La Corée (Tiocencouk)

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Revue de l’Orient et de l’AlgérieTome second (p. 360-398).

LA CORÉE.


(TIOCENCOUK.)


Du centre même de la côte orientale du continent Asiatique, se détache une péninsule qui, s’allongeant vers le midi, sépare la mer du Japon de cette autre mer aux eaux argileuses que l’on a si justement appelée la Mer Jaune. Elle a, y compris les parties voisines du continent qui en dépendent, 900 kilomètres du nord au sud, 200 de largeur moyenne, et, d’après une évaluation assez exacte, environ 13,500 lieues carrées ou 26,700,000 d’hectares, les 53/100e de la France, la moitié à peu près. Au nord, elle touche aux bassins du Soungari-oula et de l’Ousouri, deux affluents de l’Amour, le grand fleuve du pays des Man-tchéou, les conquérants de la Chine ; au nord-ouest, au Liao-toung, l’une des premières conquêtes de ce peuple, avant qu’il ne s’emparât de l’Empire du milieu. Elle est séparée des uns par la chaîne neigeuse des Golmine-Chanyâne-Aline ou la Longue-Montagne Blanche, et de l’autre, par une partie de cette barrière de grands pieux[1] qui l’enveloppe de toutes parts comme un parc immense.

À une époque dont on n’a pas gardé le souvenir, la partie méridionale de la péninsule dont nous parlons ici fut occupée par un peuple venu sans doute du nord, et que les historiens chinois appellent les Han. Ils se partageaient en trois branches, Ma-han, Pian-han et Chin-han, ce qui fait qu’on les appelle aussi Sian-han ou les Trois-Han ; ils ressemblaient aux Japonais tant par leur extérieur que par leurs mœurs et leurs usages. Ce peuple ne fut pas à l’abri des révolutions politiques qui agitent toutes les sociétés. Cinquante-sept ans avant notre ère, un prince venu du pays des Ma-han établit dans la partie sud-est de la péninsule, l’ancien pays des Chin-han, un royaume appelé Sin-lo, Szu-lo ou Szu-lou, en japonais Siraki ; et, trente-neuf ans plus tard (l’an 18 avant le Christ), une tribu sortie des bords du Soungari, du pays de Fou-yu, alla fonder dans la partie sud-ouest, l’ancien pays des Pian-han, un autre État nommé en chinois Pe-tsi, et en japonais Fakousaï ou Koutara. En ce temps-là, le Liao-toung, le pays de Fou-yu, les bords du cours supérieur de la rivière Soungari jusqu’au coude qu’elle forme pour changer sa direction du nord-ouest en celle du nord-est étaient occupés par une souche de peuples différents de tous leurs voisins, Chinois, Toungounses ou Man-tchéous et Mongols ; c’étaient les Sanbi, connus dans l’histoire de la Chine sous le nom de Sian-pi, et qui se donnaient aussi le nom de Kirine ou Ghirine, resté encore aujourd’hui à la partie supérieure du Soungari-oula des Mantchéou. Dans la première moitié du troisième siècle, une partie des Kirine, abandonnant le pays qu’elle occupait, descendit le versant austral des grandes montagnes blanches et envahit toute la moitié septentrionale de la péninsule. Les Kirine étaient alors appelés par les Chinois Kao-li et Kao-kiu-li ; c’est de ce mot Kao-li, prononcé par les Japonais Kao-ri, qu’est venu le mot Korée ou Corée, les premières notions sur ce pays nous ayant été transmises par le Japon ; il va nous servir actuellement à désigner cette région que nous avions laissée jusqu’à présent sans nom général. Cette dénomination lui convient, d’autant mieux qu’en définitive les Kao-li n’ont pas tardé à la dominer entièrement.

Peu de temps après leur arrivée dans le pays qui devait prendre leur nom, c’est-à-dire au milieu du troisième siècle, le royaume de Sin-lo, dont nous avons parlé plus haut, fut subjugué par les Japonais dont il était déjà tributaire, ainsi que d’autres parties de la Corée. Vers 643, une reine de Sin-lo attaqua les Pe-tsi et les Kao-li, fit une alliance avec les Chinois et remporta de grandes victoires ; sa dynastie finit en 934. À cette époque, toute la péninsule fut conquise par une nouvelle dynastie de rois de Kao-li, dont le fondateur chassa les Chinois qui en occupaient depuis longtemps la partie septentrionale, et soumit les royaumes de Sinlo et de Pe-tsi. Depuis lors, la fusion des Sœnbi et des Han ou premiers habitants de la Corée est devenue complète ; mais il paraît que l’une des races a dominé physiquement sur l’autre comme elle l’avait fait politiquement, car les Coréens se donnent presque tous comme des Sœnbi[2].

M. de Siebold, auquel on doit un grand et bel ouvrage sur le Japon, avait cherché, dans un mémoire envoyé à la Société asiatique de Paris, en 1829, à démontrer, par le rapprochement des langues, la communauté d’origine des Chinois, des Man-tchéou, des Japonais et des Coréens. La démonstration parut loin d’être concluante à la commission chargée d’examiner le travail, et dont M. J. Klaproth était le rapporteur. « La langue coréenne, dit à ce sujet M. Klaproth, est mêlée de beaucoup de mots chinois, comme la langue japonaise, mais elle n’offre aucune ressemblance avec cette dernière. » Cependant si le savant Hollandais avait cru trouver assez de points de rapports entre ces différents peuples pour justifier ses recherches, c’est qu’il y en a. Parce que la langue de deux peuples diffère dans la généralité de ses éléments, il ne s’ensuit pas que ces deux peuples ne puissent appartenir à la même race ; partis d’une souche commune, ils se sont développés isolément de deux manières différentes. Que de dissemblances entre deux branches d’un même arbre ! D’ailleurs la Corée, par suite de sa situation relativement aux régions voisines, n’a pu, comme le Japon, recevoir sa population que du nord. La disposition géographique des lieux a nécessairement joué un grand rôle dans la migration des peuples ; il ne faut pas l’oublier[3].

Nous n’avons eu de renseignements un peu étendus sur la Corée qu’assez tard, et ils sont encore fort loin d’être complets, ainsi qu’on va en juger par l’esquisse historique de nos acquisitions successives.

La Corée est bien portée sur quelques cartes du commencement du xviie siècle, il en est bien parlé dans Palafox, mais ce ne sont guère que des citations ; et, malgré les relations suivies des Portugais et des Hollandais avec le Japon, qui en est si voisin, on n’en était pas plus instruit à ce sujet. Les premiers détails étendus qui soient parvenus en Europe datent de 1668 ; voici comment :

Le 10 janvier 1653, le navire hollandais l’Épervier, s’étant rendu du Texel à Batavia, où il arriva le 1er  juin, reçut du gouverneur général de la Compagnie des Indes l’ordre de se diriger sur Thaï-ouân (que l’auteur de la relation écrit Tayowan), pour y transporter Cornelius Lesser, qui allait remplacer dans le gouvernement de Formose[4] Nicolas Verburg, dont les fonctions triennales étaient expirées. Sorti de la rade de Batavia le 14 juin, on jeta l’ancre devant Thaï-ouân le 16 juillet. Après avoir pris un chargement de marchandises, le navire fut dirigé sur le Japon. Mais, à peine venait-il de sortir du détroit de Formose qu’il fut assailli par une tempête qui, après trois jours de navigation affreuse, le jeta sur la côte de l’île Quelpaarts, dépendance des rivages méridionaux de la Corée. De soixante-quatre individus qui se trouvaient sur le navire, trente-six seulement survécurent au naufrage. Enveloppés par des troupes nombreuses, faits prisonniers et gardés avec soin, ils restèrent à Quelpaarts jusqu’à la fin de mai 1654, que, sur un ordre du roi, on les fit passer sur le continent pour les conduire dans la capitale, nommée par l’auteur du récit de leur infortune, Sior, mot que les missionnaires, dans leurs dernières lettres (Annales de la Propagation de la foi, mai 1847, p. 222), écrivent Séoul, et qui est la même que la King-ki-tao de nos anciennes cartes, le Hang-yang-tching des Chinois et des cartes plus récentes. On leur fit bientôt connaître leur sort ; enrôlés à toujours parmi les gardes du roi, ils ne devaient plus revoir leur patrie, car il est une loi de ce pays qui ordonne de ne pas relâcher les étrangers assez osés pour y mettre les pieds. Il y avait un peu plus de treize années que durait leur captivité, vingt-deux seulement avaient survécu à des fortunes bien diverses, lorsque huit d’entre eux se décidèrent à tout tenter pour se soustraire à la captivité, et y réussirent. Montés sur une petite barque, longeant d’abord la côte, puis se livrant à la grande mer, on les vit arriver un soir devant l’établissement hollandais de Nangasaki, au Japon. Au nombre des fugitifs échappés aux tortures de cette mort lente que donne la misère et le souvenir des siens, se trouvait Henri Hamel de Gorcum, secrétaire du vaisseau, qui nous a laissé une relation du voyage de l’Épervier[5]. suivie d’une description de la Corée, assez étendue et intéressante ; pendant bien longtemps ce fut tout ce que l’on posséda sur cette contrée lointaine.

En 1709, les missionnaires jésuites qui levaient, par ordre de l’empereur Kang-hi, la carte de la Mantchourie, rattachèrent à leurs travaux les frontières septentrionales de la Corée ; mais ils ne purent y pénétrer, et se contentèrent d’envoyer en Europe une carte détaillée de ce pays[6], dressée par les géographes coréens, et qu’ils regardaient d’ailleurs comme exacte ; elle fut publiée par d’Anville dans son Atlas de la Chine, en 1732. Cette carte a servi de base à toutes celles qui ont été données depuis. On va voir quelle confiance elle méritait au moins pour certains détails.

Après avoir exploré la côte nord-ouest de l’Amérique, traversé le Grand-Océan et relâché à Macao, La Pérouse remonta vers le nord pour étudier toute cette partie des parages de l’Asie qui s’étend de Formose au fond de la Manche de Tartarie. La Corée s’y trouve comprise. Après avoir relevé douze lieues des côtes méridionales de l’île Quelpsert et le cap nord-est de cette île, la Boussole prit connaissance des différentes îles et rochers qui forment une chaîne de plus de quinze lieues en avant du continent de la Corée, et cessent seulement lorsqu’on a doublé la pointe sud-est de la presqu’île. On put alors suivre le continent de si près qu’on distinguait parfaitement les maisons et les villes. « La journée du 26, dit le navigateur français, fut une des plus belles de notre campagne et des plus intéressantes par les relèvements que nous avions faits d’un développement de côtes de plus de trente lieues[7]. » Les nombreuses observations astronomiques sur lesquelles reposent ces reconnaissances furent toutes faites avec le plus grand soin ; La Pérouse en a aussi senti la nécessité, et il en fait parfaitement ressortir l’importance. Portées sur la carte de d’Anville, les différences qu’elles accusent ne deviennent un peu considérables que vers le nord, ce qu’il est facile d’expliquer, les marins hollandais, amenés par le commerce dans les mers du Japon, ayant déterminé la position de plusieurs points à Quelpaert et dans les parages voisins[8]. La Pérouse s’éloigna de la côte orientale de Corée vers 36° 8′ (cap Clonard), et en laissait près de deux cents lieues inexplorées, ce qu’il n’eût sans doute pas fait s’il avait eu soin de constater le résultat que nous venons de signaler ; car cette marche croissante des différences dans les longitudes qu’indiquaient ses observations rapportées sur la carte de d’Anville l’eût sans doute engagé à poursuivre une exploration dont la conséquence devait être remarquable, ainsi qu’on va le voir.

Dix ans après La Pérouse[9], Brougthon, qui venait de parcourir la Manche de Tartarie, longea ces deux cents lieues de rivages, et il résulte de son tracé que la côte de Corée, au lieu de décrire une courbe concave, dont le point le plus enfoncé est par 125° 40′, présente au contraire un profil tout opposé, c’est-à-dire qu’obéissant à une impulsion particulière qu’ont eue les soulèvements dans l’Asie orientale[10], elle forme une courbe à double courbure[11], dont la partie convexe s’avance jusqu’à 128°, et qui est presque toujours d’un degré (14 à 15 lieues) plus orientale que la côte de la carte coréenne, comme le faisaient pressentir les observations de La Pérouse. Mais le navigateur anglais, comme le navigateur français, pour n’avoir pas assez tenu compte du passé, pour n’avoir pas rapporté sa route sur l’ancienne carte, ne sentit pas l’importance du résultat qu’il venait d’obtenir, et il ne nous donne sur sa navigation aucun de ces détails qu’il eût été si important d’avoir. Arrivé à l’angle sud-est de la péninsule, il y débarque dans une baie, qu’il nomme baie de Tchosan, et dont il a levé le plan ; puis, passant à travers ces îles signalées par La Pérouse, parages d’une navigation périlleuse, il reconnut la partie occidentale de l’île Quelpaert, en complétant à peu près ainsi le périple de cette petite terre, commencé par notre compatriote.

Près de vingt ans s’écoulèrent sans que l’on eût d’autres renseignements sur la Corée ; les côtes orientales et méridionales étaient mieux connues, mais celles de l’orient conservaient toujours la configuration que leur avaient donnée les géographes indigènes ; c’était celle qui devait recevoir par la suite la plus incroyable rectification.

En 1816, sur les instances des directeurs de la Compagnie des Indes-Orientales, le gouvernement anglais envoya lord Amherst en ambassade à Peking, Après avoir débarqué l’ambassadeur, le capitaine Maxwell, commandant de la petite escadre qui l’avait transporté du fond de la Mer Jaune, voulut utiliser la présence de ces navires dans des parages peu connus et lui-même, sur la frégate l’Alceste, naviguant de conserve avec le brick la Lyre, capitaine Basil Hall, se dirigea sur les côtes occidentales de Corée. Le 31 août, on aperçut la terre, et le lendemain on jeta l’ancre au milieu d’un groupe d’îles auquel fut imposé le nom de Sir-James-Hall, président de la Société royale d’Édimbourg. Sa position, reportée sur la carte de l’Atlas de d’Anville, est convenable[12]. On leva bientôt l’ancre, et le vent soufflant du nord, l’Alceste et la Lyre se dirigèrent vers le sud. Le 3 septembre, on passa près d’un grand nombre d’îles : la mer en était remplie, aussi loin que la vue pouvait s’étendre du haut du grand mât[13]. Le 4, les deux marins mouillèrent dans une belle baie qui fut nommée Basil-Hall’s-bay, baie de Basil-Hall. Des observations astronomiques faites avec soin donnèrent sa position par 36° 9′ de latitude nord, et 124° 12′ de longitude orientale du méridien de Paris.

Dans l’après-midi du 5, on continua à s’avancer vers le sud à travers une innombrable quantité d’îles qui semblaient toutes autant de montagnes sortant du sein des flots. Aucune n’avait une grande étendue ; très-peu paraissaient avoir plus de trois à quatre milles (4,800 à 0,500 mètres) de longueur.

Par le 35e parallèle, la mer était libre, mais elle ne tarda pas à se couvrir de nouveau. Le 8, on découvrit par 34° 26′ l’île Alceste, puis un groupe de vingt îles qui reçut le nom d’Îles Amherst. Dans la matinée, après avoir sondé avec soin, la frégate et le brick mouillèrent au milieu d’un havre excellent qui fut appelé Sund de Murray. Les points voisins reçurent des noms particuliers. On fit un grand nombre d’opérations et d’observations pour déterminer l’exacte position géographique de cet endroit.

Ces observations, ainsi que les précédentes, dérangeaient l’économie de la carte de Corée donnée par d’Anville à un tel point que ce serait à ne point y croire, si on ne se rappelait la source imparfaite d’où elle provenait. En reportant la baie de Basile sur la carte coréenne, les deux navires se seraient trouvés au beau milieu de la péninsule, à quarante lieues (177 kilomètres) dans l’intérieur des terres. Broughton avait fait subir des changements au tracé de la côte orientale, mais ils étaient loin d’être aussi considérables. De compte fait, la partie australe de la Corée était figurée de telle sorte qu’elle avait une étendue double de celle qu’elle a véritablement. Le docteur Mac Leod fait à ce sujet les réflexions suivantes :

« Sa majesté coréenne peut bien se faire appeler roi « des dix mille îles », mais son domaine continental supposé a été fort circonscrit par notre visite sur ses bords. Excepté lors des deux ambassades d’Angleterre, aucun vaisseau n’avait jamais pénétré dans la Mer Jaune. Le Lion n’avait fait que suivre les côtes de la Chine sans toucher à celles de la Tartarie ni de la Corée. Cook, La Pérouse, Bougainville, Broughton et d’autres, avaient reconnu la côte orientale de la Corée, mais la côte occidentale n’avait encore été placée sur les cartes que d’imagination, car il faut la reculer à l’est de cent à cent trente milles (161 à 209 kilomètres). Les jésuites ont donc dessiné les côtes de la Corée d’après les rapports qui leur ont été faits, et non d’après leurs propres observations, car leur carte est fort incorrecte et ne répond nullement à leur exactitude ordinaire[14]. »

On possède les résultats scientifiques de cette petite campagne ; ils ont été publiés par le commandant de la Lyre, Basil Hall, sous ce titre : Account of a Voyage of discovery to the west Coast of Corea and the Great Loochoo Island, with an appendix ; Relation d’un Voyage de découverte à la côte occidentale de Corée et à la grande Lou-Tchou (Liéou-Khiéou). 1 vol. in-4. Londres, 1818. À la page 10 de l’appendice se trouve une carte à grand point[15] de la route suivie par les deux navires. Qu’on me permette de reproduire ici ce qu’en dit l’auteur lui-même ; je traduis littéralement :

« Cette carte s’étend du 34 au 38e de latitude nord, et du 124 au 127e de longitude est (de Greenwich). La durée de notre séjour sur la côte ayant été seulement de neuf jours, il ne faut pas s’attendre à ce qu’elle soit d’une grande exactitude, et ce n’est tout au plus qu’un dessin à vue d’œil rectifié par les chronomètres et les hauteurs méridiennes du soleil et des étoiles. Dans un travail exécuté avec une telle hâte, beaucoup de points sont inévitablement restés inexplorés, et, en publiant ce que nous en donnons aujourd’hui, nous ne le faisons pas avec une grande confiance. »

Depuis 1816 aucune exploration n’est venue compléter un tracé présenté avec de telles réserves, et c’est avec un guide d’une valeur aussi problématique[16] que naviguaient la Gloire et la Victorieuse ; aussi leur fin déplorable ne nous a-t-elle nullement étonné, et il en sera de même, nous le pensons, pour toutes les personnes qui liront ce qui précède avec attention. Il est à regretter que le passage du capitaine Basil Hall au sujet de sa carte n’ait pas été connu des commandants de nos deux frégates, car, pénétrant dès lors dans l’archipel de Corée avec toute la circonspection exigée en pareil cas, nous n’aurions pas aujourd’hui à déplorer la perte de deux beaux navires.

Depuis que la géographie s’est enrichie des connaissances hydrographiques dont nous venons de donner l’analyse succincte, elle a fait l’acquisition de renseignements qui nous permettent d’apprécier d’une manière plus étendue les mœurs et l’économie intérieure de la nation coréenne.

Les Japonais ont été pendant longtemps fort ignorants au sujet des contrées qui les avoisinent, et leurs connaissances sur Yeso, sur la Mantchourie, sur la Corée datent du voyage de Mogami Toknaï dans ces régions, en 1776. En 1786, un autre Japonais, Rinsifée, publia un livre intitulé San kokf tsou ran to sets, ou Aperçu général des trois royaumes (Yeso, la Corée et Liéou-Kbiéon), accompagné de cinq cartes. Cet ouvrage fut traduit en 1805 par M. J. Klaproth, et publié seulement en 1832 aux frais de la Société des traductions orientales de la Grande-Bretagne et de l’Irlande. Le traducteur ayant trouvé avec raison que la notice sur la Corée était un peu maigre, a pensé qu’il convenait d’ajouter à la description donnée par l’auteur japonais celle qui se trouve dans la grande géographie de Chine, publiée sous les Man tcheous et intitulée Toi thsing y thoung tchi, composition intéressante sous le rapport historique, mais qui n’a peut-être pas, au point de vue géographique, la même importance pour nous que pour les Chinois. On ne la consultera cependant pas sans fruit. Antérieurement à cette publication, M. Klaproth avait déjà donné, dans le Nouveau Journal asiatique (1829, t. 3), une notice sur la Corée et sur les syllabaires coréens, dont nous avons fait usage au commencement de cet article. Deux ans après l’apparition de San kokf tsou ran to sets, parut dans la Revue de l’Orient (1844, t. 5, p. 273 à 293) un Mémoire sur la Corée de M. J.-M. Callery, interprète du consulat de France en Chine, et rédigé au moyen des nombreux renseignements qu’avait recueillis, en 1843, le savant sinologue, durant son séjour à Macao. L’intérêt avec lequel il fut accueilli s’explique par la nature même des matières variées dont il traitait et dont voici le sommaire : Origine des Coréens issus de race mongole. — Division par castes. — Agriculture. — Industrie. — Ginseng. — Cornes de cerf. — Fourrures. — Commerce avec la Chine et avec le Japon. — Despotisme et faiblesse du gouvernement. — Costume des Coréens. — Leurs maisons. — Leur nourriture. — Forêts. — Animaux. — Médecine. — Mœurs. — Langue. — Écriture. — Imprimerie. — Religion. — Parmi les faits curieux signalés dans ce mémoire, il en est deux qui sont surtout d’une certaine importance et sur lesquels l’auteur s’est étendu avec raison. Le premier est la division de la population coréenne en trois castes, la noblesse, la bourgeoisie et le peuple, division indiquée, mais faiblement, par Hamel, ainsi qu’on le verra. Ce phénomène social est d’autant plus singulier, que chez les autres peuples de race tartare mongole, l’égalité de naissance est généralement admise.

Le second fait signalé par M. Callery, et dont il pense avec raison que la découverte fera époque dans la science ethnographique, est le rapport qu’il a reconnu entre les langues de l’Inde et le coréen, qui forme, à son avis, le chaînon si longtemps et si inutilement recherché par lequel la race chinoise se rattache aux races indiennes[17]. Il expose à ce sujet quelques notions générales propres à donner une idée suffisante de ce curieux idiome, en se réservant de traiter la question à fond lors de la publication de sa grammaire et de son dictionnaire coréen.

Les remarques des différents navigateurs dont nous avons parlé, le mémoire de M. Callery sont venus confirmer l’exactitude de la relation de Hamel. L’écrivain hollandais a donné, sur quelques-uns des sujets traités par ces écrivains, des détails plus étendus que les leurs ; il en est beaucoup d’autres que l’on ne trouve que dans sa description de la Corée. Le livre lui-même, imprimé il y a aujourd’hui près de deux cents ans, est devenu peu commun et assez difficile à se procurer. Nous avons donc cru devoir la reproduire en entier dans la forme que lui a donnée le traducteur français, dont le style n’a eu besoin que de très-légères modifications pour être lu encore aujourd’hui avec facilité. Nous eussions peut-être d’ailleurs cherché inutilement à conserver la physionomie de l’original aussi bien qu’il a pu le faire dans une langue encore assez rapprochée alors des idiomes voisins. Incontestablement le français du dix-septième siècle possédait avec les langues germaniques entre autres, des affinités qui facilitaient singulièrement la traduction et qui sont actuellement bien moins sensibles.


Description du royaume de Corée.


Le royaume que nous nommons Corée, et que les habitants appellent Tiocencouk, et quelquefois Caoli, s’étend depuis le trente-quatrième degré de latitude jusqu’au quarante-quatrième, si bien qu’il a près de 150 lieues (allemandes de 15 au degré, ce qui fait 250 lieues de France ou 1,100 kilomètres) de longueur du midi au septentrion, et environ 75 (125 ou 555 kil.) de l’orient à l’occident. Aussi les Corésiens[18] le représentent-ils sous la figure d’un carré long comme une carte à jouer. Cela n’empêche pas qu’il n’y ait quantité de pointes de terre qui avancent extrêmement en mer.

Il est divisé en huit provinces, qui renferment trois cent soixante (360) villes, sans compter les châteaux ni les forteresses, qui sont toutes sur les montagnes[19].

L’abord de ce royaume est très difficile par mer, et fort dangereux pour ceux qui ne connoissent pas ses côtes, parce qu’elles sont bordées d’écueils et de bancs en divers endroits. Du costé du sud-est, il est fort voisin du Japon, n’y ayant entre la ville de Poman et celle d’Osacco (Osaka), que vingt-cinq ou vingt-six lieues (185 à 192 kil.)[20]. Entre deux est l’île de Suissima, que ceux de Corée nomment Taymutto. Elle leur appartenoit autrefois ; mais, par un traité de paix fait avec ceux du Japon, ils l’échangèrent contre celle de Quelpaerts.

Du costé du couchant, ce royaume est séparé de la Chine par le golfe de Nanquin (Hoan-kaï ou la Mer Jaune), mais il y touche du costé du Nord, par le moyen d’une longue et haute montagne, qui empêche que la Corée ne soit une île. Il n’est bordé, du costé du Nord-est que par une vaste mer[21], où l’on trouve tous les ans une grande quantité de balaines, et dont une partie porte encore les crocs et les harpons des François et des Hollandois, qui vont ordinairement à cette pesche. On prend là aussi beaucoup de hareng en décembre, janvier, février et mars ; celuy qu’on pesches pendant ces deux premiers mois est gros comme celuy de Hollande, mais celuy qu’on prend après est plus petit, et ressemble à celuy que nous appelons hareng à frire, et qu’on mange en mars et en avril. D’où nous inférons qu’il y a assurément un passage entre la Corée et le Japon qui répond au détroit de Vaygats[22] ; sur quoy, nous avons souvent demandé aux matelots de Corée qui fréquentent la mer du Nord-est, quelles terres étoient au-delà, et ils nous ont tous répondu qu’ils ne croyoient pas qu’il y eût autre chose de ce côté-là qu’une mer sans bornes.

Ceux qui vont de Corée à la Chine s’embarquent au plus estroit du golfe, car le chemin par terre est trop incommode à cause de la difficulté qu’il y a de traverser la montagne, et surtout en hiver, parce qu’il y fait fort froid, et qu’en été on y trouve une quantité de bêtes farouches. Il est vrai qu’il est aisé de faire le trajet du côté du nord en hiver, parce que le golfe gèle ordinairement assez fort pour cela. Le froid est si grand en Corée[23] qu’on 1662, on a oublié de mettre dans le journal de notre captivité, nous étant retirés dans les cloistres qui sont sur les montagnes, il tomba de la neige si prodigieusement, que pour aller d’une maison à l’autre, il falloit faire des chemins sous la neige, et, pour aller à découvert, les habitants portent sous leurs pieds de petits ais ou des espèces de raquettes, ce qui les empêche d’enfoncer dans la neige sans s’opposer à ce qu’ils puissent monter ou descendre. Le grand froid est cause que ceux qui habitent la côte du nord ne vivent que d’orge, et encore assez mauvais, le riz et le cotton n’y pouvant croistre. Les plus accommodés (aisés) de cette province-là font venir leur farine du costé du midy, mais le menu peuple de ce quartier n’est vêtu que de toile de chanvre commune et de méchantes peaux. En récompense, la racine de nisy[24] croist là en grande abondance ; ils la donnent en paiement au Tartare pour leur tribut[25] et en font aussi un grand commerce à la Chine et au Japon. Le reste du pays est fertile et produit toutes les choses nécessaires à la vie, et surtout du riz et d’autres grains. Ils ont du cotton et du chanvre et même des vers à soye ; mais ils ne savent pas préparer la soye pour en faire des estofes. Ils ont chez eux de l’argent, du plomb, des peaux de tigre et la racine nisy, sans parler du bestail, de la volaille et de beaucoup d’autres choses. Ils ont quantité de chevaux et de vaches ; ils se servent de bœufs pour labourer et de chevaux pour les voyages et pour le transport des marchandises. Ils ont aussi des ours, des cerfs, des sangliers, des pourceaux et divers autres animaux. Nous n’y avons pas vu d’éléfants, mais grand nombre de kaymans ou crocodiles de différentes grandeurs qui se tiennent dans les rivières. Leur dos est à l’épreuve du mousquet, mais ils ont la peau fort tendre sous le ventre. Il s’en trouve qui ont dix-huit à vingt aulnes de long, la teste large, le groin de pourceau, la gueule fendue jusqu’aux oreilles, l’œil perçant, mais fort petit, les dents blanches et fortes, rangées comme celles d’un peigne. Ils ne remuent en mangeant que la mâchoire d’en haut. L’espine du dos de cet animal a soixante vertèbres, et il a de longues grifes aux pieds ; sa queue est aussi longue que le reste de son corps ; ils mangent également la viande et le poisson, et sont friands de chair humaine ; les Corésiens nous ont souvent dist qu’on avoit trouvé une fois trois petits enfants dans le ventre d’un de ces crocodiles. Les Corésiens ont beaucoup de serpents et d’animaux venimeux. Pour les oyseaux, ils ont des cygnes, des oies, des canards, des hérons, des cygognes, des aigles, des faucons, des millans, des pigeons, des bécasses, des pies, des corneilles, des alouettes, des pinçons, des grives, des vanneaux, des faisans, des poules, et de tout en quantité, aussi bien que d’autres oiseaux inconnus en Europe.

La Corée est gouvernée par un roy dont l’autorité est absolue, bien qu’il reconnoisse le Tartare, car il ordonne de tout comme il lui plaît sans prendre le conseil de personne. Il n’y a point de seigneurs de places, c’est-à-dire qui aient des villes, des îles ou des villages en propriété, et tout le revenu des grands procède des biens dont ils n’ont que la jouissance, et du grand nombre de leurs esclaves, car nous en avons vu qui en avoient deux ou trois cents. Ainsi, les terres et les charges dont le roy honore les particuliers lui reviennent toutes après leur mort.

Pour ce qui regarde la guerre, le roy entretient dans sa capitale beaucoup de soldats, qui ne sont occupés qu’à faire garde autour de sa personne et à le suivre quand il va dehors. Toutes les provinces sont obligées, une fois en sept ans, d’envoyer tous les hommes libres en garde chez le roy pendant deux mois, si bien que, durant toute cette année-là, la Corée est sous les armes, pour envoyer, les uns après les autres, tout le monde à la cour. Chaque province a son général, lequel a sous lui quatre ou cinq colonels qui ont chacun autant de capitaines ayant tous le commandement de quelque ville ou de quelque forteresse, jusques là qu’il n’y a point de village où il n’y ait au moins un caporal qui commande et qui a des dizeniers au-dessous de lui. Ces caporaux sont obligés de donner tous les ans à leurs capitaines un roolle des gens qui sont dans leur dépendance, et, par ce moyen, le roy sçait toujours précisément de combien de monde il peut faire estat lorsqu’il en a besoin. Les cavaliers sont armés d’une cuirasse, d’un pot et d’une espée, et, en outre, d’un arc, de flèches et d’un fléau semblable aux nostres, excepté que les leurs sont garnis de petites pointes de fer. Les fantassins portent comme eux un corselet, un morion et l’espée avec le mousquet ou la demy-pique. Les officiers n’ont que des arcs et des flèches. Les soldats sont obligés d’estre munis, à leurs dépens, de quoy tirer cinquante coups à balle. Chaque ville fournit aussi tour à tour un certain nombre de religieux, qu’elle tire de l’étendue de son ressort, pour garder et entretenir à leurs dépens les forts et les chasteaux qui sont dans les districts et aux penchants des montagnes. Ces moines passent pour les meilleurs soldats et obéissent à des officiers pris de leur corps, qui observent les mêmes règlements que l’autre milice, si bien que le roy sçait encore, à un moine près, combien il y en a en estat de le servir. Ceux qui ont atteint l’âge de soixante ans sont exempts de faction, et leurs enfants prennent leur place. Le nombre des personnes libres qui ne sont point dans les troupes du roy, et qui n’y ont point esté, joint aux esclaves, fait environ la moitié des gens du pays[26]. Au reste, si un homme libre couche avec une femme esclave, ou un esclave avec une femme libre, les enfants qui en naissent sont esclaves, et, pour ceux qui naissent de père et de mère esclaves, ils sont au maistre de la mère. Comme la Corée est presque toute bordée de la mer, il faut que chaque ville entretienne un vaisseau équipé et pourvu de toute chose : leurs navires ont ordinairement deux masts et sont à trente ou trente-deux rames, qui ont chacune cinq ou six rameurs, de sorte qu’il y a, sur ces espèces de galères, tant en rameurs qu’en soldats, près de trois cents hommes. Ces vaisseaux ont quelques petites pièces de canon et quantité de feux d’artifices. Chaque province, à cause de cela, a son amiral, qui fait la revue des soldats tous les ans, dont il rend compte au grand amiral, qui se trouve aussi quelquefois aux revues. Si quelqu’un des amiraux ou des officiers qui sont sous eux tombe en faute, il est puni de bannissement ou de mort, comme nous vismes bannir, au printemps de l’année 1666, notre gouverneur, qui avoit le commandement sur dix-sept vaisseaux, pour avoir caché au roy que le feu s’estoit pris aux poudres et avoit emporté cinq hommes.

Les principaux officiers de terre ou de mer qui composent le conseil du roy s’assemblent chez luy tous les jours, et le servent en toutes les affaires qui se présentent, sans le pouvoir obliger à rien. Il faut qu’ils attendent qu’on leur demande leur avis pour le donner, et qu’ils soyent nommez pour une affaire avant que de s’en mesler. Ces gens-là tiennent les premiers rangs auprès du roy, meurent dans leurs employs, ou les conservent au moins jusqu’à quatre-vingts ans, en supposant qu’ils ne fassent rien qui les en rendent indignes ; il en est de même des autres charges inférieures de la cour, qu’on ne quitte que pour monter à de plus hautes. Les gouverneurs de places et les officiers subalternes changent tous les trois ans ; il y en a peu même qui servent tout ce temps, parce qu’ils sont presque toujours accusés de malversations pendant leur exercice. Le roy entretient partout des espions pour estre informé de la conduite de chacun, ce qui est cause qu’on en punit souvent de mort ou de bannissement perpétuel.

Le revenu du roy, pour l’entretien de sa maison et de ses troupes, provient des droits qu’on prend sur tout ce que la terre produit ou qu’on tire de la mer. Il y a pour cela, dans les villes et dans chaque village, des magasins où se dépose cette dîme ; les fermiers, qui sont ordinairement des gens du commun, prennent le dixième de toutes choses sur le champ au temps de la récolte et avant qu’on ait rien enlevé. Les grands vivent de leurs propres revenus, comme je l’ay déjà dit, et, pour ceux qui sont en charge, ils y ajoutent des pensions que le roy leur donne à prendre sur les fonds des lieux où ils résident, assignant aux troupes de terre et de mer ce qui se lève dans le pays. Il faut, outre cette dixme, que les hommes qui ne sont point enrollez travaillent trois mois de l’année à tout ce qu’on peut leur ordonner de faire. On distribue tous les ans, à chaque soldat et à chaque cavalier, trois pièces de toile pour se vestir, qui valent en tout une pistole (10 fr.), ce qui fait une partie de la solde des milices qui sont dans la capitale du royaume. Voilà ce qui se lève sur le peuple, qui ne connaît point d’autres gabelles ou impôts.

La justice des Corésiens est très-sévère, surtout à l’égard des criminels. Celuy qui se rebelle contre le roy est exterminé avec toute sa race, ses maisons sont rasées, sans que personne ose jamais les rebastir, tous ses biens sont confisquez par l’Estat et donnez quelquefois à un particulier. Quand le roy a prononcé un arrêt, si quelqu’un a la hardiesse d’y trouver à redire, rien n’est capable de le garantir d’un rigoureux supplice, comme nous l’avons veu souvent. Il me souvient, entre autres, que le roy, sçachant que la femme de son frère faisoit de très-beaux ouvrages à l’aiguille, il la pria qu’il pust porter une veste brodée de sa main ; mais, comme cette princesse le haïssoit mortellement, elle renferma entre les deux estoffes des charmes et des caractères d’une si grande vertu, que le roy ne pouvoit goûter ny repos ny plaisir pendant tout le temps qu’il portoit cet habit. Après s’estre bien tourmenté pour en descouvrir ta cause, enfin il luy vint en l’esprit ce que ce pouvoit être ; il fit descoudre la veste et descouvrit la cause de son agitation et de ses inquiestudes. Le roy la condamna à estre renfermée dans une chambre dont le plancher estoit d’airain, et il fit allumer dessous un grand feu dont la chaleur la tourmenta jusqu’à la mort. Le bruit de cette exécution s’estant répandu dans les provinces, un proche parent de cette malheureuse, qui estoit gouverneur de place et fort considéré à la cour pour ses bonnes qualités et pour sa naissance, se hasarda d’escrire au roy que celle qui avoit eu l’honneur d’espouser le frère de Sa Majesté ne devoit pas mourir par un si cruel supplice, et qu’il eust dû estre plus indulgent pour une femme. Le roy, irrité de la hardiesse de ce gouverneur, après luy avoir fait donner vingt coups de bâton sur les os des jambes, luy fit trancher la teste. Ce crime de lèse-majesté et ceux dont je vais parler ne sont, du reste, que personnels et n’enveloppent pas la famille dans le chastiment.

Si une femme fait mourir son mary, on l’enterre toute vive jusqu’aux espaules dans un chemin fort fréquenté, et on met à costé d’elle une hache dont tous ceux qui passent et qui ne sont pas nobles, sont obligez de luy donner un coup sur la teste jusqu’à ce qu’elle soit morte. Dans la ville où ce malheur arrive, on interdit pour un temps les juges, on lui ôte même son gouverneur en la plaçant dans les limites d’un autre gouvernement, et ne luy laissant au plus qu’un simple gentilhomme pour y commander. La même peine est infligée aux villes qui se révoltent contre leurs gouverneurs ou qui portent contre eux de fausses accusations à la cour. Un homme qui tue sa femme et qui peut prouver qu’il a eu raison de le faire, l’ayant trouvée en adultère ou en quelque autre grande faute, ne court aucun danger pour cela. Si la femme tuée estoit esclave, on en est quitte pour en payer trois fois la valeur à celui à qui elle appartenoit. On fait mourir dans de cruels tourments les esclaves qui tuent leurs maîtres, mais on ne compte pour rien qu’un maître tue son esclave, quand ce seroit pour un léger sujet.

Voici de quelle manière on punit un homme qui en a tué un autre : Après avoir longtemps foulé aux pieds le criminel, on lui fait avaler, avec un entonnoir, du vinaigre passé sur un cadavre corrompu, et, lorsqu’il en est plein, on le frappe à coups de baston sur le ventre jusqu’à ce qu’il meure. Pour les larrons, ils sont seulement foulés aux pieds jusqu’à la mort ; et, quoyque ce supplice soit fort rigoureux, les Corésiens ne laissent pas que d’être fort enclins à dérober. Si quelqu’un non marié est trouvé couché avec une femme mariée, on le dépouille nu, en ne lui laissant qu’un petit caleçon. Après lui avoir frotté le visage de chaux, on luy passe une flèche à chaque oreille et on luy attache un petit tambour sur le dos, sur lequel on bat dans tous les carrefours pour le tourner en ridicule. Ce supplice finit par quarante à cinquante coups de baston donnés sur les fesses à nu pour les hommes, sur un caleçon pour les femmes. Les Corésiens sont d’une complexion fort amoureuse, et si jaloux qu’ils n’accordent qu’avec peine et rarement à leurs meilleurs amis la vue de leurs femmes et de leurs filles. Un homme marié trouvé couché avec la femme d’un autre est puni de mort, surtout parmi les personnes qui sont le plus en dignité ; il faut même que le père du criminel, s’il est en vie, ou son plus proche parent, remplisse l’office de bourreau. Le patient peut choisir de quelle mort il veut mourir : ordinairement les hommes demandent qu’on les perce à coups d’épée par derrière, et les femmes qu’on leur coupe la gorge. Ceux qui ne payent pas à point nommé ce qu’ils doivent au roy ou aux particuliers, sont frappés deux ou trois fois le mois sur les os des jambes, et cela continue jusqu’à ce qu’ils aient trouvé de quoi s’acquitter. S’ils meurent avant que d’avoir satisfait entièrement, leurs plus proches parents sont obligés de payer pour eux ou de souffrir les mêmes peines, si bien que le roy et les particuliers ne perdent jamais leur dû. Le plus léger supplice de ce pays-là est d’être battu sur les fesses nues ou sur le gras des jambes ; mais on ne le tient pas à honte, parce qu’il est fort ordinaire et qu’on y est souvent exposé pour avoir dit une parole mal à propos. Les gouverneurs particuliers, ainsi que les juges subalternes, ne peuvent condamner personne à mort sans le consentement du gouverneur de la province. Personne ne peut juger les criminels d’État que le roy n’en ait été instruit.

Quant à ce qui est des supplices, voici la manière dont on donne les coups sur les os des jambes : On lie ensemble les deux pieds du coupable sur un petit banc large de quatre doigts, après en avoir passé un autre de pareille hauteur sous les genoux où on les attache, alors on frappe entre les deux ligatures avec un bâton long comme le bras, un peu rond d’un costé et plat de l’autre, large de deux pouces et épais comme un écu blanc. Ces espèces de lattes sont ordinairement de chêne ou d’aulne. On ne peut donner de suite plus de trente coups, à trois ou quatre heures de distance ; on continue ainsi jusqu’à ce que la sentence soit exécutée. Lorsqu’il est ordonné qu’on frappera un coupable sur la plante des pieds, on le fait asseoir à terre, et, après avoir attaché un pied à l’autre par les deux gros doigts, on les pose sur une pièce de bois qu’ils ont entre les jambes, et on les frappe avec un bâton gros comme le bras et long de trois ou quatre pieds, autant de coups que le juge l’a ordonné. Pour ce qui est du supplice des fesses, voici comment il se pratique : Après avoir fait déshabiller le patient, on le fait coucher à terre, le ventre dessous, et on l’attache à un petit banc : on laisse aux femmes un caleçon mouillé. En cet état, on le frappe d’une latte plus longue et plus large que celle dont je viens de parler. Comme cent coups équivalent presque à peine de mort, plusieurs en meurent aussi, et même avant d’en avoir reçu cinquante. Les coups sur le gras des jambes se donnent avec des baguettes grosses comme le pouce. Ce châtiment s’inflige aux femmes et aux jeunes apprentis. Durant toutes ces exécutions, les cris des criminels sont si lamentables qu’il semble que les spectateurs ne souffrent pas moins que les patients[27] !

Les Corésiens sont fort peu religieux[28] ; le menu peuple fait bien quelques grimaces devant les idoles, mais il ne les révère guère, et les grands les honorent encore moins, parce qu’ils se croient être quelque chose de plus qu’une idole. Lorsqu’un de leurs parents ou de leurs amis vient à mourir, ils assistent à l’offrande qu’un prêtre fait en cette occasion devant l’idole. Ils ne craignent même pas de faire trente ou quarante lieues pour se trouver à cette cérémonie, mais c’est tout simplement pour faire honneur au mort, par reconnoissance pour les bienfaits qu’ils en ont reçus, ou en marque d’estime qu’ils ont pour l’officiant, dans le cas où c’est quelque savant moine. Les jours de fête, le peuple se range dans le temple, et chacun allume un morceau de bois de senteur. Après l’avoir mis dans un vase, ils le viennent offrir à l’idole, et, le mettant devant elle, ils font une profonde révérence et se retirent. Voilà tout leur culte. Quant à leurs croyances, ils sont persuadés que celui qui fait bien en sera récompensé, et que celui qui fait mal en sera puni. Du reste ils ne savent ce que c’est que prédications ni mystères ; aussi ne disputent-ils point religion, croyant tous une même chose et la pratiquant également par tout le royaume. Les moines offrent deux fois par jour des parfums devant une idole, et, les jours de fête, c’est un moine, accompagné de tous les moines de la maison, qui font du bruit avec des tambours, des bassins et des chaudrons. Les cloistres et les temples dont le pays est presque rempli sont la plupart sur les montagnes, chacun dans la juridiction d’une ville. Il y a tel monastère où on voit jusqu’à cinq ou six cents moines, et telle ville qui en compte dans son ressort jusqu’à quatre mille. Ils sont divisés par bandes de dix, de vingt, quelquefois de trente, auxquels commande le plus âgé ; lorsque quelqu’un d’eux manque à son devoir, il le peut faire châtier par les autres de vingt ou trente coups sur les fesses, mais si l’affaire est grande, on le livre au gouverneur de la ville dont le couvent dépend. Comme il est permis à chacun de se faire moine, qu’il peut quitter cette profession quand cela lui plaît, toute la Corée en est remplie. Cependant les moines, en général, ne sont guère plus estimés que les esclaves, à cause des grands tributs qu’ils sont obligés de payer et des ouvrages qu’ils sont tenus d’exécuter. Cependant leurs supérieurs sont en grande estime, surtout lorsqu’ils sont savants, car alors ils vont de pair avec les grands du pays, sont appelés moines du roy, et en portent les insignes sur leurs habits. Ils jugent comme officiers subalternes, et font leurs visites à cheval, étant fort bien reçus et régalés partout où ils passent. Les simples moines ne peuvent rien manger qui ait eu vie ; ils se rasent les cheveux et la barbe, et la conversation des femmes leur est interdite. Si quelqu’un d’entre eux manque à ces règlements, on lui donne soixante-dix ou quatre-vingts coups sur les fesses, et il est chassé du cloistre. Dans le temps de leur première tonsure ou incontinent après, on leur fait une marque au bras qui ne s’efface jamais, et c’est à cela qu’on reconnoît ceux qui ont été en religion. Ils travaillent pour gagner leur vie, ou ils font quelque commerce, d’autres vont à la quête, et tous ont quelque légère pension du gouverneur. Ce sont eux qui apprennent avec grand soin à lire et à écrire aux petits enfants. Si les enfants veulent être rasés, ils les retiennent à leur service, tirent tout le fruit de leur travail et de leur industrie ; mais, à la mort de leur maître, ils sont affranchis, et héritent de ses biens. Aussi sont-ils obligés d’en porter le deuil comme de leur père, en reconnoissance de toute la peine qu’il a prise pour les instruire et les élever. Les cloistres et les temples sont bâtis aux dépens du public, chacun contribuant à proportion de son bien. Outre ces moines, il y a encore une autre sorte d’individus qui se vouent à l’abstinence et au service des idoles, mais ils ne sont pas rasés, et ils peuvent se marier. Les uns et les autres croient par tradition que tous les hommes ne parloient autrefois qu’un même langage, mais que le dessein de bâtir une tour pour monter au ciel avoit causé la confusion des langues.

Les nobles fréquentent beaucoup les cloistres pour s’y divertir avec des femmes publiques ou d’autres qu’ils y mènent ; la situation en est ordinairement délicieuse et plaisante, à cause de la beauté des vues et des jardins dont ils sont entourés ; de sorte qu’on pourroit plutôt les nommer des maisons de plaisir que des temples. Ceci, il est vrai, doit plutôt s’entendre des cloistres communs dont les moines aiment fort à boire. Il y avoit de notre temps dans la ville de Sior[29] deux cloistres de religieuses, l’un pour les personnes de qualité et de condition, l’autre pour les filles du peuple. Elles étoient toutes rasées et observoient les mêmes règles, le même service que les moines. Le roy et les grands fournissent à l’entretien de ces couvents de femmes ; il y a trois ou quatre ans que le roy qui règne actuellement leur donna la liberté de se marier.

Après avoir parlé du gouvernement et de l’état ecclésiastique, je dirai quelque chose des particuliers.

Les maisons des Corésiens de condition sont magnifiques, mais celles du peuple sont très-peu de chose, parce qu’il ne lui est pas permis de bâtir à sa fantaisie. Personne ne peut faire couvrir son logis de tuile sans permission, ce qui est cause que la plupart ne sont couvertes que de paille ou de roseaux. Elles sont séparées les unes des autres par un mur ou par un rang de palissades et bâties sur des piliers de bois dont l’intervalle est rempli de pierres jusqu’au premier étage ; le reste est entièrement de bois enduit au-dehors et recouvert de papier blanc collé en dedans ; les planchers reposent sur des voûtes sous lesquelles on fait du feu, de sorte que l’on est aussi chaudement dans les chambres que si elles étoient chauffées par un poêle. Les plafonds sont garnis de papier huilé. Leurs maisons sont d’ailleurs petites, n’ayant qu’un étage et un grenier au-dessus où ils resserrent leurs provisions. Les nobles ont toujours sur le devant de leurs habitations un corps-de-logis où ils reçoivent leurs amis, et logent leurs connoissances ; c’est là aussi qu’ils se divertissent ; à l’entrée est ordinairement une grande place ou cour avec un réservoir et un jardin planté d’allées couvertes. Quant aux femmes, leur appartement est au fond de la maison, afin qu’elles ne soient vues de personne. Les marchands et les principaux bourgeois ont le plus souvent à côté de leur maison un magasin où ils mettent leurs marchandises et où ils fument et boivent de l’arac avec leurs amis. Il y a parmi eux d’honnêtes femmes qui ont la liberté de voir le monde, d’aller en compagnie et même en festin, mais elles sont assises à part et vis-à-vis de leurs maris. Les Corésiens n’ont guère d’autres meubles que les plus nécessaires. On trouve partout quantité de cabarets et de maisons de récréation où les Corésiens vont voir des femmes publiques qui dansent, chantent et jouent des instruments. L’été, ces sortes de divertissements se prennent à la fraîcheur des bois et sous des arbres fort touffus. Il n’y a pas de lieux affectés spécialement aux passants et aux voyageurs ; mais celui qui voyage va s’asseoir où la nuit le prend auprès de la palissade de la première maison qu’il rencontre, et là, quand bien même ce ne seroit pas la demeure d’un grand, on lui apporte toujours suffisamment de riz cuit et de viande préparée pour souper ; il pourroit ainsi s’arrêter successivement à plusieurs maisons, et il y trouveroit le même accueil. Cependant sur le grand chemin de Sior, on trouve des logis où l’on donne à coucher et à manger à ceux qui voyagent pour le public, lequel en fait la dépense.

Les Corésiens ne peuvent se marier entre parents qu’au quatrième degré ; ils ne savent ce que c’est que de se faire la cour, parce qu’on les marie dès l’âge de sept ou huit ans, et qu’à partir de ce moment, les filles entrent dans la maison de leur beau-père, à moins qu’elles ne soient filles uniques. Elles demeurent donc chez leur beau-père jusqu’à ce qu’elles aient appris à gagner leur vie ou à conduire un ménage. Le jour où un homme se marie, il monte à cheval accompagné de ses amis, et, après avoir fait le tour de la ville, il s’arrête devant la porte de sa fiancée ; il est fort bien reçu par les parents qui prennent la mariée et la mènent chez lui, où les noces se célèbrent sans autre cérémonie. Bien qu’une femme ait donné plusieurs enfants à son mari, il peut la répudier quand il lui plaît et en prendre une autre, mais la femme n’a pas le même privilège à moins que le juge ne l’ordonne. Un homme peut entretenir autant de femmes qu’il en peut nourrir et aller chez elles à toutes heures sans qu’on puisse y trouver à redire. Mais sa femme en titre seule demeure chez lui ; les autres sont en ville ou dans d’autres maisons séparées de son ménage. Les nobles pourtant, outre leur femme, en ont encore deux ou trois autres dans le logis, mais il n’y en a toujours qu’une qui domine et qui a l’intendance du tout. Les autres ont chacune un appartement séparé où le maître du logis va quand il luy plaît. Dans la vérité, ils ne font pas grand cas des femmes et ne les traitent guère mieux que des esclaves, les chassant pour les moindres petites fautes et quelquefois sur de simples prétextes ; dans ce cas, ils les obligent à emmener leurs enfants dont ces malheureuses restent chargées. Cette liberté de chasser la mère et les enfants sert extrêmement à peupler le pays[30].

Les nobles et les personnes libres ont un assez grand soin de l’éducation de leurs enfants ; ils leur donnent de bonne heure des maîtres de lecture et d’écriture, à quoi cette nation prend très-grand plaisir. Les maîtres n’usent d’aucune contrainte dans leur manière d’enseigner, faisant tout faire par la douceur, représentant à leurs élèves la beauté de la science, le mérite de leurs ancêtres et la gloire de ceux qui, par de semblables moyens, ont fait de grandes fortunes[31]. Aussi est-ce une merveille de voir comment les élèves profitent et comment ils expliquent les écrits qu’on leur fait lire, car c’est en cela que consiste toute leur science. Outre ces études générales, il y a en chaque ville une maison où les nobles, suivant une ancienne coutume, dont ils sont grands observateurs, ont soin d’assembler la jeunesse pour lui faire connoître l’état des affaires du pays et les noms des grands qui ont été condamnés pour leurs crimes. Il se tient enfin tous les ans dans deux ou trois villes de chaque province des assemblées où se rendent les étudiants qui désirent avoir quelque emploi, soit dans la plume, soit dans l’épée. Les gouverneurs de place y envoient des députés habiles pour les examiner et pour faire choix des plus capables ; sur le rapport qu’on leur en fait, ils en écrivent au roy. Tous les ans encore il se tient une assemblée à la Cour, où on examine la conduite de tous ceux qui sont dans les emplois. Les plus grands du royaume y assistent, qu’ils soient en charge ou non. Les emplois y sont distribués à ceux qu’on en croit dignes et le roy en fait expédier les nominations. Les vieux officiers qui n’ont été jusqu’alors que dans la plume ou dans l’épée, font tous leurs efforts en ce temps-là pour avoir charge en l’une ou l’autre profession, afin d’augmenter leurs revenus. La poursuite de ces sortes d’honneurs ruine souvent leurs prétendants, à cause des présents et des festins qu’ils font pour se mettre en estime et pour gagner les suffrages. Il y en a même qui meurent en chemin, et la plupart se contentent d’obtenir le titre de l’emploi qu’ils prétendent, et ils croient que c’est beaucoup d’avoir été désignés à une charge.

En Corée les pères chérissent fort leurs enfants dont ils sont réciproquement fort respectés. Ils sont solidaires des faits qu’ils accomplissent, et, si l’un d’eux commet une méchante action, l’autre en est responsable. Il n’en est pas de même des esclaves qui se soucient fort peu de leurs enfants, parce qu’ils savent qu’on les leur enlèvera aussitôt qu’ils seront en âge de travailler ou de faire quelque chose. Lorsqu’un homme libre meurt, ses enfants portent le deuil pendant trois ans, et durant tout ce temps ils prient aussi austèrement que les moines, ne peuvent exercer aucune charge, et, s’ils en ont une, il faut qu’ils l’abandonnent. Il ne leur est pas permis de coucher avec leurs femmes, et s’il leur naît alors des enfants, on les regarde comme illégitimes. Il ne leur est pas permis non plus de se mettre en colère, ni de se battre, et encore moins de s’enivrer. On porte comme deuil une longue robe de toile de chanvre, sans rien autre chose dessous qu’une espèce de haire d’un tissu de fil tors aussi gros que le fil de bambou ou de roseau dont on fait les câbles de navire. La tête est couverte d’un chapeau de roseaux noués avec une corde de bambou en guise de crêpe. Les personnes qui sont dans cette position portent à la main un gros bâton ou roseau lorsqu’elles sont en deuil de leur père ; un simple bâton plus petit lorsqu’elles ont perdu leur mère. Du reste, comme elles ne se lavent point pendant tout ce temps-là, il s’ensuit qu’elles sont aussi noires que des mulâtres.

Aussitôt que quelqu’un est mort, ses parents courent par les rues, pleurant, hurlant et s’arrachant les cheveux. Ils ont grand soin ensuite de l’inhumer honorablement en quelque endroit d’une montagne qu’un devin leur indique. On dépose le corps dans deux cercueils épais de deux à trois doigts, fermant exactement et qui se placent l’un dans l’autre, afin de mieux résister à l’eau ; ils sont enjolivés et garnis selon les moyens des parents. Les Corésiens enterrent ordinairement leurs morts au printemps et en automne ; ceux qui meurent en été sont placés dans une loge de paille élevée sur quatre pieux, où on les laisse jusqu’à ce que le riz soit moissonné. Lorsqu’ensuite on veut les enterrer, on les rapporte au logis et on les place dans le cercueil avec leurs habits et quelques bijoux. On part avec le corps à la pointe du jour, après avoir festiné et s’être fort réjoui toute la nuit. Les porteurs chantent et vont en cadence pendant que les parents font retentir l’air de leurs cris. Trois jours après, tous ceux qui ont accompagné le corps retournent sur la fosse, où ils font quelques offrandes ; puis ils mangent ensemble et font bonne chère. Le menu peuple se contente de creuser une fosse profonde de cinq ou six pieds ; mais les grands sont mis dans des tombeaux de pierre, sur lesquels on place une statue de même matière, où l’on voit au bas le nom et les qualités du défunt. Toutes les pleines lunes, on coupe l’herbe qui a crû sur les tombes, et on y offre du riz nouveau. C’est là leur plus grande fête, après celle du nouvel an.

Les Corésiens comptent le temps par lunes, et, de trois ans l’un, ils en intercallent une, si bien que cette année-là en a treize. Ils ont des devins qui leur assurent si les morts reposent ou non, et si le lieu où ils sont enterrés leur convient ; sur quoi ils sont tellement superstitieux, qu’ils les changent souvent de place deux ou trois fois. Après que les enfants se sont bien acquittés de ce qu’ils doivent à leur père et à leur mère par cette longue cérémonie, s’ils ont laissé du bien, le fils aîné se met en possession de la maison, qui lui appartient avec toutes les terres qui en dépendent. Pour les autres biens, ils se partagent entre les garçons, sans que nous ayons ouï dire que les filles y aient aucune part, car les femmes n’apportent rien en mariage que leurs habits. Lorsqu’un père vient à l’âge de quatre-vingts ans, il se déclare lui-même incapable de gouverner son bien et le cède à ses enfants, qui entretiennent leur père et continuent toujours à le respecter beaucoup. L’aîné étant entré en possession des biens, fait bâtir, aux dépens de la communauté, une maison pour son père et pour sa mère, où il les loge et les nourrit.

Les Corésiens sont fort enclins à dérober et si sujets à tromper et à mentir, que l’on ne doit pas trop se fier à eux. Ils croient avoir fait une bonne action quand ils ont trompé quelqu’un ; aussi la tromperie n’est-elle pas infâme chez eux. Mais si quelqu’un peut prouver qu’on l’a trompé dans un marché de chevaux, de vaches ou de quelque autre chose, le marché est regardé comme nul, même au bout de trois et quatre mois. Ils sont toutefois assez simples et crédules, et nous aurions pu leur persuader tout ce que nous aurions voulu, car les étrangers sont fort aimés du peuple, et des moines surtout[32]. C’est du reste une population efféminée et qui ne fait pas voir dans l’occasion ni beaucoup de fermeté ni beaucoup de courage. Du moins c’est ce que nous ont rapporté plusieurs personnes dignes de foi, qui avoient été témoins des ravages que fit dans le pays le czar (empereur) du Japon lorsqu’il tua leur roi, sans parler de ce que Jans Wettevrée[33], nous raconta de l’entrée du Tartare, qui, passant sur la glace, s’empara du royaume. Il nous assuroit, comme ayant été présent à tout, qu’il périt plus de Corésiens dans les bois, où ils se sauvèrent, que l’ennemi n’en tua. Ils n’ont point de honte de la poltronnerie, et ils déplorent le malheur de ceux qui sont obligés de se battre. Aussi se sont-ils souvent retirés avec perte lorsqu’ils pensoient piller quelque vaisseau d’Europe jeté par la tempête sur leur côte et qu’on leur résistoit. Leur horreur pour le sang est si grande, que sa vue seule les fait fuir, et ils n’ont pas moins de crainte des maladies et surtout des maladies contagieuses ; aussi enlèvent-ils leurs malades aussitôt qu’ils en ont, soit à la ville, soit à la campagne, pour les déposer dans des loges de paille au milieu des champs. Là, personne ne leur parle, à l’exception de ceux que le dévouement porte à les garder, et qui avertissent les passants de se détourner. Lorsque le malade n’a point d’ami qui en prenne soin, ses voisins le laissent plutôt périr que d’en approcher. Lorsqu’il y a peste dans une ville ou dans un village, on en forme les approches avec une haie d’épine et on en met aussi sur le toit infecté, afin d’avertir ceux qui pourraient l’ignorer. Il seroit facile de se servir, pour le traitement des maladies, des simples qui croissent dans la pays, mais le peuple ne les connoît pas assez, et les médecins sont presque tous au service des grands, si bien que les pauvres, qui ne peuvent faire cette dépense, se servent d’aveugles et de devins, en qui ils avoient autrefois une si grande confiance qu’ils les suivoient partout à travers les rivières et les rochers, et surtout dans les temples des idoles, où ils invoquaient les démons. Mais cette coutume fut entièrement abolie, par ordre du roi, en l’année 1662.

Avant que le Tartare se rendit maître de la Corée, elle étoit plongée dans le luxe et la débauche, les Corésiens ne faisant que boire et manger et se livrer à toutes sortes de dissolutions ; mais aujourd’hui que les Japonois et les Tartares (les Man-tchéous) les tyrannisent, ils ont bien de la peine à supporter une mauvaise année, à cause des grands tributs qu’ils paient, surtout au Tartare, qui vient l’exiger trois fois l’an[34].

Les Corésiens croient qu’il n’y a dans le monde que douze royaumes ou pays commandés par un seul empereur qui réside en Chine et à qui tous les autres payoient autrefois tribut ; ceux-ci se seroient soustraits à ce joug depuis la conquête de la Chine par le Tartare qui n’a pu les subjuguer. Ils nomment le Tartare Tieksé et Orankay. Quant à notre pays (la Hollande), ils l’appellent Nampankouk, nom que les Japonois donnent au Portugal, de sorte que ne nous connoissant pas et n’ayant pas de dénomination particulière pour nous désigner, ils nous le donnent aussi. Ce sont les Japonois qui le leur ont appris, il y a cinquante ou soixante ans[35], en leur enseignant la culture, la préparation et l’usage du tabac qu’ils ignoraient auparavant, et comme, suivant ces derniers, la semence venoit de Nampankouk, ils nomment souvent le tabac nampankoy[36]. Ils en prennent tant aujourd’hui que les enfants y sont accoutumés dès l’âge de quatre ou cinq ans, et il n’y a que très-peu d’hommes et de femmes qui ne fument pas. À l’époque où le tabac étoit apporté du dehors, ils l’achetoient au poids de l’argent, ce qui fait qu’ils estiment Nampankouk un des meilleurs pays du monde.

Les livres corésiens rapportent qu’il y a quatre-vingt-quatre mille contrées différentes ; mais la plupart des Corésiens ne le croient pas, et disent, avec raison, qu’il faudroit, si cela étoit, que chaque îlette et banc de sable fût regardé comme une contrée, n’étant pas possible, ajoutent-ils, que le soleil en éclairât tant en un jour. Quand nous leur nommions quelques pays, ils se moquaient de nous, soutenant que sans doute nous ne voulions parler que d’une ville ou d’un village, leurs connoissances géographiques ne s’étendant pas plus loin que Siam à cause du peu de commerce qu’ils font avec les étrangers situés au-delà. Ils n’ont pour ainsi dire de relations commerciales qu’avec les Japonois et avec les habitants de l’île de Suissima qui ont un magasin sur le rivage sud-est de la Corée, dans la ville de Pousan[37]. Les uns et les autres apportent en Corée du poivre, du bois de sapan, de l’alun, des cornes de buffle, des peaux de cerf et de bouc et autres marchandises que nos gens (les Hollandais) et les Chinois vendent au Japon. On prend en échange diverses denrées et marchandises du pays. Les Corésiens font aussi quelque commerce avec Pékin et les contrées septentrionales de la Chine ; mais c’est au prix de grandes dépenses, car ils n’y vont que par terre et à cheval, aussi n’y a-t-il guère que les gros marchands de Sior qui vont à Pékin, et ils sont toujours au moins trois mois en voyage ; ce commerce consiste surtout en toiles. En Corée, les grands et les principaux marchands achètent et paient avec de l’argent, mais le peuple ne trafique qu’avec du riz et des denrées.

Il n’y a qu’un poids et une mesure dans tout le royaume ; les marchands en abusent fort, malgré toutes les précautions et les règlements des gouverneurs. On ne connoît d’autre monnoie que les casis[38], encore n’ont-ils cours que sur les frontières de Chine. L’argent se donne au poids, par petits lingots, semblables à ceux qu’on rapporte du Japon en Hollande.

La langue des Corésiens, leur écriture et leur façon de compter sont fort difficiles à apprendre ; beaucoup de mots servent à désigner la même chose, et ils parlent tantôt vite, tantôt lentement, surtout les savants et les grands seigneurs. On compte trois sortes d’écritures différentes : la première et la principale ressemble à celle de la Chine et du Japon ; les Corésiens s’en servent pour l’impression de leurs livres et pour ce qui concerne toutes les affaires publiques. La seconde remplit le même objet que l’écriture ordinaire parmi nous. Les grands et les gouverneurs en usent pour répondre aux requêtes et mettre des apostilles aux lettres d’avis et autres écrits ; le peuple ne sait pas lire cette écriture. La troisième écriture est plus grossière et sert aux femmes et aux gens du peuple ; elle est fort aisée à apprendre et à lire, et on écrit avec elle plus commodément qu’avec les deux autres les noms et les choses dont on n’a jamais entendu parler ; elle se trace (de même que les deux autres sans doute) avec des petits pinceaux fort nets et déliés[39]. Les Corésiens ont beaucoup de vieux livres, tant imprimés que manuscrits, qu’ils gardent si précieusement qu’on n’en confie le soin qu’au frère du roy. Il y en a des copies aussi bien qu’une représentation exacte en plusieurs villes, afin qu’en cas d’incendie on n’en fût pas entièrement privé. Les almanachs se font à la Chine, parce que les Corésiens n’ont ni assez d’adresse ni assez de science pour les faire eux-mêmes. Ils impriment avec des planches ou formes de bois, et ils ont une forme particulière pour chacun des côtés de la feuille. Les comptes se font avec de petits bâtons longuets de la même manière que nous les faisons avec des jetons. Ils ne savent point tenir de livres de compte, seulement lorsque le marchand achète quelque chose, il met le prix dessus, écrit au-dessous ce qu’il peut en retirer, et voit aisément, par ce moyen, la valeur de ses profits ou de ses pertes.

Quand le roy sort, il est accompagné d’une grande troupe de soldats en fort bon ordre et suivi de toute la noblesse de sa cour ; chacun des courtisans, vêtu d’une robe noire, porte ses insignes ou quelque ouvrage de broderie devant et derrière, avec une écharpe fort ample. Devant lui, marchent des hommes à cheval et d’autres à pied, les uns portant des enseignes et des étendards, les autres divers instruments de cuivre dont ils jouent. Ils sont suivis des gardes-du-corps composés des principaux bourgeois de la ville. Le roy est au milieu porté sur un dais d’or fort riche, et il passe dans un si grand silence qu’on n’entend pas le moindre petit bruit. Immédiatement devant lui, marche un secrétaire d’État, ou quelque autre officier de grande importance avec une cassette dans laquelle il dépose toutes les requestes et les placets que les particuliers présentent à sa majesté, les uns au bout d’un roseau, les autres en les laissant pendre le long des murailles ou des palissades, de sorte qu’on ne voit pas ceux qui les remettent : ces derniers sont recueillis par des gens appointés ad hoc pour les apporter au secrétaire. Lorsque le roy est de retour au palais, on luy présente le tout pour qu’il en décide. Dans les rues où le roy passe, toutes les maisons ont leurs portes et leurs fenêtres fermées ; personne n’oseroit les entr’ouvrir, et encore moins regarder par dessus la palissade ou par dessus la muraille. Quand le roy passe auprès des grands et des soldats, il faut que ceux-ci lui tournent le dos, sans le regarder ni même tousser. Aussi, dans ces rencontres, la plupart des soldats se mettent-ils de petits bâtons à la bouche pour n’être pas accusés de faire du bruit. Lorsque l’ambassadeur du Tartare (l’empereur de la Chine) vient, le roy se rend en personne avec toute sa cour pour le recevoir hors de la ville, l’accompagne jusqu’à sa demeure, et partout on lui rend plus d’honneurs qu’au roy. Toutes sortes de joueurs d’instruments, de danseurs et de sauteurs sont devant lui et s’efforcent à l’envi de le bien divertir. Durant tout le temps de son séjour en Corée, toutes les rues qui sont entre sa demeure et le palais sont bordées de soldats, à dix ou douze pieds l’un de l’autre. Il y a deux ou trois hommes qui ne font autre chose que de ramasser les billets jetés de sa fenêtre pour les porter au roy, qui veut savoir à toute heure ce que fait l’ambassadeur. En un mot, ce prince cherche tous les moyens de le contenter, afin de témoigner ainsi du respect qu’il a pour le grand Khan, et que l’envoyé en fasse un rapport favorable à son maître.


Nous n’ajouterons rien à la description de Hamel, parce que cela nous entraînerait beaucoup trop loin. Pour l’étendre et la compléter, il suffira d’y joindre les données contenues dans le mémoire de M. Callery, et qui ne se trouvent pas dans le sien, les renseignements, quelquefois curieux, contenus dans les ouvrages de M. de Siébold, l’histoire de la Chine de de Mailla, les relations de La Pérouse, Broughton, Maxwell, Basil Hall, ainsi que celles de la description chinoise insérée dans le San kokf tsou ran to sets, par M. Klaproth ; elle seule a plus de cent pages grand in-8, et offre des matériaux historiques et géographiques également importants.


O. Mac Carthy.
  1. Le Liao-toung a une limite d’une physionomie toute particulière. Les empereurs chinois de la dernière dynastie, pour la mettre à l’abri des incursions des Man-tchèou, l’ont fait envelopper d’une ligne de pieux élevés qui a près de 900,000 mètres (200 lieues de France) de développement, et que l’on traverse par des portes, touka. Elle vient s’appuyer, au sud-ouest, sur l’extrémité orientale de la Grande-Muraille. On pense bien qu’elle n’a pas plus préservé le Liaotoung des incursions de ses remuants voisins les Man-tchéou que celle-ci n’a défendu le pur empire, Ta-thsing-kouè, contre les invasions des Mongols.
  2. Klaproth, Vocabulaire de la langue coréenne ; Nouveau Journal asiatique, 2e  série, t. 3, 1829.
  3. D’ailleurs M. Callery, qui est beaucoup plus compétent dans cette question que M. Klaproth, a reconnu les plus grands rapports entre les Japonais et les Coréens. Après avoir signalé la similitude profonde qu’il y a entre la Chine, la Cochinchine et le Tong-king, il ajoute : « La Corée, au contraire, se présente sous un aspect entièrement différent, et, chose remarquable, elle offre avec le Japon une telle analogie qu’on est naturellement porté à attribuer aux deux royaumes une seule et même origine. » Revue de l’Orient, t. 5, p. 274.
  4. Les Japonais occupaient Formose depuis longtemps, lorsqu’en 1634 ils permirent aux Hollandais de bâtir, à l’entrée du port de Thaï-ouan (aujourd’hui le chef-lieu des établissements chinois), le fort Zélandia. Les empereurs du Japon, s’étant vus obligés d’abandonner cette possession lointaine, les Hollandais s’en regardèrent comme les maîtres et la conservèrent jusqu’en 1661, que le fameux pirate chinois Koxinga (Tching-tching-koung) les en chassa, et il en fut lui-même expulsé par ses compatriotes en 1683 ; depuis lors, l’Île de Formose a été rattachée, comme dépendance, à la province de Fou-kian, vis-à-vis de laquelle elle s’élève.
  5. Journal van de ongelukige voyagie van t’Iacht de Sperwer, gedestineerl na Tayovan en t’Jaar 1653 ; hoe t’Selve lacht, etc. Journal du voyage malheureux du vaisseau l’Épervier, destiné pour Tayovan, en 1653, et qui a échoué près de l’île de Quelpaart, avec la description des pays, provinces, villes et forts du royaume de Corée, par Henri Hamel, Rotterdam, 1668, in-4. L’ouvrage fut traduit en français sous le titre suivant : Relation du naufrage d’un vaisseau hollandais sur la côte de l’île de Quelpaert, avec la Description du royaume de Corée, traduit du flamand, par M. Minutoli. Paris, Billaine, 1670. In-12.
  6. Elle est au deux millionnième, autant qu’il est possible de déterminer l’échelle métrique d’une carte dont la projection n’est pas très-régulière. Les limites des huit divisions de la Corée y sont indiquées, ainsi que toutes les localités d’une certaine importance.
  7. Voyage de La Pérouse, publié par Milet-Mureau, t. 3, p. 24-30.
  8. Les naufragés de l’Épervier ne reconnurent le lieu où ils se trouvaient que par une observation du maître pilote ; en prenant hauteur, il reconnut que l’on était dans l’île Quelpaert, qui est par 33° 32′. (Hamel, p. 17.)
  9. Du 1er au 28 octobre 1797.
  10. Cette impulsion est vraiment singulière ; elle a été telle que les côtes des différentes régions maritimes de cette partie du grand continent se développent suivant des lignes courbes plus ou moins prononcées ; ainsi, une partie des côtes de la Sibérie, sur la mer d’Okhotsk, celles de la Mantchourie, de la Corée, de la Chine surtout, de la Cochinchine, ont cette forme ; dans les îles que la nature semble avoir posées en avant du continent pour le garantir des attaques de l’immense Océan, comme de vastes brise-flots, elle est peut-être encore plus remarquable. Les Aléoutiennes, les Kourilles, les îles du Japon, les Lieou-Khiéou, les Philippines, le rivage nord de Bornéo sur toute sa longueur, dessinent sur la mer autant de courbes dont il serait facile de déterminer le rayon. Cette persistance étrange dans les formes sur une aussi vaste échelle est un des caractères les plus remarquables que présente la géographie physique de l’Asie.
  11. Will. Kob. Broughton, a Voyage of Discovery to the north Pacific Ocean: in which, etc., p. 214-271 du tome 2 de la traduction française.
  12. Il est par 37° 45′ et 122° 20′ 15″.
  13. Il résulte des explorations de La Pérouse, de Broughton et de celles de l’Alceste et de la Lyre, qu’au sud-ouest et au sud de la Corée s’élève un nombre infini d’îles et d’îlots qui, semblables à une large ceinture, s’étendent du 37e parallèle à l’angle sud-est de la péninsule, soit une longueur de plus de 850,000 mètres (180 lieues). Basil Hall a donné à la partie occidentale le nom d’Archipel de Corée, qu’il faut étendre à tout l’ensemble.
  14. Voyage du capitaine Maxwell, par John Mac Leod, traduit par M. Defauconpret, p. 48 à 72. — Les jésuites n’ont rien dessiné du tout, et n’ont fait aucune observation en Corée, ce qui ne peut nullement faire suspecter leur exactitude ordinaire. Si M. Mac Leod eût étudié la question comme nous venons de le faire, ce reproche ne lui serait point échappé. Voici ce qu’a eu soin de dire, au sujet de la carte de Corée dont il est parlé ici, l’éditeur du travail des missionnaires : « Pour ce qui est de la Corée, comme il n’a pas été possible aux missionnaires d’y pénétrer, ou convient qu’elle n’a pas été dressée par eux. Cette espèce de défaut, si l’on veut, ne doit pourtant point prévenir contre sa perfection. Il est à croire, au contraire, que si carte doit passer pour exacte, ce doit être celle-ci, puisqu’elle a été levée originairement par des géographes coréens, d’après les ordres mêmes du roi, et que l’original s’en conserve dans son palais. C’est sur cet original qu’a été tirée celle qu’on donne ici, et il est probable que les missionnaires, en examinant et déterminant les frontières de ce royaume du côté du nord, n’ont trouvé aucune différence notable entre leurs observations et les limites marquées sur ladite carte, puisqu’ils n’auraient pas manqué d’en faire mention. Cette circonstance seule semble refondre de son exactitude. » Ceci est en effet vrai pour le nord de la Corée, auquel la reconnaissance de Broughton et celle de l’Alceste n’ont pas fait subir de changements bien remarquables.
  15. Cinq centimètres pour un degré équinoxial.
  16. Excepté pour les trois points qui ont été déterminés avec grand soin.
  17. Ceci explique d’ailleurs tout naturellement comment les Coréens, seuls de tous les peuples tartares, sont divisés en classes semblables à celles des populations de la péninsule indo-gangétique.
  18. L’écrivain français a toujours écrit Corésien pour Coréen, sans doute avec l’auteur hollandais qui aura rendu cet adjectif par la forme Koresische.
  19. Voici quelle est la division de la Corée, d’après le Tai-thsing y thoung-tchi, la grande géographie chinoise dont nous avons parlé. Les noms y sont écrits en chinois et ne paraissent avoir que fort peu de rapports avec les noms coréens, si nous en jugeons par celui de la capitale, nommée dans cet ouvrage King-ki-tao (ainsi que sur la carte de d’Anville, qui est également traduite du chinois) ou Hang-yang-tching ; son véritable nom, suivant les dernières lettres des missionnaires (Annales de la Propagation de la foi, 1847), est Séoul, que Hamel a entendu et écrit Sior.

    La première colonne de ce tableau donne le nombre de principautés de chaque province ; la deuxième, celui des villes de premier ordre (Fou en chinois) ; la troisième, celui des villes de second ordre (Tchéou), et la quatrième, celui des Hian ou villes de troisième ordre.

    PROVINCES :
    De King-ki (ou de la cour).
    3 3 7 3
    De Kiang-yuan ou des sources du fleuve, ancien pays des Wei-Mè.
    7 5 4 10
    De Houang-Haï ou de la Mer Jaune, ancien pays des Kao-li et des Ma-han.
    3 3 5 8
    De Thsiuan-Lo, ancien pays des Pian-Han.
    3 2 4 23
    De Khing-Chan, ancien pays de Chin-han et de Sin-Lo.
    7 6 5 12
    De Tckoun-Thsing, ancien pays des Ma-ban.
    4 » 9 7
    De Hiang-King, ancien pays du Kao-Kiu-Li.
    3 5 8 1
    De Phing-ngan. 11 9 16 6

    La carte de d’Anville donne les limites de ces huit divisions.

  20. La distance de Pouman à Osakka est celle de deux localités des côtes de la Corée et du Japon, mais n’indique nullement leurs points les plus rapprochés. « Le canal qui sépare la côte du continent de celle du Japon, dit La Pérouse, peut avoir quinze lieues de longueur ; mais il est rétréci jusqu’à dix lieues par des rochers qui, depuis l’île de Quelpaert, ne cessent pas de border la côte méridionale de la Corée. » Voyage de La Pérouse, t. 3, p. 28.
  21. La Méditerranée dite Mer du Japon.
  22. Les prévisions de Hamel se sont réalisées, car c’est en effet dans cette direction que Behring a découvert, en 1728, le détroit auquel on a donné son nom, et qui forme en effet le pendant du détroit de Vaigats, lequel sépare le continent européen de la Nouvelle-Zemle.
  23. Sur la carte des lignes isothermes de M. de Humboldt, la Corée se trouve comprise entre les lignes de 10e  et de 15e, c’est-à-dire qu’elle aurait le même climat que la France ; la moyenne doit y être cependant bien moins élevée. On voit, d’après ce que dit Hamel, que la saison froide y est très-rigoureuse, en même temps que l’été doit y être très-chaud, puisque le riz est la production principale de la partie méridionale. La température, comme dans toutes les régions voisines, y marche entre des extrêmes fort éloignés.
  24. Le gin-seng, espèce d’araliacée très-commune dans toute la Mantchourie et à laquelle les Chinois attribuent des vertus merveilleuses ; ils pensent qu’elle donne l’immortalité : c’est du moins pour eux une panacée universelle. Le prix en est toujours fort élevé.
  25. Les Tartares Man-tchéous s’emparèrent de la Chine en 1664 ; c’est pour cela que l’auteur de cette relation désigne l’empereur sous le nom de Tartare, de même qu’on disait jadis le Turk pour le Solt’ane.
  26. On ne possède aucun document sur la population de la Corée. En consultant la grande carte de d’Anville, en lisant avec soin les relations, on voit que, si la population est assez également répartie dans la moitié australe, au sud du 38° 30′, il n’en est pas de même au nord, où elle se trouve surtout concentrée dans les deux vallées du Ya-lou-kiang et du Tou-men ; cette région paraît d’ailleurs couverte de nombreuses montagnes. En général, bien que la population paraisse assez dense sur certains points, tels que la côte sud-est visitée par La Pérouse, le sol est beaucoup plus inculte et bien moins cultivé qu’en Chine, dans le Chan-toung, province montueuse vis-à-vis de la Corée assez semblable à la Bretagne de France (Voy. Maxwell). Nous pensons donc qu’on peut regarder comme inculte ou incultivable un tiers de la surface du pays, et assimiler le reste aux départements des Pyrénées-Orientales, du Cher et de l’Indre, qui ont, le premier, 40 individus par kilomètre carré, et, les deux autres, 38 et 37. Ces trois valeurs appliquées à la Corée lui assigneraient une population de 6 à 7 millions d’âmes, chiffre qui nous semble s’harmoniser fort bien avec ce que nous savons du pays. Nous connaissons d’ailleurs très-exactement le nombre des principales villes de Corée ; il y a 33 villes du premier ordre ; 58 du deuxième et 70 du troisième, ce qui est, par parenthèse, très-minime, eu égard à la superficie du pays : cinq de nos départements en renferment plus. Hamel (Voy. ci-dessus p. 374), il est vrai, porte le nombre des villes à 360. En adoptant ce nombre et admettant que, l’une dans l’autre, ces villes comptent 6,000 âmes, nous aurions 2,160,000 âmes pour la population agglomérée. En France, la population agglomérée est à la population des campagnes, dans le rapport de 2 à 6, ce qui serait aussi le rapport en Corée, d’après les évaluations que nous adoptons.
  27. Toute cette pénalité est empreinte de ce caractère de barbarie qu’avait le nôtre au moyen-âge. Il est temps que le christianisme vienne adoucir et même abolir de semblables usages, qui sont une véritable honte pour l’humanité. Nos vœux, à cet égard, ne sont pas pour la Corée seule, mais aussi pour la Chine, la Cochinchine et le Japon, dont les codes sont d’une cruauté révoltante et forment un contraste frappant avec la civilisation assez avancée, à certains égards, de ces trois grands États. Si le lecteur a besoin d’être édifié à cet égard, qu’il lise quelques chapitres des lois pénales du céleste Empire ; elles ont été traduites par Slaunton en anglais, et de l’anglais en français par M. le marquis de Sainte-Croix, sous le titre de Code pénal de la Chine.
  28. La religion bizarre qui, semblable à l’arbre des banians, s’est enracinée partout où s’est étendu son ombrage, le bouddhisme, est, en Corée comme en Chine, la religion de la majorité. Elle y a ses pagodes, ses bois sacrés, ses bonzes et ses cérémonies ; mais elle y est aussi beaucoup moins raisonnée que dans l’Inde, et entourée, plus que partout ailleurs, des superstitions les plus grossières. Combien de Coréens, pleins de sens pour tout autre chose, viennent vous affirmer de conviction que tel magicien leur a fait voir le diable, que tel autre les a conduits promener dans l’enfer ! etc., etc. (Callery, ubi supra, p. 291.)
  29. La capitale où Hamel et ses compatriotes furent amenés en premier lieu.
  30. Nos économistes ne se seraient certes pas doutés du procédé signalé si naïvement ici par le narrateur hollandais pour accroître la population d’un pays.
  31. Voilà des sauvages qui sont, quant à cela, bien plus avancés que beaucoup de peuples européens regardés comme très-civilisés. Pourquoi l’instruction n’est-elle pas partout assise sur de pareilles bases ?
  32. Il ne faut donc pas attribuer, ainsi que l’ont fait tous ceux qui ont approché des côtes de Corée, au caractère insociable de ce peuple la répugnance qu’il a toujours manifestée à se mettre en rapport avec les étrangers. Broughton, Maxwell, Basil-Hall n’ont pas vu que la conduite si réservée que l’on observait partout à leur égard était celle de gens qui sont placés sous le coup d’une loi inflexible et cruelle.
  33. Hollandais qui avait été fait prisonnier sur la côte de Corée en 1627 et que le roi avait envoyé à Quelpaerts pour interroger les naufragés et savoir ce qui les avait amenés sur ses terres. « Pendant mon long séjour en Corée, leur dit-il, j’ai souvent demandé au roi de passer au Japon sans avoir jamais reçu d’autre réponse, sinon qu’il ne falloit point m’y attendre, à moins que d’avoir des ailes et de voler jusque-là ; que la coutume de cette cour étoit de retenir tous les étrangers qui se trouvoient dans le pays, mais que, du reste, on ne les laissait manquer de rien, et qu’on leur fournissoit des vivres et des habits pendant toute leur vie. » Hamel, p. 29.
  34. Il paraît y avoir ici une légère erreur. D’autres écrivains affirment que le tribut n’est payé que tous les trois ans. Peut-être le traducteur a-t-il fait lui-même une méprise. Les redevances ne paraissent pas d’ailleurs être aussi fortes que du temps de Hamel ; elles consistent en gin-seng, zibelines, papier de coton et autres productions. En outre, le roi de Corée, à son avènement, envoie à l’empereur 800 onces d’argent.
  35. Vers 1800. Cette date aura quelque importance dans l’histoire de la diffusion des plantes utiles.
  36. De même que chez nous, le tabac tire son nom de l’île de Tabago, dans les Antilles.
  37. Peut-être la Tchosan de Broughton.
  38. Le casis, ou cache, est une monnaie chinoise qui a la forme d’un petit carré percé d’un trou au milieu pour l’enfiler : 10 caches salent 8 centimes.
  39. M. Callery réduit les écritures à deux : les caractères chinois et une espèce d’écriture particulière au pays, l’écriture coréenne proprement dite, qui n’offre aucun rapport avec le système chinois, car, au lieu d’être idéographique, elle est syllabique, c’est-à-dire que chaque signe exprime une syllabe entière ; le nombre des signes graphiques, égal par conséquent à celui des syllabes qui peuvent se rencontrer dans la langue coréenne, est d’environ 250. Voy. Revue de l’Orient, t. 5, 1844, p. 289 et suiv. « En Chine, au Japon, en Corée et dans les îles des mers adjacentes, remarque le capitaine Basil Hall, les langues parlées sont différentes les unes des autres ; les langues écrites, au contraire, sont partout les mêmes. Il en résulte qu’un Chinois ne peut être compris d’un Coréen ou d’un Japonais lorsqu’il parle, tandis qu’ils s’entendent parfaitement lorsqu’ils traduisent leurs pensées par l’écriture. » C’est quelque chose de semblable à ce qu’on voit en Europe pour les chiffres et la musique.