point de vue biologique, la reproduction des êtres, se trouve ainsi confiée aux instincts et aux penchants les plus personnels et les plus arbitraires.

Le progrès sociologique est donc en raison inverse de la coercition déployée, de la contrainte ou de l’autorité, et en raison directe du rôle de la volonté, de la liberté, de l’anarchie. Proudhon, dans son langage absolutiste et métaphysique, l’avait d’ailleurs démontré.

À notre sens, la supériorité des groupements naturels du troisième degré, c’est-à-dire des dèmes anarchiques, ne saurait être sérieusement contestée : en premier lieu, les individus (bions) qui contractent ces sortes d’unions sont plus parfaits que les organes ou les cellules, membres constituants des groupements subordonnés (différenciés) et imposés (coercitifs) ; 2o le but réalisé par ces unions, la conservation des espèces, est plus vaste, plus général, plus important que les résultats obtenus par les deux autres modes de groupement, c’est-à-dire la formation et la conservation d’individus isolés ; 3o ces unions sont les seules voulues par les contractants.

  1. Avec les géographes arabes de son temps, Colomb croyait à un méridien initial du globe, celui d’Azin, la « ville sainte » d’Oudjeïn, où se trouvait un observatoire fameux ; mais il se figurait ce méridien, passant à la fois par le mont Mérou, c’est-à-dire le plus haut pic de l’Himalaya, et par Lanka, ou la « Resplendissante », c’est-à-dire Ceylan, comme beaucoup plus éloigné des Canaries qu’il ne l’est en réalité, et prolongeait l’Ancien Monde à plus de 100 degrés à l’est de sa position réelle. Il en déduisait que, en se dirigeant vers l’ouest, la distance de Gibraltar à l’Inde ne pouvait dépasser en longueur la route orientale suivie par les Vénitiens. (voir O. Peschel, Zeitalters der Entdeckungen.)
  2. Statique des Civilisations.
  3. Voir P. Mougeolle, les Problèmes de l’Histoire.
  4. Livraison d’avril 1886 de la Revue philosophique, publiée par M. Ribot.
  5. Pour plus de détails, voir mon article de la Contemporary Review de Londres, septembre 1886, Evolution and Revolution.
  6. Principes de Sociologie, trad. E. Cazolles et J. Gerschel, t. II ch. II.
  7. Les botanistes et les zoologistes ne sont pas encore tombés d’accord sur la nomenclature et le nombre des degrés qu’il est utile de distinguer. Nous nous contenterons de quatre termes de la série : 1o cellule ou plastide ; 2o organes et tissus ; 3o bion ; 4o dème. — Cf. M. Cattaneo : Le colonie lineari e la morfologia dei molluschi.
  8. Voir Contemporary Review, septembre 1886.
  9. Pas un sociologiste de l’école soi-disant évolutionniste n’a manqué de se prévaloir, entre les prétentions des femmes à l’égalité avec les hommes, de ces différences naturelles existant entre les sexes et, nous dit-on, d’autant plus accusées que les races sont plus parfaites. Le fait n’est exact cependant que si l’un compare les Européens à certaines races de l’Asie sud-orientale et à quelques peuplades mélanésiennes. En Afrique, au contraire, les différences secondaires entre les sexes, ampleur du bassin, développement des parties charnues et graisseuses, richesse du buste, cambrure des reins, etc., sont plus accusées que chez les blancs. On sait que les dames européennes ont dû recourir à la tournure artificielle pour se donner cet aspect de stéatopygie que les femmes bushmen ont naturellement. En général, la différence de taille entre les deux sexes semble s’atténuer considérablement avec la civilisation.
  10. Principes de Sociologie, t. II. Ce qui n’empêche pas l’illustre évolutionniste d’accepter la différenciation comme un critérium universel du progrès, en le mitigeant toutefois, par l’intégration, con corrélatif : cela lui permet de maintenir un mouvement de bascule entre l’une et l’autre loi : mais on tient peu de compte sur le continent de cette manière de voir chère à l’esprit anglais.
  11. P. Mougeolle, les Problèmes de l’Histoire.
  12. M. Kessner, professeur de zoologie à Saint-Pétersbourg, a, dans un mémoire publié il y a plusieurs années et que je connais seulement par des comptes rendus de journaux, émis l’opinion que la coopération doit être admise dans la science à titre de principe autonome et spécifique comme celui de la lutte pour l’existence, ce dernier ne suffisant point à l’explication de certains phénomènes avec lesquels botanistes et zoologistes ont à compter.
  13. Le caractère psychologique des unions sexuelles chez certains animaux a été très bien mis en évidence par M. A. Espinas, dans un remarquable travail sur les Sociétés animales.