La Corée et les Missionnaires français/Les Missionnaires français/25

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XXV

ATTENTAT CONTRE LES JAPONAIS. — TRAITÉ. — Mgr BLANC. — MORT DU PÈRE DEGUETTE. — LES RELIGIEUSES DE SAINT-PAUL DE CHARTRES. — MORT DE Mgr BLANC

Ces changements dans la politique extérieure de la Corée avaient soulevé bien des colères.

À la tête des mécontents était le beau-père du roi, grand ennemi des chrétiens.

En 1883, il révolutionna Séoul, attaqua les Japonais, qu’il détestait autant que les Européens et peut-être craignait moins.

Ceux-ci se défendirent bravement, mais ils furent accablés par le nombre. Quand ils comprirent qu’il leur était impossible de vaincre, ils placèrent au milieu d’eux leur chef Hanaboussa et opérèrent en bon ordre leur retraite. Ils arrivèrent ainsi à In-tchyen, et s’embarquèrent sur les deux premières jonques qu’ils trouvèrent. Après avoir couru les plus grands périls, cette poignée de braves fut rencontrée par un aviso anglais, qui les recueillit à son bord et les ramena au Japon.

À la nouvelle de cet attentat, tout le Japon s’émut et réclama une prompte vengeance de l’outrage fait à son ambassadeur et du meurtre de ses enfants. Hanaboussa retourna en Corée, et cette fois, à la tête d’une force imposante, se rendit à la capitale, où le roi et le régent l’attendaient.

Les exigences du gouvernement japonais furent beaucoup plus dures que celles des gouvernements européens en pareille circonstance ; mais le cabinet de Tokio connaît les Orientaux, il sait ce qu’on peut exiger et obtenir d’eux en parlant haut et ferme et en laissant entrevoir que la force appuiera les paroles.

Hanaboussa devait demander :

La punition des coupables ;

Payement d’une indemnité de 50 000 yen[1] aux familles des victimes, et de 500 000 yen au gouvernement japonais pour frais de préparatifs de guerre ;

L’entretien des troupes japonaises pour la défense de la légation ;

L’ouverture d’un nouveau port et la liberté de circuler autour de ces ports dans un rayon de dix lieues ;

Enfin, l’envoi d’un ambassadeur coréen porteur d’une lettre autographe du roi faisant des excuses à S. M. le Mikado.

À son arrivée à la capitale, le ministre japonais fut l’objet des prévenances hypocrites du régent ; mais au milieu des fêtes il n’oublia pas le but de sa mission, et devant sa fermeté le gouvernement coréen céda.

Quelques semaines plus tard, le régent était par ordre de la Chine arrêté au milieu d’un festin et conduit à Pékin pour y être jugé. L’ordre rétabli, le roi reprit toute son autorité. Après avoir sévèrement châtié les complices du régent, il adressa à son peuple cette proclamation :

« Notre pays ratifia, au printemps de 1876, l’accord amical intervenu entre nous et le Japon et promit d’ouvrir trois ports au commerce. Maintenant, nous avons conclu d’autres traités avec l’Amérique, l’Angleterre et l’Allemagne.

« C’était certainement une innovation, et il n’y a pas lieu d’être étonné du mécontentement exprimé à cette occasion pour notre peuple. Mais les relations internationales entrent maintenant tout à fait dans les usages, et il n’y a aucune difficulté à établir des rapports en s’appuyant sur les vrais principes et la bonne foi.

« Nos traités d’amitié et de commerce seront réglés d’après la jurisprudence internationale. Quant à la religion, nous ne pouvons la laisser prêcher à l’intérieur, des lois particulières s’y opposent.


Mgr Blanc.

« Maintenant que nous entretenons des relations amicales avec les nations de l’Occident, j’ordonne que l’on enlève, en dehors de la capitale, comme incompatibles avec le nouvel ordre de choses, toutes les bornes routières notifiant aux étrangers qu’il leur est interdit de passer outre. Vous, étudiants et peuples, comprenez bien cela.

« Cet ordre promulgué par l’autorité du gouvernement doit être affiché dans les principales localités, dans toute la longueur et la largeur du pays. »

Si la politique n’avait pu donner aux catholiques de la Corée la liberté entière due à la vérité, elle avait cependant amélioré leur sort.

Mgr Blanc, le successeur de Mgr Ridel, inaugura son épiscopat par la création d’œuvres de charité : hospice de vieillards et orphelinat, par l’établissement d’un séminaire dont les élèves pouvaient, en regardant le passé, saluer avec une sainte fierté l’héroïque figure d’André Kim, le premier prêtre coréen.

Mais la charité, pour être complète, pour avoir tous ses charmes d’ordre, d’habileté pratique, de dévouement délicat, semble avoir besoin de la main d’une religieuse d’Occident, et bientôt Séoul vit les sœurs de Saint-Paul de Chartres promener dans ses rues étonnées leur blanche cornette et leur rosaire.

Puis, un jour, un cortège solennel se déploya dans la capitale : c’était un cortège de deuil, mais il fut brillant comme en la célébration d’une fête ; un ancien confesseur de la foi venait de mourir : le Père Deguette.

La cérémonie funèbre eut lieu le 2 mai 1889, à dix heures du matin, à la Mission catholique, colline de Tjyong-hyen. À la messe des funérailles assistèrent les représentants des sept puissances étrangères : France, Angleterre, Allemagne, États-Unis, Russie, Chine et Japon.

Le commissaire du gouvernement français, M. Collin de Plancy, se présenta en costume officiel et suivit le convoi, qui traversa croix en tête toute la capitale au milieu d’une population païenne respectueuse.

La route était celle qu’avaient naguère suivie les martyrs en allant au supplice.

Le Père Deguette quittait Séoul, où il était resté pendant quatre mois prisonnier du Christ, par cette même porte de l’Ouest qu’il avait franchie pour aller en exil, et il allait dormir son dernier sommeil en face de la plaine de Saï-nam-to, dans laquelle étaient tombées, avec plus de gloire, mais peut-être sans de plus nombreux mérites, les victimes de la persécution de 1866.

L’année suivante, au moment où s’ouvrait enfin l’avenir de paix et de prospérité que si souvent il avait rêvé dans la solitude de Notre-Dame des Neiges, Mgr Blanc suivait dans la tombe le vaillant Père Deguette.

Oh ! combien grands sont les mystères de la Providence dans la conduite des destinées humaines ! Est-il jamais possible de prévoir à qui Dieu réserve les amertumes des défaites, les longues tristesses des jours d’attente, les joies du triomphe ? Ceux qui ont semé ne récolteront-ils jamais ? Mais qu’importe la moisson à l’ouvrier dont la récompense est au ciel ; à l’encontre des hommes, le Maître souverain couronne le labeur et non le succès, le sacrifice et non la victoire.

  1. Le yen équivaut environ à 4 fr. 50 de notre monnaie.