La Corée, indépendante, russe, ou japonaise/Partie IV/Chapitre IV

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IV

LE VICOMTE MIOURA GORO
LA PÉRIPÉTIE DU DRAME CORÉEN



Son successeur, le général de division vicomte Mioura Goro, ne partit pour Séoul que le 26 août.

Pendant l’intérim, fait par un des hommes de confiance de Inouye, le plan de réforme des 20 suggestions continua d’être développé.

Une ordonnance du 22 juin 1895 apporta de nouvelles et plus profondes modifications au gouvernement coréen.

À la division en 8 provinces et 322 préfectures, fut substituée une division en 33 préfectures (fou) et 336 départements (ken).

Les 9 départements ministériels furent pourvus de conseillers et de secrétaires en grand nombre et tous de nationalité japonaise. Le général Legendre devint gouverneur militaire du prince héritier et M. Greathouse conseiller légiste du Ministère des Affaires étrangères.

L’armée fut pourvue en entier d’instructeurs japonais.

Il devenait bien difficile, après ce bouleversement, de nier que les Japonais ne fussent les amis de la Corée,… comme la lice du bon La Fontaine était l’amie de sa compagne.

En rentrant au Japon, le comte Inouye avait ramené treize jeunes gens des plus vieilles et des meilleures familles de Corée, sous le spécieux prétexte de les préparer, par une culture convenable, au brillant avenir qu’il leur faisait entrevoir de gouverner plus tard leur pays.

Les Romains ont autrefois pratiqué cette politique avec un succès dont le royaume de Macédoine a été la plus célèbre victime.

On y persévéra, et peu à peu, on réunit à Tokyo deux cent trente de ces Démétrius.

La Reine, infatigable à défendre l’indépendance de l’héritage de son fils, opposait de son mieux étrangers à étrangers.

Les mines de la préfecture de Phyöng-An furent concédées à une compagnie américaine, en septembre 1895. La Cour agit directement, en dehors des Ministres des Affaires étrangères, de l’Agriculture et du Commerce. Les Japonais en accusèrent un M. Stevenson, de Chémoulpo, le général Legendre et M. Greathouse, intéressés à l’entreprise, dirent-ils. Il eût fallu à ce moment un pilote émérite pour naviguer entre tant d’écueils.

Inouye lui-même eût peut-être touché ; et malheureusement il était remplacé par un sinologue, qui s’occupait plus d’archéologie chinoise et locale que d’équilibrer les partis prêts à se déchirer, et d’empêcher les élèves de son prédécesseur d’être imprudents ou trop zélés.

Crise aiguë à la fin de septembre 1895. — La situation à la fin de septembre devînt tout à coup fort grave. Comme à chaque question de réforme administrative ou de promotions de fonctionnaires, une fermentation se produisait, on n’y prit pas garde, bien qu’il s’agît d’une question militaire et que, pour des observateurs avisés et vigilants, il y eût eu des avertissements d’un danger de ce côté.

Le Roi tomba en dissentiment avec An, ministre de la Guerre, au sujet des corps de la cavalerie et du génie que le souverain voulait maintenir intacts, et que son conseiller entendait licencier, en alléguant que l’argent manquait pour les payer.

Le Roi s’obstina, et An lui adressa sa démission.

En même temps, et sans doute pour faire diversion aux récits de trafic de places et dignités colportés au Japon contre le comte Inouye, on racontait de ridicules fables de nominations de fonctionnaires signées le jour et révoquées le lendemain, pour remplir le Trésor par des ventes répétées ; de rubans-insignes, de charges officielles, disputées en de véritables enchères, allant de 10 à 20 dollars. Et on ajoutait, avec une gravité risible pour qui a vu sur place sévir la passion japonaise des médailles, rubans, emblèmes, panaches et cocardes, que les Coréens n’osaient pas se donner libre carrière par crainte du dédain du ministre japonais, vicomte Mioura Goro !

Et pendant que ces bagatelles distrayaient les observateurs, d’autres intrigues, d’une portée immédiate et d’un danger immense, étaient ourdies, comme on prépare une pièce pendant l’entr’acte ou la parade.


Pour les besoins de sa politique, la Reine avait fait, sous la signature du Ministre de la Maison du Roi, remettre en vigueur l’ancien système de distinction des rangs personnels et des classes sociales.

De plus, le Roi, à l’instigation de sa femme, tançait durement ses ministres quand ils se permettaient de faire opposition à une promotion de dignitaire, proposée par la Cour. Celle-ci avait lieu alors malgré eux.

La Reine, tout récemment, avait promu un fonctionnaire incapable qui avait rang de han-nin, de la Maison du Roi à la direction d’un bureau. Cette nomination impliquait l’élévation à la classe des Chokou-nin, la plus haute du fonctionnarisme. Malgré les remontrances du ministère à cet acte, contraire à tous les précédents et à toutes les règles, le décret avait été publié par la Gazette officielle.

Mais, sous les yeux d’un ennemi qui ne dormait jamais et gardait la faction béate, mais terriblement menaçante, de Raminagrobis devant le trou d’une souris, ces pratiques étaient de lourdes fautes. Il lui était bien facile de soulever contre chaque favorisé une centaine de mécontents.

La Reine le comprenait, mais se croyait contrainte à cette seule politique, et s’y obstinait. Toutefois, sentant le terrain miné partout sous ses pas, elle chercha à priver ses ennemis de l’appui du Taï-ouen-koun.

Elle décida le Roi à écrire à son père, qui vivait retiré et sous bonne garde dans sa villa Kong-teuk-li, pour lui ordonner de revenir habiter à Séoul.

Le vieillard refusa, et les malintentionnés pressentant que des mesures allaient être prises immédiatement pour arrêter l’effet de leurs menées, précipitèrent l’explosion de la mine qu’ils n’avaient peut-être pas tout à fait fini de charger.