La Créole (Millaud)/Acte III
ACTE TROISIÈME
Le pont du navire. — Au fond, la dunette, surélevée d’environ deux mètres, elle s’étend jusqu’au fond du théâtre, et s’y termine en proue avec le pavillon blanc flottant. Au milieu de la dunette un petit mât. — On arrive à la dunette par deux escaliers, à droite et à gauche ; dans la partie extérieure qui soutient la dunette, deux portes l’une à droite, l’autre à gauche ; elles s’ouvrent sur deux cabines ; entre les deux portes, l’habitacle de la boussole, et tout auprès un porte-voix fiché en terre ; à côté de la boussole, le gouvernail. — À droite et à gauche premier plan, les plats-bords du navire d’où émergent deux haubans qui montent vers les frises en forme de chevalet. — Grand mât au milieu ; derrière le mât, l’écoutille. — Escalier descendant dans les dessous. — Canons.
Scène PREMIÈRE
- Va, la brise gonfle la voile,
- Cours, la frégate, au fil de l’eau,
- Calme, sous tes ailes de toile,
- Vole comme un oiseau.
- Allons, le ciel nous favorise,
- Chantons, mes braves compagnons,
- Mêlons à l’écho de la brise,
- REPRISE AVEC CHŒUR. Enfants, mêlons l’écho de nos chansons.
Après la chanson, tous les matelots sortent, excepté deux hommes qui restent à gauche pour jeter le loch.
Scène II
Vite, Saint-Chamas, faisons le point.
Voilà, capitaine.
Jette le loch… Y es-tu ? (Les hommes jettent le loch.) Qu’est-ce que ça peut être que cette lettre ? qu’est-ce qu’il peut y avoir dedans ? Enfin, je saurai ça au 45° 18 de latitude et au 5° 27 de longitude.
12, 16, 21, cinq nœuds, commandant.
Comment ? que cinq nœuds ? Nous bourlinguons, nous bourlinguons.
Non, capitaine, nous ne bourlinguons pas ; voyez la boussole, toujours sud-sud-ouest.
Sur-sur-oi, alors nous lofons… jette le loch.
Encore.
Les deux hommes jettent le loch.
12, 16, 21, cinq nœuds, toujours cinq nœuds.
Nous bourlinguons, je suis sûr que nous bourlinguons ; nous n’arriverons jamais au 45° degré.
Cinq nœuds… et six à minuit, moyenne, cinq et demi, voilà où nous sommes.
Il prend une carte sur l’écoutille.
Voyons où nous sommes ?
Tenez, là.
Par 44° 59′ latitude et 4° 2′ longitude, bien. Alors nous en avons encore pour deux heures.
Si nous ne bourlinguons pas.
Mais nous bourlinguerons… Parlons d’autre chose… les prisonniers ?
Ils doivent avoir bien passé la nuit.
Où a-t-on mis les hommes ?
Ici, et les femmes, là.
Il montre celle de droite.
Et les notaires ?
À fond de cale, dans la soute aux jambons.
Ailleurs, commandant.
Bien ! Je m’occuperai de tout cela quand je serai arrivé à mon degré, et quand j’aurai pu ouvrir cette lettre. Oh ! ce degré, pourvu que je ne le manque pas ce degré…
À moins d’un grain…
Un grain, tu crois à un grain ? qu’est-ce qui peut te faire croire à un grain ?
Hum ! on ne sait pas, voyez l’ouest.
Je vois l’ouest, il me paraît beau l’ouest, mais je puis me tromper. Revenons aux prisonniers : tu vas leur ouvrir, il faut qu’ils prennent un peu l’air.
Oui, mon commandant.
Il va ouvrir les deux cabines.
Et envoie-moi deux hommes de l’équipage ; je suis sûr que Saint-Chamas s’est trompé dans ses calculs.
Il va à droite, et consulte une carte sur l’écoutille.
Ah ! on respire enfin.
Scène III
Ah ! Réné !
Ils s’embrassent.
Antoinette !
Cher Frontignac !
Ils s’embrassent.
Voulez-vous bien vous taire ? Quelles mœurs, quelles mœurs ! Silence dans les rangs. Je suis maître à mon bord ; il faut que je descende, je m’occuperai de vous tout à l’heure. Pour l’instant, restez là : vous, les femmes, ici ; (Il les met à droite.) vous, les hommes, là. (Il les met à gauche - Aux deux matelots qui entrent.) Vous, les enfants, au milieu, en faction, vous empêcherez ces messieurs et ces dames de communiquer entre eux.
Mais, mon oncle…
Taisez-vous ! ici il n’y a pas d’oncle, il n’y a qu’un commandant. Je vais faire mon point ; je suis sûr que Saint-Chamas s’est trompé dans ses calculs. (Aux matelots.) Défense aux prisonniers de se parler… les hommes ici, les femmes là. (Fausse sortie.) Je reviens… Ah ! (Il redescend.) non, j’ai changé d’idée, les femmes ici, et les hommes là : (Il les fait changer de place.) c’est bien mieux.
Mais c’est bête comme tout !
Nous bourlinguons ; ce n’est pas ma faute, si nous bourlinguons…
Je n’en sais rien. (Aux matelots.) Vous m’avez compris, défense aux prisonniers de se parler.
Il sort par l’écoutille.
Scène IV
Eh bien ! ce moyen d’apaiser votre oncle, c’est maintenant qu’il faudrait le trouver.
Oui, c’est maintenant.
Au large, on ne cause pas.
Dora et Réné continuent leur promenade.
Dora sait tout, Réné lui a tout dit.
Que va-t-elle faire ?
Au large et ne causez pas, nom d’une trombe !
Antoinette et Frontignac remontent, les matelots aussi.
Il faudrait peut-être tout avouer à mon oncle ?…
Qu’est-ce que vous avez trouvé ?
Dites-le vite.
On ne cause pas…
Ils remontent.
Eh bien, ce moyen ? voyons…
C’est que ce moyen, il est un peu hardi.
Dites toujours, nous verrons bien !
Oui ! parlez ! parlez !
Eh bien, il faut…
Mille tonnerres ! on ne cause pas.
Les voilà encore !
- Taisez-vous, nom d’une potence !
- Il est défendu de parler,
- C’est la consigne, la défense.
- Il est défendu de parler.
- Mais il n’est pas, je pense,
- Défendu de chanter.
- De chanter !
- LES MATELOTS.
Des chansons comme vous.
- Des chansons comme nous.
- Comme vous chantez entre vous.
- Ma foi, la consigne
- Ne défend pas de chanter.
- C’est dans la ville de Bordeaux
- Qu’est z’arrivé trois beaux vaisseaux ;
- Les matelots qui sont dedans
- Sont tous des gaillards très-galants.
- Passe la femm’ d’un président
- Qui voit l’un de ces garnements :
- — Ohé ! mat’lot, mon bon ami,
- Vous m’fait’s l’effet d’êtr bien joli.
- — Vraiment, madam’, j’vous dis merci,
- Si j’suis joli, vous l’êt’z’aussi.
- — Beau matelot, mat’lot charmant,
- J’vais vous payer du p’tit vin blanc.
- Ohé ! ohé !
- Vivent les dames de Bordeaux,
- Qui aim’nt bien les p’tits matelots !
- Pendant trois jours, l’ mat’lot z’a bu,
- Si bien qu’il en était confus.
- Après les trois grands jours passés,
- Il dit : — Madam’ j’en ai z’assez !
- — Quoi, déjà ! tu veux me quitter ?
- — Oui, j’ai bien bu, j’veux m’en aller.
- Il s’en alla. Z’un’ fois parti,
- Fit la rencontre du mari :
- — Beau président, beau président,
- Ta femm’ est belle, je suis content,
- — Corbleu ! mat’lot, vous avez bu.
- — Oui, j’ai tant bu, que j’n’en puis plus…
- Ohé ! Ohé !
- Etc.
Il faut avoir l’air de consentir à ce que veut le commandant.
Continuons notre comédie.
Je vais demander à épouser monsieur de Frontignac.
Toi, demande à épouser Dora.
Comment !
Méfiez-vous, le commandant !
Reprise de la promenade.
Scène V
Oui, commandant.
Certainement, mon oncle, ils sont tout disposés.
Oui, nous sommes tout disposés…
À quoi ?
Moi, à épouser monsieur de Frontignac.
Moi, à épouser mademoiselle Dora.
Moi, à adorer ma femme, ma chère petite femme.
Moi, à aimer mon petit Réné.
Enfin ! Il n’y a que la mer pour opérer ces miracles.
Comment, la mer ?
Ainsi, moi, je me rappelle, j’avais des vapeurs, des spasmes ; je rencontre mon docteur, le docteur Purgon, et je lui dis : Docteur, j’ai des vapeurs, des spasmes ; il me répond : Amiral, — par politesse, car il sait que je ne suis que commandant, — vous n’êtes peut-être jamais allé à la mer ? — Jamais, par exemple. — Eh bien, vous devriez y aller… ça vous ferait du bien. J’y suis allé, et ça m’a fait du bien.
Ça ne m’étonne pas, l’air vif…
L’immensité.
Très-bien, mes enfants, je suis satisfait, je vous pardonne. Arrive ici, toi, petite sauvage. Alors tu es bien décidée…
Tout à fait décidée.
À épouser Frontignac.
Oui, à l’épouser.
Et à ne plus t’oublier… dans les bras de Réné.
Oh ! ça, c’était une folie, c’est fini… il vaut mieux que ça ait eu lieu avant qu’après le mariage.
C’est le sang créole.
Et je demande bien pardon à monsieur de Frontignac… ça n’arrivera plus… je serai une bonne petite femme, je l’aimerai de tout mon cœur… Il est très-bien d’ailleurs, monsieur de Frontignac, il est très-bien.
Mademoiselle !
Et il me plaît beaucoup, beaucoup, beaucoup. (Au commandant.) Voulez-vous que je l’embrasse ? (Elle l’embrasse.) Et voilà.
Mais…
Le sang créole, le sang créole ! je suis ravi, il n’y a plus qu’à lâcher les notaires… (Appelant.) Saint-Chamas !
Quoi encore ?
Avant de me marier, j’ai quelque chose à vous dire en particulier.
En particulier !
Oui, une confidence ; ce ne sera pas long, cinq minutes seulement.
Qu’est-ce que cela peut être ? Allons, voyons, vous autres, laissez-nous, et ne vous éloignez pas.
Non, ne vous éloignez pas, ne vous éloignez pas, je vous appellerai.
Eh bien, votre moyen ?
Mon moyen, c’est de lui prendre la fameuse lettre, et de ne la lui rendre que lorsqu’il nous aura pardonné !
Eh bien ! est-ce que vous n’allez pas démarrer, vous autres ?
Mais où l’a-t-il mise cette lettre, où l’a-t-il mise ?
Réné, Antoinette et Frontignac disparaissent par la cabine de gauche.
Scène VI
Oui, j’ai quelque chose à vous dire… à vous tout seul…
Un aveu !
Un aveu ! chut !
Parle.
Voilà donc ce que j’ai à vous dire. Figurez-vous…
Nous bourlinguons !
Comment, nous bourlinguons. Vous avez l’air distrait, je veux d’abord que vous soyez de bonne humeur, prenez une figure un peu gaie.
C’est cette lettre qui me préoccupe, tu sais la lettre du 45° degré… (Il montre sa tête.) Elle est là…
Où est-elle ?
Là, je te dis… elle ne me quitte pas.
Elle ne le quitte pas. (Haut.) La lettre que vous avez mise dans votre portefeuille hier…
Oui, précisément. Qu’est-ce qui peut bien y avoir dans cette lettre ?
Bah ! n’y pensez plus… oubliez-la un instant.
Je vous dirai donc que…
Drôle de fille !
Mais, ne me regardez pas comme ça.
Toi, non plus, ne me regarde pas comme ça.
Non, non, je ne vous regarderai pas. (Elle appuie sa tête sur l’épaule du commandant.) Comme ça, vous ne me voyez pas, et vous m’écouterez mieux. (Elle lui passe la main sur la poitrine. À part.) Le portefeuille est là…
Elle aura fait quelque bêtise aux colonies. Pauvre Frontignac !… Tonnerre de Brest ! (Il embrasse Dora.) voilà que je m’emballe, je sens que je m’emballe… non, non… je ne veux pas, voyons, parle… parle…
Nous bourlinguons ; eh bien, non, vous n’êtes pas bien, debout comme ça pour m’écouter, je sais ce qu’il faut… (Elle va appeler à l’écoutille.) Hé ! là-bas !
Qu’est-ce qu’elle veut ?
Apprêtez le hamac du commandant.
Comment, mon hamac !
Je ne vous parlerai que quand vous serez dans votre hamac.
Un matelot entre, et équipe le hamac, qu’il attache derrière le grand mât.Comment, tu veux que je monte dans mon hamac ?
Oui, parce que quand vous serez dedans, je vous verrai un peu moins, je vous parlerai plus à mon aise, ça me donnera du courage.
C’est donc bien grave. (À part.) Décidément, elle a dû faire quelque bêtise aux colonies. Pauvre Frontignac !
Vous vous rappelez comme je vous racontais de gentilles petites histoires, allons, soyez gentil, faites cela pour moi, je vous dirai tout ensuite. Venez ! venez !
Elle l’entraîne vers le hamac.
Diable de fille ! elle fait de moi tout ce qu’elle veut.
Il monte dans son hamac et s’y couche.
C’est ça, montez ! montez ! Là vous y êtes ? oh ! hisse !
Le hamac s’enlève, le matelot sort. Dora le berce.
Non, non, ne me berce pas, je ne veux pas dormir.
Moi, pas bercer, moi, balancer.
Si, toi balancer, moi dormir, et moi pas vouloir.
Moi pas vouloir non plus…
- Petit noir, dans la case chaude,
- Dors au pied des bambous touffus,
- Sa petit’tête moricaude
- REFRAIN. Sourit sous ses cheveux crépus.
- Sous le ciel des savanes,
- Dors, petit noir si bon,
- Dans ton berceau de cannes,
- Dors, petit négrillon.
Ne fredonne pas, Dora… 45 latitude… gitude… la lettre… le sang créole…
- Sur son front la mère se penche,
- Le berce, le berce en chantant.
- Son corps est noir, son âme est blanche,
- Il est joli comm’ un p’tit blanc.
- Sous le ciel des savanes,
- Dors, petit noir si bon,
- Dans ton berceau de cannes,
- Dors, petit négrillon.
Dora s’en va sur la pointe des pieds.
Nous bourlinguons.
Dora se retourne effrayée, mais il se rendort.
Scène VII
- Il dort, faisons silence,
- Il dort.
- Marchons avec prudence,
- RÉNÉ.
Il dort.
- Ayons bonne espérance,
- Il dort.
- Il dort, faisons silence,
- Il dort.
- Il dort, ne faisons aucun bruit,
- C’est l’amour qui nous conduit.
- Doucement, posément.
- Bien doucement
- Il dort !
{{PersonnageD|RÉNÉ|c|parlé.}} Eh bien ? et cette lettre ?
Elle est dans la poche de son pourpoint.
- Frontignac à la manœuvre !
- De la souplesse avant tout.
- Souple comme une couleuvre,
- Malin comme un sapajou.
- La besogne est un peu rude.
- Tu n’as pas le pied marin,
- Oui, je manque d’habitude,
- FRONTIGNAC.
Vite, un dernier coup de main !
- Oui, c’est bien cela, c’est bien ici,
- M’y voici, j’y suis.
- L’y voici ! l’y voici !
- Pas de manœuvre maladroite,
- Je regarde à gauche, à droite.
- Je défais le justaucorps.
- Il défait le justaucorps,
- Encore quelques efforts.
- À merveille, à merveille,
- Encore quelques efforts,
- Nous approchons.
- Nous triomphons !
(Parlé.) Oui !…
Il se réveille.
(Parlé.) Vivent les dames de Bordeaux,
Chantant.
- Qui aiment bien les p’tits matelots !
Il rêve !
- Qui aiment bien les p’tits matelots
- Bercez-le, tout doucement,
- DORA, sur les marches de l’écoutille, derrière le hamac.
Tout doucement, bien gentiment.
- Petit noir dans sa case chaude,
- Dors, au pied des bambous touffus,
- Sa petit’ tête moricaude
- Sourit sous ses cheveux crépus.
Il y avait une fois, un capitaine qui avait dans sa poche une lettre de l’amirauté ; cette lettre, il ne devait l’ouvrir que 53° 15′ de latitude, sur 7° 33′ de longitude… Cette malheureuse lettre, il l’ouvrit cinq minutes trop tard ; savez-vous ce qu’il y avait dedans ? (Dora fredonne.) Malheureux ! tu seras donc toujours en retard de cinq minutes. (Dora fredonne.) Tu bourlingueras donc tout le temps…
- Sous le ciel des savanes,
- Dors, petit noir si bon,
- Dans ton berceau de cannes,
- Dors, petit négrillon.
Je le tiens !
Il passe le portefeuille à Dora qui cherche la lettre.
Oh ! mon Dieu !
Quoi !
La lettre n’y est pas.
Disparue !
Tout est perdu !
Non, tout n’est pas encore perdu ; voilà la clé de sa cabine, la lettre n’est pas sur lui, elle doit être dans sa cabine. Vite, descendez tous les trois et cherchez partout… Il nous faut cette lettre à tout prix.
Et vous, pendant ce temps…
Je reste pour l’empêcher de descendre s’il se réveillait ; mais allez, allez, dépêchez.
Frontignac et Antoinette descendent dans l’écoutille.
Oui, oui, dépêchons. Cependant, avant de descendre, j’ai quelque chose de très-important à te dire.
Quoi donc ?
Je t’adore…
Et moi aussi ! (Elle pousse Réné vers l’écoutille, celui-ci disparaît seul.) Pourvu qu’ils réussissent.
On entend un fracas terrible.
Scène VIII
Hein ! quoi ! est-ce que nous avons touché ?
Non, mon commandant, nous avons été accostés.
Oui, par un brick africain qui marchait par notre travers ; il y a eu un abordage.
Pas d’avaries !
Presque rien, notre beaupré a été coupé en deux.
Le brick a coupé notre beaupré ?
Oui, mon commandant.
Et, où est-il ce brick de malheur ?
Tenez, là, il passe à bâbord, on voit d’ici son pavillon.
Attends, attends. Je vais lui dire son fait, à ce galopin de moricaud.
C’est ça, nous allons lui dire son fait, ne le ménageons pas.
Ohé ! du brick !
Ohé ! du brick !
Ohé ! de la frégate !
Vous n’avez donc jamais navigué, blanc-bec !
Vous ne pouvez donc pas prendre votre droite, maraudeur !
Hein ! qu’est-ce qu’il a dit ?
Il a dit : saumon fumé !
Il m’a appelé saumon fumé. Attends un peu, j’vas te crever la coque, méchant sabot !
Viens-y donc, vieux marsouin !
Oh !
Hein !
Il a dit : vieux marsouin. (Criant.) Espèce de bousingot !
Tu es trop bonne, attends un peu… Eh ! va donc ! (Il cherche.) Eh, va donc, Zanzibar !
Va donc, Zanzibar !
Qu’est-ce qu’il dit ?
Après ça il ne peut plus rien dire… il file.
Il file, c’est égal, j’ai eu le dernier.
Scène IX
Quoi, qu’est-ce qu’il y a ?
Le 45° degré, nous y sommes, nous y touchons.
La carte, vite la carte.
Saint-Chamas prend une carte sur l’écoutille, la passe au commandant qui la déroule, la pose à terre, et s’agenouille dessus.
Scène X
Eh bien !
Rien !
Rien !
Nous avons cherché partout !
Dans les tiroirs, les livres, les meubles.
Rien !
Rien !
Y sommes-nous, Saint-Chamas, au 45° 18’ et au 5° 27’ ?
Sud, sud.
Sud, sud.
Nous y sommes en plein.
Oui, commandant, nous y sommes en plein.
La lettre, donne vite la lettre ?
La lettre ?
Oui, c’est toi qui l’as.
La voilà, commandant !
Je la tiens !
Donne-moi cette lettre !
Non, je la garde. (Le commandant s’avance pour s’en emparer, Dora court vers le bord du pont et la tient suspendue au-dessus de l’eau.) Pas un pas, ou je la jette à l’eau. (Le commandant s’arrête.) Je ne vous la rendrai qu’à la condition que j’épouserai Réné.
Comment, épouser Réné ?
Nous vous expliquerons cela plus tard.
Et vous me pardonnerez mon mariage avec Antoinette.
Comment, ton mariage ?
Dites oui, ou bien la lettre au fond de l’eau.
Elle tient toujours la lettre suspendue au-dessus de l’eau.Non, non, ne la jette pas ; je ne comprends rien à ce que vous dites, mais ne la jette pas, je suis sûr que c’est ma nomination de chef d’escadre.
Alors vous pardonnez ?
Je pardonne.
Et Réné m’épouse ?
Et Réné t’épouse.
Allons, qu’on lâche les notaires !
Elle lui donne la lettre.
Saint-Chamas, sommes-nous toujours dans le degré ?
Nous n’en bougeons pas.
Le sceau de l’amirauté ! (Il lit :) « Je n’avais rien à te dire : » c’est une bonne farce. Ton vieil ami : Duguay-Trouin. » (Désappointé.) Mille millions de sabords ! (Haut, avec feinte satisfaction.) Bien, très-bien !
Eh bien ! mon oncle, quelles nouvelles ?
Affaires d’État.
Et maintenant, à notre mariage.
Ah ! petits brigands !
Oui, j’ai pardonné, mais à une condition, c’est que vous ne laisserez pas tomber, tomber les Feuillemorte.
Vous verrez ça au printemps !
- Dora chérie, unis tous deux,
- Combien nous allons être heureux.
- Ah ! je t’aim’ comm’ une folle,
- Mais pour exaucer nos souhaits,
- Mesdames, messieurs, applaudissez,
- Je vous le demande en français,
- Je vous le demande en créole.
- Ah !
- Vous bien taper dans les mains
- Si nous plaisants,
- Si vous contents,
- Vous fair’ bravo, bravo…
- Pour voir p’tit créole.
- Si vous souvent venir,
- Ah ! que moi aimé vous,
- Coco !
- Cari, carilalo !