La Comtesse d’Egmont/Texte entier

La bibliothèque libre.
Michel Lévy frères, éditeurs (p. --320).
COLLECTION MICHEL LÉVY

LA COMTESSE


D’EGMONT

OUVRAGES


DE SOPHIE GAY


Publiés dans la collection Michel Lévy


Anatole 
 1 vol.
Le Comte de Guiche 
 1 —
La Comtesse d’Egmont 
 1 —
La Duchesse de Châteauroux 
 1 —
Ellénore 
 1 —
Le Faux Frère 
 1 —
Laure d’Estel 
 1 —
Léonie de Montbreuse 
 1 —
Les Malheurs d’un Amant heureux 
 1 —
Un Mariage sous l’Empire 
 1 —
Le Mari confident 
 1 —
Marie de Mancini 
 1 —
Marie-Louise d’Orléans 
 1 —
Le Moqueur amoureux 
 1 —
Physiologie du Ridicule 
 1 —
Salons célèbres 
 1 —
Souvenirs d’une vieille Femme 
 1 —



F. Aureau. — Imprimerie de Lagny.
Page:Nichault - La Comtesse d Egmont.pdf/6

MADAME RÉCAMIER


Les correspondances, les mémoires contemporains de la comtesse d’Egmont parlent tous de sa beauté gracieuse, de son charme irrésistible, et de cette bonté spirituelle qui lui soumettait les cœurs de tout âge ; il me semble n’en pouvoir mieux donner l’idée qu’en plaçant votre nom à côté de son portrait ; et puis cet hommage vous rappellera ma constante amitié.

SOPHIE GAY.

LA


COMTESSE D’EGMONT




I

LA DUCHESSE DE RICHELIEU


C’est à Montpellier, c’est sous le beau ciel du Languedoc que la princesse Élisabeth de Lorraine, héritière des Guise, duchesse de Richelieu, mit au monde Sophie Septimanie de Richelieu ; objet des plus vite désirs de son père et de sa mère, qui n’avaient qu’un fils, la naissance de ce second enfant fut l’occasion de plusieurs fêtes brillantes. Le duc de Richelieu présidait alors les états de Languedoc ; sa magnificence, sa générosité, son art de plaire à tous ceux qu’il avait intérêt de captiver le faisaient adorer de toute la province. Le bruit de ses aventures scandaleuses avait d’abord effrayé les maris et les pères ; mais la présence de la duchesse de Richelieu à Montpellier, la conduite que tenait le duc envers elle, son respect pour la femme distinguée dont le grand nom ajoutait tant d’illustration au sien, détruisirent bientôt les préventions qui pouvaient lui être défavorables.

Chaque jour apportait au noble gouverneur du Languedoc un nouveau témoignage de la reconnaissance publique ; à peine les cloches de la cathédrale eurent-elles annoncé l’heureuse délivrance de La duchesse de Richelieu, les bour­geois de Montpellier vinrent joindre leurs prières à celles que le duc et tous les gens de sa maison adressaient à Dieu pour le prompt rétablissement de la mère et le bonheur de l’enfant. Au sortir de l’église, M. de Richelieu reçut la députation des états accompagnés des échevins, et du commandant des notables de la ville ; ils venaient lui demander, au nom de la province, l’honneur d’être marraine de l’héritière des Guise et des Richelieu ; deux jours après, avec toute la pompe d’une cérémonie solennelle, la nouvelle-née fut baptisée sur les fonts de l’antique Maguelone, et reçut le nom de Septimanie, nom gothique de cette belle province de France.

Tant d’honneurs et de joie semblaient présager un heureux avenir, et pourtant l’enfance de Septimanie de Richelieu fut frappée du plus grand des malheurs. La santé de sa mère, déjà affaiblie par une couche pénible, donna bientôt de vives inquiétudes. Les médecins de Montpellier, qui passaient alors pour les plus savants de toutes les Facultés, décidèrent que les chaleurs de l’été dans ce climat seraient funestes à la ma­lade, et lui ordonnèrent de retourner à Paris.

Le duc de Richelieu, que ses grandes dissipations contraignaient souvent à de ridicules économies, avait loué son hôtel de la place Royale pour tout le temps que durerait la tenue des états du Languedoc, et la duchesse de Richelieu alla de­meurer au Temple, dans la maison de son père. Hélas ! les tendres soins qu’elle reçut de sa famille et de son mari, dont l’attachement pour elle l’emporta toujours sur ses goûts fri­voles, et fut le plus vif sentiment de sa vie amoureuse, le bonheur d’être deux fois mère, la paix d’une existence à la fois douce et honorée, ne purent triompher de sa maladie ; elle succomba dans le mois d’août 1740 à une inflammation de poitrine.

La nuit où elle mourut, on vint avertir le duc de Richelieu qu’elle était au plus mal. Il vole aussitôt près d’elle ; sa vue semble la ranimer :

— Ah ! j’en veux beaucoup, dit-elle, à ceux qui vous ont fait venir ; je voulais vous éviter le chagrin de me voir mourir ; mais, puisque vous voilà, embrassez-moi pour la dernière fois[1].

Le duc se jette dans ses bras, la baigne de ses larmes ; il se sent presser vivement sur ce sein qui respire à peine ; il veut s’arracher à ces étreintes convulsives, à ces caresses funèbres pour demander du secours. Vains efforts ! la mort le tient captif sur ce cœur qui ne bat plus ; une horrible convulsion, la dernière, a si fortement contracté les bras et les mains de la morte qu’il ne peut s’en dégager. G’est avec effort qu’on le délivre ; il se refuse à croire à son malheur, il s’obstine à prodiguer des secours inutiles ; il espère que la mère se ranimera à la voix de ses enfants ; le jeune duc de Fronsac et sa sœur sont amenés près du lit de deuil, mais c’est vainement que leur bouche enfantine sourit à ce visage inanimé ; c’est vainement que leurs petits bras s’étendent vers leur mère, que leurs regards, leurs cris l’appellent… elle ne doit plus leur répondre.

Le lendemain de cette triste scène qui n’aurait pu laisser de souvenir dans l’esprit trop jeune de Septimanie, si l’on ne s’était appliqué à la lui raconter sans cesse pendant son enfance, elle se vit habiller tout de noir, et cette couleur fu nèbre, la terreur des enfants, ce premier chagrin, lui laissè rent depuis une impression de mélancolie qui ajoutait un charme déplus à sa beauté noble et gracieuse.

Madame de Richelieu avait été l’objet de l’amour, de l’ambition de son mari ; il lui donna de sincères regrets, et fut s’enfermer un mois au château de Richelieu pour la pleurer sans contrainte, ne pouvant supporter la vue des gens qui ne partageaient point sa peine ou qui paraissaient en douter. Il porta même la susceptibilité en ce genre jusqu’à s’offenser de ce que son ami, M. de Voltaire, eût laissé donner au théâtre la première représentation de Zulime, huit jours après la mort de la duchesse de Richelieu, de cette aimable princesse de cuise pour laquelle il avait fait ces jolis vers :

Un prêtre, un oui, trois mots latins
À jamais fixent vos destins.
Et le célébrant, etc., etc., etc.[2].

M. de Voltaire, qui était à Bruxelles, ne prévoyant pas que la maladie dont la duchesse languissait depuis près d’une année dût l’enlever juste au moment de la représentation de Ztdime, n’avait point donné d’avis à ce sujet à M. d’Argental, et celui-ci, tout à la gloire dramatique de son dieu littéraire, oublia que le philosophe avait intérêt à ménager le grand seigneur. L’auteur de Zaïre portait depuis longtemps un sincère atta­chement à mademoiselle de Guise, et avait beaucoup contri­bué à son mariage avec le duc de Richelieu. Un esprit aussi supérieur devait apprécier toutes les qualités qui la distin­guaient. On peut juger de ses sentimens pour elle par ce qu’il en dit dans une de ses lettres à son ami d’Argental[3].

La sœur du duc de Richelieu, abbesse du Trésor, fut char­gée de l’éducation de sa nièce ; c’était une femme spirituelle, dont la nature et le caractère se trouvaient en opposition con­stante avec sa profession, et qui n’en remplissait pas moins ses devoirs avec une rigide exactitude ; mais sa sévérité s’épui­sait sur elle-même, et dès qu’il se présentait une occasion de placer innocemment son indulgence pour les faiblesses hu­maines, et son penchant pour les sentimens romanesques, elle les encourageait avec d’autant plus de force qu’elle n’en voyait point le danger. Tout ce qui avait pour principe ou même pour prétexte un but honnête lui semblait mériter sa protection ; différente du Tartufe de Molière, c’est avec le ciel seul qu’elle ne voyait aucun accommodement. Habituée dès sa plus tendre jeunesse à excuser près de son père les torts graves, les folies de son frère, elle avait fini par se persuader ce qu’elle répétait chaque jour pour calmer la colère du vieux duc, et par ne plus voir que les inconséquences d’un charmant étourdi dans la désordre et la conduite d’un roué déterminé.

Rien n’explique mieux le charme, l’espèce de fascination qui soumettaient à M. de Richelieu toutes les personnes qui l’approchaient, que le singulier dévouement de sa sœur. Elle pouvait prétendre à un bon mariage ; son père le désirait comme un juste châtiment des excès et de la désobéissance de son fils ; mais servir le ressentiment du vieux duc contre un frère qu’elle adorait lui était impossible ; et c’est de son pro­pre mouvement qu’elle se décida à prendre le voile par inté­rêt pour la fortune de ce frère dont elle voulait le bonheur avant tout.

Son autre sœur, mariée à M. du Châtelet, gouverneur de Vincennes, ne fut pas si généreuse ; aussi l’amitié du jeune duc restait-elle tout entière à l’abbesse du Trésor. Le temps ne fit qu’ajouter à cette affection, dont la plus grande preuve fut le soin qu’il lui confia d’élever l’enfant de sa prédilection, cette charmante Septimanie, qui devait être un jour la plus belle, la plus distinguée et la moins heureuse des femmes de la cour de Louis XV.



II

LE COUVENT


L’abbaye du Trésor dominait une des plus belles vallées de la Normandie. Ses vieux ombrages, ses longs cloîtres assom­bris par les rameaux d’anciens ceps de vignes, à grappes vertes et rares qui ne mûrissent jamais ; ses pierres Tumulaires qui marquaient dans l’enceinte du cloitre la place où gisaient les religieuses mortes ; son église humide dont quel­ques riches tapis cachaient mal la mousse qui recouvrait la base des piliers, tout enfin donnait à cette habitation l’aspect le plus triste. Mais par la même raison qu’un palais éclatant de luxe, retentisant d’accords harmonieux, où les rires et la danse semblent garants de la joie, est souvent habité par le malheur, ce couvent si triste en apparence servait d’asile à la tranquillité, aux doux intérêts de Pâme, et souvent même à la gaieté. Il y avait bien, comme partout, des sentimens d’envie, de petites jalousies et des caquets presque autant qu’à la cour ; mais le dédain de la supérieure pour ces travers inséparables de l’état de société, sa tolérance pour les torts que rachetait une foi sincère, son attrait pour les idées nouvelles, offraient le vrai modèle d’une philosophie appliquée à la re­ligion, et chacune de ses sujettes cherchait à l’imiter ; car les couvents de femmes, véritables ruches d’abeilles où le tra­vail et l’ordre ont créé une monarchie pour maintenir la paix, avaient, avec les avantages d’un gouvernement immuable, les inconvénients d’une petite cour, et, comme dans les plus grands États, la reine y donnait l’exemple ou la mode des défauts ou des qualités que devaient adopter ses sujets.

L’abbesse du Trésor, trop spirituelle pour se flatter de con­versions impossibles, tâchait seulement d’appliquer les défauts inhérents au caractère féminin à des vanités innocentes ; elle avait institué des prix pour les plus blus belles broderies, pour les dentelles les plus riches, les fleurs les mieux imitées, qui devaient servir à parer les autels. Dans aucune abbaye les divins cantiques n’étaient chantés par des voix plus pures et mieux exercées. On venait de Vernon, qui était à deux lieues de là, pour entendre la grande messe et les orgues de l’abbaye du Trésor. Plusieurs religieuses, et les élèves du cou­ vent, se disputaient chaque dimanche l’honneur de soutenir les chants sacrés pas les accords de l’orgue, et il naissait de cette noble émulation un concours de musique qui formait plus d’un talent remarquable. La direction des aumônes, celle de la maison, l’éducation des élèves, étaient un moyen de plus d’employer leur orgueil. Rien n’égalait la fierté de la sœur dont la protégée remportait le premier prix ; elle en humiliait bien un peu les autres ; mais ce péché était absous par la reconnaissance de l’élève et de ses parents. Ainsi du fond de sa retraite, l’abbesse du Trésor donnait une grande leçon aux puissants de la terre en faisant servir la vanité de chacun au bonheur de tous.

Chérie de sa tante, des religieuses et deses compagnes, c’esi là que Septimanie recevait une éducation à la fois pieuse et mondaine, solide et élégante. Une gouvernante sévère, atta chée depuis longtemps à la maison des Guise, et qui n’avait jamais quitté la duchesse de Richelieu, fut chargée par le duc de surveiller sa fille et de tempérer l’indulgence que ne pou vait manquer d’avoir l’abbesse du Trésor pour une enfant aussi aimable. Madame Desormes, descendante en droite ligne d’un valet de chambre du Balâfré, avait toute la hauteur des ducs de Lorraine, et ses idées aristocratiques, en opposition continuelle avec celles de l’abbesse, lui inspiraient le désir naturel de la contrarier le plus qu’il était possible. Ainsi, lorsque la tante de Septimanie oubliait de la punir pour quel que étourderie, madame Desormes lui infligeait de son chef une pénitence sévère, l’empêchait d’aller jouer dans le jardin pendant la récréation, et la forçait à écouter pour la centième fois les grands événements de la Ligue, les états de Blois et l’assassinat de son noble aïeul.

Tout en trouvant les récits de sa gouvernante peu variés et trop longs, Septimanie n’écoutait pas sans orgueil l’histoire de la puissance et des hauts faits qui illustraient la famille de sa mère. Ce sentiment, nourri par les soins de madame Desormes, se maintint dans l’âme de mademoiselle de Riche lieu, peut-être à un plus haut degré que son père ne le voulait.

De son côté, l’abbesse entretenait souvent sa nièce des talens supérieurs et de la haute politique de leur grand-oncle, de ce cardinal-roi qui avait soumis à son pouvoir la noblesse et le trône. Ainsi Septimanie apprenait de l’une que le premier de tous les avantages est celui d’une grande naissance, et de l’autre que cet avantage était vain sans le mérite personnel et le courage de se faire valoir (nom que l’abbesse donnait à l’ambition et au despotisme de son grand-oncle).

Il naissait de ces réflexions opposées un mélange d’idées féodales et philosophiques qui régna toujours dans l’esprit de Septimanie, et lui donna cette complaisance pour les préjugés qui a tant de grâce chez les femmes, et cet enthousiasme pour les talents, la gloire, les nobles ambitions, les succès, enfin pour tout ce qui fait le romanesque de la vie. Ainsi le contraste de sa nature et de son éducation la rendait à la fois modeste, fière, inconséquente, sage, réservée et passionnée.

Le duc de Richelieu, qui sous sa frivolité apparente ne négligait pas ses intérêts de gloire et de fortune, s’était attaché à celle du maréchal de Belle-Isle, dont les talents et la volonté tenace devaient nécessairement réussir auprès d’un roi spirituel, brave et indécis.

Unis par la plus forte de toutes tes sympathies, une haine commune pour le cardinal de Fleury et M. de Maurepas, le duc de Richelieu et le maréchal de Belle-Isle se croyaient sincèrement amis, et pourtant leurs caractères, leurs goûts, leurs idées ne s’accordaient en rien, mais les ambitieux sont de si bonne foi dans leur désir de renverser l’obstacle qui les gêne, qu’ils croient aimer tout ce qui les aide à parvenir à ce but.

Jamais Septimanie ne venait passer quelques jours chez son père sans y rencontrer le maréchal et son jeune fils, le comte de Gisors. De retour au couvent, elle allait se promener avec sa tante au château de Bisy, près de Vernon et de l’abbaye du Trésor. C’était une habitation admirable appartenant au maréchal de Belle-Isle, et où il faisait élever son fils unique. Lejeune comte Louis de Gisors avait quelques années de plus que Septimanie, il était appelé à hériter dignement des avantages, du rang et de la fortune de son père. Il avait de plus une figure charmante, et annonçait déjà toutes les qualités qui depuis l’ont fait distinguer.

L’abbesse du Trésor jugea, dans son intérêt pour son frère et sa nièce, qu’un mariage entre les enfans des deux amis serait le meilleur moyen d’éterniser l’union de leurs familles et de servir les vues particulières du duc de Richelieu. Dès lors, croyant agir selon ses devoirs de sœur et de tante, l’abbesse, loin de combattre le sentiment qui devait naître d’une amitié d’enfance entre deux êtres également aimables, entretint dans le cœur de sa nièce une préférence marquée pour 1e jeune comte de Gisors.

Cette préférence était déjà le sujet de toutes les conversations de Septimanie avec sa compagne favorite, mademoiselle Laurette de Poligny.

— Quoi ! vraiment, disait cette dernière, il te donne un bouquet toutes les fois que tu vas à Bisy ?

— Non-seulement un bouquet, répondit Septimanie, mais une corbeille remplie des plus beaux fruits du jardin. Il vole tes ananas dans les serres pour me les offrir. Nous le trouvons toujours à cheval sur la route les jours où nous devons aller nous promener dans le parc de son père.

» — Vous saviez donc, lui ai-je dit hier, que nous devions venir ?

» — Non, m’a-t-il répondu ; la crainte de perdre un seul moment du bonheur de vous voir m’amène chaque matin sur la route, bien souvent inutilement ; mais enfin le jour arrive où je vous aperçois de loin, et je suis si content alors que j’oublie tout le temps que j’ai attendu vainement et la mau­vaise humeur de mon gouverneur, que ma promenade sur la même route ennuie à la mort.

» Que penses-tu de cela ?

Et Laurette, que trois années de plus que son amie ren­daient déjà rêveuse, pensait que le jeune Louis était amoureux.

Cette idée se changea bientôt en certitude, et c’est dans cette douce croyance que s’éleva labelle Septimanie. Privée dès l’enfance des caresses de sa mère, de ces douces émotions d’une chaste tendresse, sa première affection fut l’amour. Elle s’y livra avec la confiance d’un enfant qui a besoin d’être aimé, de sentir l’objet d’une passion vive et sincère, inalté­rable, telle que le dévouement d’une mère. Cette tendresse maternelle que la mort lui avait ravie, ce bonheur qui lui manquait, elle le demandait à tout ce qui lui ressemble.

Cependant elle était l’orgueil de son père et son attachement pour elle l’emportait sur tous ses autres sentimente. La duchesse de Lauraguais qui régnait alors sur lui, ou plutôt qui était son heureuse esclave, ne dut l’honneur de se con­sacrer si longtemps à lui qu’à l’attachement et à l’admiration qu’elle avait pour Septimanie. Rien n’était à difficile à con­cilier que le respect, la tendresse du duc de Richelieu pour sa fille avec l’habitude qu’il conservait, en dépit de son âge, de chercher à séduire toutes les femmes qui lui plaisaient ; habitude qui le rendait sans cesse le héros des aventures les plus scandaleuses, et mettait sa conduite en contradiction frappante avec les principes de vertu qu’il voulait inspirer à sa fille. Mais plus il avait détruit de réputations, plus il portait d’estime à celles qui restaient intactes. Son orgueil paternel rêvait pour Septimanie une supériotité dont il avait rencontré peu d’exemples : celle d’être à la fois belle, spirituelle, brillante et sage.



III

LA NOVICE


Il y a par règne une ou deux personnes dont on parle toujours et partout. À cette époque les noms de Voltaire et du maréchal de Richelieu dominaient toutes les conversation, soit pour les louer ou les blâmer ; chaque jour un ouvrage de l’un, une action de l’autre, alimentaient la critique ou ajoutaient à l’admiration. Il n’était point de retraite où ne retentit le bruit de leurs succès ; et la supérieure la plus austère, la mère de famille la plus vigilante, employaient vainement leur autorité pour empêcher la lecture du livre défendu, ou le récit de l’histoire scandaleuse. On trouvait chaque jour un volume de Voltaire sous le chevet de quelque novice, et le nom du duc de Richelieu prononcé à voix basse dans les cloîtres trahissait trop souvent la nature des confidences qui s’y faisaient.

Septimanie parlait souvent de son père à ses compagnes, mais son esprit, encore trop jeune pour apprécier les qualités réelles qui le distinguaient, ne vantait que ses agréments frivoles ; c’était, disait-elle, le plus beau, le plus aimable des hommes de la cour, et comme il était parfait pour elle et pour sa tante, elle n’imaginait pas dans son innocence qu’il pût être moins bon envers toute autre femme ; enfin, à force de le vanter avec toute l’exaltation de l’amour et de la vanité filiale, elle avait inspiré à sa compagne, mademoiselle de Poligny, une admiration fort dangereuse.

Dans la retraite absolue, il ne naît point de sentiments fai­bles ; le moindre goût y tourne en passion : le cœur le moins constant et l’esprit le plus léger y sont contraints à vivre d’une pensée, d’une espérance, d’un nom. C’est le triomphe de l’i­dée fixe et la source de presque toutes les déceptions qui affli­gent les pauvres amants. Comment se persuader que la jeune recluse qui s’expose à toutes les tortures d’une vengeance sa­cerdotale, si le moindre billet tendre écrit de sa main tombe au pouvoir de ses supérieures, qui risque de se tuer en sau­tant du haut d’un mur de jardin, de se perdre à jamais en suivant celui qu’elle aime, comment se persuader que cette femme héroïque ne soit pas la proie d’un sentiment profond, indestructible. Eh bien, la moindre distraction, un bal, un spectacle, un parure nouvelle, l’eût peut-être détournée de ce projet, ou plutôt jamais elle ne l’aurait conçu sans le secours de l’ennui et le besoin d’animer sa vie monotone par un mal­heur ou une faute.

Mademoiselle de Poligny avait un beau nom et point de for­tune, c’est-à-dire qu’elle était condamnée à prendre le voile pour éviter à sa famille la honte de lui voir faire un mariage bourgeois. Ce sacrifice imposé par le tyran le plus impérieux, l’orgueil paternel, quelquefois la tendresse d’un mère l’em­pêchait de s’accomplir ; mais madame de Poligny était morte, et rien ne s’opposait plus au projet depuis si longtemps arrêté de consacrer au cloître la jeunesse et la beauté de Laurette.

Élevée depuis son enfance dans l’abbaye du Trésor, choyée par les religieuses qui voyaient en elle une compagne de pri­son, protégée par l’abbesse, qui la regardait comme l’amie de sa nièce, comme un exemple utile à la communauté, Lau­rette se résigna sans peine à prendre l’habit de novice ; elle était si jolie sous ces voiles blancs ! Parfois on contemplait sa démarche gracieuse sous ce noble costume, son doux sourire et cet air de contentement que donne toujours aux jeunes per­sonnes le premier acte important de leur vie. Mademoiselle de Richelieu enviait son sort, et se demandait pourquoi elle irait s’exposer à perdre son âme dans ce monde qu’on lui peignait si corrompu, tandis qu’il lui était si facile de faire son salut en imitant le saint dévouement de son amie.

Un jour que son exaltation religieuse était encore augmentée par la pompe d’une grande fête, elle se présenta chez sa tante au sortir de la messe, et la pria de lui accorder un entretien particulier, car elle avait une importante communication à lui faire. L’abbesse, croyant qu’il s’agit d’une permission de sortir, d’une grâce à obtenir pour quelque pensionnaire en pénitence, est bien étonnée d’entendre sa nièce lui déclarer que, convertie par les exhortations qu’elle lui avait si souvent entendu faire à Laurette, et par le bonheur dont celle-ci paraît jouir depuis qu’elle se dispose à faire ses vœux, elle aussi veut être religieuse.

— Vous, religieuse ? s’écrie la sœur du duc de Richelieu ; mais vous n’y pensez pas, mon enfant !

— Oh ! si, ma mère, j’y pense nuit et jour, reprit Septimanie, depuis une semaine… j’avoue qu’avant la conférence que vous avez eue avec Laurette, sur les dangers du monde, sur ce que vous appelez un attachement mondain, ces idées-là ne m’étaient jamais venues à l’esprit ; mais aujourd’hui que je sais, comme vous l’avez dit, que le malheur et l’enfer menacent sans cesse la femme qui s’éloigne de l’asile du Seigneur, je veux rester ici toute ma vie.

— C’est une sainte résolution, ma fille, et dont le ciel vous tiendra compte ; mais vous êtes encore trop jeune pour en connaître l’importance : à quatorze ans on ne peut disposer de sa destinée ; vous devez avant tout vous soumettre aux volontés de votre famille, et votre père ne me pardonnerait pas de vous engager…

— Mon père ne veut que mon bonheur, et dès qu’il m’a confiée à vous…

— Sans doute il veut faire de vous une bonne chrétienne, interrompit l’abbesse avec impatience ; mais on peut faire son salut dans le monde aussi bien que dans un couvent.

Alors l’abbesse, oubliant que ce qu’elle dit est en opposition directe avec ce qu’elle répétait sans cesse à la jeune novice devant Septimanie, ajoute tout ce qu’elle croit pouvoir détour­ner sa nièce d’un projet qui l’aurait infailliblement brouillée avec son frère ; puis elle va jusqu’à rappeler à Septimanie qu’elle était presque fiancée avec le comte de Gisors ; et lui re­proche de l’oublier, car, dit-elle, le mariage est aussi un sa­crement.

— Ce n’est pas moi qui oublie ! s’écrie Septimanie en pleurant ; mais depuis que le comte Louis a suivi son père à l’ar­mée, a-t-il pensé une seule fois à me faire donner de ses nou­velles ? Ah ! je vois bien que vous avez raison, il n’y a pas de bonheur à espérer dans le monde, où l’on ne rencontre que vanité, trahison, ingratitude ; Dieu seul nous protège et nous aime toujours ; aussi est-ce Dieu seul qu’il faut aimer !

L’abbesse, fort embarrassée d’avoir à réfuter ses propres pa­roles répétées par sa nièce, se retrancha dans l’autorité pater­nelle, qui défendait à Septimanie de se consacrer à Dieu sans savoir ce qu’en penserait son père.

Cette vocation subite, causée par le dépit, n’avait rien d’ef­frayant ; cependant l’abbesse pensa qu’il était prudent d’en ins­truire son frère, et peu de jours après cet entretien, les grilles extérieures du vieux couvent s’ouvrirent pour laisser entrer le carrosse à six chevaux du maréchal de Richelieu.

Dans ses fréquentes visites à l’abbaye du Trésor, il habitait un corps de logis attenant au mur du jardin de la commu­nauté. Son rang, son titre de frère de l’abbesse lui donnaient le droit de pénétrer dans la partie du couvent où logeait sa sœur, et les religieuses le rencontraient souvent dans le jar­din causant avec sa fille et leur abbesse.

Son arrivée à l’abbaye était toujours l’occasion d’une fête : il apportait à Septimanie une quantité de présents, qui étaient bientôt dispersés entre ses compagnes, et des friandises qui servaient à de joyeuses collations. L’abbesse donnait ces jours-là un grand dîner à l’archevêque de Rouen, au directeur de la communauté, et plusieurs religieuses avaient l’honneur d’y être admises, ainsi que les compagnes favorites de mademoi­selle de Richelieu. La jeune novice fut, à la requête de son amie, portée sur la liste des invitées. Septimanie, fière de l’amitié d’une personne qui avait quatre ans de plus qu’elle, et toutes les qualités qu’on estime le plus, sans compter les agrémens qu’on envie, même dans un cloître, parla de Laurette à son père de manière à lui donner le désir de la connaître ; à peine l’eut-il aperçue se promenant solitaire sous les vieux tilleuls du jardin, qu’il devina la véritable cause de son exaltation religieuse :

— C’est de l’amour terrestre appliqué au ciel, pensa-t-il, en contemplant les regards pleins de feu, la démarche langoureuse de la belle novice ; elle n’aurait pas cette tristesse qui lui donne tant de charme, si l’adoration de Dieu suffisait à son cœur.

En effet, condamnée à la réclusion, au sacrifice éternel des attachemens du monde, Laurette cherchait à remplacer un bonheur qu’elle regrettait sans le connaître, par l’espérance d’une félicité divine, infinie, telle que le ciel la promet.

Ce fut une abominable pensée que celle de détourner du ciel cette âme exaltée, que de chercher à lui prouver la fragilité de la vocation qu’elle croyait immuable ; et cette pensée coupable, un homme de plus de cinquante ans, le duc de Richelieu osa la concevoir ; là, près de sa fille dont il respectait et chérissait la pureté, dont il aurait tué de sa propre main le séducteur, s’il se fût trouvé un être assez téméraire pour vouloir la déshonorer ; M de Richelieu, sans égard pour le saint lieu qui le recevait, pour l’hospitatité qu’il trouvait chez sa sœur, la confiance que devaient inspirer son âge, son rang, son titre de père, cet homme, blasé sur les succès du monde, accoutumé à triompher de toutes les rivalités, ne put se défendre de l’orgueilleux plaisir de combattre contre la divinité elle-même.

Aussi ingénieux que discret dans les moyens de faire connaître et accueillir son amour, on n’a jamais su comment il était parvenu à porter le trouble et le désespoir dans le cœur de Laurette ; seulement, depuis qu’il l’avait rencontrée dans le jardin, depuis qu’il l’avait vue chez sa sœur, elle était distraite, rêveuse, et ne parlait plus qu’en rougissant de sa prochaine prise d’habit. Des réflexions sur la mort… des mots sinistres dits presque involontairement par elle, donnaient quelque inquiétude sur la sincérité de sa vocation ; mais on n’aurait osé en faire la remarque tout haut, tant on craignait qu’elle ne se désistât. Chaque fois que le maréchal venait à l’abbaye, elle tombait dans une sorte de stupeur qui contrastait avec l’agitation générale, car ces jours-là les sœurs redoublaient de soins pour seconder leur abbesse dans la pompeuse réception qu’elle aimait à faire à son frère. C’était un bruit, un mouvement, qui faisaient trêve au silence habituel ; Laurette seule ne prenait aucune part à ces préparatifs ; on aurait cru que l’arrivée de cet hôte dangereux était sans nul intérêt pour elle, si son visage pâli, ses regards brillants et inquiets, n’avaient trahi une émotion de joie et de terreur. Son année de noviciat révolue, Laurette tomba tout à coup très-malade ; elle pria l’abbesse de permettre à Septimanie de venir la soigner, l’abbesse y consentit. Laurette semblait frappée de l’idée qu’elle n’avait plus que peu de moments à vivre.

En entrant dans cette cellule qu’éclairait la faible lueur d’une lampe de nuit, Septimanie fut saisie d’un pressentiment funèbre ; mais il céda bientôt à l’aspect des joues colorées de la malade, de ce regard animé, de ce sourire forcé qu’elle prenait pour les signes certains d’un retour à la santé ! Comment deviner à son âge que l’excès de la souffrance et l’espoir de la mort puissent ainsi embellir un visage !

Elle s’approche de Laurette ; elle l’embrasse, lui parle, mais les yeux fixés sur les siens, Laurette ne répond pas ; elle semble absorbée par un souvenir fatal ; inquiète de ce silence, Septimanie l’appelle en pleurant ; Laurette la serre sur son cœur d’une manière convulsive, puis, se penchant vers le pied de sa couchette, elle lui fait signe de soulever son matelas. Septimanie obéit, et trouve sous ce matelas une grosse clef, qui lui parait être celle d’une porte de jardin ; Laurette s’en empare et la lui remet après avoir regardé si personne ne venait les surprendre ; ensuite, elle essaie en vain de parler, fait des signes que son amie ne peut comprendre ; enfin, après mille efforts qui prouvent assez les affreuses douleurs dont elle est déchirée, Laurette, serrant la clef dans la main de Septimanie, lui adresse quelques paroles d’un ton suppliant ; mais la contraction qui tient ses dents fortement serrées ne permit d’entendre que ces mots : Dans le puits.

— Tu veux que je jette cette clef dans le puits ? demanda Septimanie, craignant d’avoir mal compris. Un signe de tête lui répond oui ; et presque au même instant, d’horribles convulsions s’emparèrent de Laurette.

À cette vue, Septimanie ouvre précipitamment la porte de la cellule, et demande à grands cris du secours. Toute la communauté arrive ; l’abbesse, frappée de l’état où elle voit la malade, fait aussitôt appeler le médecin et le directeur du couvent ; elle défend à sa nièce de rentrer dans la cellule, elle ne veut point la rendre témoin du malheur qu’elle re­doute. Septimanie murmure de cet ordre ; mais puisqu’elle ne peut la soigner elle-même, elle veut du moins remplir la volonté de son amie ; en cet instant où toute la maison est occupée à secourir Laurette, elle est sûre de n’être vue de personne en se rendant vers le puits du jardin ; elle y jette la clef et revient aussitôt dans le corridor du parloir où toutes les religieuses attendent des nouvelles de la mourante ; ces nouvelles sont de moment en moment plus sinistres ; on craint que l’état convulsif de l’agonisante ne lui permette pas de se confesser avant de succomber, et l’inquiétude pour son salut l’emporte sur toutes les autres ; mais la douceur angélique de Laurette, sa piété, sont les garants de sa béati­tude, comment soupçonner qu’une vie si courte et passée tout entière dans le cloître s’éteigne dans le désespoir et les remords !

Aux exclamations qu’elle entend, aux larmes qu’elle voit répandre, Septimanie devine que son amie est prête d’expi­rer ; alors, n’écoutant que sa douleur, elle s’élance vers la porte de la cellule, et pénètre jusqu’au lit de Laurette ; sa voix, ses cris semblent ranimer la mourante ; elle tourne les yeux vers Septimanie, son regard la questionne, l’an­xiété la plus vive se mêle aux signes de l’affreuse souffrance qui rend ses traits méconnaissables. Septimanie la comprend, un geste lui fait entendre que la clef est en sûreté ; alors un sourire de reconnaissance répond à cet avis ; hélas ! ce sou­rire est le dernier !

L’abbesse ordonne qu’on entraîne sa nièce hors de la cel­lule.

Deux heures après, mademoiselle de Richelieu était dans le carrosse de sa tante avec madame Desormes, chargée de conduire mademoiselle de Richelieu chez son père.



IV

LA MARQUISE DE POMPADOUR


Le maréchal de Richelieu était avec la duchesse d’Aiguillon[4], sa tante, et la duchesse de Lauraguais, la plus spiri­tuelle, la plus dévouée de toutes les femmes qui l’aient aimé ; il leur faisait part de la lettre que venait de lui adresser ma­dame de Pompadour sur la mauvaise humeur que le roi témoignait contre lui depuis quelque temps, disgrâce dont il accusait madame de Pompadour d’être cause.

— Malgré toutes ses phrases caressantes, dit le maréchal, je n’en pense pas moins qu’elle m’a desservi de son mieux près du maître ; elle ne me pardonne pas d’avoir dit qu’on pouvait succéder à madame de Châteauroux, mais la rem­placer, jamais. L’estime, l’attachement que je portais à votre sœur, ajouta-t-il en s’adressant à la duchesse de Lauraguais, sera un éternel obstacle à la bienveillance de la marquise pour moi. Elle m’en veut des comparaisons que le roi fait sans doute, et voudrait éloigner de lui tous ceux qui peu­vent lui parler d’un si cruel et si noble souvenir.

— N’importe, dit la duchesse d’Aiguillon, il faut avoir l’air de croire à ses cajoleries, et accepter la paix qu’elle vous propose.

— Peut-on savoir à quelles conditions ? demanda madame de Lauraguais avec un sourire amer.

— Tenez, lisez, répondit le maréchal en remettant à madame de Lauraguais la lettre suivante :

« Versailles, 1784.

» Vous m’avez parlé, la dernière fois, avec assez d’humeur, monsieur le maréchal, et vous m’avez fait entendre que j’influais sur les légers nuages qui s’élevaient entre vous et le roi ; on doit excuser ses amis quand un moment d’aigreur les aveugle, et j’ai cru devoir vous répéter par écrit ce que je vous ai dit de vive voix. Je vous assure que je n’ai point cherché à vous desservir ; je ne vous dirai pas que je n’ai pas eu comme vous de légers moments d’humeur, mais vous parveniez bientôt à les faire disparaître. Vous savez que si j’ai distingué d’abord quelqu’un, ce fut vous… »

— J’en ai peur, dit en riant madame de Lauraguais, mais poursuivons.

« Et vous devez voir que jusqu’à présent, vous avez obtenu à peu près ce que vous avez voulu du maître. Vous savez aussi qu’il est sujet, plus que personne, à des inégalités qui feraient croire qu’on est plus mal avec lui dans un moment où il n’est qu’indiférent.

» Je puis vous assurer qu’il vous rend toute la justice qui vous est due. Il lui est bien permis de faire quelques plaisanteries sur des défauts qu’il peut remarquer en vous, car vous n’ignorez pas que personne n’est exempt d’en avoir… »

— Voilà, interrompit la duchesse de Lauraguais, de ces plates vérités qn’on ne dit que pour excuser des méchancetés atroces ; le roi aura mal parlé de vous uniquement pour lui plaire ; il n’est jamais médisant que par faiblesse ; je voudrais savoir quels sont ces défauts dont sa majesté plaisante.

— À quoi bon ? dit le maréchal en riant, vous les connaissez mieux que lui.

La duchesse continue sa lecture :

« Le roi peut être également plus mal disposé un jour que l’autre ; mais je vous répète que l’impression donnée ne vient pas de moi… »

— Elle en a menti, dit madame d’Aiguillon, elle est pour peu dans les bonnes grâces du roi, mais elle est toujours pour beaucoup dans sa mauvaise humeur.

« Quant à la place que vous sollicitez pour votre protégé, je suis bien fâchée de m’étre trouvée en concurrence avec vous. Je l’avais demandée à d’Argenson pour un homme qui m’est recommandé depuis longtemps ; j’ignorais vos démarches, et je vous connaissais assez galant pour les femmes pour m’avoir sacrifié les vôtres, en apprenant que ma demande était plus ancienne. Ce n’est donc pas pour vous contrarier que je me suis trouvée en rivalité avec vous.

» Vous voyez que je suis bien aimable de me justifier, et que cela mérite au moins une belle lettre d’excuses de votre part. J’aimerais autant que vous vinssiez vous-même vous avouer coupable ; vous avez tant de grâce en parlant, qu’on n’a pas le courage de vous bouder longtemps. »

— Nous y voilà ! s’écria madame de Laurageais, c’est un raccommodement avec toutes ses dépendances qu’elle exige de vous. Cette femme-là ne demande qu’une occasion de tromper le roi.

— C’est possible, dit le maréchal, mais ce n’est pas moi qui la fournirai, je suis un sujet trop fidèle…

— Et trop prudent, j’espère, dit madame d’Aiguillon ; il y a bien peu de faveurs qui valent celle d’un roi.

— Ah ! ah ! voici qui nous regarde, dit madame de Lauraguais en jetant les yeux sur le dernier paragraphe.

« Vous avez une amie qui prend vos intérêts bien vivement ; il serait dangereux de vouloir vous combattre ; vous trouvez trop de gens qui accourent pour vous défendre ; aussi je propose la paix aux plus légères apparences de la guerre[5].

 » Marquise de Pompadour. »

— Tout cela veut dire qu’on a besoin de vos services, ajouta la duchesse de Lauraguais, qu’on vous attend à Versailles pour vous confier une mission dont on vous croit seul capable, ou qu’il faut encore obtenir quelque chose des états de Languedoc. La marquise n’a pas l’habitude d’être si caressante pour rien.

— G’estla juger aussi par trop sévèrement, dit le maréchal, elle a tous les défauts d’une parvenue, j’en conviens, et l’on, ne peut s’attendre à rien de mieux de la part de mademoi selle Poisson ; mais, excepté le tort de rabaisser le roi à elle plutôt que de s’élever à lui, on n’a pas trop à murmu rer de son crédit ; elle a bonne volonté de l’employer au profit des gens de mérite, elle aime l’esprit, les talents.

— Oui… mais la gloire.

— Ah ! pour cela, elle n’y entend rien, et si le roi commande encore une fois ses armées en personne, ce n’est pas elle qui l’y décidera.

— Être indifférente à la gloire de celui qu’on aime ! s’écria madame de Lauraguais, mais c’est le trahir. Il faut être née d’un sang bien vil pour chercher à éteindre dans un noble cœur ce qui fait pardonner tant de fautes. Vous qui parlez, que seriez-vous, si par un miracle que je crois impossible, on éteignait en vous cette soif de gloire, cet amour des périls qui vous distinguent, même au milieu des plus braves de l’armée ? Vous ne seriez qu’un homme à bonnes fortunes, encore tout au plus, car les femmes ont besoin d’honorer celui qui les déshonore ! C’est notre orgueil pour votre courage, nos craintes pour vos dangers, qui portent notre amour jusqu’à la passion ; on ne ferait pas tant pour vous si vous n’étiez qu’un aimable traître !

À ces mots, le maréchal baisa la main de madame de Lauraguais, en signe de reconnaissance.

— Ainsi donc, dit-il, votre avis est que je me rende à Versailles à l’instant même ?

— C’est marquer trop d’empressement peut-être, dit la duchesse.

— Non, répondit madame d’Aiguillon, il faut terminer ces sortes de différends dès qu’on le peut. Probablement le roi ne sait rien de cette lettre, il croira que mon neveu vient de lui-même faire la paix avec sa favorite ; cela produira un très-bon effet. À la cour, moins que partout ailleurs, il ne faut pas laisser apercevoir qu’on se sait être utile. Le secret de mener les gens est tout entier dans le soin de leur persuader qu’ils nous mènent. Croyez-moi, cet acte de soumission envers la marquise sera récompensé…

— Par quelque commission fort désagréable, peut-être, interrompit le maréchal ; comme une nouvelle réprimande à Voltaire pour les deux derniers volumes qu’il vient de faire imprimer à la Haye, ou qu’on vient d’y imprimer sans son aveu, ce qui arrive souvent. On prétend que dans cet ouvrage, notre philosophe trahit son attachement secret pour la religion des Turcs ; qu’il les fait valoir tant qu’il peut, et presque toujours aux dépens des chrétiens. Le clergé sera venu se plaindre au roi, et c’est moi qui supporterai la maumaise humeur de ces deux grandes puissances contre la puissance encore plus grande du démon de Ferney. Je ferai, comme à l’ordinaire, un long sermon au coupable ; il niera le crime, puis il le recommencera.

— Et vous en rirez de tout votre cœur ?

— C’est possible, cela est si bon de rire, et Voltaire m’a donné si souvent ce plaisir ! mais je vais le lui rendre aujourd’hui en lui racontant ma petite scène à l’Académie.

— Que s’est-il donc passé ?

— Vous saurez que sous prétexte qu’il est déjà secrétaire de l’Académie des inscriptions et belles-lettres, M. de Bougainville[6] voulait persuader aux trente-neuf que lui seul avait des droits au fauteuil vacant par la mort de M. de Boye. La grande majorité des suffrages lui était assurée ; pourtant ce choix déplaisait à la cour et même aux gens de lettres, dont la plupart ont plus de titres que M. de Bougainville à cet honneur. Quand je vis que les intérêts de la littérature n’entraient pour rien dans l’élection préméditée, je pensai qu’il valait mieux donner un protecteur de plus à l’Académie, un prince qui aimât les lettres et les arts, qu’un particulier qui n’avait rien fait pour eux. J’avisai un moyen fort simple ; puis en arrivant à la séance, je demande au président Hénault assis à côté de moi, à qui il donne sa voix ?

» — À Bougainville, répond-il.

» — Je parie que non, répliquai-je.

Le président s’étonne que je prétende savoir mieux que lui à qui il donne sa voix ; j’insiste, je parie ; il m’accuse avec beaucoup d’amertume de me moquer de lui. Cette contestation assez longue est interrompue par la lecture que M. de Mirabeau, notre secrétaire, fait à haute voix d’une lettre du comte de Clermont, par laquelle ce prince remercie l’Académie française de l’honneur quelle lui fait en le choisissant pour remplir la place vacante. Les académiciens n’avaient point songé à offrir cette place à un prince du sang, mais, flattés de l’honneur que son altesse voulait bien leur faire, leurs suffrages se réunirent sur-le-champ en faveur du prince, et le président Hénault convient qu’il a perdu la gageure.

— Voilà une fort bonne niche à raconter au roi, dit la duchesse d’Aiguillon.

— Aussi, je compte en faire ma cour à la marquise ; la pauvre femme a tant de peine à amuser son auguste amant, surtout depuis que… Mais que veut Boquemare ? ajouta le maréchal en voyant entrer son vieux bibliothécaire.

— Pardon, monseigneur, répondit-il, mais vos gens sont venus me prier de vous prévenir qu’il arrive en ce moment à l’hôtel… quelqu’un… envoyé par madame l’abbesse… du Trésor, pour…

— Oh ! ciel, ma fille serait-elle malade ! s’écrie le duc avec effroi.

— Non, monseigneur… c’est madame Desormes, qui a une lettre à…

— Madame Desormes ici ! interrompt le maréchal… dans une anxiété extrême… il est arrivé quelque malheur à ma fille… j’en suis certain.

Et le maréchal se lève, court vers la porte de la bibliothèque, où il croit trouver madame Desormes seule. Septimanie s’élance dans les bras de son père.



V

UNE DE PLUS


— Quelle pâleur ! s’écrie M. de Richelieu, en faisant asseoir sa fille auprès de madame d’Aiguillon ; voyez donc, ma tante, elle est prête à se trouver mal !

Madame d’Aiguillon et madame de Lauraguais s’empressent à soigner Septimanie dont plusieurs jours et plusieurs nuits passés dans les larmes ont sensiblement altéré la santé ! elle éprouve surtout une oppression qui l’empêche de parler ; elle s’efforce en vain de répondre aux questions dont son père l’accable.

Si monseigneur veut lire cette lettre, dit madame Desormes, elle doit l’instruire de la triste cause de notre voyage. Le maréchal prend la lettre… mais à peine en a-t-il lu quelques lignes qu’il se laisse tomber sur un siège, en s’écriant :

— Quelle horreur !… grand Dieu !… est-il possible !… morte !!… morte !!!…

— Hélas oui ! dit Septimanie, que l’émotion de son père attendrit, et qui retrouve la parole pour épancher sa douleur, je l’ai vue mourir !… je crois encore entendre les cris que d’horribles convulsions lui arrachaient… j’ai son dernier re gard attaché sur le mien… il me semble qu’il m’appelle… que je dois aller la rejoindre !…

— Calme-toi, mon enfant, dit madame d’Aiguillon frappée de la terreur qui se peint sur le visage de sa nièce ; ne te livre pas à ces sombres idées. Comment se peut-il qu’on l’ait rendue témoin d’un semblable spectacle ? ajoute la vieille duchesse, en s’adressant à madame de Lauraguais.

Mais celle-ci ne l’entend point ; les yeux fixés sur le maréchal, elle contemple avec un mélange d’indignation et de pitié l’accablement profond où cette mort le plonge. On dirait qu’elle devine tout ce qui se passe dans cette âme où le remords triomphe un moment de sa légèreté habituelle… Le secret des fréquentes visites de M. de Richelieu à l’abbaye du Trésor lui est tout à coup révélé… elle a été trahie pour une pensionnaire… Ce double crime a causé la mort de cette Laurette qu’il pleure… elle se sera empoisonnée pour échapper au déshonneur… Toutes ces réflexions assiègent l’esprit de madame de Lauraguais… elle est accablée… le maréchal s’en aperçoit, et reprenant aussitôt son empire sur lui-même, il affecte de ne s’occuper que de l’état de sa fille ; il s’emporte contre madame Desormes, lui reproche de n’avoir pas sauvé à Septimanie l’affreux tableau qui devait terrifier son imagination. Il accuse sa sœur l’abbesse, les religieuses, les prêtres, tous ceux qui assistaient la mourante ; enfin, il se crée un accès de colère pour voiler les sentimens qui le déchirent : puis, quand il a supplié sa tante de ne point quitter Septimanie, de la faire mettre au lit… quand il a conjuré madame de Lauraguais d’avoir pitié de son inquiétude pour sa fille… quand il a ordonné à ses gens d’aller chercher le docteur Vernage… il sort précipitamment… monte dans son carrosse, et dit : À Versailles.


VI

LA MALADIE


À son retour, apres minuit on lui remet une longue lettre de la duchesse de Lauraguais.

— Ah ! elle a tout deviné, elle veut rompre, pense-t-il, même avant d’avoir ouvert la lettré ; je l’en défie bien… je me sens trop malheureux, trop malade aujourd’hui, pour qu’elle m’abandonne ; elle sentira bien que son attachement m’est indispensable pour me réconcilier avec moi-même ; que je me haïrais trop si elle ne m’aimait plus… et puis il me faut sa présence ; j’ai besoin d’elle pour me distraire de cet affreux souvenir… En vérité, je ne me reconnais plus… je suis d’une faiblesse… cette mort m’a frappé comme si jamais pa reille aventure… j’en suis encore anéanti… je tremble… j’ai froid… je crois que j’ai la fièvre…

En effet, il éprouvait tous les symptômes d’une maladie grave. Cette nouvelle sinistre avait agi sur lui si vivement, que son sang, sa bile, en étaient presque décomposés ; les médecins qui furent appelés déclarèrent que la vie du maréchal n’était pas en danger, mais que la moindre imprudence pouvait faire rentrer l’éruption qui couvrait son visage et son corps, et qu’il fallait le surveiller jour et nuit.

L’âge de la duchesse d’Aiguillon ne lui permettait pas de braver tant de fatigue : Septimanie était trop jeune pour don ner à son père las soins éclairés que cette maladie exigeait. Madame de Lauraguais fit preuve en cette circonstance d’un attachement héroïque pour le due de Richelieu.

Se faisant passer pour être fort souffrante elle-même, elle obtint un long congé de Madame la dauphine dont elle était dame d’atours, et elle vint s’enfermer près de son ami malade. Il ne fallait pas moins qu’un aussi noble dévouement pour consoler M. de Richelieu de se voir ainsi défiguré par une maladie de peau ; lui qui aimait tant à plaire, et qui plaisait encore tant à l’âge où les antres hommes renoncent à l’amour !

Pendant cette maladie, qui dura près de six mois, mademoiselle de Richelieu fut confiée par sa grand’tante à la supérieure du couvent de Montmartre, où elle se lia d’une amitié très-vive avec mademoiselle de Vibraye, qui devint par la suite dignitaire de cette abbaye.

Madame d’Aiguillon la venait chercher de temps en temps, non pas pour voir son père, car les volets de la chambre du malade étaient fermés de manière à ne pas laisser pénétrer le jour du côté où il se tenait, mais pour causer avec lui et l’aider à prendre patience.

De toutes les personnes qui se présentaient à l’hôtel de Richelieu pour savoir des nouvelles du maréchal, la comtesse de Brignolet, la marquise de Mauconseil, le maréchal de Bellisle et son fils étaient les seuls reçus par madame d’Aiguillon, encore n’était-ce que pour rapporter à son neveu les nouvelles de cour qui pouvaient l’intéresser.

Le jeune comte de Gisors était fort exact à rencontrer Septimanie chez son père, car une de ses parentes pensionnaire à l’abbaye des Dames de Montmartre l’instruisait des jours de sortie de mademoiselle de Richelieu ; et il ne manquait point à venir ces jours-là s’informer de l’état du malade ; il recueillait pendant toute la semaine les nouvelles politiques, les aventures piquantes, les caquets de cour qu’il savait devoir amuser le père de Septimanie, et faire ainsi tolérer ses fréquentes visites.

Avec quelle tendre émotion elles étaient attendues par Septimanie ! quel trouble charmant elles laissaient dans cette âme naïve… le souvenir de la mort de son amie, ses inquiétudes sur son père, tout était oublié quand Louis était près d’elle ; cependant il osait à peine lui adresser la parole ; ses regards ne se levaient que timidement sur elle ; il se cachait pour ramasser la fleur qu’elle avait laissé tomber, et lorsqu’elle lui parlait il restait quelquefois longtemps sans lui répondre, comme si le charme de cette voix angélique paralysait sa pensée ; mais son respect, son silence disaient mieux son amour que la déclaration la plus éloquente, et Septimanie y répondait avec la tendresse de son cœur, sans se douter que cette préférence exclusive, cet enchantement de la présence, cet élan d’âme qui la portait vers lui, fussent de l’amour.

Un jour que madame d’Aiguillon et madame de Lauraguais avaient été à Sainte-Geneviève accomplir un vœu pour le rétablissement du maréchal, Septimanie resta seule près de son père.

— Comment trouvez-vous le comte de Gisors, ma chère Septimanie, demanda-t-il tout à coup ; ces dames prétendent qu’il est le plus aimable des jeunes gens de la cour, et je veux savoir si vous êtes de cet avis.

— Mais… je ne sais… répondit Septimanie d’une voix tremblante, je ne puis… juger…

— Si vraiment vous jugez à merveille les personnes qui viennent ici… et prenez-y garde, si vous craignez de dire ce que vous pensez du comte Louis… j’en conclurai…

— Moi, monsieur… je le trouve fort aimable, reprit-elle avec une vivacité qui fit sourire le maréchal.

— Eh bien, j’en suis fort aise, dit-il, les femmes ont parfois des goûts si bizarres, que le mérite et les agréments ne sont pas toujours un droit à leur préférence ; je suis charmé de vous voir apprécier les qualités qui distinguent le comte de Gisors ; il est brave, spirituel, et je le crois destiné à parcourir une carrière aussi brillante que celle de son père. Voilà un événement qui augmente sa fortune présente : la mort de la maréchale de Belle-Isle le fait hériter de…

— Sa mère est morte ! s’écria Septimanie, oh ? comme il doit avoir du chagrin !…

— Sans doute, reprit le maréchal, les premiers moments d’un deuil sont toujours fort tristes ; c’est pourquoi j’ai en gagé son père à me donner tous les instants qu’il passait ordinairement à Versailles. La maison d’un malade est une retraite fort convenable dans sa position. D’ailleurs nous avons à parler d’affaires ensemble, et je ferai une exception pour lui.

En cet instant on vint prévenir M. de Richelieu que le maréchal de Belle-Isle était dans le grand salon.

— Allez au-devant de lui, dit-il à Septimanie, allez lui faire nos compliments de condoléance ; puis vous l’engagerez à entrer chez moi, vous veillerez à ce qu’on ne vienne pas nous interrompre.

Que de pensées ce court entretien devait faire naître dans l’esprit de mademoiselle de Richelieu !

Elle croyait trouver le maréchal de Belle-Isle seul ; la vue du comte de Gisors lui fil un moment oublier les phrases d’usage qu’elle devait adresser à son père ; ravi de la voir si émue, M. de Belle-Isle la remercie d’un ton paternel, lui baise la main, et passe dans l’appartement du duc de Richelieu.

Le comte de Gisors ne le suit pas ; ses.traits sont altérés ; ils portent encore l’empreinte d’une violente douleur ; le deuil de son visage répond à son vêtement funèbre. Septimanie le regarde en silence, et des larmes coulent sur ses joues si fraîches.

— Vous me plaignez, dit-il, en détournant ses yeux pour cacher ses pleurs et sa joie.

— C’est un si grand malheur de n’avoir plus de mère ! dit Septimanie en soupirant.

— Oh ! oui, reprit Louis, perdre celle qui nous aime tant et toujours !… Ne plus savoir à qui confier son espoir… ou sa peine…

Septimanie allait rappeler au comte Louis les consolations qu’il devait attendre de son père ; mais elle savait que le maréchal de Belle-Isle n’aimait dans son fils que les qualités brillantes propices à son ambition. La sincérité de Septimanie l’arrêta, et puis ses idées étaient confuses, son cœur battait uvec violence ; elle était tout entière à la crainte de laisser deviner ce qui se passait en elle.

De son côté, le comte de Gisors se reprochait comme un crime le plaisir que lui causaient l’émotion de Septimanie et la démarche de son père auprès du maréchal de Richelieu. Il y avait tant d’avenir dans tout cela, que ses regrets présents en étaient comme étouffés sous le poids d’une espérance délirante.

Parler de son amour à mademoiselle de Richelieu de s’être assuré du consentement de son père, l’honneur ne le permettait pas ; Il fallait attendre le résultat de l’entretien qui avait lieu entre les deux maréchaux, et causer de choses indifférentes quand ce moment décidait de leur sort…

Ainsi les instants les plus solennels de la vie se passant à comprimer les sentiments qu’ils font éprouver.

C’était un singulier contraste que les paroles froides, insignifiantes, qui sortaient des lèvres tremblantes de ces deux personnes si vivement agitées parla même pensée, que leurs regards brûlants s’évitant avec soin et fixés sur la porte par laquelle le maréchal de Belle-Isle devait sortir de chez le duc de Richelieu. Enfin l’arrivée de la duchesse d’Aiguillon et de la duchesse de Lauraguais vint terminer ce supplice plein de charmes. La douairière parut très-surprise de trouver sa nièce seule avec le comte de Gisors ; elle témoigne son étonnement par quelques mots qui auraient pu les éclairer sur l’emploi d’un tête-à-tête ainsi perdu ; mais l’innocence de Septimanie ne lui fournit même pas d’excuse pour un tort qu’elle ne comprenait pas ; elle répondit simplement que son père lui avait recommandé de rester dans le salon, afin d’empêcher qu’on ne troublât son entretien avec le maréchal de Belle-Isle.

Nouvel étonnement de la part de madame d’Aiguillon ; son neveu n’a pu se décider à recevoir quelqu’un dans l’état de faiblesse où il est encore que pour un motif grave. Qu’a-t-il à traiter avec M. de Belle-Isle ? plusieurs indices lui font soupçonner que c’est une affaire de famille ; et ne pas la consulter pour un intérêt de ce genre lui parait une injure. La duchesse rêvait au moyen de braver les ordres de son neveu sans trop le mettre en colère, quand le maréchal de Bele-Isle rentre dans le salon, le visage rayonnant d’une joie dont le reflet se montre aussitôt dans les yeux du comte Louis ; cet air joyeux fait rougir Septimanie, et déconcerte beaucoup la mine et le ton triste qu’avaient cru devoir prendre ces dames en voyant le maréchal en grand deuil.

Rappelé à son veuvage récent par les compliments d’usage qu’on lui adresse, le maréchal de Belle-Isle s’efforce de voi­ler son contentement sous des phrases de regrets ; mais empressé d’instruire le comte Louis de ce qui l’intéresse, il sort bientôt avec lui, en laissant entendre que l’excès de sa douleur ne lui permet pas de se livrer plus longtemps au plaisir de causer avec ces dames.

— Concevez-vous rien à l’air joyeux de cet homme-là ? dit la duchesse d’Aiguillon ; ne dirait-on pas que la mort vient de le délivrer d’une femme insupportable ? et pourtant nous savons tous que la sienne était un ange de douceur.

— Il est certain, répond madame de Lauraguais, que lui ou ses pleureuses[7] sont bien ridicules, et qu’ils ne vont pas ensemble ; il a pourtant bonne volonté de paraître triste ; c’est quelque espoir ambitieux qui le dérange.

— Mais son fils n’avait pas l’air très-malheureux non plus ; il est vrai qu’il hérite.

— Ah ! madame, s’écria Septimanie, si vous aviez entendu ce qu’il me disait tout à l’heure de sa mère, si vous aviez vu ses larmes en parlant d’elle, vous ne douteriez pas de ses regrets.

— C’est possible, reprit madame d’Aiguillon, mais ces gens-là ont une manière d’être à plaindre qui ferait envie aux plus heureux de la terre.

En disant cela elle entra chez son neveu, madame de Lau­raguais la suivit, et Septimanie courut s’enfermer chez elle pour y savourer à loisir le bonheur de penser à tout ce qu’elle espérait.

— Qu’avez-vous donc appris au maréchal de Belle-Isle ? dit la douairière, ce doit être quelque chose de bien agréable, car il en avait complètement oublié son deuil.

— Je suis mal placé pour savoir le premier les nouvelles, vous en conviendrez, répondit le duc en s’amusant de la curiosité de sa tante, et le maréchal de Belle-Isle, qui voit tous les matins le roi, les sait avant tout le monde.

— Ah ! je devine, reprit-elle, le département de la guerre va lui être confié. C’est à cela qu’il vise, et je ne m’étonne plus de son ravissement.

— C’est un ministère qui lui viendra sans doute, mais ce ne sera pas de sitôt… D’Argenson a su se rendre utile, on ne peut oublier si vite les services qu’il a rendus lors de la révolte du parlement, et bien qu’il déplaise à la marquise, elle n’ose pas le faire disgrâcier.

— Alors je ne comprends rien à la satisfaction que montre le maréchal de Belle-Isle ; la mort de sa pauvre femme ne saurait l’expliquer.

— Et pourquoi ne serait-ce pas ma convalescence qui le mettrait en joie, dit le maréchal en riant ; il a paru très-sensible au plaisir de me revoir.

— C’est que ce plaisir doit lui rapporter quelque chose, dit madame de Lauraguais, car il est connu pour n’attacher de prix qu’à ce qui sert son ambition.

— Ce défaut est si commun qu’on n’y prend plus garde. D’ailleurs, ajouta-t-il, il y a toujours du profit à s’attacher aux ambitieux ; le tout est de si bien se cramponner à eux qu’ils ne puissent s’élever sans vous entraîner dans leur ascension.

— Ainsi vous rêvez une association, une alliance peut-être avec le maréchal de Belle-Isle ? dit madame d’Aiguillon.

— Pourquoi pas ? son crédit, sa fortune, son bâton de maréchal gagné sur le champ de bataille le placent au rang des premiers de la cour.

— Ah ! mon cher duc ! s’écria madame d’Aiguillon d’une air indigné ; se peut-il que le neveu du cardinal de Richelieu, le mari d’une princesse de la maison de Lorraine, parle ainsi du petit-fils de Fouquet, ce modèle des bourgeois faquins et et des intendants voleurs.

— On n’est pas obligé de ressembler à son grand-père, reprit le maréchal ; et comme il faut souvent opter aujourd’hui entre la naissance et la fortune, chacun choisit ce qui lui manque : si mademoiselle de Richelieu n’avait pour dot que l’héritage de sa noble mère, elle ferait bien de redorer les alérions de l’écusson de Lorraine avec l’or d’un illustre anobli.

— Ce discours me confond, répliqua la vieille duchesse, il est si différent de ce que je vous ai entendu dire, de ce que je vous ai vu faire toute votre vie, qu’il faut qu’un motif puissant vous contraigne à changer ainsi d’idées et de principes.

— Tout cela est fort beau à dire, mais le crédit marche avant tout ; à quoi servent les vieux parchemins dans un temps où toutes les grâces passent par des mains roturières ? où les rois s’humilient devant les financiers ; où Le frère de mademoiselle Poisson règne sur les beaux-arts ; où tant de parvenus se partagent les premières places de l’État. Voyez le sort de ces nobles boudeurs qui, tout fiers de ce que leurs aïeux servaient les amours de François Ier, s’indignent des amours de Louis XV. On les laisse médire à cœur-joie dans leurs vieux châteaux. On retire aux uns leur commandement, aux autres leur charges, leurs pensions à tous. Les fils, les neveux de ces nobles soutiens de la chevalerie vieillissent dans leur grade ; leurs filles se font chanoinesses ; et ils livrent ainsi les emplois et les faveurs de la cour à ceux qui en sont le moins dignes. C’est un sot calcul, et fort contraire aux intérêts de leur cause ; une duperie dont les gens d’esprit se moquent, et qu’on ne me reprochera pas.

— Eh ! qui pense à vous conseiller de fuir la cour, de dédaigner les occasions d’accroître ou de maintenir votre crédit ? n’avez-vous pas merveilleusement concilié jusqu’à ce jour la dignité de votre rang avec la tolérance la plus grande pour une foule de choses que vous désapprouvez ? mais il est des sacrifiées inutiles. Quoique sa dot ne soit pas aussi belle que son nom, votre fille n’en est pas moins un des plus beaux partie de France ; et je suis sûre de vous trouver, quand il vous plaira, un gendre dont la naissance et la fortune seront dignes des nobles alliances de notre famille.

— Je vous rends grâce, ma chère tante, mais il est trop tard, je viens de m’engager…

— Quoi ! vous auriez promis Septimanie au maréchal de Belle-Isle pour son fils…

— Mais à peu près… et je ne m’en repens pas. Quand vous connaîtrez tous les avantages attachés à ce mariage, vous serez la première à l’approuver.

— Moi ! trouver bon que ma nièce s’appelle madame Fouquet… que le fat écureuil des Belle-Isle s’unisse à l’aigle des Guise ? non certes… et vous en êtes encore plus choqué que moi… car vous avez fait vos preuves en fait de sacrifices pour les nobles alliances, quand vous avez payé de toute votre fortune l’honneur d’épouser une princesse de la maison de Lorraine ; vous ne deviniez pas alors que la mort prématurée du frère de votre femme l’enrichirait sitôt. Vous aviez préféré sa pauvreté noble à tous les millions des simples héritières, donc il faut un motif très-impérieux pour vous mettre ainsi en contradiction avec les opinions et l’orgueil qui vous caractérisent. Je ne croirai jamais que les promesses très-hasardées d’un homme dont le crédit peut s’évanouir d’un instant à l’autre vous séduisent au point d’oublier ce que vous devez à la mémoire de la duchesse de Richelieu… Sa fille porter le nom de Fouquet !!… ah ! mon Dieu ! je suis sûre que son ombre en frémit…

— Je vous rends grâce de cette colère héraldique, ma chère tante ; mais comme vous le pensez fort justement, j’ai des raisons puissantes pour sacrifier certaines considérations à de beaucoup plus graves. Je n’ai pas l’habitude de traiter les affaires légèrement ; je ne décide rien sans de mûres réflexions ; mais, aussi, quand elles sont faites, je reste toujours de mon avis, et j’agis en conséquence.

— Mais dites-lui donc qu’il est déraisonnable ! reprit madame d’Aiguillon en s’adressant à madame de Lauraguais ; il est impossible que vous trouviez ce mariage convenable… et votre silence lui laisse croire que vous l’approuvez… N’est-ce pas qu’il vous révolte ?

— Je vous avoue, madame, que l’union de deux êtres charmans et qui s’aiment ne me révoltera jamais.

— Des idées romanesques ! voilà bien une autre folie, vraiment.

— J’en sens tout le ridicule, reprit madame de Lauraguais, aussi m’étais-je bien promis de ne point parler ; mais puisque vous me demandez mon avis, vous l’entendrez. J’ai toujours pensé que le maréchal destinait sa fille au comte de Gisors ; car autrement il aurait été imprudent et presque barbare de le laisser venir tous les jours ici pour y rencontrer la jeune personne la plus belle, la mieux élevée, sans prévoir qu’il en deviendrait amoureux et qu’il était trop beau, trop aimable lui-même pour ne pas s’en faire aimer.

— Et vous avez raison, dit le maréchal, l’amour dans le mariage a beau être un objet de luxe, il n’en est pas moins précieux, et puisque ces chers enfants s’aiment…

— Ah ! ah ! ah ! s’écria madame d’Aiguillon, avec un rire moqueur, vous parlez là comme un père d’opéra-comique… Puisque ces chers enfants s’aiment… répéta la douairière, en contrefaisant la voix du maréchal… en vérité ces paroles sont très-divertissantes dans votre bouche ; vous vous embarrasses bien de ce que ces chers enfants pensent ; et si demain le maréchal de Belle-Isle se brouillait avec la marquise, les chers enfants auraient beau jeu ! convenez-en.

— Riez tant qu’il vous plaira, interrompit le maréchal, mais ma première visite à Versailles sera pour ce mariage.

— Heureusement vous n’êtes pas encore assez rétabli pour accomplir cette extravagance ; d’ailleurs vous devez bien quelques égards à votre vieille tante ; et vous l’écouterez quand elle vous suppliera de ne rien précipiter. J’ai un projet en tête qui pourrait bien déranger celui-là ; et comme il réu­nirait tous les avantages, ceux que vous trouvez dans le vôtre et ceux que vous lui sacrifiez, il aurait la préférence, croyez-moi.

En disant ces mots d’un ton d’oracle, la duchesse sortit, et laissa le maréchal d’autant plus ébranlé dans sa résolution, qu’il l’avait soutenue avec plus d’entêtement.


VIII

TOUT POUR L’ORGUEIL


M. de Richelieu, désolé de voir s’éterniser sa maladie, en conclut avec raison que les médecins n’y connaissaient rien, et se mit en tête de faire le contraire de leurs ordonnances. On lui avait défendu les bains, il en fit un usage continuel ; prit du petit lait au lieu de sudorifiques, et se gouverna si bien, qu’en moins de quinze jours il recouvra toute sa bonne santé. C’est à cette expérience et à ses connaissances médicinales qu’il prétendait devoir la force et la jeunesse miraculeuse dont il a joui si longtemps.

La réclusion forcée du maréchal privait le roi d’un brave gé­néral, d’un confident dévoué, d’un courtisan spirituel dont la gaieté lui était d’un grand secours ; aussi fut-il vivement ac­cueilli la première fois qu’il revint à Versailles.

Après avoir été reçu du roi de la manière la plus flatteuse, il se rendit chez madame de Pompadour ; elle lui fit enten­dre que ses amis, loin de l’oublier, avaient travaillé pour lui pendant sa maladie, et qu’il en recevrait bientôt la preuve, ce qui voulait dire que grâce à elle et au maréchal de Belle-Isle, il aurait le gouvernement de Guienne, vacant par la mort du prince de Dombes.

Ce beau gouvernement, objet de l’ambition du duc de Ri­chelieu, était une des bases de l’amitié qu’il témoignait au maréchal de Belle-Isle, car l’état de santé du prince de Dombes laissait prévoir que cette grande charge serait bientôt à la disposition du roi.

Cependant M. de Richelieu ne reparlait plus du mariage de sa fille. Le comte de Gisors, obligé de se rendre à Metz, dont il avait été nommé gouverneur, était parti le cœur rempli d’espoir, attendant le congé que devait lui obtenir son père, pour venir épouser la femme qu’il adorait. Septimanie avait reçu ses adieux d’un air si tendre, elle avait souri avec tant de grâce, en lui parlant de son retour, qu’il la croyait instruite de ce qui était convenu entre leurs parents. Il se trompait ; les paroles de la duchesse d’Aiguillon avaient singulièrement agi sur l’esprit de son neveu. Le gouvernement de Guienne une fois obtenu, le crédit du maréchal de Belle-Isle devenait inu­tile au duc de Richelieu. Dans le découragement où le plongeait sa maladie, lorsqu’il se croyait pour longtemps encore éloigné de la cour, il lui avait paru nécessaire de s’y faire un protecteur, ou plutôt un associé qui eût un double intérêt à le servir. Mais en recouvrant tout à coup sa santé, les bonnes grâces du maître et de la favorite, en obtenant le même jour le plus beau gouvernement de France, et la promesse d’un commandement important, que pouvait-il attendre du maré­chal de Belle-Isle ?

Cette réflexion aurait suffi pour mettre en péril le bonheur du comte Louis et de Septimanie ; la proposition que la du­chesse d’Aiguillon vint faire à son neveu, de la part du comte d’Egmont, acheva de renverser leurs espérances.

Casimir Pignatelli, comte d’Egmont, prince de Clèves et de l’Empire, duc de Gueldres, de Juliers, d’Agrigente et grand d’Espagne de la création de Charles-Quint, enfin, le plus grand seigneur des Pays-Bas, descendait en droite ligne des souve­rains ducs de Gueldres. Il était veuf, sans enfants, de mademoiselle d’Aragon. Sa fortune, très-augmentée par la mort de son frère aîné, le mettait à portée de soutenir convenablement son rang ; il commandait dans notre armée un régiment de son nom. Sa bravoure ne démentait point sa haute naissance ; c’était réunir tout ce qui pouvait contenter, éblouir la vanité du duc de Richelieu ; car malgré l’ingénieuse flatterie de Fléchier dans l’oraison funèbre de la nièce du cardinal de Riche­lieu, son nom de Wignerod lui faisait vivement désirer de s’ac­coler à des noms plus illustres, aussi n’hésita-t-il point à pro­mettre la main de sa fille au comte d’Egmont. Il demanda sim­plement le temps de se dégager de la parole vague donnée par lui au maréchal de Belle-Isle ; mais se reposant sur les chances de la vie, qu’il était accoutumée à voir tourner à son avan­tage, il pensa que les événements lui fourniraient bientôt un motif de rupture.

En effet, le roi ayant fait écrire par M. Rouillé, son ministre des affaires étrangères, à M. Fox, ministre d’Angleterre, pour réclamer contre le brigandage commis par la marine anglaise sur nos vaisseaux marchands ; et la réponse de M. Fox n’ayant point satisfait à cette demande, il s’en suivit une déclaration de guerre. Louis XV ordonne d’armer trois fortes escadres et quatre-vingt mille hommes de nos meilleures troupes passent de l’intérieur du royaume sur les rives des deux mers. Un nombre prodigieux de barques, de bâtiments de transport ar­rivent au Havre de toutes parts. Toutes ces démonstrations font répandre le bruit d’une invasion prochaine dans les îles Britanniques.

Le maréchal de Belle-Isle est nommé commandant général des côtes maritimes de l’Océan, depuis Dunkerque jusqu’à Bayonne, et le maréchal de Richelieu a le commandement de toutes celles de la Méditerranée ; celui-ci feint d’être mécontent de sa part ; il accuse le maréchal de Belle-Isle d’avoir intri­gué pour obtenir du roi le commandement des troupes des­tinées à l’expédition d’Angleterre, et fait de cette jalousie de gloire un prétexte pour rompre toutes relations intimes avec son ancien ami.

Le maréchal de Belle-Isle, obligé de se rendre à i’armée, part sans se douter que la froideur de M. de Richelieu en­vers lui soit l’avertissement d’une rupture complète.

Pendant ce temps Septimanie s’abandonnait à tous les ravis­sements de l’espoir. Se promenant seule des heures entières sur la terrasse de son couvent, d’où l’on plane sur tout Paris, ses yeux se portaient alternativement sur l’hôtel de Belle-Isle et la place Royale, où son père demeurait alors. Elle s’efforçait à deviner ce qui se passait dans ces deux maisons ; le reste de Paris n’existait pas pour elle.

Le comte de Gisors était si joyeux la dernière fois qu’elle l’avait vu… et pourtant il devait partir la nuit même pour Metz… Il fallait qu’il eût bien du bonheur dans l’âme pour n’être pas triste de cette absence… et ce bonheur… elle en savait la cause. Avec qu’elle douce émotion elle se rappelait des mots qui ne voulaient rien dire, si ce n’est qu’une arrière-pensée délirante faisait parler le comte Louis à tort et à travers ; et ce vol du gant blanc qu’elle avait laissé sur la table de jeu pendant qu’elle offrait une carte à sa grand’tante et aux trois autres personnes qui devaient composer le reversi ; elle s’était bien gardée de revendiquer ce gant qu’elle avait vu prendre et cacher aussitôt ; et quand madame Desormes était venue l’avertir que le carrosse l’attendait pour la reconduire au couvent, elle avait entouré son beau bras des bouts de son mantelet de dentelles, pour qu’on ne s’aperçût pas qu’elle avait perdu son gant. C’était presque le donner.

Heureuse enfance de l’amour où tout sert d’aveu !

Le charme de ces souvenirs innocents, ces beaux rêves d’avenir devaient bientôt céder aux regrets et aux larmes.

La duchesse d’Aiguillon arrive un matin chez l’abbesse de Montmartre, accompagnée de la princesse de Marsan, proche parente de la mère de Septimanie ; elles viennent au nom du maréchal faire part à madame de Montmorency du prochain mariage de mademoiselle de Richelieu, et la retirer du couvent.

Septimanie, enchantée de cette nouvelle, fait ses adieux en distribuant à ses compagnes ses livres, ses boîtes à ouvrage, ses bonbonnières, enfin tout son mobilier de jeune personne ; elle promet de bientôt les revoir, ce qui explique pourquoi elle ne pleure point en les quittant.

Quand son père la voit arriver ainsi joyeuse, il lance un regard de reproche à madame d’Aiguillon, qui semble dire :

« Pourquoi m’avoir laissé l’ennui de la désespérer. »

Ce maréchal si courageux à la tête d’une armée ; cet homme assez intrépide pour dire souvent la vérité au roi ; ce roué, dont l’audace auprès des femmes égalait le succès, se sentait trembler à l’idée de voir pâlir et pleurer sa fille bien-aimée ; et pourtant son cœur frivole, abusé par l’expérience qu’il a de la légéreté des femmes, ne se doute pas de tout le mal qu’il va causer.

Pendant qu’il cherchait un moyen de préparer Septimanie à l’acte de soumission qu’il en exigeait, on annonça la vieille marquise de Froulay. Dans un moment d’embarras, tout ce qui fait diversion est bien accueilli, le maréchal se répandit en actions de grâce pour ce qui lui attirait la visite de sa vieille amie ; et comme la douairière de Froulay ne se dérangeait plus que pour des motifs importants, on la laissa seule avec le maréchal.

Alors, usant de l’autorité que lui donnaient son rang, son âge, son esprit, elle exprima toute son indignation contre la conduite du maréchal envers le comte de Gisors, en ajoutant qu’elle avait besoin de le savoir par lui-même pour croire qu’il fût capable de l’action qu’on lui prêtait.

Le maréchal donna pour excuse la seule raison qu’il eût, pensant qu’elle serait d’un grand poids auprès de la descen­dante de l’une des plus anciennes maisons de France, mais la douairière l’accueillit en riant, et laissa entendre que les Wignerod n’avaient pas le droit de se montrer si difficiles ; alors le maréchal, feignant d’adopter sa pensée :

C’est parce que nous sommes trop chicannés sur l’an­cienneté de notre noblesse, dit-il, que nous ne voulons pas nous allier à des gens de robe. Ah si j’étais de la maison d’Auvergne ou de celle de Créqui, ce serait différent.

Le maréchal imaginait que cette flatterie mettrait la marquise de son parti ; il se trompait ; l’amitié qui avait existé entre elle et la mère du comte Louis ; l’estime particulière qu’elle portait à ce jeune homme que son noble caractère, ses qualités, sa beauté, ses manières élégantes, distinguaient à un si haut degré la rendaient sourde à toutes les représentations du maréchal.

— Quoi s’écria-t-elle, après les avoir laissé s’aimer depuis leur enfance, après avoir autorisé vous-même leur amour en donnant à croire qu’ils étaient destinés l’un à l’autre, vous les séparez tout à coup, et pour toujours !… mais c’est une horreur !…

— Eh ! je ne les sépare point à jamais, madame ; ils se retrouveront dans le monde, répond le maréchal d’un ton philosophique ; je n’ai pas envie de faire de mademoiselle de Richelieu une religieuse ; le mari que je lui donne ne l’enfermera pas dans la tourelle d’un vieux château, comme du temps des croisades ; et ce moment de contrariété passé, ma fille elle-même me remerciera de n’avoir point sacrifié ses intérêts de rang et de fortune au sentiment le plus fugitif : croyez-moi, je connais les femmes.

— Oui, toutes, excepté votre fille : cette âme craintive et passionnée n’est pas comprise de vous ; vous la croyez semblable à celle des femmes bonnes et faibles que vous avez séduites et quittées, et qui se sont consolées près d’un autre de votre perte. Vous rêvez déjà pour elle des compensations indignes au malheur que vous lui préparez… Mais vous ignorez que la force de cette jeune âme égale sa pureté ; vous ignorez que l’esprit romanesque qui inspire tant de folie aux cœurs inoccupés est ce qui éternise les sentiments malheureux. Vous verrez cette enfant si belle, si animée, languir, se courber sous le poids d’une douleur muette. Ces plaisirs, ces hochets de la vanité, si puissants sur l’esprit des femmes du grand monde, seront sans effet sur elle. En vain vous lui montrerez l’exemple de l’indulgence qu’on accorde à de certaines faiblesses. Son cœur restera fidèle à ses regrets ; d’ailleurs pensez-vous qu’il soit facile de rendre infidèle une femme adorée par l’homme le plus aimable et le plus distingué ? Espérez-vous que votre gros comte d’Egmont, le plus révérencieux, le plus silencieux, le plus ennuyeux des grands seigneurs de la terre, puisse faire oublier l’adorable comte de Gisors ? non, vous allez faire le désespoir de deux êtres parfaits, car j’en suis sûre, Louis en mourra de douleur (ici le maréchal fit un signe d’incrédulité) ; il en mourra, vous dis-je, reprit la douairière d’un air prophétique… et votre fille ne vous pardonnera jamais sa mort.

La marquise de Froulay, voyant le peu d’impression que faisaient ces dernières paroles, sortit brusquement, en rejetant la main que le maréchal lui offrait pour la reconduire.


IX

DÉSESPOIR, RÉSIGNATION


Ce n’était pas comme aujourd’hui, où les enfants font leur malheur tout seuls, sans pouvoir en accuser le despotisme des grands parents ; où, libres dans leurs choix, leur inconstance est sans excuse. L’idée de résister à la volonté paternelle n’entrait pas alors dans la tête d’une jeune personne bien élevée. C’était à ses yeux un arrêt du destin, contre lequel toute révolte était vaine ; elle s’y résignait en pleurant, quitte à reconnaître plus tard le bienfait d’une tyrannie qui sauve souvent du remords ou de la misère. Ces nombreuses soumissions filiales offraient peu d’exemples d’un long désespoir, d’une existence à jamais flétrie ; il faut avoir l’âme si forte, si élevée, pour nourrir longtemps la même douleur !

Malheureusement Septimanie possédait une de ces âmes d’élite.

On ne saurait peindre ce qu’elle éprouva en apprenant qu’il fallait renoncer à l’unique pensée qui l’animât depuis sa plus tendre enfance, à ce sentiment qui avait commencé la vie de son cœur, et qu’on ne pouvait en arracher, car il faisait partie de son existence.

— Votre père est brouillé à mort avec le maréchal de Belle-Isle, lui avait dit sa vieille tante, il ne peut plus exister d’alliance entre eux : l’honneur de votre père, tout le défend, et je connais trop l’influence du noble sang qui coule dans vos veines, pour douter que vous ne partagiez les sentiments de votre famille. Je regrette beaucoup que le comte de Gisors soit victime des intrigues de son père ; car c’est un jeune homme distingué, auquel il ne manque qu’un plus beau nom et un autre père ; mais il n’y faut plus penser, gardez-lui votre estime, votre amitié même, il les mérite : ne parlez plus de lui au maréchal, ce serait risquer de le mettre en colère et de lui rendre la fièvre. Les médecins, dont il s’est peut-être un peu trop moqué pendant sa maladie, prétendent qu’il est menacé d’une rechute, et qu’alors il serait fort difficile de le tirer d’affaire : tâchons d’éviter tout ce qui pourrait lui enflammer La sang.

C’est au nom de la vie de son père qu’on lui demandait de se laisser immoler en silence ; elle obéit.

Le maréchal de Richelieu et sa tante n’avaient pas compté sur une soumission si absolue : ils en furent effrayés, et chargèrent madame Desormes de redoubler de soins et de surveillance auprès de Septimanie : chaque matin, madame Desormes venait faire son rapport au maréchal.

— Je crois pouvoir assurer monseigneur, disait-elle, que mademoiselle se porte fort bien ; seulement le matin, à son réveil, elle a un peu d’inflammation aux yeux, ce qui l’empêche de lire, de travailler comme de coutume, et lui cause de l’ennui momentanément ; mais c’est sans doute l’effet d’un coup d’air, et demain il n’y paraîtra pas : c’est du moins ce que dit mademoiselle.

— Demain, pensa le maréchal, non ; mais bientôt… À cet âge, il y a cent distractions contre un regret, il faut bien qu’il succombe !

La présentation du comte d’Egmont à la famille de Richelieu se fit avec tout le cérémonial possible. Sa mère, la comtesse douairière d’Egmont, avait quitté son antique château de Braine pour assister à cette présentation et au mariage de son fils. Cette femme, quoique fort âgée, montrait encore les vertiges de cette beauté dont M. le duc[8] avait été, disait-on, fort épris, lors de son entrée au ministère ; triomphe dont la vieille comtesse faisait pénitence par une dévotion austère.

Lorsque le comte d’Egmont entra dans le salon de l’hôtel de Richelieu, il alla saluer les parents de sa future suivant leur rang et leurs titres ; puis se faisant conduire à mademoiselle de Richelieu par son père, il lui fit un salut plus respectueux encore qu’à tous, et vint se placer auprès d’elle.

Le maréchal, voulant rompre l’ennui de ces sortes de réunions, avait imaginé de faire réciter, par Le Kain, quelques passages de la nouvelle tragédie de Voltaire, l’Orphelin de la Chine. Cette pièce, dédiée au duc de Richelieu, le flattait dans sa prétention au protectorat des lettres ; aussi en avait-il fait soigner et hâter la représentation, quoiqu’elle fût une des moins bonnes de l’auteur ; mais on lisait ceci dans la dédicace : « Permettez donc que, si cette faible tragédie peut durer quelque temps après moi, on sache que l’auteur ne vous a pas été indifférent ; permettez qu’on apprenne que si votre oncle fonda des beaux-arts en France, vous les avez soutenus dans leur décadence. »

Le Kain lisait à merveille ; mais le drame du mariage de mademoiselle de Richelieu intéressait plus que celui des Chinois, et tous les regards se tournèrent involontairement sur le futur, lorsque Le Kain dit ces vers :

Je le puis, je le sais, user de violence ;
Mais quel bonheur honteux, cruel, empoisonné,
D’assujettir un cœur qui ne s’est point donné,
De ne voir en des yeux dont on sent les atteintes
Qu’un nuage de pleurs et d’éternelles craintes,
Et de ne posséder, dans sa funeste ardeur,
Qu’une esclave tremblante à qui l’on fait horreur !

Septimanie seule ne fit pas l’application de ces vers, peu lui importaient les avantages ou les disgrâces du mari qu’on lui imposait ; son avenir n’allait pas jusqu’au jour de la cérémonie. Sa préoccupation n’eut qu’une idée pour objet, mourir ! puisqu’elle ne peut plus vivre pour celui qu’elle aime.

Mais surveillée comme elle l’est, un projet semblable est difficile à exécuter ; elle demande à aller passer une journée à l’abbaye de Montmartre, près de son amie, madame de Vibraye : on pense que c’est pour accomplir quelque devoir pieux. Madame Desormes l’accompagne dans cette visite. Mademoi­selle de Richelieu veut se confesser : le directeur ne se fait pas attendre. C’était un homme d’esprit, habitué à lire dans l’âme des jeunes pécheresses, et à interpréter leurs révélations in­nocentes. Il fut frappé des questions que lui adressa Septima­nie, sur les peines réservées au suicide, et plus encore de l’é­loquente chaleur qu’elle mit à prouver que Dieu devait faire grâce aux malheureux auxquels il retirait la force de subir une vie de désespoir.

— Grâce au suicide ! s’écria le prêtre d’une voix formidable ! grâce pour le crime le plus lâche, le plus en horreur à une âme chrétienne ! Ah ! c’est blasphémer la justice du ciel !! Quoi ! Dieu sera descendu lui-même sur terre pour vous don­ner l’exemple de la résignation, dans les plus cruelles injures, dans le plus infâme supplice, et cette leçon divine serait per­due pour nous ! Celui qui, dans sa démence impie, dispose de ses jours, sait-il à quoi ils étaient destinés ? Sait-il si ce déses­poir d’enfant qui le décourage n’est pas une épreuve de la Providence pour le rendre plus digne du bonheur qu’elle lui réserve ? Le malheur, l’obstacle qui cause ce désespoir, Dieu n’est-il pas assez puissant pour le faire disparaître, et nous est-il permis de douter de sa protection, parce que sa sagesse nous éprouve ?

Le prêtre avait deviné l’affreuse pensée de Septimaine, il se garda bien de la combattre seulement par la crainte des tour­ments que l’enfer réserve au suicide ; il savait qu’une âme exal­tée par la douleur sourit à l’idée de changer de supplice, que le désespoir a aussi sa vanité, qui la porte à choisir la plus effroyable torture. Il parla avec dédain des âmes faibles que l’adversité abat, des cœurs égoïstes qui ne savent pas se dis­traire de leurs peines en soulageant celles des autres.

— Si le pauvre qui succombe à la misère n’a pas le droit de hâter sa fin, ajouta-il, est-ce au riche à se l’arroger ? lui à qui ses trésors assurent chaque jour la joie d’une bonne action ? lui à qui la Providence semble avoir remis une partie de son pouvoir, qui n’a qu’un ordre à donner pour rendre au bonheur. à la vie, ceux qui gémissent dans les greniers ou les prisons, qui peut trouver à chaque instant l’emploi des vertus dont le ciel l’a doué ! Ah ! je le répète, l’âme avilie qui n’a pas la force de souffrir sa part de peine en ce monde sera l’objet du mépris des hommes et de la colère de Dieu.

En écoutant cet arrêt, Septimanie fondit en larmes.

— Ah ! mon père, s’écria-t-elle, qu’elle horrible confession j’ai à faire ! Et son oppression l’empêcha de continuer.

— Le ciel l’a entendue, dit le prêtre, il voit votre repentir, il vous pardonnera ; mais il faut une longue pénitence pour expier la seule pensée d’un crime semblable ; il faut que plusieurs jours consacrés à la prière vous recommandent à la miséricorde divine.

Alors la pécheresse, renvoyée sans absolution, eut ordre d’attendre dans la chapelle du couvent le retour du directeur ; celui-ci, après avoir passé un quart d’heure au parloir de l’abbesse, revint dire à mademoiselle de Richelieu d’écrire à son père pour lui demander la permission de rester quelques jours à l’abbaye pendant qu’on ferait les apprêts de son mariage. Madame Desormes fut chargée de porter cette lettre et une autre où madame de Montmorency parlait au maréchal de Richelieu de la nécessité de calmer l’esprit de Septimanie, et de l’amener par la religion au sacrifice qu’on lui imposait. Le maréchal se rendit sans peine à cet avis qui devait lui épargner l’aspect le plus pénible, celui des regrets de sa fille, et la détourner d’un projet funeste ; car, malgré son incrédulité pour les moyens extrêmes en pareille circonstance, le souvenir de la princesse de R… lui revenait par fois, et jamais sans qu’une sueur froide couvrit son front ! Pauvre Marie !… s’écriait-il alors… mais c’est moi qu’elle aimait… c’est moi qu’elle a cru mort… Et se croyant seul aussi regrettable, son amour-propre le rassurait…

Septimanie livrée au repentir, à la prière, aux consolations de l’amitié, promit de subir sa destinée sans murmurer, ne demandant à Dieu, pour prix du bonheur de toute sa vie, que de garder un amour sans espoir.


X

LE MARIAGE


Pendant ce temps, le comte de Gisors retenu à Metz s’éton­nait de ne pas trouver un mot sur le premier intérêt de son cœur dans les lettres qu’il recevait de son père. Il est vrai que le maréchal de Belle-Isle, tout occupé de son commande­ment, pouvait oublier de parler du mariage que les préparatifs de la guerre forçaient à retarder ; mais le comte Louis, tout en expliquant ce silence par une foule de raisons plausibles, en éprouvait une tristesse trop profonde pour n’être pas un juste pressentiment.

Que devint-il, hélas, en lisant ces articles dans la Gazette de France ?

« 5 février 1756. — Leurs Majestés le roi et la reine ont signé le contrat de mariage du comte d’Egmont, brigadier de cavalerie, mestre de camp d’un régiment de son nom, avec mademoiselle de Richelieu. »

Et deux pages après, dans la même gazette, qui ne parais­sait alors que tous les huit jours :

« Casimir, comte d’Bgmont, Pignatelli, grand d’Espagne, première classe, épousa le 10 de ce mois, en secondes noces, Sophie-leanne-Louise-Armande-Septimanie de Richelieu, fille du maréchal duc de Richelieu et d’Élisabeth de Lorraine de Guise. La bénédiction leur fut donnée dans la chapelle de l’hôtel de Richelieu, par l’évêque de Saint-Pons. Il y eut le soir, avant le souper, un feu d’artifice chinois, très-bien exécuté ; les cours, les jardins et façade de l’hôtel furent illuminés avec autant de goût que de magnificence. Le jeu, la musique, ont contribué à l’amusement de l’assemblée qui était composée des personnes de la cour les plus distinguées. Le comte d’Egmont est fils de feu Procope-Léopold Pignatelli, duc de Bisaccia, grand d’Espagne, etc., etc., et de Henriette-Julie de Durfort Duras[9]. »

Le comte de Gisors tenait encore cette gazette dans sa main, lorsque son valet de chambre entra pour l’habiller, et le trouva la tête renversée sur le dos de son fauteuil et respirant à peine ; le médecin appelé sur-le-champ jugea que c’était un coup de sang ; et après s’être assuré que le comte Louis était à jeun, il le fit saigner. La fièvre se déclara bientôt avec délire. Dans ses accès, le malade ne parlait que de vengeance, de meurtre ; il voulait tuer le comte d’Egmont, le maréchal de Richelieu, Septimanie surtout ; et on le supposait d’autant plus en danger, que la douceur de son caractère était complètement altérée.

À cette fièvre qui dura près d’un mois, succéda un abattement extrême ; le maréchal de Belle-Isle, sachant bien que le sentiment du devoir pourrait seul triompher de cet état de langueur, rappela son fils à l’armée ; et lui persuada qu’un officier distingué ne pouvait sans lâcheté se laisser mourir en temps de guerre.

Après l’avoir ranimé par le point d’honneur, son père ne manqua pas d’avoir recours à ces consolations barbares, qui consistent à prouver que l’objet qu’on pleure n’est pas digne de regrets, puisqu’il ne nous aimait pas.

— Si elle avait eu pour vous, cher Louis, la moitié de l’amour que vous lui portez, répétait sans cesse le maréchal de Belle-Isle, elle aurait bravé la volonté de son père, et ne se serait pas rendue complice d’un tel procédé envers nous. Mais vous connaissez Septimanie, son père lui a plus d’une fois reproché devant moi le prix qu’elle attachait à ses alérions de Lorraine ; et, croyez-moi, elle n’a pas eu grande peine à se résigner à une alliance qui flattait son orgueil.

— Hélas ? c’est possible, répondit Louis. Et son cœur lui disait : — Non, cela n’est pas.

Cette sympathie mystérieuse qui brave tout, cette seconde vue de l’amour qui ne trompe jamais, lui faisait voir Septimanie en pleurs traînée à l’autel par une autorité suprême ; il contemplait la pâleur de son front, sous les épis étincelants mêlés à sa couronne de roses blanches ; il voyait son sein oppressé soulever péniblement les riches dentelles de sa parure. Sa marche était chancelante, son regard morne disait son désespoir et désarmait la jalousie même : comment lui reprocher l’obéissance dont elle semble prête à mourir ?

Cette vision du cœur était réelle, et elle agissait sur l’âme de Louis en dépit de son ressentiment et des raisonnements de son père. Le vrai est une puissance occulte qui délie toutes les probabilités.


XI

L’INOCULATION


La comtesse d’Egmont, nouvellement présentée à la cour, était l’objet de l’envie et de l’admiration ; jamais on n’avait vu réunies tant de beauté, de grâce et de noblesse ; et ce charme du malheur, joint à l’éclat d’une existence brillante, ajoutait encore à toutes ses séductions.

Rien n’embellit une femme comme un sentiment secret, dont l’objet absent, presque idéal, ne cause nulle crainte. Chacun est tenté de s’attribuer l’émotion dont il ne devine pas la cause ; c’est une sorte d’attraction magnétique ; on y succombe sans le savoir. Mais madame d’Egmont, toute à ses regrets, ne s’apercevait pas des adorations que sa langueur faisait naître. Déjà l’on citait plusieurs victimes de ses beaux yeux, comme on disait alors ; et ses beaux yeux passaient la nuit à verser des larmes !

Son frère, le duc de Fronsac, lui disait :

— Vous qui prêchez si souvent la soumission, vous voyez où elle mène, ma chère Septimanie : mon père n’en est pas beaucoup plus heureux, et vous en serez éternellement à plaindre ; et voilà ce qu’on voudrait obtenir de moi ! non, je ne m’y résoudrai jamais. À l’armée, je suis tout aux ordres de mon père, mais à la cour et à la ville je n’obéis qu’au plaisir ; il m’a donné de trop bons exemples pour ne pas les suivre : et ma pauvre sœur est bien dupe de s’être ainsi sa­crifiée à un caprice. Ce n’est pas que j’en veuille au comte d’Egmont ; c’est un brave officier qui ne craint pas d’exposer sa grandesse et tous ses vieux titres un jour de bataille ; mais l’amour et lui ne semblent bien étrangers l’un à l’au­tre ; il a même une passion des convenances, des préséances et du cérémonial appliqués à la vie journalière, qui rend toute intimité impossible avec lui. Au reste, cela est au­tant d’excuses, mon père le savait bien quand il a fait ce mariage. Ainsi donc, au lieu de se désoler, il faut satisfaire sa prévoyance.

De semblables discours pouvaient être fort dangereux : mais les principes du duc de Fronsac en amour, et les dissen­timents qui régnaient entre lui et son père, donnaient à ses avis une teinte de partialité qui leur otait tout crédit sur l’esprit de sa sœur.

Cependant l’unique désir qui lui restait encore était de se justifier auprès du comte de Gisors, en lui faisant connaître les raisons qui l’avaient contrainte à renoncer à lui ; elle avait d’abord eu l’idée de lui écrire, mais cette démarche l’effraya ; les conséquences en pouvaient être graves ; elle se flattait que son frère, devinant sa pensée, trouverait un moyen de la disculper auprès du comte Louis, et qu’il irait le voir pen­dant le peu de jours que M. de Gisors devait passer à Paris, avant d’aller rejoindre son père à l’armée.

En effet, le duc de Fronsac, toujours empressé à prouver qu’il n’épousait point les querelles de son père, se présenta à l’hôtel du maréchal de Belle-Isle ; mais il ne fut pas reçu.

— Devinez, dit-il à sa sœur, la raison qu’on m’a donnés pour m’empêcher d’entrer ? Je crois que c’est une mauvaise plaisanterie : on m’a dit que le comte Louis s’était fait ino­culer, uniquement pour obliger le docteur Tronchin, qui cherche des victimes de bonne volonté, afin d’éprouver l’effi­cacité de la découverte.

— Quelle folie ! dit la duchesse d’Aiguillon en voyant pâlir sa nièce.

— Cette folie est très-réelle, dit l’abbé de Broglie : le comte de Gisors, en revenant de Metz, a rencontré le duc d’Orléans sur la route du Raincy ; le prince était avec Tronchin, qui venait d’inoculer le duc de Chartres et Mademoiselle ; le docteur genevois, après avoir loué vivement le courageux exem­ple que donnait en ce moment le prince, se plaignit de ce qu’il ne trouvait personne qui voulût l’imiter. Il est vrai que la peur de mourir ou d’être défiguré retient beaucoup de monde, ajouta l’abbé, et que plusieurs résultats sinistres de l’inoculation en retardent le succès ; mais ces résultats n’ont point effrayé M. de Gisors : il s’est offert de gaieté de cœur à Tronchin, qui est sauté dessus sa proie aves toute la vivacité d’un novateur. Ainsi le comte Louis, à peine relevé d’une maladie mortelle, s’est volontairement jeté dans une autre.

— Vous verrez qu’il s’en tirera à merveille, dit le duc de Fronsac ; la mort est une bégueule qui fuit tous ceux qui la cherchent.

— Et pourquoi la chercherait-il ? demanda l’abbé de Bro­glie, qui, absent de Paris depuis plusieurs mois, ignorait ce qui s’était passé dans la famille de Richelieu. M. de Gisors a tous les avantages qui font aimer la vie ; il ne lui manque qu’une jolie femme, et l’on prétend que le duc de Nivernais lui des­tine sa fille.

À ces mots, le malaise de madame d’Egmont devint telle­ment visible, que madame d’Aiguillon l’emmena, sous un prétexte, dans la bibliothèque ; elles y trouvèrent le maré­chal de Richelieu, occupé à dicter la liste des livres qu’il voulait emporter avec lui ; et donnant des ordres pour que tout fût prêt, la nuit même, pour son départ, il était attendu aux îles d’Hyères, où l’escadre du marquis de la Galissonnière devait mettre à la voile aussitôt l’arrivée du maréchal, et conduire lui et ses troupes à l’île de Minorque.

Cette expédition, d’un succès très-incertain, était depuis quelque temps le sujet des conversations, des plaisanteries de la cour et de la ville. Aux épigrammes contre madame de Pompadour, dont la présentation à la reine, en qualité de dame du palais, venait d’exciter l’indignation générale, avaient succédé les sarcasmes, les chansons malignes contre le duc de Richelieu et son prochain embarquement ; ses ennemis, suscités par le maréchal de Belle-Isle, médisaient tout haut de l’expédition, et intriguaient tout bas pour la faire manquer. Madame de Pompadour elle-même, qui avait destiné le commandement des troupes du Midi à une de ses créatures, ne pardonnait pas à la duchesse de Lauraguais du l’avoir fait donner au maréchal ; elle répétait chaque jour au roi qu’il était inutile de sacrifier des troupes au siège d’un rocher imprenable, et engageait M. d’Argenson à suspendre les préparatifs, et les approvisionnements nécessaires à l’expédition.

Le maréchal, après avoir démontré, dans un mémoire anonyme, l’importance de la conquête de Mahon, si l’on voulait intercepter la communication des Anglais avec le roi de Sardaigne, et s’ouvrir un passage vers l’Amérique, n’avait demandé que trente mille hommes, et répondait du succès. Le prince de Conti exigeait cinquante mille hommes pour tenter la même entreprise, et sans répondre de réussir. Le roi voulut savoir quel était le général si certain de la victoire. M. de Richelieu fut nommé. — Il est assez présomptueux pour l’avoir dit, répondit le roi, et assez brave, assez heureux pour ne pas manquer à sa parole… Eh bien, il commandera.

On conçoit qu’après avoir donné de telles assurances, il fallait les réaliser ou mourir ; aussi le maréchal voulut-il mettre ordre à ses affaires avant de se rendre à Toulon. Une idée plus impérieuse le préoccupait encore. Sans deviner tout ce que souffrait le cœur de Septimanie, il s’était aperçu que des soins respectueux avaient remplacé tous les témoignages d’affection qu’il en recevait autrefois. Elle m’en veut, dans l’inexpérience de son âme, de ce dont elle me bénira un jour, pensait-il ; mais n’importe, je ne saurais la quitter sans avoir obtenu le pardon d’une action trop raisonnable pour être appréciée à son âge. Son ressentiment nous porterait malheur à tous deux.

Alors, ayant fait ses adieux à la duchesse d’Aiguillon, il retint près de lui Septimanie, puis rappela son secrétaire pour lui faire ajouter quelques dispositions en faveur de ses gens, sur le testament qu’il venait de lui dicter.

— Oh ! mon Dieu ! dit Septimanie d’une voix tremblante, cette expédition est donc bien périlleuse ?

— Pas plus qu’une autre, répond le maréchal d’un air indifférent, car il n’est pas de siège où le commandant ne puisse attraper un boulet de canon. Mais comme j’ai promis de mener celui-ci à bien, il faut que j’y reste ou que j’en revienne vainqueur ? C’est un duel à mort avec l’armée anglaise.

— À mort ! répéta madame d’Egmont, pâle d’effroi.

— Oui, mon enfant, reprit le maréchal, attendri par l’émotion de sa fille, il faut que Mahon soit à nous avant peu ou que j’y meure, sous peine de passer pour un fanfaron, comme il plaît à la favorite de le dire ; c’est pourquoi j’ai voulu t’embrasser, et recevoir de toi l’assurance que tu ne m’en veux pas de t’avoir choisi un bonheur plus solide que celui que tu rêvais. Faisons la paix, Septimanie, ajouta-t-il en lui tendant la main.

Elle se jeta dans les bras de son père, et fondit en larmes.

— Oh ! que le ciel vous conserve à nous ! s’écria-t-elle.

— Il me conservera pour toi, reprit le maréchal avec le ton d’une vive confiance ; il le doit à ton courage, à cette bonté angélique qui me rend la force de tout braver. Oui, je te reverrai, tu seras fière de moi ; et le moment qui t’apprendra que je suis à Mahon, en dépit des canons anglais et de la cabale française, te fera, peut-être oublier tes chagrins.

En cet instant, le duc de Fronsac et le comte d’Egmont, qui devaient suivre le maréchal, vinrent prendre ses ordres. Pendant que le comte d’Egmont causait avec le maréchal, le duc de Fronsac trouva moyen de glisser dans ses adieux à sa sœur qu’il n’était pas venu plus tôt parce qu’il avait voulu passer lui-même chez le comte de Gisors, pour savoir des nouvelles de son inoculation.

— Eh bien, je l’avais prédit, ajouta-t-il, il a fait cent imprudences, et la mort n’a pas voulu en profiter. Il sera dans peu de jours en état d’aller à l’armée des côtes de l’Océan, où son père enrage de n’avoir pas un fort Mahon à escalader.

Au moment du départ, madame d’Egmont embrassa bien tendrement son frère !

XII

L’ÉPÎTRE


Madame d’Egmont est seule… seule avec sa pensée… avec cet amour qui dévore lentement son cœur. L’absence de son père, de son mari, la livre à elle-même. Sa liberté la fait frémir. Un mot d’elle au comte de Gisors peut la justifier, le ramener à ses pieds ; elle pourrait le revoir, lui prouver qu’en cédant à l’autorité paternelle elle n’a sacrifié que le bonheur de sa vie et non pas son amour. Elle pourrait le consoler par le récit de tout ce qu’elle souffre, lui jurer qu’aucune des séductions dont elle est entourée ne saurait la distraire de lui, mais le sentiment du devoir, de l’honneur la retient ; elle tremble de devenir coupable, et plus encore de perdre l’estime de celui qu’elle aime ; elle craint de changer sa haine en mépris, car ce qu’il aimait en elle, ce qui la déifiait à ses yeux, c’est sa pureté, son noble caractère : une trahison même en sa faveur pourrait détruire à jamais ce culte. Il maudirait la vertu qui avait fait obéir Septimanie à son père. Il mépriserait la faiblesse qui la rendrait parjure à son époux. Ainsi, c’est dans l’excès même de son amour qu’elle trouva le courage de résister au vœu le plus cher à son cœur.

Une autre idée encore l’affermit dans cette résolution héroïque ; son esprit exalté et religieux n’eût osé braver la colère du ciel, au moment où elle l’implorait avec tant de ferveur pour lui conserver la vie d’un père et d’un frère chéris. Elle aurait cru attirer tous les désastres sur sa famille, risquer l’existence et la gloire de son père en se rendant coupable d’une démarche qui alarmait sa conscience. Ce n’est pas la première fois qu’un sentiment superstitieux soit venu à l’aide d’une vertu chancelante. C’est souvent une faiblesse qui sauve d’une autre ; il n’y a que la froideur d’âme d’infaillible. C’est le marbre qui résiste au temps : tout ce qui aime a besoin de secours pour rester sage.

Madame d’Egmont s’était d’abord soustraite à toutes les visites dont on l’accablait, autant pour savoir ce qu’elle faisait en l’absence de son mari, que pour lui témoigner l’intérêt qu’inspirait sa situation ; mais la duchesse d’Aiguillon lui ayant fait entendre que sa réclusion donnait lieu à d’injurieuses conjectures, elle se décida à rouvrir sa porte.

Il est vrai que madame de Pompadour, effrayée de l’effet que produisait à la cour la beauté de la comtesse d’Egmont, et de l’admiration que le roi n’avait pas dissimulée pour elle, s’empressait de répandre le bruit que madame d’Egmont s’enfermait pour recevoir le comte de Gisors, dont le départ pour l’armée était différé sous un vain prétexte.

— Êtes-vous bien sûre de cela ? avait dit le roi ; j’ai peine à croire que la fille de Richelieu garde si peu de ménagements envers le monde, car on assure que ce père, le plus roué des roués de la cour de mon oncle le régent, a élevé sa fille dans les principes les plus sévères.

— Que font tous ces beaux principes contre une bonne passion ? reprit la marquise : le combat est plus long, voilà tout.

— Ah ! si Richelieu a mis dans sa tête que sa fille n’aura point d’amants, il gagnera cette gageure-là comme toutes les autres.

— Votre Majesté se trompe. Je suis sûre qu’il la perd en ce moment, et par sa faute même. En forçant sa fille à épouser un homme qu’elle n’aimait pas, il a redoublé l’amour de madame d’Egmont pour celui qu’il lui laissait aimer, avant que l’envie d’avoir pour gendre un grand d’Espagne lui eût tourné la tête ; c’est ainsi qu’il l’a rendue folle de M. de Gisors.

En prouvant au roi qu’il aurait à combattre un jeune rival, c’était décourager ses projets sur madame d’Egmont ; car madame de Pompadour savait que le cœur paresseux de Louis XV redoutait le moindre obstacle, que sa passion pour la duchesse de Châteauroux avait épuisé toutes les forces de son âme, et qu’un plaisir difficile était sans attrait pour lui ; c’est en le dégoûtant ainsi de toutes les femmes dont la supériorité de caractère et de position aurait pu la rendre à son ancienne gloire, qu’elle maintenait son pouvoir sur ce roi indolent.

Madame d’Egmont reparut dans le monde, le comte de Gisors partit pour l’armée que commandait son père, et les bruits scandaleux tombèrent. D’ailleurs les nouvelles relatives à la guerre captivaient alors tous les esprits.

Les courriers de l’armée se succédaient sans rien apprendre de décisif. La flotte française, composée de douze vaisseaux de ligne, de cinq frégates et cent cinquante bâtiments de transport, avait été dispersée dès le premier jour ; mais les vaisseaux, manœuvrant avec habileté sous les ordres de M. de la Galissonnière, étaient parvenus à se rallier à la hauteur de Minorque. L’armée y avait débarqué le 17 avril, s’était emparée de la ville de Ciutadella, et avait forcé les Anglais d’abandonner Mahon pour aller s’enfermer dans le fort Saint-Philippe.

Cette citadelle, bâtie sur un roc, environnée de fossés profonds de trente pieds, protégée par beaucoup d’ouvrages extérieurs et par quatre-vingts mines, était abondamment pourvue d’artillerie, de vivres et de munitions ; et les plus braves de l’armée la regardaient comme imprenable.

Les ennemis du maréchal de Richelieu, à la tête desquels madame de Pompadour commençait à se mettre, se réjouissaient avec impudence de l’espoir d’un revers qui devait appauvrir la France d’hommes, d’argent et de gloire, mais qui devait aussi humilier le grand seigneur le plus brillant de la cour ; celui dont tant de maris, de frères avaient à se venger. Ses longs succès en amour avaient fini par ranger le roi au nombre de ses envieux ; et sans le talent du maréchal à se rendre nécessaire, Louis XV l’aurait depuis longtemps sacrifié au ressentiment secret de la favorite[10].

Chaque jour, madame d’Egmont recevait une lettre ou des chansons anonymes, dans lesquelles on prédisait la prochaine défaite de son père en termes burlesques et outrageants ; on y parodiait la réponse fiêre qu’il avait faite au général Blakenay, gouverneur du fort, quand celui-ci lui avait fait demander par quelle raison les Français étaient débarqués à Minorque : « Par la même raison qui a engagé les Anglais à attaquer les vaisseanx du roi mon maître, » avait répondu le maréchal de Richelieu.

Le siège se prolongeait ; malgré le succès de plusieurs attaques, rien n’annonçait une victoire prochaine ; le feu des ennemis était toujours très-vif, et le maréchal s’y exposait comme un simple soldat ; il allait tous les matins observer les ouvrages et l’effet des batteries, de la maison d’un meunier placée sur une hauteur. Les ennemis, voulant troubler ses observations, avaient fait de cette maison leur point de mire ; elle était criblée de coups de canon, et le maréchal ne cessait d’y venir, témérité qui causait l’admiration de l’armée, et faisait dire à Paris que M. de Richelieu ne voulait pas sur vivre à sa honte.

Dans l’anxiété où ces différents bruits jetaient Septimanie, la seule présence de madame de Lauraguais lui était de quelque secours ; elle retrouvait dans ce cœur passionné toutes les agitations qui tourmentaient le sien ; sans être le même sentiment, c’étaient les mêmes inquiétudes ; et l’on connaît la puissance d’une telle sympathie.

Cependant la duchesse d’Aiguillon engageait sa petite nièce à se montrer dans le monde pour démentir les conjectures sur le prétendu désespoir du maréchal de Richelieu ; et elle venait la prendre chaque soir pour la mener au spectacle ou à la promenade.

Se parer, s’exposer aux regards de la curiosité malveillante, sourire à des plaisirs fatigants quand elle est dans l’attente d’un événement qui doit lui ravir la seule consolation qui lui reste, voilà le plus cruel supplice qui puisse torturer une femme : et c’était celui de madame d’Egmont.

Sa tante l’avait forcée de l’accompagner ce soir-là à la Comedie italienne. La beauté de madame d’Egmont lui attirait tous les yeux ; mais des mots pleins d’ironie circulaient dans la salle, et elle en devinait trop le motif. On se moquait assez haut des vers un peu hâtifs de M. de Voltaire, qui, sur la foi des talents, de la bravoure et du bonheur de M. de Richelieu, venait de lui adresser l’épitre suivante :

À M. LE DUC DE RICHELIEU
SUR LA CONQUÊTE DE MAHON.


Depuis plus de quarante années
Vous avez été mon héros,
J’ai présagé vos destinées.
Ainsi, quand Achille à Scyros
Paraissait se livrer en proie
Aux jeux, aux amours, au repos,
Il devait un jour sur les flots
Porter la flamme devant Troie.
Ainsi, quand Phryné dans ses bras
Tenait le jeune Alcibiade,
Phryné ne le possédait pas ;
Et son nom fut, dans les combats,
Égal au nom de Miltiade.
Jadis les amants, les époux
Tremblaient en vous voyant paraître
Près des belles ; et près du maître
Vous avez fait plus d’un jaloux.
Enfin, c’est aux héros de l’être.
C’est rarement que dans Paris,
Parmi les festins et les ris,

On démêle un grand caractère :
Le préjugé ne conçoit pas
Que celui qui sait Fart de plaire
Sache aussi sauver les États,
Le .grand homme échappe au vulgaire ;
Mais lorsqu’aux champs de Fontenoi
Il sert sa patrie et son roi ;
Quand sa main des peuples de Gênes
Défend les jours et rompt les chaînes ;
Lorsqu’aussi prompt que les éclairs,
Il chasse le tyran des mers
Des murs de Minorque opprimée.
Alors ceux qui l’ont méconnu
En parlent comme son armée ;
Chacun dit : je l’avais prévu.
Le succès fait la renommée.
Homme aimable, illustre guerrier,
En tout temps l’honneur de la France,
Triomphez de l’Anglais altier,
De l’envie et de l’ignorance.
Je ne sais si dans Port-Mahon
Vous trouverez un statuaire ;
Mais vous n’en avez plus affaire,
Vous allez graver votre nom
Sur les débris de l’Angleterre ;
Il sera béni chez l’ibère
Et chéri de ma nation»
Des deux Richelieu sur la terré
Les exploits seront admirés,
Déjà tous deux sont comparés,
Et l’on ne sait qui l’on préfère.
Le cardinal affermissait
Et partageait le rang suprême
D’un maître qui le haïssait ;
Vous vengez un roi qui vous aime,
Le cardinal fut plus puissant,
Et même un peu trop redoutable ;
Vous me paraissez bien plus grand,
Puisque vous êtes plus aimable.

Ces vers reçus par le maréchal avant l’assaut, il ne les avait confiés qu’à son gendre, le comte d’Egmont ; mais celui-ci en avait envoyé plusieurs copies à Paris, à des amis aussi peu discrets que lui ; et les ennemis du maréchal s’en étaient emparés, et riaient à bon droit de ces flatteries prématurées[11]. et le malheur voulait qu’on donnât ce jour-là les Chasseurs et la Laitière.

À ce refrain du vaudeville :

      Ne vendez pas la peau de Tours
      Avant de l’avoir mis par terre.

tous les spectateurs se retournèrent du côté de madame d’Egmont ; et sa confusion fut telle, qu’elle se sentit prête à se trouver mal. La vieille duchesse se repentait vivement de l’avoir exposée à cette sorte d’outrage, dont la prudence dé­fendait de marquer le moindre ressentiment. Elle et sa nièce ne savaient plus quelle contenance faire ; et l’embarras des hommes qui se trouvaient avec elles devenait insupportable, lorsque la porte de la loge s’ouvre tout à coup, un valet de chambre, dont le visage, les gestes animés expriment une vive émotion, adresse quelques mots à la comtesse d’Egmont ; elle laisse échapper un cri de joie, veut répéter à madame d’Aiguillon ce qu’on vient de lui dire ; mais, épuisée par l’affreuse contrainte qu’il lui a fallu supporter, par l’effet de la transition subite d’un sentiment à un autre, elle ne peut proférer un mot, sa respiration s’arrête, son visage est baigné de larmes ; elle succombe un moment à son émotion.


XIII

LA PRISE DE MAHON


Au bruit qu’a fait la porte de la loge, ouverte brusquement pendant l’air de madame La Ruette, le parterre s’est retourné et a vu le valet de chambre. À l’émotion visible que ses paroles causent à madame d’Egmont, on a deviné qu’il est le messager de quelque nouvelle importante. On demande à la savoir : les cris, les trépignements redoublent, le spectacle en est interrompu ; alors le duc d’Aiguillon est envoyé par sa mère, pour apprendre aux autorités du théâtre la prise du fort Saint-Philippe. Cette bonne nouvelle se répand aussitôt dans la salle, on crie :

Vive le vainqueur de Mahon ! vive le maréchal de Richelieu !

Tous les spectateurs battent des mains, en regardant madame d’Egmont. L’ivresse est générale.

Le valet de chambre du comte d’Egmont avait pris les de vants, pour prévenir la comtesse que son maître arrivait dans la nuit, chargé des dépêches du maréchal de Richelieu pour le ministre de la guerre ; mais le duc de Fronsac, qui s’était particuliérement distingué au siège du fort, avait obtenu de son père la faveur d’être porteur de la lettre qui instruisait le roi de la victoire remportée par ses troupes.

Arrivé à l’hôtel de Richelieu, sans avoir pris un instant de repos, le duc de Fronsac ne se donne pas même le temps de voir sa sœur, et repart aussitôt pour Compïègne, où se trouve la cour.

À la fin du spectacle, les acteurs chantèrent des couplets improvisés en l’honneur du maréchal de Richelieu, du duc de Fronsac, du comte d’Egmont, et même de la comtesse qui était présente.

Cela fit scène[12], dit l’auteur des Nouvelles à la main.

Et cette scène ranima un moment le cœur de Septimanie : pouvait-elle être insensible à la gloire de sa famille ?

Le lendemain, elle fut réveillée par le tocsin et les coups de canon qui faisaient vibrer toutes les vitres des maisons de Paris. Le duc de Gèvres vint en personne l’inviter à voir le feu de joie qu’il devait allumer le soir même à la Grève, et le feu d’artifice qui serait tiré sur la rivière.

Tout Paris était illuminé lorsqu’elle le traversa pour se rendre à la Ville. Le nom de son père retentissait à son cœur, au milieu des cris de joie que le peuple faisait entendre ; mais ce triomphe si doux à son orgueil filial lui faisait sentir plus cruellement encore l’absence de celui qui aurait été si fier de le partager. Le comte de Gisors ne pouvait être là. Elle en était certaine, et pourtant ses yeux le cherchaient en dépit de sa raison, tant il lui semblait impossible d’être doucement émue loin de lui.

Parmi toutes les personnes attirées par l’éclat de cette fête, une seule fixa l’attention de madame d’Egmont ; c’était le marquis de Vogué, le camarade d’armes, l’ami intime du comte de Gisors ; les yeux arrêtés sur lui, elle s’inclinait pour le saluer lorsqu’il se retourna brusquement, comme pour éviter de voir et de lui rendre ce salut ; elle se sentit rougir de cette injure si peu méritée, et l’impolitesse marquée de M. de Vogué la confirma dans l’idée qu’elle était l’objet du mépris et de la haine de M. de Gisors.

Quand on le pleure sans cesse, quand on se meurt pour lui de regret et d’amour, être ainsi calomniée dans le cœur de celui qu’on aime !…

— Hélas ! pensait-elle, le perdre à jamais ; me condamner à passer ma vie loin de lui, sous l’autorité d’un autre ; tant de malheurs n’étaient rien encore ! il fallait en être haïe, méprisée… Oh ! mon Dieu, ne mettrez-vous pas fin à cet affreux martyre !…

Et tout le temps que dura cette fête, madame d’Egmont ne pensa qu’à se rapprocher du marquis de Vogué ; il lui sembla que si elle pouvait lui adresser quelques paroles, même insignifiantes, il devinerait, à l’inflexion de sa voix, à ses yeux humides de larmes, ce qu’elle n’osait lui dire : qu’elle était innocente des peines de son ami.

Dans cette intention, elle redoubla de soins affectueux pour une vieille parente du marquis et pour sa jeune sœur ; elle pria le duc de Gèvres de les faire asseoir près d’elle, ne doutant pas que le marquis ne vînt bientôt leur parler. Mais, insensible à toutes ces prévenances, M. de Vogué affectait de ne pas s’en apercevoir. Cependant il était venu avec sa sœur et sa tante et devait les ramener. Madame d’Egmont attendait avec impatience le moment où il viendrait leur offrir son bras, lorsqu’elle entendit le duc de Brissac dire à ces dames que le marquis de Vogué, étant obligé de partir avant le feu d’artifice, l’avait chargé de le remplacer près d’elles.

— Plus d’espoir !… pensa Septimanie, et c’est la mort dans le cœur qu’il lui fallut sourire à tous les compliments d’une foule empressée, et braver les regards jaloux de toutes les femmes qui enviaient son bonheur… Quel bonheur ! grand Dieu !…

Une personne vraiment heureuse alors, c’était la duchesse de Lauraguais ; sa joie tenait du délire ; elle allait partout raconter les faits à l’honneur du maréchal de Richelieu pendant le long siège du fort Saint-Philippe, et répétait avec une émotion qu’on partageait sans peine cet ordre du jour aussi honorable pour les troupes que pour le général :

— Soldats, grenadiers, je déclare que ceux d’entre vous qui s’enivreront davantage n’auront pas l’honneur de monter à l’assaut que je vais livrer.

Et ces soldats, que le vin de Mahon plongeait chaque jour dans une complète ivresse, que la prison, les punitions les plus sévères ne pouvaient contenir, frappés du châtiment qui menace leur honneur, redeviennent sobres, soumis, et ne se disputent plus que la gloire de marcher le premier à l’ennemi. « Le maréchal, qui savait tout ce qu’on peut obtenir du soldat français exalté par l’honneur, profite de ce moment pour ordonner l’assaut. Les échelles se trouvent trop courtes de plusieurs pieds ; le soldat n’est point arrêté par cet obstacle, il monte sur les épaules de son camarade, il gravit le long de la muraille ; celui qui est renversé trouve vingt successeurs. Malgré le feu ennemi, on escalade un roc, les Français pénètrent dans la place, et le vieux général Blakenay et la garnison, étourdis par cette audace, demandent à capituler.

La reconnaissance de l’armée pour un général qui l’avait si bien commandée ne pouvait se comparer qu’à la joie d’un pareil triomphe ; chaque soldat racontait un trait de courage, de bonté ou de générosité du maréchal ; on en citait un particulièrement.

M. de Richelieu visitait tous les jours les postes les plus avancés ; un jour que la sentinelle d’un des forts s’amusait à tirer sur lui, il entend la balle siffler plus près de ses oreilles ; il s’approche d’un canonnier, et lui demande s’il ne peut pas le défaire de ce faquin-là qui pourrait être plus adroit une autre fois. Ce canonnier servait depuis trois jours sa batterie sans vouloir être relevé ; il se nommait Thomas, était déserteur des régiments qui venaient de débarquer à Mahon, et sachant qu’il aurait la tête cassée s’il était reconnu, il avait voulu prévenir son sort en se faisant tuer, mais il avait bravé le feu impunément.

Cet homme, noirci par la poudre, couvert de sueur et de poussière, défait et privé de nourriture depuis deux jours se traîne vers son général, et lui promet que s’il manque le soldat ennemi du premier coup de canon, le second l’atteindra. En effet, il vise, le coup part… et l’on voit le chapeau du soldat anglais sauter en l’air.

Le maréchal, charmé de tant d’adresse, s’approche pour en récompenser le canonnier, mais le malheureux épuisé de fatigue et de faim était tombé sans connaissance auprès du canon qu’il avait si bien servi.

Le maréchal lui fait donner les plus grands soins et charge un officier de s’informer du motif qui a pu déterminer le canonnier à se conduire d’une manière si désespérée. Thomas garde le silence et ne vent parler qu’à son général. Le maréchal le fait venir, Thomas tombe à ses pieds, lui avoue sa faute et le supplie de lui épargner la honte du supplice, en lui donnant le poste le plus dangereux, qu’il promet de garder jusqu’à ce qu’il perde la vie en brave soldat.

Le maréchal, touché d’un si noble repentir, l’assure qu’il peut reprendre son service ; quelques jours après, le duc de Richelieu le voyant servir la même batterie avec une adresse et une intrépidité incroyables, s’avance vers lui, et lui présente un brevet de sous-lieutenant, en lui disant :

— Prenez, mon ami, c’est la récompense du mérite[13].

C’est par de pareils traits que le maréchal de Richelieu se faisait chérir des soldats. Ce nouveau triomphe, en redoublant la haine de ses ennemis, les rendit cependant plus soigneux de la dissimuler. Madame de Pompadour elle-même, surprise d’un événement qui déconcertait toutes ses prévisions, entraînée par l’opinion publique, fit des chansons en l’honneur du maréchal, et l’appela longtemps son cher Minorquain[14].

Cependant les ministres, qui détestaient M. de Richelieu, s’opposaient à ce qu’il revint à Paris jouir de sa gloire, en prétextant que sa présence était nécessaire en Provence, pour garantir les côtes des incursions des ennemis ; mais la duchesse de Lauraguais fit tant, que, malgré M. d’Argenson, le maréchal obtint la permission de se rendre à la cour.

C’est alors qu’elle lui écrivait, en recevant la nouvelle de la prise de Mahon :

« Ma joie est extrême, elle égale la tendresse de mes sentiments pour vous. Vous voilà comblé de gloire ! J’ai la tête et le cœur si remplis de satisfaction, qu’il est impossible de vous exprimer tout ce que je sens en ce moment : je me flatte que vous y suppléerez. J’ai eu le plaisir d’embrasser M. de Fronsac à son arrivée. J’étais toute seule à vous écrire quand j’ai reçu votre lettre. Et quelle lettre !… Je fus sur-le-champ à l’hôtel d’Antin, trouver M. de Fronsac, qui attendait des chevaux pour aller à Compiègne. Adieu, je suis si tremblante qu’il m’est impossible de vous en dire davantage. »

Puis quelques jours après :

« Je reviens de chez le garde des sceaux, qui est ici pour le Te Deum. Je suis resté avec lui, tête à tête, une heure et demie ; il m’a beaucoup parlé du tour que d’Argenson vous a fait ; c’est lui qui a empêché votre retour. Il a dit au roi qu’il fallait que vous restiez dans votre commandement ; et malgré l’envie que le roi avait de vous voir, il n’a pas eu la force de résister au d’Argenson. Le garde des sceaux est furieux d’une telle conduite, et en a parlé à madame de Pompadour, qui était dans la bonne foi de croire que votre présence était nécessaire sur la côte. Il l’a détrompée, et lui a fait voir la noirceur du procédé de d’Argenson à votre égard. Elle lui a dit : « Mais je croyais que le d’Argenson voulait plutôt du bien à M. de Richelieu que du mal. » Le garde des sceaux lui a répondu : « Je vous laisse à juger si c’est un service d’ami qu’il lui rend là ? »

» Tout cela ne vient que pour que Maillebois soit arrivé avant vous, pour lui faire dire ce que le d’Argenson voudra, et diminuer tant qu’on pourra la peine que vous avez eue et la gloire que vous méritez. Vous savez mieux qu’un autre que c’est dans le premier moment que l’on connaît ce qu’on a fait, et que les services les plus importants sont bientôt oubliés. Je suis fort d’avis, et c’est le conseil du garde des sceaux, que vous écriviez une lettre au d’Argenson, et une au roi, et que vous lui demandiez de venir ici huit jours, ayant des affaires indispensables ; que vous ne demandez pas mieux que de vous en retourner, si c’est le bien de son service, et n’avoir pas l’air de vous douter de la plus petite chose. Le garde des sceaux m’a ajouté qu’il fallait envoyer un courrier exprès porter vos lettres, et qu’il attende la réponse ; qu’il ne fallait pas que vous retardiez un moment pour avoir votre congé, et revenir sur-le-champ : cela fera enrager le monstre d’Argenson ; il verra échouer par votre présence sa basse et odieuse intrigue. Je suis bien curieuse de savoir quel prétexte il prend vis-à-vis de vous en vous écrivant ; je ne serai pas tranquille jusqu’à ce que j’aie eu de vos nouvelles, et que je sache quel parti vous avez pris. Vous connaissez mon intérêt, mon adoration, mon amour pour vous ; vous devez juger que j’ai besoin d’être informée par vous, bien en détail, de ce que vous pensez de tout ceci ; il n’y a que ce que vous me direz qui puisse mériter ma confiance. M. de Fronsac part cette nuit ; je vous jure que je donnerais bien des choses pour avoir la liberté de m’en aller avec lui. Il vous porte la promotion des grâces que l’on a faite pour les Mahonistes ; elle ne transpire point ; elle ne sera déclarée que par vous, et j’espère que la survivance est dans le même paquet. Le roi ne l’ayant pas dit à votre fils, c’est pour vous donner l’agrément de le lui apprendre… etc.

» Venez. Madame de Pompadour, qui paraît maintenant exaltée sur votre compte, peut changer… Vous savez par expérience qu’elle vous aime selon l’occasion, et qu’aujourd’hui votre amie elle sera demain contre vous. Il se présente là une foule d’aspirants pour commander, et sûrement son Soubise ne sera pas oublié ! Je vois qu’en général on est fâché de vous voir victorieux ; une bonne défaite les aurait rendus tous contents. On ne s’attendait pas à ce que vous avez fait. J’ai le sang tourné de tout ce qui se passe. Je l’avais quand vous couriez risque d’être tué tous les jours, quand votre siège n’allait pas aussi vite que je le désirais ; mais vous avez été vainqueur ; je croyais être tranquille, et au contraire je suis encore plus tourmentée, puisqu’on ne vous rend pas justice. Ma sœur[15] avait bien raison de dire quelquefois qu’on serait tenté de voir tout comme un songe, puisqu’il est impossible de remédier au mal, avec un maître qui se plaît à n’être rien, qui craint de s’occuper, et laisse ses ministres faire tout ce qu’ils veulent. En vérité je suis en colère contre lui, de n’avoir pas assez senti tout ce que vous avez fait[16]. »

Nous donnons les extraits de ces lettres, parce qu’elles prouvent, mieux que nous ne saurions le dire, les intrigues de cour de cette époque, et l’attachement passionné de la duchesse de Lauraguais pour le vainqueur de Mahon. Comment madame d’Egmont aurait-elle pu rester indifférente pour une femme qui aimait et servait si bien son père ?…[17]


XIV

LE JEU CHEZ LA REINE


C’était le temps des cabales de tout genre. Pendant que celles du maréchal de Belle-Isle et du prince de Soubise s’efforçaient d’amortir l’effet de la prise de Mahon, les deux grandes puissances de l’État, le clergé et les parlements, se faisaient une guerre que le roi lui-même tentait vainement d’apaiser. Quand le pouvoir n’est plus à sa place, chacun se le dispute. L’indolence où était tombé Louis XV ranimait toutes les ambitions ; celle du clergé, aiguillonnée par les attaques des philosophes, combattait avec ses vieilles armes : le refus des sacrements aux mourants et l’excommunication.

À ces foudres de l’Église les parlements répondaient par des arrêts, des condamnations, des amendes, et faisaient brûler par le bourreau tous les écrits dans lesquels on lui contestait la juridiction. Le roi réprimandait et exilait les plus téméraires de chaque parti. Voltaire disait que dans ces troubles Louis XV était comme un père, occupé de séparer ses enfants qui se battent.

Cependant il fallait soutenir contre les Anglais, sur terre et sur mer, une guerre onéreuse ; il fallait continuer cette mé­morable fondation de l’École militaire, où devait s’élever le plus grand guerrier des temps modernes. Il fallait des secours de finances. Le parlement se rendait difficile sur l’enregistrement des édits, qui ordonnaient la perception des deux vingt-t­ièmes. Le roi décida qu’il tiendrait un lit de justice à Ver­sailles, où il convoquerait les princes, les pairs, avec le parlement de Paris.

Cette solennité ramena à Paris le maréchal de Belle-Isle ; son fils l’y suivit. Le duc de Richelieu fut le seul des maréchaux de France non convoqué. Madame de Lauraguais mit cette injure sur le compte du maréchal de Belle-Isle, à qui madame de Pompadour voulait sauver l’ennui de voir rendre à son rival tous les honneurs dus à la victoire.

Le jour même qui réunissait à Versailles tous les grands du royaume, madame de Lauraguais vint chez madame d’Eg­mont lui parler, avec toute la véhémence de son esprit pas­sionné, de l’insulte qu’on faisait au duc de Richelieu.

— Aidez-moi à le venger, dit-elle, il y aura jeu ce soir chez la reine, ne manquez pas d’y venir, et l’on verra à l’empres­sement dont vous serez l’objet, aux compliments qu’on vous adressera sur l’admirable conduite de votre père à quel point l’on est indigné de l’ingratitude de la cour envers lui.

C’est ainsi qu’elle persuada à Septimanie que sa présence à la cour était indispensable aux intérêts de la gloire du maré­chal de Richelieu.

Il ne fallait pas moins qu’une telle considération pour déterminer madame d’Egmont à paraître chez la reine un jour où toute la cour y devait être réunie. L’absence de son père et de son mari lui avaient servi de prétexte depuis plusieurs mois pour ne pas aller à Versailles ; et maintenant qu’elle était sûre d’y rencontrer le maréchal de Belle-Isle, et peut-être… son fils… elle se sentait moins de courage encore pour s’y rendre. Mais la duchesse d’Aiguillon, la princesse de Marsan et les meilleurs amis du maréchal s’étaient joints à madame de Lauraguais pour prouver la nécessité de cette démarche ; madame d’Egmont céda à leurs avis.

Un cœur languissant sous le poids d’un malheur irréparable accueille avec avidité la moindre agitation, si pénible qu’elle soit. L’idée que le comte Louis et son père étaient devenus ses ennemis, qu’il lui fallait s’armer contre le ressentiment de l’homme qu’elle aimait, révoltait son âme, lui faisait haïr sa faiblesse, et lui donnait l’espoir d’en triompher.

— Non, pensait-elle, je ne saurais aimer longtemps celui qui peut être volontairement complice des moyens infâmes employés pour perdre mon père. Quoi ! spéculer sur sa défaite, tenter tout ce qui pouvait l’amener, sacrifier tout, jusqu’à la gloire de la France, pour obtenir la mort d’un général qui ne pouvait survivre à sa défaite ; et quand son habileté, son courage ont surmonté tous les obstacles ; lorsqu’il est prêt à venir chercher la récompense d’une affaire si glorieuse, l’exiler dans son gouvernement, l’empêcher d’entendre les actions de grâce du peuple ; ces louanges qui vengent de l’ingratitude des rois ! Ah ! s’il est vrai que le dépit, l’envie puissent corrompre ainsi une âme noble, cette âme n’existe plus pour moi ; je ne reconnais plus celui que j’aime dans l’ennemi de mon père et de la France !

C’est livrée à toute cette indignation que madame d’Egmont se laissa conduire par sa tante chez la reine.

Ce qu’avait prédit madame de Lauraguais arriva. À peine la comtesse d’Egmont eut-elle fait ses révérences, que la reine et les princesses lui adressèrent les mots les plus flatteurs pour elle et son père, sans oublier son mari et son frère, qui s’étaient également distingués dans la prise de Mahon. Le roi lui-même, dont le silence à son égard eût été trop marqué, lui parla si longtemps et si bien, que les courtisans de madame de Pompadour en conçurent de l’effroi.

Il est vrai qu’au moment où le roi l’aborda, on vit madame d’Egmont se troubler, une rougeur subite couvrit son beau front ; ses yeux, dont la langueur avait tant de charme, s’animèrent tout à coup d’un feu étincelant ; sa respiration devint plus fréquente, enfin toute sa personne parut en proie à la plus vive émotion.

Cette agitation subite, on la prit pour un de ces accès de vanité si communs à la cour, pour l’effet de cette fièvre d’espoir qui prenait d’ordinaire à toutes les femmes que le roi favorisait d’un sourire. Et personne n’avait remarqué qu’à la suite du roi était le maréchal de Belle-Isle, et près de ce dernier… le comte de Gisors…

C’était la première fois que Septimanie et le comte Louis se rencontraient depuis que leurs destinées étaient pour jamais séparées ; et chacun d’eux, ému d’un cruel ressentiment, s’efforçait de repousser les tendres souvenirs qui pouvaient attiédir sa colère.

Les cœurs aimants ne connaissent qu’un moyen de vengeance : la froideur… Pour eux, c’est la mort ; aussi ont-ils recours à cette arme cruelle pour se venger de ce qu’ils aiment encore.

Madame d’Egmont, soutenue par sa fierté, par la crainte de révéler le secret de son âme à tous les yeux fixés sur elle, ne pensa qu’à les tromper sur la véritable cause du trouble qu’elle ne pouvait surmonter. Souriant avec sa grâce enchanteresse à tout ce que le roi lui disait, elle osa lui demander le retour de son père ; c’était risquer un refus humiliant ; mais madame d’Egmont était dans cet état violent où l’on ne craint pas d’aggraver son mal par une blessure de plus.

Le maréchal de Belle-Isle était là qui l’entendait ; c’était devant lui surtout qu’il lui importait de déjouer les intrigues dirigées contre le vainqueur de Mahon ; et ce triomphe, elle l’obtint sans peine. Quand ses beaux yeux et sa bouche imploraient, il n’était pas facile de leur résister, et Louis XV était par nature trop accessible à de tels charmes pour n’y pas sacrifier la volonté de sa maîtresse absente.

On devine ce qu’un pareil succès fit naître de conjectures ; Sa comtesse de Brionne, la marquise de Forcalquier, madame de Saint-Maigrin, étaient les plus belles femmes de la cour ; mais combien madame d’Egmont les surpassait par la noblesse, l’élégance de sa taille, et par l’expression de son visage angélique. Cette remarque si juste, le roi venait de la faire ; il venait d’éprouver le charme attractif qui soumettait à madame d’Egmont tous ceux qui l’approchaient. C’en était fait de madame de Pompadour, la jolie parvenue allait céder le sceptre à l’héritière des ducs de Guise, et il se trouverait enfin dans des mains dignes de le porter[18].

À la cour, lorsqu’une telle supposition vient à naître, on en fait aussitôt une réalité. Les amis de la marquise pensaient déjà aux moyens de l’abandonner honnêtement, et les créatures du maréchal de Belle-Isle se prouvaient déjà naïvement qu’ayant été autrefois très-liés avec le duc de Richelieu, ils pourraient faire valoir les droits d’une ancienne amitié.

La duchesse de Lauraguais montrait sa joie avec trop de franchise peut-être ; mais l’espérance de revoir bientôt celui qu’elle aimait, et peut-être aussi le plaisir de voir venger l’ombre de sa sœur par l’abandon de la petite bourgeoise qui lui avait succédé, l’enivrait à un tel point qu’elle en perdait la tête.

Madame d’Egmont seule, en se voyant l’objet de tant d’hommages, les croyait dûs à la gloire de son père ; aussi les recevait-elle sans embarras, sans modestie feinte, avec une reconnaissance toute filiale. Cette joie innocente, exprimée par un si doux sourire, de quel affreux désespoir elle remplissait le cœur du comte Louis !

— Ah ! c’est d’aujourd’hui seulement que je la perds, pensait-il en étouffant sa rage. Cette femme que j’avais divinisée ; cette vision céleste a disparu ; je ne vois plus qu’une femme perfide, soumise comme tant d’autres à la plus vile ambition, souriant à l’espoir de sa honte, et fière de se dégrader pour satisfaire le caprice d’un roi. Non, je ne saurais l’aimer encore sans me déshonorer ; le mépris, l’indignation, voilà tout ce qui me reste pour elle !

Absorbé par ses réflexions, le comte de Gisors n’avait point suivi son père lorsqu’il s’était approché de la table de jeu ; madame d’Egmont l’aperçut appuyé sur un pilastre, pâle, abattu, les yeux fixes et sans regard ; à cette vue, un mouvement sympathique la fit tressaillir, elle se sentit dévorée de toute la souffrance qui torturait le cœur du comte Louis. Une puissance invincible l’attirait vers M. de Gisors. Ah ! s’il avait pu lever les yeux sur elle, il eût deviné la pitié qu’inspirait son supplice ; il eût reconnu son erreur !… mais en vain les regards de Septimanie s’arrêtèrent sur lui, il ne les sentît point ; en vain parvenue à se rapprocher de la place où il était en allant saluer la princesse de Marsan, elle prononça quelques mots qui devaient retentir au cœur de Louis, il ne parut pas les avoir entendus ; son attitude resta la même jusqu’au moment où le maréchal de Belle-Isle vint prendre brusquement son bras, en lui montrant que le roi se retirait, et que tous deux devaient le suivre.

Alors le comte Louis, réveillé en sursaut au milieu du plus affreux rêve, aperçut Septimanie devant lui, et se détourna vivement comme si un spectre épouvantable avait frappé ses yeux.

Bientôt, entraîné par son père, il monta en voiture, et tous deux revinrent à Paris.


XV

LA DIPLOMATIE D’UN PÈRE


Le maréchal de Belle-Isle, fatigué de la cérémonie du matin, et prévoyant que le jeu de la reine finirait tard, devait coucher à Versailles ; mais son habileté à profiter des occasions qui ne se retrouvent plus, l’avait déterminé à ne pas quitter son fils dans la disposition d’esprit où tout ce qu’on disait à la cour avait dû le mettre, et à tirer parti de son indignation.

Le tête à tête obligé pendant la route de Versailles à Paris lui parut très-propice à ces projets ; et, comme tous les gens décidés à porter le dernier coup aux malheureux qu’ils plaignent, il avait commencé par ces mots :

— Dieu me garde, mon pauvre ami, de vouloir ajouter à tes peines, mais tu as vu comme tout le monde ce qui s’est passé ce soir ; tu sais à quoi t’en tenir sur les sentiments de cette jeune femme que tu t’obstinais à croire un modèle de pureté, une exception parmi toutes celles que la vanité, l’inconstance perdent tôt ou tard ; eh bien, tu l’as vue provoquer les bonnes grâces du roi comme les moins fières de la cour ; tu l’as vue, exploitant d’avance sa faveur prochaine, demander d’abord un peu afin de tout accorder et de tout obtenir. L’imprudente ne sait pas à quoi elle s’expose ! et l’humiliation d’être aussi tôt quittée que prise nous vengera bien d’une puissance passagère. Ah ! celle de la marquise en a déjoué de plus fortes ; d’ailleurs, le roi est revenu du servage de ces grandes dames-là ; elles sont trop impérieuses, et je ne donne pas un mois à ce caprice royal.

— Ô honte ! s’écria Louis, passer du déshonneur à l’abandon… elle… sacrifiée à une femme perdue…

— Cela étonne ta jeunesse ; ah ! quand tu auras vécu plus d’années à la cour, tu trouveras cela tout simple : mais ce qui t’étonnera d’avantage, c’est qu’au milieu de tant de corruption, il se trouve des natures incorruptibles, que la contagion ne peut atteindre ; et tu devines déjà de qui je veux te parler.

— Ah ? je ne crois plus à rien, s’écria Louis ; si le cœur le plus noble, le plus désintéressé a pu succomber à tant d’infamie, quelle femme assez pure saura s’en préserver ?

— Celle qu’un père honorable, exempt des vices dont le duc de Richelieu faisait parade, a dû élever dans l’amour de ses devoirs, dans le noble orgueil d’y rester fidèle.

— Non, tout bonheur est impossible, pour moi, pour la femme qu’on me donnerait…

— Ainsi donc, il faut que je voie toutes mes espérances renversées ! reprit le maréchal d’un ton lamentable, il faut que je meure avec la triste certitude que ce nom, illustré par mes longs travaux, par le sang de tant de blessures, ce nom que tu promettais de rendre plus glorieux encore va s’éteindre à jamais ! et cela, parce qu’un premier amour, inspiré par une femme qui n’en était pas digne, te dégoûte de toute affection, de tout bien ! Toi que j’ai eu le courage d’élever presque durement, dans l’espoir de te voir affronter en homme les chagrins de la vie, comme les fatigues de la guerre, te voilà faible, abattu, prêt à sacrifier l’honneur de ta maison, le bonheur de ton père, au petit malheur d’avoir rencontré une femme infidèle.

Le maréchal cessa un instant de parler dans l’espoir que son fils allait répondre. Mais des soupirs étouffés soulevaient la poitrine de Louis ; on voyait sa pâleur extrême à la lueur des torches que portaient les gens qui devançaient le carrosse. Cet aspect avait quelque chose de funèbre. Le maréchal en frémit ; l’idée de la mort de son fils, de la seule affection qu’il eût au monde, de celui qu’il croyait devoir continuer son ambition, cette passion dévorante qu’il aurait voulu éterniser dans sa famille ; enfin l’idée d’un désespoir au-dessus de ses forces le rendit éloquent. Après avoir excité le dépit, l’orgueil, après avoir prouvé que ce serait manquer à l’honneur que de se laisser humilier sans se venger dignement, il était descendu à la prière.

— Tu crois ton existence à jamais flétrie ? disait-il d’une voix émue ; eh bien, consacre-là à ton vieux père, donne-lui le bonheur de revivre dans tes enfants ; ne repousse pas l’ange consolateur qu’il a choisi pour calmer ta peine. Louis» je t’en conjure, au nom de ta mère !

C’était le premier accent de tendresse que Louis entendait sortir de la bouche de son père ; il devait pénétrer son cœur. Persuader à un malheureux que la vie qu’il déteste est in­dispensable au bonheur d’un autre, c’est un piège où le déses­poir doit se prendre. Louis promit de se résigner à tout ce que voulait son père.

Huit jours après, son contrat de mariage était signé ; et le château de Saint-Ouen s’embellissait de tous les préparatifs ordonnés par le comte de Nivernais pour le mariage de sa fille.


XVI

GENTIL BERNARD


La cour et la ville parlaient déjà hautement du mariage du comte de Gisors avec mademoiselle de Nivernais ; et madame d’Egmont l’ignorait encore. Une nouvelle semblable est un coup mortel que la vengeance elle-même hésite à porter. Septimanie ne voyait intimement qu’un petit nombre de personnes ; celles-là connaissaient trop bien le secret de son cœur pour partager les conjectures dont on s’entretenait à Versailles, et madame d’Egmont remarquait sur leur visage un air d’embarras, de pitié, dont elle cherchait vainement à s’expliquer la cause.

Un homme de lettres fort à la mode alors, et qui, à la recommandation du duc de Coigny, avait été admis dans l’intimité de la famille de Richelieu, l’auteur de l’Art d’Aimery surnommé Gentil Bernard par Voltaire, paraissait seul préoc­cupé du chagrin qui menaçait madame d’Egmont et cepen­dant le poète galant était lui-même fort épris de la comtesse ; mais c’était un de ces amours nés désespérés, dont les cœurs poétiques et tendres, les esprits délicats, se nourrissent à plaisir. La différence d’âge, de naissance, de rang dans le monde, ne permettait pas à M. Bernard, à l’humble bibliothécaire du roi, d’élever ses vœux jusqu’à la brillante fille d’un des plus grands seigneurs de la cour ; mais il fallait une idole belle, noble, inspiratrice, à son culte poétique : l’admirer en silence, était un bonheur de tous les instants, qu’il préférait aux jouissances les plus positives dues à une femme vulgaire ; et lorsque, accompagnant madame d’Egmont à l’Opéra, caché dans un coin obscur de la loge, il voyait les beaux yeux de Septimanie s’attendrir sur l’amour fraternel de Castor et Pollux, lorsqu’il l’entendait applaudir à ses vers, son cœur était plus vivement ému qu’il ne l’eût été de la possession de la plus belle femme du monde ; c’était le ridicule de ce temps, avant que la grossièreté des amours de madame Du Barry n’eût détruit le romanesque de tous les autres. Le bonheur d’aimer se composait alors d’une foule de petits soins, de sacrifices, de légères faveurs qui étaient une suite d’aveux du sentiment dont on n’osait parler. Ces plaisirs de toutes minutes compensaient bien des privations ; le cœur ambitieux d’émotions en trouvait dans un mot, dans un regard ; chaque jour en faisait naître de nouvelles. Par combien de troubles ravissants il fallait passer avant d’arriver au but de ses désirs !… Aujourd’hui, la route se fait plus rapidement, toutes les émotions s’épuisent en un jour ; et comme il en faut toujours aux âmes passionnées, elles remplacent ce qu’elles appellent des niaiseries sentimentales par des parties de suicide, des meurtres mutuels. Ces amants-là quittent la vie, comme deux amis vont se coucher lorsqu’ils n’ont plus rien à se dire.

Gentil Bernard (car c’est ainsi que chacun le nommait] ; venait tous les jours chez madame d’Egmont ; il s’était offert pour être son lecteur, et comme il lisait à merveille, elle profitait souvent de sa complaisance, et sa place était marquée derrière le canapé de la comtesse. Personne n’aurait osé médire de ses assiduités, sa position même n’alarmait point les parents, les amis de madame d’Egmont. Alors, on était sans pitié pour la faiblesse d’une femme ; mais on lui permettait de se laisser aimer.

On ne sauve l’importunité d’un amour non partagé qu’à force de sacrifices ; à défaut de plaire il faut se rendre utile, et paraître souvent s’intéresser au sentiment rival qui désespère. C’est ce que fit Gentil Bernard : initié par son observation continuelle dans les mystères du cœur de madame d’Egmont, il se consolait de n’être pour rien dans ses émotions, par le soin de lui en éviter de pénibles. Impuissant contre les événements qui devaient la désespérer, il tentait du moins de l’y préparer, et de l’empêcher surtout d’en être frappée devant témoins.

Gentil Bernard était à lire, comme à son ordinaire, la nouveauté du jour à madame d’Egmont, lorsque mademoiselle Hilaire, sa première femme de chambre, vint prendre les ordres de la comtesse. Celle-ci lui ayant répondu d’apprêter pour le soir une robe parée :

— Auriez-vous le projet de souper chez la duchesse de Luxembourg ? demanda le lecteur.

— Je ne puis m’en dispenser, répondit-elle, il y aura concert, bal. Le chevalier de Boufflers doit y lire les vers de M. de Voltaire sur la prise de Mahon. C’est une espèce de fête que la duchesse donne en l’honneur de mon père : on me blâmerait de n’y pas aller.

— Cependant, si la fièvre que vous avez rapportée derniè rement de Versailles vous reprenait, il faudrait bien renoncer…

— Sans doute, mais cette fièvre est dissipée, et je n’ai plus de prétexte.

— N’en est-ce donc pas un suffisant que d’être mal disposée pour de semblables plaisirs ? La chaleur, le bruit d’un salon où tout le monde parle à la fois, l’ennui de faire spectacle ; car partout où vous êtes, on ne regarde que vous, c’est à qui interprétera vos regards, votre maintien, votre sourire. Ah ! ce doit être une contrainte insupportable, et je vous admire, madame la comtesse, de vous y résigner de si bonne grâce.

— Vous me flattez, mon ami, j’ai si peu l’art de cacher l’ennui que j’éprouve dans le monde, qu’on me reproche d’y porter un air distrait, dédaigneux même. Hélas ! ce qu’on prend pour le dédain n’est qu’une profonde tristesse.

-— Eh ! comment ne serait-on pas triste à la vue de tant de misères dorées, de politesses insolentes, d’ingratitudes avouées, de gracieuses perfidies, de malignités amères ? Comment se trouver à son aise au milieu de cette armée d’ennemis, pour qui le moindre de nos revers est un sujet de réjouissance, qui guette sur votre front la pâleur que fait naître un mauvais procédé, ou une triste nouvelle ? Ah ! le grand monde n’est amusant que pour ceux qui ont beaucoup d’esprit et point de cœur.

— Et pourtant, vous qui parlez de ce monde avec une vérité désolante, vous y passez la vie, l’on vous y traite à merveille.

— Parce que je me garde bien d’y montrer le peu que je vaux ; j’y porte une provision de flatteries, de petits sentiments rimés qui plaisent sans exciter l’envie ; si j’y laissais voir les profondeurs de mon âme, ma constance, mon dévouement pour ce que… j’honore le plus au monde ; s’il pouvait deviner le culte désintéressé dont je suis capable ; il me tuerait à coup de ridicules.

— Croyez qu’il est des amitiés qui vous vengeraient.

En disant ces mots, la comtesse leva ses beaux yeux sur Gentil Bernard, et lui sourit d’un air affectueux.

— N’allez pas à ce souper, dit-il d’un ton suppliant.

— Et pourquoi ?

— Je ne sais, mais vous me paraissez encore souffrante, et je crains…

— C’est-à-dire que vous me trouvez pâle, changée… laide, enfin.

— Laide ! vous, madame ? ah ! si par miracle vous le deveniez, je ne le verrais pas.

— Eh bien, dites-moi franchement ce qui vous fait tant insister pour que je n’aille pas chez la duchesse ; vous avez une raison ?…

— Sans doute… mais vous la dire… me serait impossible.

— Il faut donc que je la devine ?… en vérité, votre air sérieux m’effraie.

En ce moment on annonça la duchesse de Villeroi, celle dont madame du Deffant disait : c’est le tintamarre personnifié.

En effet, son entrée dans une chambre avait toujours quelque chose d’étourdissant ; elle faisait tant de mouvements, tant de questions ; elle débitait tant de nouvelles ! s’animait pour tant de riens, qu’on partageait malgré soi une partie de cette animation soutenue. Une femme bavarde, ne manquant pas d’esprit et fort inconséquente, a plus de chances qu’une autre pour produire de l’effet ; souvent injurieuse, indiscrète, sans le savoir ; on tremble de ce qu’elle va dire ; chaque mot d’elle peut faire tant de mal !… et puis dans le monde, où tout est contrainte, réticences, ménagements, on s’amuse toujours du naturel, si peu cultivé qu’il soit ; et l’on va même jusqu’à estimer les gens assez courageux pour s’établir dans leurs défauts, de manière à ôter toute espérance de les en corriger jamais.

— Je viens vous prier de me rendre un service, ma chère amie, dit madame de Villeroi en entrant ; puis jetant les yeux sur la table où se trouvait un dessus de bonbonnière peint sur ivoire par madame d’Egmont : Oh ! que ces fleurs sont vivantes, s’écria-t-elle ; c’est admirable ; je ne vous demande pas si cette charmante peinture est pour le comte d’Egmont ! cela est certain. Les nouveaux mariés ne travaillent que l’un pour l’autre ; c’est leur défaut à tous ; le reste du monde n’existe pas pour eux : heureusement que cette folie ne dure jamais plus d’une année.

Cet ouvrage est pour mon père, dit madame d’Egmont.

— Ah ! c’est différent ; au fait vous faites exception ; on ne vous voit pas tomber dans ces accès de tendresse conjugale dont nos jeunes femmes sont si embarrassées quand la fièvre est passée ; et ce qui est pis encore, lorsqu’elle change d’objet. Votre père devait vous préserver de ce ridicule ; il est si difficile de trouver un homme aimable à côté de lui ; à propos, il va revenir ! que j’en suis ravie ! On m’avait dit d’abord que son retour était l’ouvrage de madame de Lauraguais ; mais j’ai appris depuis que le roi l’avait accordé à vos beaux yeux en dépit de la marquise. C’est un triomphe que vous ne laisserez pas refroidir, j’espère… Mais j’oubliais ce qui m’amène ; il faut que vous m’excusiez ce soir auprès de la duchesse de Luxembourg ; je ne puis souper chez elle ; je suis forcée d’aller à Saint-Ouen ; l’aimable duc de Nivernais ne me pardonnerait pas de manquer à sa réunion de famille ; et, bien que je déteste l’ennui de ces longues solennités, il faut que je lui sacrifie la gaieté d’un souper charmant, et plus encore le plaisir d’être avec vous.

— Je n’étais pas décidée à sortir ce soir, répondit madame d’Egmont, en commençant à pâlir.

— Mon Dieu ! n’allez pas augmenter la mauvaise humeur de madame de Luxembourg, en lui manquant aussi de parole ; elle nous accablerait de ses épigrammes ; vous, surtout, qui n’avez pas un dîner de noces pour excuses.

— Ah !… M. de Nivernais marie sa fille ?…

— Quoi ! vous ne le saviez pas ?… ce mariage fait pourtant assez de bruit ! le roi donne un grade, le maréchal un million, en attendant l’immense fortune qui reviendra à son fils ; tout cela s’est arrangé en huit jours ; et c’est madame de Mazarin qui doit présenter à la cour la jeune comtesse de Gisors…

À ce nom, Septimanie sentit un froid mortel circuler dans ses veines ; sa respiration s’arrêta ; et Gentil Bernard, voulant distraire madame de Villeroi de l’effet que sa nouvelle venait de produire sur madame d’Egmont, prit aussitôt la parole, et rappela à la duchesse la comédie qu’on devait bientôt jouer, chez elle ; elle éclata en reproches contre tous les acteurs de société, dont chacun voulait le premier rôle. Elle pria Gentil Bernard de faire une comédie-ballet, tout exprès pour son théâtre, et termina sa visite en le suppliant de rimer quelques vers pour être dits le jour où elle rendrait aux jeunes mariés leur dîner de noce. Il promit tout ce que désirait la duchesse, et rendit grâce à ce bavardage qui l’empêchait de remarquer le morne silence de madame d’Egmont.

Quand ils se retrouvèrent seuls, Septimanie tendit sa main au poète, et d’une voix altérée :

— Vous aviez raison, mon ami, dit-elle, je n’irai point ce soir chez la duchesse de Luxembourg.


XVII

L’ASSASSINAT


Le lendemain, le suisse de l’hôtel d’Egmont répondait aux personnes curieuses de voir l’effet de ce mariage inopiné sur celle qu’il devait si sensiblement affecter :

— Madame la comtesse est à l’abbaye de Montmartre ; elle doit y rester tout le temps que durera la maladie de madame de Vibraye.

Cette légère indisposition de son amie, madame d’Egmont l’appelait une maladie grave, pour se faire un prétexte de rester au couvent, et d’y cacher le profond accablement où elle était plongée.

En se résignant à suivre la volonté de son père, elle ne s’était séparée qu’à moité du comte Louis, car son cœur lui était encore attaché ; elle se croyait encore sa plus chère pensée, et la confiance d’être aimée, cette espérance vague qu’on n’ose s’avouer, et qui porte sur des événements presque impossibles, enfin la consolation d’être regrettée, avaient maintenu son courage ; mais être seule à souffrir, joindre à la douleur d’un abandon complet l’idée que cet amour, dont le souvenir était l’unique bien, léger comme tant d’autres, ne méritait pas les larmes qu’elle lui avait données ; se voir enlever jus­qu’aux illusions du passé, ah ! c’est alors que les déchirements d’une séparation irrévocable s’emparèrent du cœur de ma­dame d’Egmont ! c’est alors seulement qu’elle frémit de l’iso­lement où tombait son âme.

La retraite, la prière, ces deux grands secours contre la douleur, elle ne put s’y livrer longtemps. Le retour du maréchaL de Richelieu la rappela près de lui ; il fallut reprendre les habitudes du monde, retourner à la cour, y rencontrer la comtesse de Gisors.

Pendant le séjour de Septimanie à l’abbaye de Montmartre, elle avait été portée par ordre du roi sur la liste des femmes invitées à un voyage de Marly, où, malgré la saison avancée, il devait y avoir de grandes parties de chasse suivies de jeu et bal. La duchesse d’Aiguillon n’ayant pu déterminer sa nièce à paraître à ces fêtes, l’avait excusée de son mieux près du roi ; mais quelques mots échappés à sa majesté contre la pruderie de certaines grandes dames avaient prouvé le mauvais effet du refus de madame d’Egmont. Plusieurs personnes attribuèrent ce refus à la froideur avec laquelle Louis XV accueillit d’abord le vainqueur de Mahon ; à peine lui parla-t-il de sa victoire. Mais peu de temps après, un grand événement rendit au maréchal toute la faveur du maitre.

Il remplissait depuis cinq jours sa charge de premier gentilhomme, lorsque, vers six heures du soir, le roi étant prêt à monter en voiture pour se rendre à Trianon, un homme s’avance entre les gardes, comme s’il était un officier de la maison, frappe le roi d’un coup de canif au-dessus de la cinquième côte, et rentre au milieu des spectateurs. Le roi porte la main sur sa blessure, en tire quelques gouttes de sang, se retourne, reconnaît l’assassin qui avait conservé son chapeau sur la tête, et dit :

— C’est cet homme qui m’a frappé ; qu’on l’arrête, et qu’on ne lui fasse point de mal.

L’assassin est arrêté ! il s’empresse de dire :

— Qu’on prenne garde à Monsieur le Dauphin, et qu’on ne le laisse pas sortir de la journée.

L’alarme est au comble ; on croit qu’une vaste conspiration menace toute la famille royale. Le roi est porté dans son lit ; sa blessure est légère, mais on craint que l’arme dont il a été atteint ne soit empoisonnée ; lui-même, saisi de cette idée, se croit à son dernier moment ; on s’empresse de lui donner tous les secours de la religion. La reine effrayée vient le trouver ; il lui parle avec tendresse, et se félicite d’avoir été frappé plutôt que son fils. La marquise de Pompadour est délaissée de tous les courtisans, et le ministre qu’elle protège le plus, M. de Macbault lui-même, vient lui signifier l’ordre de s’éloi­gner du château[19].

Le duc de Richelieu, guidé par le souvenir de la duchesse de Châteauroux, et rassuré sur l’état du roi, quitte le lit du blessé pour aller consoler la favorite.

À peine l’attentat de Damiens est-il connu à Paris, que le peuple dit hautement :

— C’est un coup des jésuites.

Les dévots, ceux de la paroisse Saint-Sulpice, s’écrient :

— C’est un coup du parlement.

Chaque parti soupçonne, dénonce l’autre. Le ministère est accusé d’incurie, presque de complicité ; car il avait reçu depuis longtemps, de Paris et de la province, des annonces vagues d’un attentat sur la personne du roi, et ces avis secrets avaient été méprisés.

Malheureusement nous pouvons nous faire une idée de ce qui se passa alors. D’abord les plus récalcitrants aux volontés du roi, ceux qui déclamaient le plus contre son caractère, sa conduite, furent les premiers à venir faire leurs soumis­sions, à protester de leur attachement au souverain. Les prê­tres, les magistrats, volent à Versailles pour se mettre à couvert d’une horrible imputation. L’archevêque ordonne des prières de quarante heures. Les états, le parlement de Bre­tagne, qui étaient en insurrection contre le roi, écrivent à M. de Saint-Florentin, aussitôt après la nouvelle de l’assas­sinat, qu’ils sont prêts à obéir à tout ce que le roi désire et lui offrent leurs biens et leur vie[20].

Si Louis XV avait su profiter de l’élan généreux d’une na­tion toujours prête à venger une lâcheté sanglante, s’il avait ressaisi le pouvoir confié à des ministres inhabiles à concilier les partis et trop faibles pour les dominer, s’il avait repris le commandement de ses armées comme le maréchal de Bichelieu l’y engageait, il aurait pu recouvrer encore l’amour de ce peuple qui l’avait surnommé le Bien-Aimé. Mais sans cou­rage pour s’affranchir du sentiment, ou plutôt de l’habitude qui le ramenait vers madame de Pompadour, il se laissa en­core diriger par elle. Le retour de la favorite, si adroitement prévu par le maréchal, fut suivi de l’exil du garde des sceaux et de celui de M. d’Argenson. La marquise ayant à se plain­dre d’eux fit envoyer l’un à son château d’Arnouville, l’autre aux Ormes.

Le bruit que l’arme dont Damiens s’était servi était empoi­sonnée fit accourir, au château de Versailles, tous ceux qui avaient le droit d’y entrer. Dans l’inquiétude générale, l’éti­quette n’était plus observée ; les grands seigneurs, les simples gentilshommes, les duchesses, les femmes non titrées, atten­daient pêle-mêle, dans la galerie, des nouvelles du roi. Comme elles étaient à chaque moment plus rassurantes, les sollicitudes cessèrent, et les conversations, qui avaient pour objet le danger du roi, se tournèrent tout à coup vers le résultat qu’aurait cet événement sur la querelle des parle­ments et du clergé.

Ces entretiens, où l’esprit de parti glissait toujours des mots amers, déplaisaient beaucoup à madame d’Egmont ; elle venait de s’approcher d’une fenêtre donnant sur le parc, et considérait l’aspect si triste des arbres couverts de givre, des pièces d’eau glacées, de toute cette nature paralysée par le froid, lorsque quelques mots, d’une voix trop connue, la firent tressaillir ; ils s’adressaient à une jeune femme, assise à quelque distance de là. Cette femme, les yeux fixés sur madame d’Egmont, semblait préoccupée, au point de ne rien entendre. Et comme elle était entourée de plusieurs per­sonnes qui l’empêchaient de l’aborder, la même voix redit :

— Mais venez donc, madame, la duchesse de Mazarin vous attend pour se rendre chez Mesdames.

Alors la jeune femme, sortant de sa rêverie, se fit jour à travers le groupe de causeurs qui était devant elle, puis elle vint prendre le bras du comte de Gisors, et tous d’eux quit­tèrent la grande galerie.

— C’est elle, pensa madame d’Egmont. Oh ! mon Dieu, qu’elle est jolie !…

Et des larmes obscurcirent ses yeux : Se croyant à l’abri des regards, seule, rencognée dans cette embrasure de fenêtre, elle laissa couler ses pleurs, ou plutôt, absorbée dans un morne désespoir, elle ne s’aperçut pas que son visage en était inondé.

Mais un homme était là qui la contemplait avec rage et bonheur. Après avoir conduit sa femme vers madame de Mazarin, M. de Gisors était revenu malgré lui à l’endroit de la galerie où il avait aperçu madame d’Egmont, entraîné par la seule idée d’y réver encore sa présence… Que devint-il en la retrouvant à cette même place, baignée des larmes qu’elle n’avait plus la force de cacher !

— Serait-il vrai ! dit-il hors de lui et d’une voix étouffée, Septimanie répondrait encore à…

— Éloignez-vous ! dit-elle dans un égarement qui le fait trembler ; éloignez-vous, ou je vais… mourir… là, devant tous ces yeux qui nous observent !

— Un mot, un seul mot ; ne croyez pas…

En ce moment, la duchesse d’Aiguillon, qui cherchait sa nièce, la rejoint, lance un regard sévère au comte Louis, qui s’éloigne dans un trouble impossible à peindre.

— Pourquoi nous laissez-vous ainsi ? dit la duchesse. La reine vient de faire prévenir qu’elle nous recevrait en sortant de chez le roi.

— Je ne sais… si je pourrai… vous y suivre, répondit madame d’Egmont en respirant à peine.

— Vous le pourrez, ma chère amie, reprit la duchesse, car votre mari, ajouta-t-elle en appuyant sur ce dernier mot, vous blâmerait justement de manquer à ce devoir.

En parlant ainsi, elle prit le bras de sa nièce, et l’entraîna vers l’appartement de la reine.


XVIII

UN FOU SE CONNAÎT EN SAGESSE


Il est curieux de remarquer, dans certaines circonstances, à quel point, dans la même personne, l’être qui agit peut se passer de l’être qui pense. L’esprit de madame d’Egmont, absorbé dans cette idée, il m’aime encore, était incapable de s’en distraire, et de guider la moindre de ses actions ; pourtant elle eut un maintien convenable pendant sa visite chez la reine, et répondit machinalement ce qu’il fallait répondre, tant la routine de l’usage du monde peut suppléer à la présence d’esprit chez une femme bien élevée. Madame d’Egmont de retour chez elle, loin de tons les importuns, ne se trouva pas plus seule avec sa pensée ; c’était le même trouble, la même joie, le même désespoir.

— Quelle démence ! pensait-elle. Quoi ! parce qu’il m’a dit quelques mots vagues… sans aucun sens… parce que j’ai entendu le seul accent de sa voix… j’oublie qu’il vient volontairement de s’unir à une autre… qu’il vient d’ajouter le plus invincible obstacle à tous ceux qui nous séparaient déjà… l’oublie que je dois le haïr… l’éviter… le maudire comme hauteur de tout ce que je souffre… Ce que je souffre !… Mais d’où vient cette joie qui fait battre mon cœur ?… D’où vient que ce cœur se ranime quand tout concourt à l’anéantir ?… Oh ! mon Dieu, serait-ce un espoir coupable !… Non, je resterai digne de lui… J’ai trop besoin de son amour, de ses regrets, pour jamais… Lui-même me rendra la force d’éteindre cette fièvre qu’un mot a fait renaître… Faut-il donc tant de choses pour me prouver que cette joie est fausse… et que je dois être éternellement malheureuse ?…

Mais cette joie, qui semblait inexplicable à madame d’Egmont, est celle qui ne trompe point, celle qui naît d’un rien, d’une inflexion, d’un de ces mouvements sympathiques, qui soumet subitement une âme à la puissance d’un autre, c’est pour ainsi dire une vérité électrique, qui porte la conviction sur ce qu’elle atteint par l’unique vertu d’une chaîne invisible : c’est la sensation d’être aimé. Trouble ineffable, sur lequel l’amour-propre se trompe quelquefois ; mais l’amour !… jamais.

C’est presque un bonheur que de souffrir à deux, quand on s’est vu condamné à pleurer seul. Les jours qui suivirent confirmèrent madame d’Egmont dans la certitude qu’elle possédait toujours le cœur du comte Louis. Il ne négligeait pas une occasion de l’en convaincre. Des gens généreusement payés l’informaient le matin de ce que ferait madame d’Egmont le soir, et il n’allait que là où il savait la rencontrer.

Comme il n’osait pas l’aborder dans le monde, et qu’elle n’aurait pas consenti à le recevoir particulièrement, c’est le retentissement de ce qu’ils éprouvaient l’un pour l’autre qui causait toutes leurs émotions. Le langage muet des impressions que le moindre événement, un livre, une comédie, une romance, font naître, s’établit si vite entre deux personnes dont les cœurs s’entendent ! À chaque minute on se surprend d’accord sur le sujet qui s’agite ; l’un donne-t-il son avis, on le croirait dicté par l’autre. C’est le même esprit, la même gaieté, la même tristesse ; enfin, c’est la même existence en deux personnes.

Ô vous qu’un pareil sort afflige, n’en murmurez pas ; vous avez le premier des bonheurs ! Quand on a tous les biens du ciel, on peut se passer de ceux de la terre.

L’âme pure de madame d’Egmont avait le sentiment de cette jouissance divine, et s’y livrait avec ravissement ; son beau front avait repris toute sa sérénité ; la fraîcheur de son teint, le feu pénétrant de ses regards, tout s’était ranimé chez elle avec la vie de son cœur.

C’était la seule différence qui existât entre elle et le comte Louis. Le plaisir de la voir souvent, de la forcer à reconnaître dans chacune de ses actions l’amour qui le dévorait, de l’en voir heureuse, avait d’abord suffi à son cœur ; mais la passion est ambitieuse ; il est dans la nature de l’homme de plus souffrir de ce qui lui manque qu’il n’est heureux de ce qu’il possède. M. de Gisors devint sombre, sa santé s’altéra, et deux projets également sinistres s’emparèrent de son esprit.

La comtesse de Gisors, douée de toutes les vertus qui l’ont fait surnommer par ses amis la Sainte, aimait peu le monde ; on l’y voyait rarement ; et sans deviner le motif qui rendait à la fois son mari si soigneux et si froid pour elle, elle reportait sur la divinité l’amour qui n’avait point d’écho dans le cœur de celui qu’elle chérissait. Cette résignation abusant M. de Gisors sur la peine qu’il causait, il s’abandonna sans remords à toute sa passion pour Septimanie.

Cette passion éprouvée par tant d’années, par tant de regrets, de chagrins, il fallait mourir, ou la voir partager dans tout son délire…

Comment s’imaginer qu’un amour né vertueux, qui s’est maintenu pur au milieu de toutes les séductions, peut devenir subitement coupable ? Une telle crainte n’agitant point madame d’Egmont, elle s’était simplement affligée du changement que chacun remarquait dans M. de Gisors ; mais le duc de Richelieu en devina bientôt la cause. Son cœur, qui avait passé par tous les amours, même les plus honnêtes, s’aperçut sans peine du degré où était parvenu celui du comte Louis. Il crut devoir en avertir sa fille.

— Je suis fâché, dit-il, de troubler la douce sécurité qui vous rend si belle, et moi si heureux ; car vos pleurs continuels me désolaient ; mais comme vous en pourriez verser de plus amers encore, je dois vous prévenir du danger qui vous menace. Avec une autre femme, je rirais moi-même de la prétention de donner un avis semblable, ou plutôt j’en reconnaîtrais d’avance l’inutilité. Il faut avoir tant d’esprit pour comprendre la valeur d’un conseil donné par celui qui n’aurait peut-être pas eu le courage de le suivre ! Je ne ferai pas ici l’hypocrite, le sermonneur : je crois qu’il est des femmes dont le bonheur se passe fort bien de considération, d’estime ; et j’avoue que la reconnaissance qui m’attache à plusieurs d’elles me rend aussi indulgent qu’elles-mêmes sur leurs faiblesses ; mais la nature et l’éducation de ces femmes frivoles ont marqué leur destinée en les affranchissant de tout scrupule, comme de toute honte ; aussi les séduit-on sans peine et sans remords. Il n’en est pas de même d’une personne telle que vous, ma chère Septimanie, vous êtes d’un sang moins mêlé que celui de tant de nobles familles. Dans la vôtre, l’honneur des femmes compte pour quelque chose ; et le souvenir que votre mère a laissé est un de ces exemples qu’on doit être fière d’imiter. Mais c’est moins encore au nom de ce modèle de perfection que je vous parle, que d’après ma coupable expérience. Vous avez placé tout le charme de votre existence dans l’amour que vous inspirez au comte de Gisors !… Ne vous troublez pas ainsi, je n’ai pas l’intention de vous embarrasser, de vous forcer à m’articuler vos pensées les plus secrètes, je les sais mieux, que vous, car l’intérêt que je vous porte est plus vif et plus éclairé que votre intérêt personnel. Ma fille est mon orgueil, ma gloire, ma vertu. Il me semble qu’en récompense de cet ouvrage si parfait, j’obtiendrai du ciel et du monde le pardon de toutes mes folies de jeunesse. C’est pourquoi je voudrais ne pas la voir tomber du piédestal où je l’ai placée. Tu me pardonnes cette ambition… dit-il avec émotion en serrant tendrement la main de sa fille… Eh bien, prouve-moi que je n’ai pas trop présumé de ton courage, autrement je regretterais de t’avoir élevée dans les sentiments qui te distinguent des autres femmes, car je t’aurais vouée à l’humiliation et au malheur.

— Que dites-vous, s’écria madame d’Egmont, suis-je donc si coupable ?… et ma conduite donnerait-elle le droit de…

— Votre conduite est irréprochable, reprit le duc, mais toute la retenue de votre cœur, de vos manières, ne suffira plus bientôt pour contenir l’amour auquel vous répondez.

— Cet amour, est-ce à vous de m’en accuser ? n’est-ce pas sous vos yeux qu’il est né ? ne l’avez-vous pas encouragé ?

— Aussi n’ai-je pas l’intention de vous en faire un crime ; d’ailleurs, je vous le répète, c’est bien moins votre gloire qui m’inquiète que votre bonheur. Je vous connais, vous ne sauriez être heureuse de celui de madame de Pompadour ; aussi ne vous ai-je pas même parlé du bruit qui s’est répandu un moment sur ce sujet à la cour ; je savais que votre fierté ne se soumettrait jamais à une condition si humiliante ; et pourtant vous seule aviez assez de noblesse dans le caractère pour recommencer la gloire du règne de madame de Châteauroux ; mais le roi était jeune alors, et accessible à toutes les idées généreuses, brillantes ; il n’avait pas été l’esclave d’une bourgeoise tracassière, dont la politique au niveau de son petit esprit ne s’élève pas au-dessus des intrigues de cour. Le roi valait alors qu’une femme lui sacrifiât son honneur ; aujourd’hui ce serait se perdre sans profit pour la France ; et puis vous avez un amour dans le cœur, un de ces entêtements dont je connais mieux qu’un autre tout le despotisme ; vous ne sauriez vous en distraire ; mais cette affection qui enchante votre vie, en dépit de tous les obstacles, peut se changer tout à coup en long désespoir. Écoutez-moi, Septimanie, ce n’est pas ici le langage d’un père qui prêche la morale dont il s’est trop souvent moqué ; ce sont les conseils d’un ami éclairé par ses torts, qui sait par une longue expérience ce qu’on recueille de ses faiblesses. Eh bien, chez nous autres hommes, il n’est pas un amour sur cent… et peut-être sur mille, qui survive à un triomphe complet. Cela n’est pas seulement le lieu commun des âmes vulgaires, c’est le sort inévitable des imaginations passionnées ; quand l’objet de notre adoration cède à nos désirs, c’est la divinité qui se fait femme ; le culte est anéanti.

Dans le mariage, tant de liens, tant d’intérêts unissent encore après l’extinction de l’amour, qu’on s’aperçoit à peine de son refroidissement ; mais dans une liaison dont la passion seule est l’excuse, représentez-vous le supplice d’une femme qui voit diminuer sa puissance à chaque sacrifice qui devrait l’augmenter !…

— Ah ! s’écria madame d’Egmont, plutôt la mort que cette honte…

— Eh bien, c’est ce honteux supplice que je veux t’épargner ; en vain penserais-tu que tant de charmes réunis pourraient t’en garantir ; non, te dis-je, plus l’idole est parée plus sa chute la dégrade ; plus celui qui t’aime est digne de ton amour, plus il te punirait de détruire son prestige ; et pourtant de bonne foi dans sa confiance en lui même, il tuerait quiconque oserait douter de son courage à braver le bonheur. Il faut donc le fuir, ma chère enfant ; ce vieux moyen est toujours le plus sûr. Un nouveau commandement va m’être confié, c’est encore un secret, je ferai une longue absence, le service de M. d’Egmont l’obligera à me suivre, tu ne peux rester à Paris sans danger. Promets-moi de passer à Richelieu tout le temps que durera la campagne ; j’ai fait nouvellement arranger le château ; tu y trouveras tout ce qui peut en rendre l’habitation charmante ; rien n’empêche que nos amis ne t’y suivent… je désirerais même…

— Ah ! ne l’exigez pas, mon père ; oui… je vous obéirai, je partirai dès demain, s’il le faut, pour Richelieu ; mais permettez que j’y vive dans la retraite.

— Mauvais moyen d’oublier ce qu’on fuit.

— L’oublier, lui, jamais, jo e promettrais en vain.

— N’importe, il suffit de ne le plus voir, de ne plus alimenter sa fièvre par l’espérance d’une contagion dangereuse ; si la retraite exalte les sentiments, elle sert aussi la réflexion ; et vous méditerez là sur les tristes vérités que je vous dé voile ; vous penserez que votre intérêt seul fait toute ma sévérité ; mais je ne me pardonnerais pas de vous laisser ignorer qu’en France, où le climat modéré laisse à la raison toute sa puissance, on aime assez les femmes qui cèdent, mais qu’on n’adore que celles qui résistent.

Il entrait dans les plans du maréchal de Richelieu que sa fille restât encore quelques semaines à Paris, pour faire les honneurs de plusieurs dîners qu’il devait donner au nouveau ministre de la guerre, le marquis de Paulmy, et aux maréchaux de France que le roi venait de nommer ; ils étaient au nombre de huit. Jamais tant de bâtons fleurdelisés ne s’étaient donnés en un jour ; c’étaient les marquis de Senneterre et de Maubourg ; les comtes de Lautrec, de Thomont et d’Estrées ; les ducs de Luxembourg, de Biron et de Mirepoix. M. de Richelieu était au fond très-indigné de voir ainsi prodiguer la plus grande des récompenses militaires, et monter tant de lieutenants généraux d’un seul coup au même rang que lui ; mais cette promotion devait déplaire infini­ ment au maréchal de Belle-Isle, et l’on n’est jamais très-con­ trarié du désagrément qu’un ennemi partage.

Madame d’Egmont, éclairée sur le danger où allait l’entrainer sa faiblesse, forma la résolution de ne pas sortir de chei, elle ou de chez son père avant son départ pour Richelieu, et cela afin de ne plus rencontrer le comte de Gisors ; le courage dont elle eut besoin pour tenir cette résolution lui apprit à quel point elle était nécessaire.


XIX

UNE CONVERSATION

On était au 28 mars 1757. Le maréchal de Richelieu, de ser­vice auprès du roi, avait chargé madame d’Egmont de faire les honneurs de ce qu’il appelait son dîner académique, car il n’avait pas moins de coquetterie pour les beaux esprits que pour les jolies femmes, et il se plaisait à les rassembler souvent. MM. d’Alembert et de Condorcet, l’abbé de Bemis, Marmontel, d’Argental et Gentil Bernard y causaient avec plusieurs des personnes de la cour qui faisaient profession d’aimer l’esprit, et qui attachaient beaucoup de prix à être invitées à ces réunions, dont le premier mérite était de n’être nullement pédantes ; la gaieté en faisait d’ordinaire tous les frais ; mais ce jour-là, soit que la disposition de la comtesse d’Egmont influât sur les convives, soit que les événements prêtassent peu à la plaisanterie, le duc de Richelieu se plaignit, en arrivant le soir, du sérieux de tous les visages.

LE COMTE DM B***.

On serait sérieux à, moins, je vous jure, monsieur le maré­chal ; et, si vous aviez assisté au petit spectacle qu’on m’a forcé de subir ce matin, vous ne ririez pas d’un mois.

LE MARÉCHAL.

Quoi ! auriez-vous été voir le supplice de Damiens ?

LE COMTE DE B***.

Précisément

MADAME D’EGMONT, indignée.

Quel horrible courage !

LE MARÉCHAL.

Le garde des sceaux, qui est venu en rendre compte à la cour, n’a pu se faire écouter ; dès les premiers mots, le roi a pâli et l’a prié de ne pas continuer ce récit effroyable.

LE COMTE DE B***.

Eh bien, le croiriez-vous, c’est pour satisfaire à la curiosité de deux femmes charmantes que je me suis condamné à cette atroce vue ; je crois que j’en perdrai à jamais le sommeil.

LA DUCHESSE DE LAURAGUAIS.

Dites-nous, je vous prie, le nom de ces femmes-là ; car vous ne pouvez laisser planer sur d’autres le soupçon d’une curiosité si féroce.

LE COMTE DE B***.

Je ne saurais les dénoncer ; mais il est possible qu’elles-mêmes n’en fassent pas mystère…

D’ALEMBERT.

N’en doutez pas ; elles ne se sont résignées à cet affreux spectacle que pour en faire leur cour.

LA DUCHESSE DE LAURAGUAIS.

Mais comment, vous, qui ne pouvez supporter le cinquième acte d’une tragédie, avez-vous consenti à voir celle-là ?

LE COMTE DE B***.

On ne m’a pas demandé mon avis, vraiment. J’ai reçu hier soir un petit billet qui m’engageait à déjeuner, à midi, dans une maison où je vais souvent et avec plaisir. Nous avons besoin de vous, m’a-t-on dit ensuite, pour nous accompagner dans une visite. Je suis monté en voiture sans demander où l’on me conduisait ; on s’est arrêté dans une petite rue, à une petite porte fort sale ; nous avons monté un vilain escalier, et nous nous sommes trouvés dans une chambre éclairée par deux fenêtres dont les jalousies baissées laissaient faiblement pénétrer le jour ; le bruit d’une foule de voix qui bourdon naient sous ces fenêtres m’en fit approcher ; je reconnus qu’elles donnaient sur la place de Grève, et l’échafaud dressé ne me laissa plus aucun doute sur le spectacle qui m’atten dait. Je me récriai ; on me plaisanta sur ma sensibilité pour Damiens. La fausse honte de paraître avoir moins de courage que ces femmes, l’impossibilité de les abandonner dans un semblable lieu, m’a déterminé à prendre mon parti sur cette situation désagréable. Au bout du compte, c’est de l’histoiret me dis-je[21].

LE MARQUIS DE CONDORCET.

À part l’horreur, je voudrais bien savoir quelle impression un tel supplice produit sur la foule.

LE COMTE DE B***.

Le plus vif intérêt pour le condamné ; je vous assure qu’on oublie bien vite son crime en voyant sa fermeté à souffrir les brûlures qu’on lui fait, l’huile bouillante, le plomb fondu qu’on jette sur ses plaies, et les quatre chevaux qui, pendant trois quarts d’heures, font de vains efforts pourl’écarteler, et la vie du patient résistant à tant de douleurs atroces, et les bourreaux obligés de le dépecer eux-mêmes pour que cet infernal supplice finit avant le jour ! Qui n’aurait pitié de la victime !

D’ALEMBERT.

Il est certain que c’est un coup de canif bien payé, et que la vue de ces horreurs n’est propre qu’à donner au peuple l’exemple d’une férocité dont il pourra se souvenir un jour.

LE PRÉSIDENT HAINAULT.

Ma foi, pour mon compte et celui de bien des honnêtes gens, je ne suis pas fâché qu’on ait grillé la langue de cet abominable scélérat, car il s’en servait à plaisir pour faire planer des soupçons de complicité sur tous les partis alterna­ tivement, et personne n’était à l’abri d’une très-mauvaise plaisanterie de sa part.

LE COMTE DE B***.

Cela est si vrai qu’après avoir dit à haute voix : « Ce coquin d’archevêque, » il a répondu ce matin, même pendant son supplice, à un greffier qui lui demandait s’il n’avait pas de révélations à faire : « Hon, je n’ai rien à dire, si ce n’est que je ne serais pas ici si je n’avais pas servi des conseillers au parlement. »

LA DUCHESSE D’AIGUILLON.

Vous conviendrez qu’il faut avoir le diable au corps pour faire ainsi des niches sur l’échafaud. Mais ne pourriez-vous, messieurs, changer de conversation ? Celle-là crispe les nerfs, et madame d’Egmont en est toute pâle.

LA COMTESSE D’EGMONT, sortant de sa rêverie, et n’ayant rien écouté de tout ce qui s’était dit.

Vous me parliez, je crois ?

LA DUCHESSE D’AIGUILLON.

Non, mais je pensais vous servir autant que nous en de­ mandant qu’on parlât d’autre, chose que de ce batard de Ra­vaillac, ainsi que l’appelle Voltaire.

M. DE CONDORCET, en voyant rougir d’Alembert, que le mot de bâtard embarrassait toujours.

Ce bâtard a plus frappé l’héritier légitime que le roi luimême. Vous verrez ce qui naîtra de l’intérêt témoigné à mon­ sieur le Dauphin dans cetté circonstance. Au reste, on ne saurait traiter avec dédain un scélérat qui brave la mort et les supplices pour se venger, et qui des rangs les plus bas de la société atteint les plus hautes puissances, et sème la haine, le désordre parmi tous les rangs. Tant de pouvoir échappe au mépris, à l’ironie ; l’horreur est le respect dû au crime.

LE MARÉCHAL.

Vous avez cent fois raison, mon cher philosophe ; mais vous n’empécherez jamais qu’on ne plaisante de tout en France, même des attentats les plus horribles ; cela s’appelle l’esprit français.

LA DUCHESSE DE LAURAGUAIS.

À propos d’esprit français, à qui donnez-vous le fauteuil académique du vieux Fontenelle ? Ce n’est pas, je présume, à un poète ? Obliger un rimeur à faire l’éloge d’un ennemi de le rime, ce serait curieux pourtant.

M. D’ARGENTAL.

M. de Sainte-Palaye-est celuiqni a, dit-on, le plus de droits à cette succession.

LA DUCHESSE DE LAURAGUAIS.

Alors, il ne l’aura pas.

LE MARQUIS DE CONDORCET.

On affirme que M. Séguier a déjà un grand nombre de voix.

LE MARÉCHAL.

Cela doit être, si la jolie mademoiselle Deschamps fait in­ triguer pour lui tous ceux avec qui elle le trompe.

LE COMTE DE B***.

Il faut que cette fille-là ait bien de l’attrait, car elle lui a déjà attiré une aventure très-désagréable.

LA DUCHESSE D’AIGUILLON.

Dites-nous-la. C’est toujours amusant les frasques d’un avocat général.

LE COMTE.

Vous savez que celui-ci, généreux de plus d’une manière avec les demoiselles de l’Opéra et autres, est à moitié ruiné. L’obligation d’être économe amène toujours des désagréments avec ces dames. M. Séguier avait fait louer secrètement un appartement chez un M. Roger, procureur au Châtelet, et y avait installé sa Vénus ; mais la procureuse ayant appris qu’elle avait chez elle la fille d’un acteur de l’Opéra-Comique, donne congé à mademoiselle Deschamps, et veut la faire sortir de sa maison par autorité supérieure. Grand bruit de la part de la courtisane, qui imagine, pour se venger, un moyen peu noble, mais d’un grand effet : elle fait jeter un panier d’or­ dures dans l’antichambre de madame Roger, qui, de son côté, court sur son palier invectiver sa locataire. M. Séguier a le tort de descendre pour prendre le parti de sa maltresse ; la procureuse Rinsulte et la souflète. Le procureur arrive aux ens de sa femme : ils se battent. Le guet à cheval survient ; on les sépare. M. Séguier se retire. On va chercher des com­ missaires ; mais ceux-ci, en apprenant qu’il s’agit d’un avo­ cat général, refusent de verbaliser. Le procureur Roger va chez le lieutenant de police, qui fécond que cela ne le regarde pas ; le lieutenant civil lui en dit autant. Enfin, il va au premier président ; celui-là l’écoute, il est vrai, mais il s’osbtine à ne pas croire la chose, et l’affaire en reste là[22].

LE MARÉCHAL.

Cela ne m’étonne pas. Ce petit libertin d’avocat général est parent du président M… ; ce sont des convenances de famille.

D’ALEMBERT Et ils croient de bonne foi que ces convenances-là seront longtemps respectées !…

LA DUCHESSE DE LAURAGUAIS.

Eh bien, voilà des droits au fauteuil ; il sera chargé de l’éloge de Fontenelle.

L’ABBÉ DE BERNIS.

Je ne lui envie pas cet honneur.

LA DUCHESSE DE LAURAGUAIS.

Vous trouvez son éloge difficile ?

L’ABBÉ DE BERNIS.

Non pas à faire, madame, mais à penser. On raconte de lui des traits d’égoïsme…

LE MARÉCHAL.

Quoi ! l’histoire des asperges ?… rien n’est moins avéré ; demandez plutôt à M. de Condorcet, qui recueille en ce moment les principaux faits de la vie de Fontenelle, s’il était aussi in sensible qu’on le prétend. On appuie ce jugement sur ce qu’il « vécu un siècle ; eh bien, moi, j’espère vivre longtemps. L’ami Voltaire, tout malade qu’il est, atteindra ses quatre-vingts ans, j’en suis sûr ; et on ne nous reprochera, ni à lui, ni à moi, de n’avoir rien senti. Mais quel est l’homme dont le cœur n’a pas sommeillé quelques jours pendant le cours d’une longue vie ? qui n’a pas eu de ces distractions d’âme qui se raient cruelles si elles n’étaient un accident involontaire, une léthargie dont les cœurs actifs et passionnés doivent être plu tôt atteints que ceux dont la sensibilité également répartie ne dépense jamais un jour plus que l’autre ? Il y a des moments de gêne que les hommes généreux seuls connaissent ; d’ailleurs, celui qui a pu vivre cent ans parmi les hommes sauf, les blesser et sans s’ennuyer, sera toujours un grand philosophe. Je lui demandais un jour par quel art il s’était fait tant d’amis et pas un ennemi ? — Par deux axiomes, m’a-t-il répondu : tout est possible et tout le monde a raison.

L’ABBÉ DE BERNIS.

J’en demande pardon à monsieur le maréchal, mais ce propos est bien celui du plus grand courtisan de l’espèce humaine : Se résigner à n’avoir point d’avis ou à le sacrifier d’avance à tout le monde !…

M. DE CONDORCET.

C’était de sa part nonchalance et non servilité ; il attachait peu d’importance à la plupart des choses, même au bien qu’il faisait ; on l’a vu s’excuser près d’un ami de ne l’avoir pas recommandé ainsi qu’il le lui avait promis, et cet ami répondre : « Mais vous l’avez fait, et, grâce à vous, j’ai obtenu ce que je voulais. — Eh bien, tant mieux, a dit Fontenelle, je n’ai point oublié votre affaire, mais j’ai oublié que je l’eusse faite.

M. D’ARGENTAL.

On l’accuse d’avoir établi en principe que pour être heu reux, il faut avoir un bon estomac et un mauvais cœur.

D’ALEMBERT.

Cela ne prouve pas qu’il ait eu l’un et l’autre. Les diatribes contre la sensibilité sont un lieu commun dont l’esprit de Fontenelle se servait pour flatter le vulgaire ; et puis on ne médit si bien que de ce qu’on connaît. Page:Nichault - La Comtesse d Egmont.pdf/109 Page:Nichault - La Comtesse d Egmont.pdf/110 Page:Nichault - La Comtesse d Egmont.pdf/111 Page:Nichault - La Comtesse d Egmont.pdf/112 Page:Nichault - La Comtesse d Egmont.pdf/113 Page:Nichault - La Comtesse d Egmont.pdf/114 Page:Nichault - La Comtesse d Egmont.pdf/115 Page:Nichault - La Comtesse d Egmont.pdf/116 Page:Nichault - La Comtesse d Egmont.pdf/117 Page:Nichault - La Comtesse d Egmont.pdf/118 Page:Nichault - La Comtesse d Egmont.pdf/119 Page:Nichault - La Comtesse d Egmont.pdf/120 Page:Nichault - La Comtesse d Egmont.pdf/121 Page:Nichault - La Comtesse d Egmont.pdf/122 Page:Nichault - La Comtesse d Egmont.pdf/123 Page:Nichault - La Comtesse d Egmont.pdf/124 Page:Nichault - La Comtesse d Egmont.pdf/125 Page:Nichault - La Comtesse d Egmont.pdf/126 Page:Nichault - La Comtesse d Egmont.pdf/127 Page:Nichault - La Comtesse d Egmont.pdf/128 Page:Nichault - La Comtesse d Egmont.pdf/129 Page:Nichault - La Comtesse d Egmont.pdf/130 Page:Nichault - La Comtesse d Egmont.pdf/131 Page:Nichault - La Comtesse d Egmont.pdf/132 Page:Nichault - La Comtesse d Egmont.pdf/133 Page:Nichault - La Comtesse d Egmont.pdf/134 Page:Nichault - La Comtesse d Egmont.pdf/135 Page:Nichault - La Comtesse d Egmont.pdf/136 Page:Nichault - La Comtesse d Egmont.pdf/137 Page:Nichault - La Comtesse d Egmont.pdf/138 Page:Nichault - La Comtesse d Egmont.pdf/139 Page:Nichault - La Comtesse d Egmont.pdf/140 Page:Nichault - La Comtesse d Egmont.pdf/141 Page:Nichault - La Comtesse d Egmont.pdf/142 Page:Nichault - La Comtesse d Egmont.pdf/143 Page:Nichault - La Comtesse d Egmont.pdf/144 Page:Nichault - La Comtesse d Egmont.pdf/145 Page:Nichault - La Comtesse d Egmont.pdf/146 Page:Nichault - La Comtesse d Egmont.pdf/147 Page:Nichault - La Comtesse d Egmont.pdf/148 Page:Nichault - La Comtesse d Egmont.pdf/149 Page:Nichault - La Comtesse d Egmont.pdf/150 Page:Nichault - La Comtesse d Egmont.pdf/151 Page:Nichault - La Comtesse d Egmont.pdf/152 Page:Nichault - La Comtesse d Egmont.pdf/153 Page:Nichault - La Comtesse d Egmont.pdf/154 Page:Nichault - La Comtesse d Egmont.pdf/155 Page:Nichault - La Comtesse d Egmont.pdf/156 Page:Nichault - La Comtesse d Egmont.pdf/157 Page:Nichault - La Comtesse d Egmont.pdf/158 Page:Nichault - La Comtesse d Egmont.pdf/159 Page:Nichault - La Comtesse d Egmont.pdf/160 Page:Nichault - La Comtesse d Egmont.pdf/161 Page:Nichault - La Comtesse d Egmont.pdf/162 Page:Nichault - La Comtesse d Egmont.pdf/163 Page:Nichault - La Comtesse d Egmont.pdf/164 Page:Nichault - La Comtesse d Egmont.pdf/165 Page:Nichault - La Comtesse d Egmont.pdf/166 Page:Nichault - La Comtesse d Egmont.pdf/167 Page:Nichault - La Comtesse d Egmont.pdf/168 Page:Nichault - La Comtesse d Egmont.pdf/169 Page:Nichault - La Comtesse d Egmont.pdf/170 Page:Nichault - La Comtesse d Egmont.pdf/171 Page:Nichault - La Comtesse d Egmont.pdf/172 Page:Nichault - La Comtesse d Egmont.pdf/173 Page:Nichault - La Comtesse d Egmont.pdf/174 Page:Nichault - La Comtesse d Egmont.pdf/175 nesques. Les moins coupables sont encore dangereuses, et leur plus grand inconvénient est de donner aux démarches les plus innocentes toutes les apparences de l’intrigue.

Son désir de retourner près de Séverin, de l’encourager par sa présence à se laisser soigner, de le consoler enfin par cette marque d’intérêt, elle n’osait le satisfaire. La crainte d’être rencontrée, suivie, l’arrêtait. Elle se décida à envoyer Philibert chercher le lendemain des nouvelles du blessé ; puis profitant de la solitude dont elle ne pouvait jouir que la nuit, Septi­manie prit le manuscrit qu’elle avait soigneusement caché au retour de sa visite matinale.

Les cœurs compatissants et généreux devineront seuls ce que le sien éprouva pendant cette lecture,


XXXIV

SOUVENIRS DU CHEVALIER DB GUYS

Le Château.

« À chaque bout d’une longue grille à fleurons dorés se trouvait un pavillon bâti en briques ; l’un de ces pavil­lons, orné d’un fronton, recouvert de lourdes armoiries en re­lief, était consacré au régisseur de la terre ; l’autre au con­ cierge et à sa famille ; c’est dans ce dernier que je recevais les soins, les caresses d’une excellente femme, qui me sem­blait la plus belle de toutes celles du village et que j’appelais ma nourrice. C’était, je crois, en Normandie, du moins l’accent normand que j’ai entendu depuis m’a toujours rappelé celui des gens qui m’entouraient dans mon enfance.

» Dans le souvenir confus qui me reste de ces premières années de ma vie, je vois encore la grande allée de marron­niers qui s’alignait avec la façade du château, et la longue terrasse bordée de caisses d’orangers sur laquelle j’allais jouer le soir avec les enfants du jardinier.

» Un jour que je me disputais ave ceux pour une orange verte que l’aîné venait de ramasser, je reçus un si violent coup de lui que je tombai par terre en pousesant des cris effroyables ; au même instant un homme que je ne voyais pas lève sa canne sur l’enfant qui venait de me battre, les autres prennent la fuite ; le monsieur me relève, puis demande aux gens qui le suivaient si je suis le petit Séverin ; on lui répond : Oui, monseigneur. Alors il me prend dans ses bras, essuie mes larmes avec son mouchoir et marche vers le perron du château dont les portes s’ouvrient pour le recevoir.

» Nous traversons d’immenses salons ornés de tapisseries dont les personnages de grandeur naturelle me font une peur extrême ; je me retourne précipitamment pour ne pas les voir, je cache ma tête entre le cou et l’épaule du monsieur, dans ce brusque mouvement mon bras s’accroche à quelque pointe aiguë qui le déchire ; c’était le rayon d’une plaque en diamants ; mon sang coule et mes cris recommencent, on me calme à force de caresses, de bonbons ; le monsieur auquel tout le monde obéit me prend sur ses genoux, lave ma plaie lui-même, ordonne qu’on fasse venir ma nourrice ; et quand elle arrive,elle me trouve tout consolé de mes petits accidents par le plaisir que je trouve à admirer cette plaque brillante qui m’a fait tant de mal, et à jouer avec une belle montre que le monsieur fait sonner pour medivertir.

» Tout le monde sort, il reste seul avec ma nourrice, et lui parle longtemps tout bas. Un grand domestique ouvre les deux battants d’une porte, je vois une table couverte d’une argenterie brillante, éclairée par des candélabres de ver­meil, je cours vers la table en faisant des exclamations de joie, ma nourrice s’élance après moi pour me retenir, mais je suis déjà grimpé sur les barreaux dorés d’une des chaises qui entourent la table, et le monsieur, qui rit de mon audace, défend à ma nourrice de me prendre et dit :

» — S’il peut y monter tout seul, ma foi, il y restera.

» J’escalade sans beaucoup d’efforts la chaise, et me voilà attablé comme un convive raisonnable.

» — Ce petit gaillard-là ne manquera pas de courage, dit Page:Nichault - La Comtesse d Egmont.pdf/178 Page:Nichault - La Comtesse d Egmont.pdf/179 Page:Nichault - La Comtesse d Egmont.pdf/180 Page:Nichault - La Comtesse d Egmont.pdf/181 Page:Nichault - La Comtesse d Egmont.pdf/182 fait sonner ; je m’en empare avec joie. Madame Grainvel veut me l’arracher, ma joie se change en rage. Le monsieur dit :

» — Eh bien, qu’il la garde.

» Et l’on m’emporte avec mon trésor, le seul bien que je possède, la relique sacrée dont la misère elle-même n’a pu me séparer, la montre que je crois être celle de mon père.


III

La Première Éducation


» Le lendemain de cette double visite, j’étais de nouveau seul avec madame Grainvel et le frère bénédictin, leur demandant à chaque minute quand reviendraient le beau monsieur et la jolie dame, à quoi ils répondaient :

» — Nous n’en savons rien.

» Ils eurent bien de la peine à me faire comprendre que j’étais encore trop enfant pour avoir une si belle montre, qu’il fallait la confier à madame Grainvel jusqu’au moment où je pourrais m’en servir. J’y consentis enfin, mais à condition qu’on me la montrerait un peu chaque jour.

» Le reste de cette année n’eut d’événement remarquable pour moi que l’arrivée d’une grande caisse venant d’Allemagne, et remplie de joujoux. Le timbre de Nuremberg était sur le couvercle de la caisse. Combien ce timbre m’a fait rêver depuis !

» Dès que je sus lire et passablement écrire, il arriva au château un homme de trente ans à peu près, chargé de m’apprendre le latin, l’allemand, et enfin de remplir auprès de moi tous les devoirs d’un précepteur. Il avait l’air fort doux, presque humble, et nous fûmes bientôt amis. Il me parlait toujours à la troisième personne.

» — Si monsieur le chevalier était moins distrait, il ferait des progrès rapides ; si monsieur le chevalier prend bien sa leçon, nous irons faire ce soir une belle promenade dans le parc des moines, etc. Page:Nichault - La Comtesse d Egmont.pdf/184 Page:Nichault - La Comtesse d Egmont.pdf/185 Page:Nichault - La Comtesse d Egmont.pdf/186 Page:Nichault - La Comtesse d Egmont.pdf/187 Page:Nichault - La Comtesse d Egmont.pdf/188 Page:Nichault - La Comtesse d Egmont.pdf/189 Page:Nichault - La Comtesse d Egmont.pdf/190 Page:Nichault - La Comtesse d Egmont.pdf/191 Page:Nichault - La Comtesse d Egmont.pdf/192 Page:Nichault - La Comtesse d Egmont.pdf/193 Page:Nichault - La Comtesse d Egmont.pdf/194 Page:Nichault - La Comtesse d Egmont.pdf/195 Page:Nichault - La Comtesse d Egmont.pdf/196 Page:Nichault - La Comtesse d Egmont.pdf/197 Page:Nichault - La Comtesse d Egmont.pdf/198 Page:Nichault - La Comtesse d Egmont.pdf/199 Page:Nichault - La Comtesse d Egmont.pdf/200 Page:Nichault - La Comtesse d Egmont.pdf/201 Page:Nichault - La Comtesse d Egmont.pdf/202 Page:Nichault - La Comtesse d Egmont.pdf/203 Page:Nichault - La Comtesse d Egmont.pdf/204 Page:Nichault - La Comtesse d Egmont.pdf/205 Page:Nichault - La Comtesse d Egmont.pdf/206 Page:Nichault - La Comtesse d Egmont.pdf/207 Page:Nichault - La Comtesse d Egmont.pdf/208 Page:Nichault - La Comtesse d Egmont.pdf/209 Page:Nichault - La Comtesse d Egmont.pdf/210 Page:Nichault - La Comtesse d Egmont.pdf/211 Page:Nichault - La Comtesse d Egmont.pdf/212 Page:Nichault - La Comtesse d Egmont.pdf/213 Page:Nichault - La Comtesse d Egmont.pdf/214 Page:Nichault - La Comtesse d Egmont.pdf/215 Page:Nichault - La Comtesse d Egmont.pdf/216 Page:Nichault - La Comtesse d Egmont.pdf/217 Page:Nichault - La Comtesse d Egmont.pdf/218 Page:Nichault - La Comtesse d Egmont.pdf/219 Page:Nichault - La Comtesse d Egmont.pdf/220 Page:Nichault - La Comtesse d Egmont.pdf/221 Page:Nichault - La Comtesse d Egmont.pdf/222 Page:Nichault - La Comtesse d Egmont.pdf/223 Page:Nichault - La Comtesse d Egmont.pdf/224 Page:Nichault - La Comtesse d Egmont.pdf/225 Page:Nichault - La Comtesse d Egmont.pdf/226 Page:Nichault - La Comtesse d Egmont.pdf/227 Page:Nichault - La Comtesse d Egmont.pdf/228 Page:Nichault - La Comtesse d Egmont.pdf/229 Page:Nichault - La Comtesse d Egmont.pdf/230 Page:Nichault - La Comtesse d Egmont.pdf/231 Page:Nichault - La Comtesse d Egmont.pdf/232 Page:Nichault - La Comtesse d Egmont.pdf/233 Page:Nichault - La Comtesse d Egmont.pdf/234 Page:Nichault - La Comtesse d Egmont.pdf/235 Page:Nichault - La Comtesse d Egmont.pdf/236 Page:Nichault - La Comtesse d Egmont.pdf/237 Page:Nichault - La Comtesse d Egmont.pdf/238 Page:Nichault - La Comtesse d Egmont.pdf/239 Page:Nichault - La Comtesse d Egmont.pdf/240 Page:Nichault - La Comtesse d Egmont.pdf/241 Page:Nichault - La Comtesse d Egmont.pdf/242 Page:Nichault - La Comtesse d Egmont.pdf/243 Page:Nichault - La Comtesse d Egmont.pdf/244 Page:Nichault - La Comtesse d Egmont.pdf/245 Page:Nichault - La Comtesse d Egmont.pdf/246 Page:Nichault - La Comtesse d Egmont.pdf/247 Page:Nichault - La Comtesse d Egmont.pdf/248 Page:Nichault - La Comtesse d Egmont.pdf/249 Page:Nichault - La Comtesse d Egmont.pdf/250 Page:Nichault - La Comtesse d Egmont.pdf/251 Page:Nichault - La Comtesse d Egmont.pdf/252

XX

Un ange.

» Oh ! mon Dieu ! pardonne ! je voulais mourir… et tu en voies un ange à mon secours !… Cette figure divine, cette madone, le premier amour de mon âme, je l’ai vue, elle m’est vpparue comme un être céleste… au milieu du temple encore parfumé de l’encens qu’on venait de brûler sur les autels… J’ai reconnu son regard, son divin sourire… j’ai entendu sa voix… elle a parlé de pitié… de consolation. J’ai senti mon cœur battre à ses accens… ils venaientdu ciel… oh ! oui, le ciel seul peut inpirer de si douces paroles… C’est lui qui livre cet ange à mon adoration pour me rattacher à la vie… c’est lui qui m’ordonne de lui obéir comme à ma Providen ce… Ah ! béni soit le jour qui a changé le sort du fils aban donné !… Non, il n’a point encore assez souffert pour méri ter la protection de Sophie… pour obtenir le droit, de l’adorer !… de l’adorer seulement, et toujours !…


XXXV

LA BONNE ACTION


— Ah ! bénie soit la providence qui m’a choisie pour réparer tant de malheurs et d’injustice ! s’écria madame d’Egmont.

Et des larmes abondantes tombèrent sur la dernière page dta manuscrit qu’elle venait d’achever.

— Oui, je le sens à l’exaltation : qui s’empare de mon cœur, c’est le ciel lui-même… qui m’ordonne d’aimer, de secourir cette victime de l’orgueil… c’est Louis, qui, du fond de sa tombe, me crie de protéger son frère !… Ah ! que ne puis-je faire honte à ce père dénaturé… à ce monstre de vanité qui vit dans la puissance, dans les grandeurs, sans que le sou venir du fils qu’il délaisse trouble un instant sa sécurité d’éPage:Nichault - La Comtesse d Egmont.pdf/254 Page:Nichault - La Comtesse d Egmont.pdf/255 Page:Nichault - La Comtesse d Egmont.pdf/256 Page:Nichault - La Comtesse d Egmont.pdf/257 Page:Nichault - La Comtesse d Egmont.pdf/258 Page:Nichault - La Comtesse d Egmont.pdf/259 Page:Nichault - La Comtesse d Egmont.pdf/260 Page:Nichault - La Comtesse d Egmont.pdf/261 Page:Nichault - La Comtesse d Egmont.pdf/262 Page:Nichault - La Comtesse d Egmont.pdf/263 Page:Nichault - La Comtesse d Egmont.pdf/264 Page:Nichault - La Comtesse d Egmont.pdf/265 Page:Nichault - La Comtesse d Egmont.pdf/266 Page:Nichault - La Comtesse d Egmont.pdf/267 Page:Nichault - La Comtesse d Egmont.pdf/268 Page:Nichault - La Comtesse d Egmont.pdf/269 Page:Nichault - La Comtesse d Egmont.pdf/270 Page:Nichault - La Comtesse d Egmont.pdf/271 Page:Nichault - La Comtesse d Egmont.pdf/272 Page:Nichault - La Comtesse d Egmont.pdf/273 Page:Nichault - La Comtesse d Egmont.pdf/274 Page:Nichault - La Comtesse d Egmont.pdf/275 Page:Nichault - La Comtesse d Egmont.pdf/276 Page:Nichault - La Comtesse d Egmont.pdf/277 Page:Nichault - La Comtesse d Egmont.pdf/278 Page:Nichault - La Comtesse d Egmont.pdf/279 Page:Nichault - La Comtesse d Egmont.pdf/280 Page:Nichault - La Comtesse d Egmont.pdf/281 Page:Nichault - La Comtesse d Egmont.pdf/282 Page:Nichault - La Comtesse d Egmont.pdf/283 Page:Nichault - La Comtesse d Egmont.pdf/284 Page:Nichault - La Comtesse d Egmont.pdf/285 Page:Nichault - La Comtesse d Egmont.pdf/286 Page:Nichault - La Comtesse d Egmont.pdf/287 Page:Nichault - La Comtesse d Egmont.pdf/288 Page:Nichault - La Comtesse d Egmont.pdf/289 Page:Nichault - La Comtesse d Egmont.pdf/290 Page:Nichault - La Comtesse d Egmont.pdf/291 Page:Nichault - La Comtesse d Egmont.pdf/292 Page:Nichault - La Comtesse d Egmont.pdf/293 Page:Nichault - La Comtesse d Egmont.pdf/294 Page:Nichault - La Comtesse d Egmont.pdf/295 Page:Nichault - La Comtesse d Egmont.pdf/296 Page:Nichault - La Comtesse d Egmont.pdf/297 Page:Nichault - La Comtesse d Egmont.pdf/298 Page:Nichault - La Comtesse d Egmont.pdf/299 Page:Nichault - La Comtesse d Egmont.pdf/300 Page:Nichault - La Comtesse d Egmont.pdf/301 Page:Nichault - La Comtesse d Egmont.pdf/302 Page:Nichault - La Comtesse d Egmont.pdf/303 Page:Nichault - La Comtesse d Egmont.pdf/304 Page:Nichault - La Comtesse d Egmont.pdf/305 Page:Nichault - La Comtesse d Egmont.pdf/306 Page:Nichault - La Comtesse d Egmont.pdf/307 Page:Nichault - La Comtesse d Egmont.pdf/308 Page:Nichault - La Comtesse d Egmont.pdf/309 Page:Nichault - La Comtesse d Egmont.pdf/310 Page:Nichault - La Comtesse d Egmont.pdf/311 Page:Nichault - La Comtesse d Egmont.pdf/312 Page:Nichault - La Comtesse d Egmont.pdf/313 Page:Nichault - La Comtesse d Egmont.pdf/314 Page:Nichault - La Comtesse d Egmont.pdf/315


TABLE




Pages
II — 
 7
III — 
 12
V — 
 25
VI — 
La maladie 
 27
VII — 
La parole donnée 
 33
VIII — 
Tout pour l’orgueil 
 37
IX — 
Désespoir ; résignation 
 43
X — 
Le mariage 
 48
XI — 
L’inoculation 
 50
XII — 
L’épître 
 55
XIII — 
La prise de Mahon 
 62
XIV — 
Le jeu chez la reine 
 69
XV — 
La diplomatie d’un père 
 75
XVI — 
Gentil Bernard 
 77
XVII — 
L’assassinat 
 83
XVIII — 
Un fou se connaît en sagesse 
 88
XIX — 
Une conversation 
 94
XX — 
Le petit paysan 
 108
XXI — 
Une surprise 
 112
XXII — 
Le souper nocturne 
 116
XXIII. — 
Le combat de Crevelt 
 120
XXVI. — 
Médisance et bonté 
 123
XXV. — 
Le legs 
 125
XXVI. — 
Le service funèbre 
 130
XXVII. — 
Saint-Étienne-du-Mont 
 134
XXVIII. — 
M. Severin de Guys 
 137
XXIX. — 
Les convulsionnaires — La comédie — Mademoiselle Deschamps 
 141
XXX. — 
Une proposition 
 148
XXXI. — 
La correspondance 
 151
XXXII. — 
La blessure 
 156
XXXII. — 
L’éventail 
 162
XXXIV. — 
Souvenirs du chevalier de Guys 
 169
I — Le château 
 169
II — Le coureur — La double visite 
 172
III — La première éducation 
 176
IV — La montre 
 179
V — La ferme 
 182
VI — L’abandon 
 186
VII — L’oracle des champs 
 191
VIII — Le curé 
 195
IX — Françoise 
 199
X — Tacite et Molière 
 203
XI — La ressemblance 
 205
XII — L’allée des tilleuls 
 212
XIII — L’auberge du lion d’or 
 217
XIV — L’ami 
 221
XV — Une aventure 
 223
XVI — Le diable à quatre 
 231
XVII — Le succès d’un ami 
 238
XVIII — La comtesse d’Egmont 
 241
XIX — L’uniforme 
 244
XX — Un ange 
 246
XXXV. — 
La bonne action 
 246
XXXVI. — 
La maison des fiancés 
 252
XXXVII. — 
Jean-Jacques Rousseau 
XXXVIII. — 
La contredanse 
XXXIX. — 
Le grand couvert 
XL. — 
Les reproches 
XLI. — 
La vengeance 
XLII. — 
Sedaine 
XLIII. — 
Le secret dévoilé 
 286
XLIV. — 
Lettre d’un fils à son père 
 289
XLV. — 
L’avis généreux 
 296
XLVI. — 
Un malheur prévu 
 298
XLVII. — 
La vente après décès 
 300
XLVIII. — 
Le château de Braine 
 305
Page:Nichault - La Comtesse d Egmont.pdf/320
EXTRAIT DU CATALOGUE MICHEL LEVY
1 franc le volume. — 1 fr. 25 par la poste



LA COUR D’ASSISE 
 1
LE DAMNÉ 
 1
LE MARQUIS ROGER 
 1
MÉMOIRES D’UN CONFESSEUR 
 1
LE MONSTRE 
 1



LES AVENTURES DU CAPITAINE LA PA­LISSE 
 1
LA JUIVE DU CHATEAU-TROMPETTE 
 3
LE SERMENT DES HOMMES ROUGES 
 2



LES AMANTS DU PÈRE LACHAISE 
 1
L’AMOUREUX DE LA REINE 
 1
L’ANGE DU PEUPLE 
 1
LES ANGES DE PARIS 
 1
L’AVOCAT DU PEUPLE 
 1
LE BARON DE TÉRENCE 
 1
LA BELLE VALENTINE 
 1
LA CHAMBRE CRIMINELLE 
 1
LA COMTESSE THÉRÈSE 
 1
LA DUCHESSE DE MONTBARRE 
 1
LA FAMILLE CALAS 
 1
LA VILLE DE SATAN 
 1
LA FONTAINE MAUDITE 
 1
LES FRANCS-JUGES 
 1
LA JACQUERIE 
 1
JEANNE LA FOLLE 
 1
JEANNE DE MONTFORT 
 1
LES JUMEAUX DE LA RÉOLE 
 1
LE MAGICIEN DE LA BARRIÈRE D’ENFER 
 1
MANDRIN 
 1
LE MARTYR DES PRISONS 
 1
LES MARTYRS VENGÉS 
 1
LES MENDIANTS DE LA MORT 
 1
LES MENDIANTS DE PARIS 
 1
MICHELY 
 1
LA MISÈRE DORÉE 
 1
LE MOINE NOIR 
 1
LE MONT SAINT-MICHEL 
 1
LES MYSTÈRES DE LA BASTILLE 
 1
LE PASTEUR DU PEUPLE 
 1
LE PAVILLON DE LA REINE 
 1
LA PLUIE D’OR 
 1
LES QUATRE SERGENTS DI LA ROCHELLE 
 1
RENÉ L’OUVRIER 
 1
LE SECRET DE MAITRE ANDRÉ 
 1
UN SERF RUSSE 
 1
LA TOUR SAINT-JACQUES 
 1
LE TRÉSOR DE SAINT-CLAUDE 
 1
LE TRIBUNAL SECRET 
 1
WOLF LE LOUP 
 1



AU JOUR LE JOUR 
 1
LES AVENTURES DB SATURNIN fTCHET 
 1
LE BANANIER — BULALIE PONTOIS 
 1
LBt CHATEAU DM PYRÉNÉES 
 1
LE COMTE DE FOIX 
 1
LE COMTE DI TOULOUSB 
 1
LA COMTESSE DB MONRION 
 1
CONFESSION GÉNÉRALE 
 1
LB CONSEILLER D’ÉTAT 
 1
CONTES ET RÉCITS DI MA GRAND’mÈRE 
 1
CONTES POUR LM INFANTS 
 1
LES DEUX CADAVRES 
 1
LES DRAMES INCONNUS 
 1
MAISON N* 3 DE LA RUE DE PROVINCE 
 1
— AVENTURES d’un CADET DB FAMILLB 
 1
— LIS AMOURS DE VCTOR BONSENNB 
 1
— OLIVIER DUHAMEL 
 1
UN ÉTÉ A MEUDON 
 1
LM FORGERONS 
 1
HUIT JOURS AU CHATEAU 
 1
LE LION AMOUREUX 
 1
LA LIONNE 
 1
LE MAGNÉTISEUR 
 1
LE MAÎTRE D’ÉCOLE. — DIANB BT LOUISE 
 1
UN MALHEUR COMPLET 
 1
MARGUERITE 
 1
LES MÉMOIRES DU DIABLE 
 1
LE PORT DE CRÉTEIL 
 1
LES PRÉTENDUS 
 1
LES QUATRE ÉPOQUES 
 1
LES QUATRE NAPOLITAINES 
 1
LES QUATRE SOEURS 
 1
UN RÊVE D’AMOUR — LA CHAMBRIÈRE 
 1
SATHANIEL 
 1
SI JEUNMSE SAVAIT, SI VIEILLESSE POUVAIT ! 
 1
LE VICOMTE DE BÉZIERS 
 1



LE DIABLE MÉDECIN 
 1
— ADÈLE VERNBUIL 
 1
— CLÉMENCE HERVÉ 
 1
— LA GRANDE DAME 
 1
LE FILS DE FAMILLE 
 1
GILBERT ET GILBERT ! 
 1
LES SECRETS DE L’OREILLER 
 1
LES SEPT PÉCHÉS CAPITAUX 
 1
— L’ORGUEIL 
 1
— L’BNVIB — LA COLÈRE 
 1
— fLA LUXURE — LA PARESSE 
 1
— L’aVARICB — LA GOURMANDISE 
 1


LES COMPAGNONS NOIRS 
 1
LES PLAISIRS DU ROI 
 1
LA VIVANDIÈRE DES ZOUAVES 
 1


« Catalogue complet sera envoyé franco à toute personne qui en
fera la demande par lettre affranchie.

imprimerie chaix. 20, rue bergère, près du boulevard montmartre.
  1. Vie du maréchal de Richelieu, tom. II.

  2. Épître à mademoiselle de Guise, sur son mariage avec M. le duo
    de Richelieu. (Épîtres, Œuvres de Voltaire.)
  3. « Vous n’ignorez pas la perte que je fais en elle (madame de Richelieu). J’avais droit de compter sur les bontés et j’ose dire sur l’amitié de madame de Richelieu. Il faut que je joigne à la douleur dont cette mort-là m’accable celle d’apprendre que M. de Richelieu me sait le plus mauvais gré du monde d’avoir laissé jouer Zulime dans ces cruelles circonstances. Vous pouvez me rendre justice. Cette malheureuse pièce devait être donnée longtemps avant que madame de Richelieu fût à Paris. J’ai fait depuis humainement ce que j’ai pu pour la retirer, sans en venir à bout, etc., etc. » (Voltaire, vol. lxx}.)
  4. La duchesse d’Aiguillon, née Chabot, mère du duc d’Aiguillon, qui fut ministre des affaires étrangères après la chute du duc de Choiseul.
  5. Lettres autographes de madame de Pompadour au maréchal de Richelieu.
  6. Frère aîné du célèbre voyageur.
  7. On appelait ainsi des parements de batiste mis au bout des manches de l’habit noir en grand deuil.
  8. M. le duc de Bourbon, premier ministre après la mort du régent.
  9. Gazette de février 1756.
  10. On sait que madame de Pompadour proposa au duc de Richelieu de marier le duc de Fronsac avec la fille qu’elle avait eue de M. Lenormand d’Étioles. Il éluda la proposition en disant qu’il se croyait obligé de demander, pour ce mariage, le consentement de la maison de Lorraine. Pendant ce délai, la mort de la jeune personne vint le tirer d’embarras ; mais le refus qu’il méditait excita une longue rancune.
  11. Ce passage d’une lettre de Voltaire à M. d’Argental prouve ce fait : « C’est une pièce complexe, à ce que je vois, que celle de Port-Mahon. Nous ne touchons pas encore au dénoûment, et bien des gens com­mencent à siffler. Ma petite lettre envoyée par M. d’Egmont à ma­dame d’Egmont a donné assez beau jeu aux rieurs ; on en a supprimé la prose, et on n’a fait courir que les vers, qui ont un peu l’air de ven­dre la peau de l’ours avant qu’on l’ait mis par terre. Si M. de Richelieu ne prend pas ce maudit rocher, il retrouvera à Versailles et à Paris beaucoup plus d’ennemis qu’il n’y en a dans le fort Saint-Philippe. Il faut pour mon honneur, et pour le sien surtout, qu’il prenne inces­samment la ville. Il se trouverait, en cas de malheur, que mes compli­ments n’auraient été qu’un ridicule. Je vous prie bien de dire, mon cher ange, que je n’ai pas eu celui de répandre des éloges prématurés. Si M. d’Egmont avait été un grand politique, il ne les aurait fait courir qu’à la veille de prendre la garnison prisonnière. » (Correspondance de Voltaire, tom. ixxn, page 342.)
  12. Nouvelles à la main, 1756.
  13. Lacretelle, Histoire de France, tom. iv.
  14. La fameuse chanson de Collé lui valut 600 fr. de pension.

          Le Port-Mahon est pris
         Il est pris, il est pris, il est pris, etc.

  15. La duchesse de Châteauroux.
  16. Extrait des lettres de la duchesse de Lauraguais, trouvées dans les papiers du maréchal de Richelieu.
  17. La duchesse de Lauraguais était dame d’atours de Madame la dauphine : lors de la dernière maladie de cette princesse, madame du Deffant écrivait à M. Walpole : « Madame la dauphine brutalisa l’autre jour la duchesse de Lauraguais, qui dit à quelqu’un qui était près d’elle : Cette princesse est si bonne, qu’elle ne veut pas que sa mort soit un malheur pour personne. »
    (Lettre de la marquise du Deffant, t. I.)
  18. Cette beauté, ce charme irrésistible, constatés par les éloges de Madame de Genlis et les vers de M. Rhulières, on les retrouvent encore dans les portraits qui restent de madame d’Egmont, surtout dans ceux que sa nièce, madame la marquise de Jumilhac, a bien voulu nous confier.
  19. Lacretelle, Histoire de France, tom. III, p. 271.
  20. Lacretelle, Histoire de France.
  21. On ne peut rendre l’affluence qu’il y avait dans Paris ce jour-là. Les villages circonvoisins, les habitants des provinces, les étrangers étaient accourus comme aux fêtes les plus brillantes. Non-seulement les croisées de la Grève, mais même les lucarnes des greniers furent louées à des prix fous. Les toits regorgeaient de spectateurs. Mais ce qui frappa surtout, ce fut l’ardeur des femmes, ri sensibles, si compatis santes, à rechercher ce spectacle d’horreur.
    (Vie privée de Louis XV, tom. III, p. 414
  22. Nouvelle à la main. Manuscrits de la Bibliothèque royale.