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La Dame du lac/Defauconpret, 1836/Chant premier

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La Dame du lac/Defauconpret, 1836
Traduction par Auguste-Jean-Baptiste Defauconpret.
Œuvres de Walter Scott, tome vingt-neuvièmeFurne, Charles Gosselin, et PerrotinTome vingt-neuvième (p. 327-342).
LA


DAME DU LAC.



CHANT PREMIER.




LA CHASSE.


Harpe du Nord, toi qui fus long-temps négligée sur l’ormeau magique dont l’ombrage protége la source de Saint-Fillan ! la brise faisait encore vibrer parfois tes cordes harmonieuses, lorsque le lierre jaloux est venu les entourer de ses festons de verdure… Harpe des ménestrels ! qui réveillera tes accords enchanteurs ? resteras-tu long-temps muette au milieu du frémissement du feuillage et du murmure des ruisseaux ? ne feras-tu donc plus sourire le guerrier et pleurer la jeune fille ?

Aux temps antiques de la Calédonie, tu mêlais toujours aux chants de fête tes sons mélodieux, alors que le lai d’un amour malheureux, ou l’hymne de la gloire, attendrissait les cœurs les plus farouches, et donnait du courage aux plus timides ! Quand le ménestrel se taisait, tu faisais entendre tes accords inspirateurs, et tu captivais l’attention des jeunes beautés et des fils de la vaillance ; car tu célébrais aussi les charmes de la châtelaine et les exploits de la chevalerie !

Réveille-toi, harpe du Nord ! quelque inhabile que soit la main qui ose errer sur tes cordes magiques ; réveille-toi, quoique je puisse à peine te rendre le faible écho de tes concerts des anciens temps ! Je ne saurai tirer de toi que des sons sans art, périssables et indignes de tes nobles accords ; mais qu’ils fassent palpiter un moment le cœur de celle qui m’écoute, ce ne sera pas en vain que tu m’auras inspiré !… Harpe du Nord, enchanteresse, réveille-toi !

I.

Le cerf s’était désaltéré le soir dans le ruisseau de Monan, près de l’image tremblante de la lune ; il s’était réfugié, pour y passer la nuit, dans l’épaisseur des coudriers solitaires de Glenartney : mais à peine le soleil venait-il d’allumer son flambeau sur la crête du Benvoirlich, que les aboiemens de la meute, les cors et le galop des coursiers retentirent dans le lointain.

II.

Comme un chef qui entend crier la sentinelle : — Aux armes, voilà l’ennemi ! — le monarque agile des forêts s’élance de sa couche de bruyère ; mais avant de commencer sa course rapide, il secoue la rosée de ses flancs, et, semblable au guerrier dont la tête superbe est armée d’un cimier, il lève fièrement le front, et agite le bois rameux qui la couronne. Ses yeux plongent un moment dans la vallée ; ses naseaux interrogent la brise, et il écoute le bruit plus rapproché de la chasse : puis soudain, voyant paraître les premiers limiers de la meute, il franchit d’un bond le taillis, et, traversant l’espace en liberté, va chercher les bruyères sauvages d’Uam-Var.

III.

La meute l’aperçoit, et redouble ses aboiemens que répètent les échos du vallon et des cavernes : la montagne répond au bruit confus de mille sons divers ; la voix de cent limiers ardens, les pas précipités de cent coursiers, les joyeuses fanfares des cors et les cris des chasseurs, fatiguent incessamment les échos du Benvoirlich. Le daim fuit à l’approche de ce tumulte ; la chevrette se tapit sous la feuillée ; le faucon jette un regard surpris du haut de son aire, jusqu’à ce que ses yeux perçans aient perdu la trace du tourbillon qui balaie la vallée. Le bruit s’affaiblit de plus en plus ; à la voix mourante des échos succède un vaste silence qui règne au loin sur la haute montagne et dans la forêt solitaire.

IV.

Cette guerre champêtre trouble, mais avec moins de fracas, les sommets d’Uam-Var[1], et la caverne où la tradition raconte qu’un géant fit jadis sa demeure ; car, avant que cette montagne escarpée fût gravie, le soleil était parvenu au milieu de son cours journalier, et plus d’un hardi chasseur avait été forcé de s’arrêter pour laisser respirer son coursier haletant : à peine une moitié de la meute avait suivi les traces du cerf, tant l’accès difficile de ces hauteurs avait amorti l’ardeur impétueuse de ses ennemis.

V.

Le noble cerf se reposait sur la cime méridionale de la montagne, au pied de laquelle s’étendaient au loin les beaux domaines variés de Menteith ; ses yeux parcouraient avec inquiétude les eaux, les prairies, les bruyères et les marécages, cherchant un dernier refuge, et indécis entre Loch-Ard et Aberfoyle. Mais plus près de lui est un taillis de saules, dont le feuillage se balance sur le lac Achray, et se marie aux rameaux bleuâtres des pins qui couronnent les rochers du Ben-Venu : l’espoir lui donne une vigueur nouvelle ; il glisse sur la bruyère d’un pied dédaigneux, vole vers l’ouest dans sa fuite rapide, et laisse loin derrière lui la meute harassée.

VI.

Il serait trop long de dire quels furent les coursiers qui renoncèrent quand la chasse se précipita à travers Cambus-More, et les cavaliers qui tordirent leurs rênes de rage à l’aspect des escarpemens du Benledi ; quels furent ceux qui se ralentirent sur la bruyère de Bochastle, et n’osèrent traverser les eaux débordées du Teith ; car deux fois, ce jour-là, le cerf intrépide passa hardiment d’une rive à l’autre. Il n’y eut guère que quelques traîneurs qui, le suivant de loin, atteignirent le lac de Vennachar ; et lorsque le pont de Turk fut dépassé, le chef des chasseurs se trouva seul.

VII.

Il est seul ; mais, dans son infatigable ardeur, il ne cesse de presser son cheval du fouet et de l’éperon : épuisé de lassitude, couvert d’écume, souillé de noire poussière, le cerf est devant lui, près de perdre haleine dans ses derniers efforts. Deux noirs limiers de la race de Saint-Hubert[2], fameux par leur courage et leur vitesse sans égale, le serrent de près, et sont sur le point de l’atteindre ; à peine si la portée d’un trait les sépare du fugitif qu’ils poursuivent sur l’extrême rive du lac, entre le précipice et les broussailles touffues.

VIII.

Le chasseur, remarquant la hauteur de la montagne et l’étroite lisière qui borde le lac, espère que le cerf va être réduit aux abois devant cet énorme rempart ; triomphant déjà de sa proie, mesurant de l’œil le bois qui orne son front, il recueille tout son souffle pour sonner la mort, et tire son couteau de chasse pour porter le dernier coup à l’animal abattu[3] : mais, au moment où il fond sur lui comme la foudre, et le bras levé,… le cerf rusé évite le choc ; — tournant du côté apposé du rocher, il s’élance dans une ravine profonde, et, disparaissant aux yeux du chasseur, va se réfugier dans le défilé étroit des Trosachs[4] : là, blotti dans un taillis épais qui laisse tomber sur sa tête les gouttes de la rosée et ses fleurs sauvages, il entend les limiers déçus frapper de leurs aboiemens les rochers, qui répondent seuls à leur voix menaçante.

IX.

Le chasseur suit ses chiens, et les encourage pour leur faire retrouver leur proie. Mais tout à coup son noble coursier s’abat dans le vallon ; le chasseur impatient veut en vain l’exciter du geste, de l’éperon et des rênes : tous ses travaux sont finis ; le pauvre animal est tombé pour ne plus se relever ! Ému par la pitié et ses regrets, le chasseur se lamente ainsi sur son coursier expirant :

— Je ne pensais guère, quand pour la première fois je guidais ta fougue naissante sur les rives de la Seine ; je ne pensais guère, ô mon incomparable coursier ! que tes membres agiles serviraient de pâture à l’aigle des montagnes d’Ecosse ! Maudite soit la chasse ! maudit soit le jour qui me prive de toi, ô mon coursier chéri !

X.

Il sonne du cor pour rappeler ses chiens d’une vaine poursuite : les chiens reviennent d’un pas ralenti et inégal ; ils se pressent à ses pieds, traînant la queue et baissant l’oreille. Pendant que les derniers sons du cor se prolongent dans la ravine, le hibou tressaille et se réveille ; l’aigle répond par ses cris ; les échos se renvoient tous ces sons, qui ressemblent bientôt à la voix lointaine d’un ouragan.

Le chasseur se retire pour rejoindre ses compagnons ; mais il tourne souvent la tête, tant les sentiers qu’il parcourt lui paraissent étranges ! tant l’aspect bizarre de ces lieux excite sa surprise !

XI.

Le soleil couchant déroulait ses vagues de pourpre au-dessus de cet obscur vallon, et inondait de sa lumière chaque pic de la montagne ; mais aucun rayon ne pouvait percer la profondeur ténébreuse des ravines. Un double sentier serpentait autour de mainte roche pyramidale, dont le sommet sillonné par la foudre s’élançait jusqu’aux nues, et de mainte masse isolée, remparts naturels de ces passages, semblables à cette tour ambitieuse élevée par l’orgueil dans la plaine de Shinar. Les rochers étaient taillés les uns en forme de tourelles, de dômes ou de créneaux ; les autres, créations plus fantastiques encore, rappelaient les coupoles ou les minarets, les pagodes et les mosquées de l’architecture orientale. Ces édifices, construits par la nature, avaient aussi leurs ornemens et leurs nobles bannières : on voyait leurs âpres sommets déployer, sur les précipices, les vertes guirlandes de l’aubépine étincelant de rosée, et la douce haleine du soir faisait flotter le feuillage varié de mille arbustes grimpans.

XII.

La nature a prodigué à ces lieux toutes les plantes des montagnes : ici l’églantier embaume l’air ; là s’entremêlent le coudrier et l’aubépine ; la pâle primevère et la violette azurée trouvent un abri dans les fentes du roc ; la morelle et la gantelée, emblèmes de l’orgueil et du châtiment, groupent leurs sombres couleurs avec les teintes qu’offrent les rochers battus de la tempête ; le bouleau et le tremble mélancolique balancent leurs rameaux à chaque souffle du vent ; plus haut, le frêne et le chêne robustes ont fixé leurs racines dans les anfractuosités de la montagne ; son extrême sommet nourrit encore le pin au tronc déchiré, dont les rameaux se projettent entre les saillies rapprochées des rochers. Enfin, au-dessus de ces pics éblouissans de blancheur, et à travers le feuillage mobile, l’œil découvre à peine l’azur délicieux d’un beau ciel : l’effet merveilleux de ce tableau semble le produit d’un songe magique.

XIII.

Le chasseur voit briller plus loin, au milieu du taillis, le cours d’une eau paisible, dont le lit étroit peut à peine recevoir la canne sauvage et sa famille ; cette onde se perd un moment sous l’ombrage épais, mais elle reparaît bientôt plus abondante, et réfléchit dans son cristal d’azur des rochers immenses et les collines boisées. S’étendant peu à peu sur un plus vaste espace, elle se divise pour aller entourer d’une ceinture humide deux monticules couronnés d’arbustes, qui, détachés du reste de la forêt, semblent sortir de l’onde comme les tours d’un château au milieu de ses fossés. Les flots, qui grossissent de proche en proche, interceptent toute communication avec la montagne, et forment deux petites îles isolées.

XIV.

Mais aucun sentier ne s’offre au chasseur, à moins qu’il ne gravisse d’un pas prudent les saillies anguleuses d’un précipice ; les racines du genêt lui servent d’échelle, et les rameaux des noisetiers lui prêtent leur secours ; il parvient ainsi sur l’extrême pointe d’un rocher[5], et de là il découvre le lac Katrine qui se déploie comme une vaste nappe d’or aux rayons du soleil couchant. Tout l’espace que le lac couvre de ses ondes se développe à ses regards avec ses promontoires, ses baies, ses îles, qu’une teinte de pourpre fait distinguer au milieu des flots d’une lumière plus vive, et ses montagnes, qui apparaissent comme des géans gardiens d’une terre enchantée. L’immense Ben-Venu s’élève du côté du sud, et projette sur le lac, en masses confuses, ses rocs et ses inégalités sauvages, semblables aux débris d’un antique univers. Une sombre forêt croît sur ses flancs dégradés, et couronne sa tête chenue d’un feuillage ondoyant, tandis que, vers le nord, Ben-An lève dans les airs son front dépouillé.

XV.

L’étranger jette, du haut du promontoire, des regards étonnés et ravis. — Que ces lieux, dit-il, seraient dignes de la magnificence d’un prince ou de l’orgueil de l’Eglise ! Que j’aimerais à voir sur cet âpre sommet la tour d’un châtelain, dans ce riant vallon la demeure d’une douce beauté, et plus loin, au milieu de cette prairie, les tourelles d’un vieux monastère ! Comme le cor résonnerait gaiement sur les ondes de ce lac, pour accuser la lenteur de l’aurore ! Qu’il serait doux d’écouter chaque soir le luth d’un amant dans le silence de ces paisibles bocages ; et puis, quand la lune baignerait son front dans cette onde argentée, combien serait solennel le bourdonnement lointain de la cloche des matines, dont la voix religieuse irait dans cette petite île réveiller un vieil ermite, qui compterait à chaque coup de cloche un grain de son rosaire !… Le cor, le luth et la cloche appelleraient le voyageur à un accueil bienveillant sous un toit hospitalier.

XVI.

Alors sans doute il serait charmant de s’égarer ici, mais maudite soit la vitesse du cerf !… À présent, comme le pauvre ermite que je me figurais tout à l’heure, il faudra bien se contenter pour cette nuit de ce que m’offrira ce taillis épais : quelque banc de mousse va être ma couche, un vieux chêne mon seul abri. Patience encore ! la chasse et la guerre ne nous laissent guère le choix d’un asile : une belle nuit passée dans un bois ajoute à la gaieté du lendemain ; mais les hôtes de ces déserts sont probablement de ces gens qu’il vaut mieux éviter que chercher. Tomber entre les mains des maraudeurs de ces montagnes, ce serait pire que de perdre le cerf et son cheval… Me voilà seul ;… le son de mon cor attirera peut-être auprès de moi quelqu’un de nos chasseurs… S’il allait appeler le danger ?… Allons, n’importe ; ce n’est pas la première fois que mon épée aura été tirée du fourreau. —

XVII.

Mais à peine son cor a retenti, que, tournant les yeux vers un vieux chêne, dont le tronc oblique était fixé au rocher de la petite île, il voit un léger esquif qui s’en détache, et qui s’élance dans la baie : il est conduit par une jeune femme ; il trace un cercle gracieux autour du promontoire, et soulève une vague presque insensible, qui vient humecter les rameaux pendans du saule, et caresser avec un doux murmure un lit de cailloux aussi blancs que la neige. L’esquif touchait cette rive argentée au moment où le chasseur changea de place, et il se tint caché au milieu de la bruyère, pour observer cette Dame du Lac.

La jeune fille s’arrête, comme si elle espérait entendre encore le son lointain : telle qu’une statue, chef-d’œuvre d’un sculpteur de la Grèce, elle reste immobile, la tête levée, l’œil fixe et l’oreille attentive ; ses cheveux flottent sur son épaule ; ses lèvres sont légèrement entr’ouvertes… On l’aurait prise pour la naïade protectrice de ce rivage.

XVIII.

Non, jamais le ciseau grec ne créa une Nymphe, une Naïade, ou une Grâce d’une taille plus élégante, d’un aspect plus ravissant ! L’ardeur du soleil avait légèrement bruni ses joues ; l’exercice de l’aviron, qui était un jeu pour elle, les avait teintes d’un brillant incarnat, et découvrait aussi les mouvemens plus rapides de son sein d’albâtre ; aucune leçon de l’art des Grâces n’avait accoutumé ses pas à une mesure réglée, mais jamais démarche ne fut plus facile, jamais pied plus léger ne foula la rosée sur la bruyère fleurie : on en retrouvait à peine la trace sur le gazon. On reconnaissait dans son langage l’accent des montagnes ; mais le son de sa voix était si doux et si séduisant, qu’on respirait à peine en l’écoutant parler.

XIX.

Tout annonçait en elle la fille d’un Chef ; son snood[6] de satin, son plaid de soie et son agrafe d’or. Rarement on vit un snood se perdre au milieu d’une aussi abondante chevelure, dont les noires boucles le disputaient à la couleur des ailes du corbeau ; rarement un plaid arrangé avec un soin modeste couvrit un sein aussi beau ; jamais agrafe n’en assujettit les plis sur un cœur plus tendre.

Il suffisait d’observer le regard d’Hélène pour y deviner toute sa bonté et ses vertus. Le cristal azuré du lac Katrine ne réfléchit pas plus purement la verdure de ses bords, que les yeux ingénus d’Hélène n’exprimaient son innocence. On y distinguait tour à tour les transports de sa joie, sa bienveillance pour l’infortune, l’amour filial, la suppliante prière d’une douce piété, ou la noble indignation qu’inspire aux enfans du Nord le récit d’un outrage. Un seul sentiment était dissimulé par elle avec une fierté virginale, sans rien perdre de sa pureté… Ai-je besoin de le nommer ?

XX.

Impatiente du silence qui a succédé aux sons du cor, Hélène élève la voix. — Mon père !… s’écrie-t-elle ; et les rochers d’alentour semblent se plaire à prolonger la douceur de ses accens. Elle écoute ; point de réponse. — Malcolm, serait-ce toi ? ajouta-t-elle : mais ce nom fut prononcé d’une voix si timide, qu’il ne put être saisi par l’écho.

— Je suis un étranger, dit le chasseur en quittant l’ombrage des noisetiers parmi lesquels il s’était caché. La jeune fille, alarmée, éloigna son léger esquif du rivage par un mouvement rapide de l’aviron ; et, quand elle se vit à une certaine distance, elle croisa plus étroitement le plaid qui cachait son sein. Tel le cygne effrayé recule à l’approche d’un ennemi, et hérisse les plumes de ses ailes.

Hélène, se voyant en sûreté, s’arrêta, cherchant à calmer sa surprise et son émotion, et considérant l’étranger, dont l’aspect et le visage n’étaient point de ceux qui font fuir les jeunes filles.

XXI.

Les années avaient légèrement imprimé sur ses traits la noble gravité de l’âge mûr, mais sans éteindre encore le feu et la franchise de la jeunesse. On y voyait le charme d’une humeur enjouée, l’activité d’une ame toujours prête à entreprendre, et l’audace qui exécute : il était facile de deviner que ses yeux vifs devaient être également prompts à s’enflammer pour l’amour, ou à brûler du feu plus terrible de la colère.

Ses membres robustes étaient faits pour les jeux du courage et les périls de la guerre ; quoiqu’il fût vêtu en simple chasseur, et sans autre arme que son épée, tout son aspect annonçait une ame haute et une fierté martiale, comme s’il eût porté le casque d’un baron et une brillante armure.

Au-dessus de la nécessité où il se trouvait de demander l’hospitalité, il parla, avec une aisance naturelle et la plus aimable courtoisie, de l’accident qui l’avait amené dans ces lieux ; cependant le ton flatteur de sa voix et son geste modeste semblaient plutôt accoutumés à donner des ordres qu’à supplier.
XXII.

La jeune fille regarda un moment l’étranger ; et, rassurée enfin, elle lui répondit que les châteaux des montagnards étaient toujours ouverts aux voyageurs égarés. — Ne croyez pas, ajouta-t-elle, que vous arriviez dans cette île solitaire sans y être attendu ; ce matin même, avant que la rosée cessât d’humecter la verdure, une couche a été préparée pour vous. La cime pourprée de cette montagne nous a fourni le ptarmigan et le coq de bruyère. Nous avons tendu nos filets sur le lac, afin que vous trouviez ici votre repas du soir.

— J’atteste le ciel, aimable insulaire, reprit l’étranger, que vous êtes dans l’erreur ; je n’ai aucun droit à ce bon accueil, destiné à l’hôte que vous attendez : le hasard seul m’a conduit dans cette solitude ; j’ai perdu ma route, mon coursier et mes compagnons ; voilà, je vous assure, la première fois que je respire l’air de ces montagnes. En voyant les bords pittoresques de ce lac et la beauté qui me parle, je suis tenté de me croire avec une fée dans le pays des enchantemens (a)[7].

XXIII.

— Je crois sans peine, reprit la jeune fille en ramenant son esquif vers le rivage, je crois sans peine que vos pas n’avaient jamais foulé jusqu’à ce jour les rivages du lac Katrine ; mais hier soir le vieil Allan-Bane prédit votre arrivée ; c’est un barde à cheveux blancs, dont l’œil prophétique eut une révélation de l’avenir. Il a vu votre coursier gris-pommelé tomber sans vie sous les bouleaux ; il nous a dépeint avec exactitude votre taille et vos traits, votre costume de chasseur en drap vert de Lincoln, ce cor de chasse orné de glands de soie, la riche poignée et la lame recourbée de votre glaive, votre toque surmontée d’une plume de héron, et vos deux limiers si noirs et si farouches. C’est lui qui a commandé que tout fût prêt pour recevoir un hôte de noble race ; mais je n’ajoutais guère foi à sa prophétie, et j’avais cru que c’était le cor de mon père, dont l’écho du lac m’apportait le son.

XXIV.

L’étranger sourit. — Puisque je viens en chevalier errant, annoncé par un véridique prophète, et destiné sans doute à quelque entreprise hardie, il n’est point de dangers que je ne brave avec joie pour un seul regard de ces beaux yeux ; permettez-moi, en attendant, de diriger moi-même sur le lac votre barque enchantée.

La jeune fille dissimula un sourire malicieux en voyant l’étranger entreprendre un exercice inaccoutumé, car c’était pour la première fois sans doute que sa noble main saisissait l’aviron ; cependant il l’agita d’un bras vigoureux, et la nacelle glissa rapidement sur l’onde. Les deux limiers suivent à la nage, tenant la tête haute, et se plaignent en aboyant. La rame ne troubla pas long-temps le cristal azuré du lac ; déjà l’esquif touche aux rochers de l’île ; il est amarré au rivage.

XXV.

L’étranger porta ses yeux autour de lui sans pouvoir reconnaître aucun chemin, ni rien qui indiquât que ces lieux fussent habités, tant le taillis était touffu : mais la vierge des montagnes lui montra un sentier secret, dont il fallait gravir les détours sinueux à travers le feuillage ; il aboutissait à une étroite prairie, que le bouleau et le saule pleureur entouraient de leurs rameaux inclinés ; c’était là qu’un Chef avait construit une demeure rustique pour lui servir d’asile aux heures du danger[8].

XXVI.

C’était un bâtiment assez vaste, mais d’une architecture et d’une distribution bizarres, pour lequel l’artiste avait employé tous les matériaux qui s’étaient trouvés sous sa main. Dépouillés de leurs branches et de leur écorce, grossièrement équarris par la hache, le chêne robuste et le frêne s’élevaient en hautes murailles. Des feuilles, de la mousse, et l’argile, avaient été mêlées ensemble pour interdire tout accès au souffle des vents. De jeunes pins entre-croisés servaient de soliveaux, et supportaient la toiture, formée de touffes de bruyère flétrie et de roseaux desséchés. Du côté de l’ouest, et vis-à-vis de la pelouse, on voyait un portique soutenu par des colonnes naturelles ; c’étaient les troncs verts des ifs de la montagne, auxquels la main d’Hélène avait entrelacé le lierre, la vigne d’Ida, la clématite, cette fleur chérie qui porte le beau nom de berceau des vierges, et toutes les plantes dont la tige vigoureuse pouvait supporter l’air vif et pénétrant du loch Katrine[9].

Elle s’arrêta un instant sous ce péristyle, et dit gaiement à l’étranger.

— Recommandez-vous au ciel et à votre dame avant d’entrer dans le château enchanté.

XXVII.

— Aimable guide, je vous suis ; vous êtes ma providence, ma confiance et mon espoir, répondit-il.

Il franchit le seuil, et le bruit d’un acier menaçant frappe soudain son oreille. Son front brille de la flamme du courage ; mais il rougit bientôt de cette vaine alarme en apercevant sur le plancher la cause du bruit qu’il venait d’entendre ; c’était une épée nue qui s’était échappée de son fourreau suspendu négligemment sur un bois de cerf ; car des trophées de guerre ou de chasse décoraient toutes les murailles : ici un bouclier, un cor, une hache d’armes, un épieu, des épées[10], des arcs et des faisceaux de flèches, étaient mêlés aux défenses du sanglier ; d’un autre côté, la tête d’un loup semblait encore grincer des dents comme lorsqu’il fut percé du coup mortel ; et la fourrure rayée d’un chat-pard ornait la tête de l’élan, ou s’étendait comme un manteau sur les cornes d’un bison.

Des bannières usées, et conservant les traces noirâtres du sang, des peaux tigrées de daims formaient, avec la dépouille de la loutre et du marsouin, la tapisserie extraordinaire de cette salle rustique.

XXVIII.

L’étranger promenait çà et, là des regards surpris ; il releva ensuite l’arme qui était tombée. Peu de bras auraient eu la force de la manier. — Je n’ai connu qu’un mortel, dit-il en l’examinant, qui fût capable de se servir d’une telle épée dans les batailles.

Hélène soupira, puis elle prit la parole en souriant :

— Vous voyez, dit-elle, l’épée du chevalier gardien de cette demeure ; ce fer est aussi léger pour sa main qu’une baguette de coudrier dans la mienne. La haute stature de mon père serait digne des jours de Ferragus et d’Ascabart (b) ; mais en l’absence du géant, ce château n’est habité que par des femmes et des serviteurs chargés d’années.

XXIX.

La maîtresse du château survint ; c’était une dame d’un âge mûr, mais non dépourvue de grâces : sa démarche aisée, son port majestueux, auraient été remarqués dans la cour d’un roi. La jeune Hélène la reçut comme une mère, mais avec plus d’égards peut-être qu’on n’en accorde à ceux qui nous sont unis par les liens du sang. Elle accueillit son hôte avec bienveillance et avec toutes les attentions qu’exigent les lois de l’hospitalité, mais sans lui demander ni son nom ni sa naissance. Tel était alors le respect pour un hôte, qu’un ennemi juré pouvait venir s’asseoir au banquet du Chef, objet de sa haine, et s’en retourner après la fête, sans qu’il lui fût adressé une seule question[11].

Enfin, l’étranger déclara lui-même son rang.

Il était James Fitz-James, chevalier de Snowdoun, seigneur d’un héritage peu fertile, que ses braves aïeux avaient eu bien de la peine à conserver par l’épée, d’âge en âge. Il en avait coûté la vie à son père, et lui-même était souvent forcé par les décrets du ciel à défendre ses droits le fer à la main. Il avait suivi ce matin lord Moray à la chasse ; trop ardent à poursuivre un cerf agile qu’il n’avait pu atteindre, il avait devancé ses compagnons, et vu mourir son coursier. Il se présentait comme un voyageur égaré.

XXX.

Le chevalier de Snowdoun aurait bien voulu demander à son tour le nom et le rang du père d’Hélène.

Le maintien de la plus âgée des deux dames disait assez qu’elle avait fréquenté les villes et les cours : quant à Hélène, quoiqu’il y eût dans son air un peu plus de cette simple grâce qui n’appartient qu’aux filles des champs, ses paroles, ses gestes, les traits de son visage, tout annonçait en elle une noble origine ; il est rare de rencontrer, dans un rang moins élevé, ses traits, ses manières, et une ame comme la sienne.

Lady Marguerite écoutait dans un grave silence toutes les insinuations adroites de Fitz-James, ou Hélène, par une plaisanterie innocente, éludait toutes ses questions.

— Nous sommes des fées, disait-elle, qui habitons les vallées et les montagnes, loin des villes et des châteaux ; nous présidons au cours des ondes, nous dirigeons les tempêtes, ou nous jetons des charmes sur des chevaliers errans. Tandis que d’invisibles ménestrels pincent leurs harpes, voici les vers magiques que nous chantons[12].

Elle fit alors entendre ces paroles, et une harpe inaperçue remplissait par ses accords les intervalles de son chant :

XXXI.
CHANT D’HÉLÈNE[13].

Noble guerrier, dépose ici tes armes ;
Viens te livrer aux douceurs du repos.
Ne songe plus aux combats, aux alarmes,
À la victoire, aux lauriers des héros.
D’un enchanteur la main mystérieuse
À préparé ta couche en ce château:
Le jour a fui ; sa harpe harmonieuse
Va t’assoupir par un charme nouveau.

Noble guerrier, dépose ici tes armes ;
Viens te livrer aux douceurs du repos ;
Ne songe plus aux combats, aux alarmes,
À la victoire, aux lauriers des héros.

Tu n’entendras ni le cri du carnage,
Ni des coursiers les fiers hennissemens,
Ni les vaincus expirant avec rage,
Ni les clairons des guerriers triomphans;
Mais aussitôt qu’un nouveau jour colore
De pourpre et d’or les coteaux et les cieux,
L’oiseau s’éveille, et, saluant l’aurore,
Redit aux bois ses concerts amoureux.

Tu n’entendras ni le cri du carnage,
Ni des coursiers les fiers hennissemens,
Ni les vaincus expirant avec rage,
Ni les clairons des guerriers triomphans,

XXXII.

Hélène s’arrête, et puis continue en rougissant. Les douces modulations de sa voix prolongent la mélodie de ses chants jusqu’à ce que l’inspiration fasse couler de ses lèvres les mots cadencés par

le rythme.
Suite du chant d’Hélène

Noble chasseur, dans ce séjour oublie
Que tes limiers accusent ton sommeil ;
De nos accens la magique harmonie,
Au lieu du cor, charmera ton réveil.
Laisse le cerf dormir dans son asile ;
Ne songe plus aux hôtes des forêts ;
Que le trépas de ton coursier agile
Cesse en ces lieux d’exciter tes regrets.

Noble chasseur, dans ce séjour oublie
Que tes limiers accusent ton sommeil ;
De nos accens la magique harmonie,
Au lieu du cor, charmera ton réveil.

XXXIII.

Les dames se retirent ; le chevalier reste seul… Les bruyères de la montagne composent la couche qui lui est destinée. Avant lui, maint chasseur y avait reposé ses membres fatigués, et rêvé de ses exploits dans les forêts : mais c’est en vain que ces bruyères sauvages répandent le parfum des montagnes autour de l’étranger : le charme d’Hélène n’avait pu calmer par le baume du sommeil la fièvre de son cœur agité ; des rêves interrompus ne cessent de lui offrir l’image de ses périls et de ses regrets ; tantôt il croit revoir son coursier qui s’abat dans le ravin ; tantôt c’est la nacelle qui s’abîme sous les flots du lac. — Il se trouve à la tête d’une armée en déroute ; son étendard est renversé, son honneur est perdu ; puis tout à coup (puisse le ciel éloigner de ma couche ce fantôme, le plus odieux des enfans de la nuit !) le souvenir de sa jeunesse vient se présenter à son imagination ; il se rappelle les piéges tendus à sa confiance et à sa franchise ; il échange de nouveau son cœur avec des amis qui l’ont trompé depuis long-temps : il les reconnaît tous les uns après les autres ; les indifférens, les traîtres, et ceux qui ne sont plus ; leurs mains serrent les siennes, leurs fronts respirent la gaieté comme s’ils n’avaient jamais été désunis. À cet aspect un doute affreux le désespère… Est-il abusé par ses sens ? leur mort ou leur perfidie fut-elle un rêve ? est-ce l’illusion ou la réalité qui le poursuit ?

XXXIV.

Enfin il se figure qu’il s’égare dans un bosquet avec Hélène, et lui parle d’amour : Hélène l’écoute en soupirant et la rougeur sur le visage ; il la presse avec éloquence ; il espère l’attendrir. Hélène laisse aller sa main : il veut la saisir ; c’est un gantelet de fer qu’il rencontre. Le fantôme a changé de sexe : un cimier brille sur sa tête ; sa haute stature s’est développée progressivement : son front est farouche, ses yeux lancent l’éclair de la menace ; malgré les rides qui sillonnent ses traits, malgré son air sombre et terrible, il ressemble encore à Hélène.

Le chevalier s’éveille en sursaut, et la vision de la nuit fait palpiter son cœur d’effroi. Les tisons mourans du foyer jetaient encore par intervalle des lueurs rougeâtres et sinistres qui ne découvraient qu’obscurément les bizarres trophées de ce château. L’étranger fixe ses regards sur la pesante épée dont la chute l’avait fait tressaillir la veille. Mille pensées contraires se succèdent dans son ame. Pour calmer cette agitation cruelle, il se lève, et va contempler les pures clartés de la lune.

XXXV.

Le genêt, la rose sauvage et l’églantier exhalaient à l’entour leurs riches parfums ; les bouleaux répandaient leurs larmes embaumées, et le saule laissait pencher ses rameaux immobiles.

Les rayons argentés de l’astre des nuits se jouaient sur le sein paisible de l’onde avec un doux frémissement… Quel cœur aurait pu résister au calme si doux de cette heure silencieuse ! Le chevalier de Snowdoun en éprouva l’influence, et se dit à lui-même :

— Pourquoi retrouvé-je à chaque pas quelque souvenir de cette race exilée ! Ne puis-je rencontrer une fille des montagnes qu’elle n’ait le regard des Douglas ! Toutes les épées que je vois me sembleront-elles toujours n’être faites que pour le bras de ce Chef odieux ! Douglas viendra-t-il donc toujours me poursuivre dans mes songes !… Je ne veux plus rêver… Une volonté ferme n’est même pas domptée dans le sommeil ! Adressons mes prières au ciel, endormons-nous, et ne rêvons plus.

Le chevalier répéta dévotement son rosaire, confiant à Dieu ses soucis et ses peines ; puis il goûta un sommeil profond, jusqu’au moment où le coq de bruyère fit entendre son cri aigu, et annonça que l’aube matinale blanchissait la cime du Ben-Venu.



FIN DU CHANT PREMIER.
Notes

CHANT PREMIER.

Note a. — Paragraphe xxii.

Si l’évidence pouvait nous autoriser à croire des faits qui contrarient les lois générales de la nature, on pourrait appuyer par de nombreuses preuves la croyance à la seconde vue. On l’appelle Taishitaraugh dans la langue gallique, de Taish (apparence fantastique ou imaginaire). Ceux qui sont doués de cette faculté, de ce sens prophétique, sont nommés Taishatun, qu’on pourrait traduire par le mot visionnaire. Martin, qui croit fermement à la seconde vue, en parle en ces termes :

« La seconde vue est une faculté singulière de voir un objet d’ailleurs invisible, sans préparation préalable. La vision fait une impression si vive sur les devins, qu’ils ne voient que cette vision même, et ne sont distraits par aucune autre pensée tant qu’elle continue. Ils paraissent alors tristes ou gais, suivant l’objet qui leur est représenté. »

« A l’approche d’une vision les paupières se contractent et se lèvent, les yeux demeurent fixes jusqu’à ce que l’objet s’évanouisse.

« Si on voit quelqu’un entouré d’un linceul, c’est un sûr pronostic de mort.

« Si on voit une femme se tenant debout à la gauche d’un homme, c’est un présage de mariage entre eux : qu’ils vivent dans le célibat, ou même qu’ils soient mariés, n’importe !

« Si deux ou trois femmes sont vues ainsi à la gauche d’un homme, cet individu les épousera toutes les unes après les autres, quelles que soient les circonstances actuelles, etc., etc. » (Martin, Description des îles, etc. ; 1716.)

A ces particularités on pourrait ajouter d’innombrables exemples, tous attestés par des auteurs graves et dignes de foi ; mais en dépit de l’évidence, à laquelle n’ont pu se refuser ni Bacon, ni Boyce, ni Jonhson, le Taish avec toutes ses visions semble être totalement abandonné aux poètes. Le poëme si parfaitement beau de Lochiel[14] vient naturellement à la mémoire du lecteur.

Note b. ― Paragraphe xxviii.

Ces deux fils d’Anak sont fameux dans les livres de chevalerie : le premier est bien connu des admirateurs de l’Arioste, sous le nom de Ferran ; il fut un des antagonistes de Roland, et tué par lui dans un combat singulier. Le roman de Charlemagne lui attribue des formes on ne peut pas plus gigantesques.

Ascapart ou Ascabart joue un rôle important dans l’histoire de sir Bevis de Hampton, par qui il fut vaincu. Son effigie peut être vue encore sur un côté de la porte de Southampton, dont l’autre est occupé par sir Bevis lui-même.

  1. Usm-Var ou Vaigh-Neor est une montagne située au nord-est du village de Callender, dans le comté de Menteith ; elle tire son nom, qui signifie la grande caverne, d’une espèce de retraite parmi les rochers, où la tradition prétend qu’un géant faisait jadis sa demeure. Plus récemment cette caverne était devenue le refuge d’une troupe de voleur et de bandits, qui n’en ont été expulsé que depuis une quarantaine d’années.
  2. « Les chiens que nous appelons les chiens de Saint-Hubert sont ordinairement tout noirs, quoique la race en soit devenue si mêlée de nos jours, qu’on en trouve de toutes les couleurs : ce sont ces chiens dont les abbés de Saint-Hubert ont toujours conservé la race en mémoire de leur patron, qui était un chasseur aussi bien que saint Eustace ; d’où nous pouvons croire qu’avec la grâce de Dieu tous les bons chasseurs les suivront en paradis.

    Pour en revenir à mon sujet, les chiens de Saint-Hubert ont été dispersés dans les provinces du Hainaut, de la Lorraine, de la Flandre et de la Bourgogne ; ils sont hauts de taille, et cependant leurs jambes sont courtes et basses. Ils ne sont pas très légers à la course, quoique doués d’un odorat des plus fins, suivant de loin le gibier, ne craignant ni l’eau ni le froid, et préférent les bêtes qui sentent comme le renard, parce qu’ils ne se croient ni assez de vitesse ni assez de courage pour chasser les animaux doués d’une agilité plus grande. Les limiers de cette couleur sont en général estimés, surtout ceux qui sont d’un noir parfait, mais je ne me suis jamais soucié d’en élever moi-même. Cependant j’ai eu entre les mais le livre qu’un chasseur devait à un prince de Lorraine, grand amateur de la chasse, et en tête duquel était une devise que ledit chasseur donnait à son limier, appelé Sonyllard, qui était blanc :

    — Je tire mon origine de la race du grand saint Hubert ; j’eus pour père Sonyllard, chien d’une vertu rare. —

    D’où nous pouvons présumer que ces chiens peuvent être accidentellement de couleur blanche. » (Le noble Art de la Vénerie, traduit pour l’usage de tous les gentilshommes de Londres ; 1611.)

  3. Quand le cerf était aux abois, le chef des chasseurs avait la tâche périlleuse d’aller lui porter le coup de la mort. À certaines époques de l’année c’était une tâche vraiment dangereuse, la blessure faite par les bois du cerf étant réputée venimeuse, beaucoup plus même que la blessure faite par les défenses d’un sanglier, comme le disent deux vers anciens, dont voici le sens :

    « Si tu es blessé par un cerf, tu es sur le chemin de ta bière ; mais la main du barbier guérit la blessure du sanglier : ainsi ne t’effraie pas. »

    Quoi qu’il en soit, cette dernière opération de la chasse n’était pas sans danger, et le livre cité dans la note précédente indique toutes les précautions à prendre pour se défaire du cerf sans rien risquer.

  4. Le terme trosachs signifie un terrain rude et âpre.
  5. Avant que la route actuelle fût pratiquée dans le passage romantique que l’auteur a essayé ici de décrire, il n’y avait aucun moyen de sortir du défilé appelé Treseck, si ce n’est par une espèce d’échelle faite avec des branches et des racines.
  6. Ruban que portent les vierges écossaises. — Le plaid, le manteau de tartan.
  7. Voyez à la fin de ce poëme les appendices auxquels il est renvoyé par des lettres italiques.
  8. Les Chefs celtes dont la vie était assaillie par des périls continuels, avaient communément dans la partie la plus reculée de leurs domaines quelque retraite, comme une tour, une caverne ou une demeure rustique. Ce fut dans une semblable retraite que Charles-Edouard se cacha après la malheureuse bataille de Culloden.
  9. Les botanistes ont reproché à l’auteur d’avoir vu la clématite dans l’île d’Hélène, où jamais cette plante ne se rencontre.
  10. Brond-sword, l’épée écossaise, une espèce de claymore.
  11. Les montagnards, très scrupuleux dans l’exercice des devoirs de l’hospitalité, auraient cru se rendre coupables de grossièreté en demandant à un étranger son nom ou sa famille avant qu’il eût pris quelques rafraîchissemens. Les inimitiés étaient si fréquentes parmi eux, qu’une règle contraire aurait pu faire priver un hôte du bon accueil qui lui était destiné.
  12. « Les montagnards aiment beaucoup la musique, mais surtout celle des harpes et des clairschoes à la façon du pays. Les cordes des clairschoes sont de fil d’archal, et celle des harpes de substances tendineuses : ils les pincent avec leurs ongles qu’ils laissent grandir, ou avec un instrument à cet usage. Ils prennent grand plaisir à orner leurs harpes avec de l’argent ou des pierres précieuses, et dans les classes pauvres, avec du cristal. Ils composent et chantent des vers à la louange des héros : leur langage est une altération de l’ancien français. (Essais sur le royaume d’Écosse en 1597 ; Londres, 1603.)

    Les anciennes ballades des montagnards font seules mention aujourd’hui des harpes et des clairschoes, et la cornemuse (the bagpipe) les remplace aujourd’hui.

    M. Gunn, d’Edimbourg, a publié un essai curieux sur la harpe et la musique des anciens montagnards.

  13. Quoique nous ayons reconnu la difficulté d’être fidèle traducteur en vers, nous ne donnerons le mot à mot des ballades de la Dame du Lac que quand nous serions essentiellement écartés du sens de l’auteur.
  14. Par Campbell, auteur des Plaisirs de l’Espérance et de Gertrude de Wyoming.