La Corée et les Missionnaires français/Les Missionnaires français/06

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VI

MARTYRE DU P. TSIOU. — LETTRE DES CATHOLIQUES CORÉENS AU PAPE

Avant la mort de Luthgarde Ni, le prêtre qui avait conduit cette âme prédestinée dans les âpres sentiers de la vertu, le Père Tsiou, avait été arrêté, condamné à mort et exécuté le 31 mai 1801.

Du milieu de leur détresse, les chrétiens coréens tournèrent leurs regards vers Rome. Ils avaient déjà appris à connaître et à révérer le Père commun des fidèles. Ils écrivirent une lettre au pape Pie VII pour lui exposer leurs malheurs, leurs besoins, leur vif désir d’avoir un évêque et des prêtres pour les fortifier et les conduire :

« François et les autres chrétiens de Corée, prosternés en terre, nous frappant la poitrine, offrons cette lettre au chef de toute l’Église, père très haut et très grand.

« C’est avec la plus grande instance, la plus vive ardeur que nous supplions Votre Sainteté d’avoir compassion de nous, de nous donner des preuves de la miséricorde qui remplit son cœur, et de nous accorder le plus promptement possible les bienfaits de la rédemption.

« Nous habitons un petit royaume, et avons eu le bonheur de recevoir la sainte doctrine, d’abord par les livres, et dix ans plus tard par la prédication et la participation aux sept sacrements.

« Sept ans après, il s’éleva une persécution ; le missionnaire qui nous était arrivé fut mis à mort avec un grand nombre de chrétiens, et tous les autres, accablés d’affliction et de crainte, se sont dispersés peu à peu. Ils ne peuvent se réunir pour les exercices de religion, chacun se cache.

« Il ne nous reste d’espérance que dans la très grande miséricorde divine, et la grande compassion de Votre Sainteté, qui voudra bien nous secourir et nous délivrer sans retard ; c’est objet de nos prières et de nos gémissements.

« Depuis dix ans, nous sommes accablés de peines et d’afflictions ; beaucoup sont morts de vieillesse ou de diverses maladies, nous n’en savons pas le nombre ; ceux qui restent ignorent quand ils pourront recevoir la sainte instruction. Ils désirent cette grâce comme dans une soif brûlante on désire se désaltérer ; ils l’appellent comme dans un temps de sécheresse, on appelle la pluie. Mais le ciel est très élevé, on ne peut l’atteindre ; la mer est très vaste, et il n’y a pas de pont au moyen duquel nous puissions aller chercher du secours.

« Nous, pauvres pécheurs, ne pouvons exprimer à Votre Sainteté avec quelle sincérité, avec quelle ardeur nous désirons recevoir son assistance. Mais notre royaume est petit, éloigné, situé dans un coin de la mer ; il ne vient ni vaisseaux ni voitures au moyen desquels nous puissions recevoir vos instructions et vos ordres, et quelle est la cause d’une telle privation, sinon notre peu de ferveur et l’énormité de nos péchés ? C’est pourquoi maintenant, nous frappant la poitrine avec une crainte profonde et une douleur sincère, nous prions très humblement le grand Dieu qui s’est incarné, qui est mort en croix, qui a plus de sollicitudes pour les pécheurs que pour les justes, et Votre Sainteté qui tient la place de Dieu, qui a soin de tout le monde, et délivre véritablement les pécheurs.

« Nous avons été rachetés, nous avons quitté les ténèbres ; mais le monde afflige nos corps ; le péché et la malice oppriment nos âmes.

« Nos larmes et nos gémissements, nos afflictions sont de peu de valeur, mais nous considérons que la miséricorde de Votre Sainteté est sans bornes et sans mesure, qu’en conséquence elle aura compassion des ouailles de ce royaume qui ont perdu leur pasteur, et qu’elle nous enverra des missionnaires le plus tôt possible, afin que les bienfaits et les mérites du Sauveur Jésus soient annoncés, que nos âmes soient secourues et délivrées et que le saint nom de Dieu soit glorifié partout et toujours. »

Lorsque le souverain pontife entendit ce cri d’ardente supplication que lui jetaient du fond de l’Asie les fils derniers-nés de l’Église catholique, il était en prison à Fontainebleau. Il ne put que pleurer et prier : c’est la force de ceux à qui manque tout secours humain ; elle ne compte pas dans la balance politique, et pourtant, si l’on regardait bien, on s’apercevrait qu’elle mène le monde. La Corée dut se soutenir sans pasteur. En 1827, une nouvelle supplique, écrite deux années auparavant, parvint au pape Léon XII.

La congrégation de la Propagande s’adressa alors à la société des Missions étrangères, créa le vicariat apostolique de Corée et plaça à sa tête Mgr Bruguière.