La Duchesse de Bourgogne et l’Alliance savoyarde/04

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LA DUCHESSE DE BOURGOGNE
ET
L’ALLIANCE SAVOYARDE

LE DUC DE BOURGOGNE AU CONSEIL[1]

Nous avons essayé de dépeindre les sentimens qui, dans l’entourage du Duc de Bourgogne, agitaient les âmes, au lendemain de la mort de Monseigneur. Nous avons montré la Duchesse de Bourgogne aimablement triomphante, Saint-Simon ouvertement ambitieux, Beauvilliers et Chevreuse s’abandonnant malgré eux à des espérances humaines que combattait leur piété, enfin Fénelon s’appliquant, non sans quelque mystère, à conserver et à fortifier son influence sur son ancien élève. Mais nous n’avons encore rien dit du principal personnage vers qui convergeaient toutes ces ambitions, étalées ou secrètes, et dont allaient dépendre, avant qu’il fût longtemps, non seulement ces destinées diverses, mais celles de la France. Le moment est venu de tirer, de la pénombre où il se complaisait, le Duc de Bourgogne lui-même, et de le faire apparaître sur le devant de la scène.


I

Le Duc de Bourgogne ne s’était jamais complètement relevé de la disgrâce où, dans l’opinion publique, la malheureuse campagne de 1708 l’avait fait tomber. Il n’avait pas tenu tête à l’orage et s’était au contraire confiné dans une demi-retraite, ne sortant de son cabinet que dans la mesure nécessaire pour se mêler aux cérémonies et aux rares divertissemens de la Cour. Sans doute l’épreuve l’avait mûri ; il ne se livrait plus à ces amusemens puérils, à ces jeux de séminariste que lui reprochait Saint-Simon, et le temps qu’il passait dans son cabinet était surtout consacré par lui à des exercices scientifiques, à des recherches historiques et aussi à des entretiens, plus longs qu’il n’était nécessaire, avec son confesseur, le Père Martineau. Quand il en sortait, il prenait peu de part aux conversations, et les épisodes de la dernière chasse à courre faisaient généralement les frais de l’entretien. C’est qu’il était gêné par un double sentiment, d’abord par un scrupule d’austérité et de charité qui l’empêchait de prendre sa part d’un échange de propos, tantôt légers, tantôt médisans, comme étaient, comme sont en tout temps les propos de cour et de monde ; ensuite et surtout parce qu’il craignait, en s’exprimant avec trop de liberté sur les événemens et sur les hommes, de laisser apercevoir le fond de sa pensée et le jugement peu favorable qu’il portait sur certaines mesures adoptées par le Roi.

Le Duc de Bourgogne avait, ainsi que nous le verrons, une vue très juste des périls que des désordres anciens, aggravés par les fautes et les malheurs d’un long règne, faisaient courir à la vieille institution monarchique. Mais il se serait fait scrupule de laisser apercevoir ces craintes, et toute appréciation trop libre lui aurait paru un manque à ses devoirs de petit-fils respectueux, sans parler de la disgrâce qu’auraient pu, par sa faute, encourir ceux qui lui étaient chers. Suivant toutes les probabilités humaines, de longues années devaient encore s’écouler avant qu’aucune responsabilité, aucune autorité lui incombât. Il se sentait guetté par la cabale de Meudon, qui n’aurait pas manqué de tourner contre lui la moindre parole imprudente ; il était intimidé par la malveillance, à peine déguisée, de son propre père qui lui témoignait une froideur, rendue plus blessante encore par une préférence évidente en faveur du Duc de Berry ; enfin il était contenu par un respect superstitieux pour son grand-père contre lequel il aurait cru pécher, s’il s’était permis un jugement sévère, même intérieur. Sa situation était donc difficile, presque dangereuse à certains points de vue, et comme il n’avait ni l’esprit, ni la bonne grâce, ni la souplesse de la Duchesse de Bourgogne, il croyait échapper à ces difficultés et à ces dangers par la retraite et le silence.

Tout autre il apparut quand, rapproché du trône, rassuré par la dispersion de la cabale contre les dénonciations qu’il pouvait craindre, encouragé par la bienveillance et la confiance croissantes que lui témoignait le Roi, il put se montrer sans contrainte ce qu’il était véritablement, c’est-à-dire un prince judicieux, instruit, bienveillant, facilement accessible. Très rapidement il prit de l’assurance et de l’aisance. Il sortit davantage de son cabinet et se mêla avec plus d’abandon au mouvement de la Cour. Ce fut surtout durant ces longues promenades dans les jardins de Marly ou de Versailles, qui occupaient les après-dînées, et auxquelles se complaisait le Roi, qu’il eut occasion de se familiariser davantage avec les courtisans, et de se laisser aller à s’entretenir avec eux. Le Duc de Bourgogne avait beaucoup étudié, beaucoup lu ; il savait beaucoup ; mais il avait jusque-là renfermé au dedans de lui-même les notions qu’il avait acquises. A l’étonnement de ceux qui le connaissaient peu, à la joie de ceux qui l’appréciaient depuis longtemps, il déploya, dans les groupes de courtisans qui commençaient à se former autour de lui, une bonne grâce, une érudition sans pédanterie, voire même un enjouement dont on le croyait peu capable. Il y joignait de grands égards pour les personnes, une attention soutenue à traiter chacun suivant son rang, à distinguer de la foule ceux qui méritaient de l’être, sans cependant offenser les autres par une négligence désobligeante ; en un mot il fit preuve de qualités qui avaient paru jusque-là tout à fait étrangères à sa nature : « On vit, dit Saint-Simon, ce prince timide, sauvage, concentré, cette vertu précise, ce savoir déplacé, cet homme engoncé, étranger dans sa maison, contraint de tout, embarrassé partout, on le vit, dis-je, se montrer par degrés, se déployer peu à peu, se donner au monde avec mesure, y être libre, majestueux, gai, agréable, tenir le salon de Marly dans des temps coupés, présider au cercle rassemblé autour de lui, comme la divinité du temple qui sent et qui reçoit avec bonté les hommages des mortels auxquels il est accoutumé, et les récompenser de ses douces influences… Le Dauphin devint un autre prince de Conti. La soif de faire sa cour eut en plusieurs moins de part à l’empressement de l’environner, dès qu’il paroissoit, que celle de l’entendre et d’y puiser une instruction délicieuse par l’agrément et la douceur d’une éloquence naturelle qui n’avoit rien de recherché, la justesse en tout, et, plus que cela, la consolation si nécessaire et si désirée de se voir un maître futur si capable de l’être par son fonds et par l’usage qu’il montroit qu’il sauroit en faire[2]. »

« M. le Dauphin s’applique fort aux affaires, et se rend plus affable aux courtisans, dit plus sobrement Mme de Maintenon dans une lettre au duc de Noailles. Mme la Dauphine, en prenant une place plus haute, devient plus polie et plus attentive qu’elle ne l’a jamais été ; elle fait une grande figure et n’en est pas fâchée, » et dans une autre lettre : « M. le Dauphin fait mieux depuis la mort de Monseigneur. Mme la Dauphine se fait adorer de tout le monde[3]. » Dans une lettre, à peu près de même date, à la princesse des Ursins[4], Mme de Maintenon ajoute : « Si elle se couchait un peu moins tard et s’ajustait un peu plus, elle serait parfaite. Son visage ne supporte pas la négligence qu’elle aime, et elle ne convient pas à sa place. »

En se bornant à dire : « M. le Dauphin fait mieux, » Mme de Maintenon donne cette note juste dont elle était coutumière, plus juste peut-être que le ton un peu dithyrambique de Saint-Simon. « Mieux faire » implique en tout cas un blâme de l’attitude passée. Cette attitude un peu renfrognée du Duc de Bourgogne n’avait pas laissé en effet de susciter contre lui certaines préventions, et il était des milieux où on ne le voyait pas sans inquiétude ainsi rapproché du trône. Nous trouvons l’écho de ces inquiétudes dans les Lettres Galantes de la frondeuse et un peu libertine (nous dirions aujourd’hui libre penseuse) Mme Dunoyer. « Ce qui augmente encore, écrivait-elle, la douleur des François, c’est qu’on a des préventions, qui peut-être sont mal fondées, contre M. le Duc de Bourgogne. On s’est imaginé, je ne sçais sur quoi, que le Prince n’avoit pas autant de bonté que son illustre père, et que, suivant le même esprit et le même caractère qui domine à présent, son règne n’apporteroit aucun changement avantageux[5]. » Mais ces préventions tombèrent bientôt ; c’est la même Mme Dunoyer qui va nous le dire. « L’on est las de la flatterie et des flatteurs, écrivait-elle, assez peu de temps après, et je ne désespère pas que la sincérité ne revienne à la mode. C’est ce que nous devons attendre de l’équité de notre nouveau Dauphin dont on s’étoit formé jusqu’ici une très fausse idée. Toute sa conduite détruit cette prévention où l’on étoit contre lui, car, depuis le pas qu’il vient de faire vers le trône, il s’est attaché à prendre connoissance des affaires, et ce n’a été que pour leur faire prendre un meilleur tour. Il va travailler surtout à régler et à augmenter les finances, et cela sans fouler les peuples, puisque c’est en faisant rendre compte à ceux qui en ont le maniement[6]. »

Il n’est guère difficile à l’héritier présomptif d’un trône de se faire bien voir de l’opinion publique, surtout quand les affaires vont mal, que le souverain auquel il doit succéder est vieux, et qu’on peut supposer chez son successeur des vues quelque peu différentes. Aussi le revirement des esprits en faveur du Duc de Bourgogne fut-il prompt à s’opérer, et ce mouvement s’étendit rapidement à toute la France. « De la Cour à Paris, dit encore Saint-Simon, et de Paris au fond de toutes les provinces, cette réputation vola avec tant de promptitude que le peu de gens anciennement attachés au Dauphin en étoient à se demander les uns aux autres s’ils pouvoient en croire ce qui leur revenoit de toutes parts. Quelque fondé que fût ce prodigieux succès, il ne faut pas croire qu’il fut dû tout entier aux merveilles du jeune prince. Deux choses y contribuèrent beaucoup : les mesures immenses et si étrangement poussées de cette cabale dont j’ai tant parlé à décrier ce prince sur toutes sortes de points, et le contraste de l’élastique à la chute du poids qui lui écrasoit les épaules, après lequel on le vit redressé, l’étonnement extrême que produisit le même contraste entre l’opinion qu’on en avoit conçue et ce qu’on ne pouvoit s’empêcher de voir, et le sentiment de joie intime de chacun, par son plus sensible intérêt, de voir poindre une aurore qui déjà s’avançoit, et qui promettoit tant d’ordre et de bonheur après une si longue confusion et tant de ténèbres[7]. »

Si la timidité, le sentiment de la malveillance dont il était l’objet de la part de son père et la crainte de porter ombrage à son grain -père avaient en effet écrasé les épaules du Duc de Bourgogne, la faveur et la confiance que, dès le lendemain de la mort de Monseigneur, lui témoigna le Roi durent en effet le redresser. Entre autres marques de cette faveur, on remarqua fort la nomination du duc de Charost comme capitaine des gardes du corps, en remplacement du maréchal de Boufflers qui venait de mourir. Le choix était en effet significatif. La mère de Charost, la duchesse de Béthune, fille de Fouquet, avait été une des pénitentes de Fénelon et n’avait jamais cessé d’appartenir au petit troupeau, Charost y tenait également, par son intimité avec Chevreuse et Beauvilliers, et s’il avait, au dire de Saint-Simon, « une probité exacte, beaucoup d’honneur et tout ce qu’il y pouvoit ajouter de vertu à force de bras, » cette vertu était « rehaussée de tout l’abandon à M. de Cambrai qui se pouvoit espérer du fils de la disciple mère[8]. » Louis XIV n’ignorait rien de tout cela et devait, par-dessus le marché, se sentir médiocrement disposé pour le petit-fils de l’homme qu’il avait si cruellement puni. Mais ces considérations, loin d’arrêter son choix, le fixèrent. « Il vous servira plus longtemps que moi, dit-il au Duc de Bourgogne. Il est juste de vous donner un homme à, votre gré, » et cette nomination inattendue causa beaucoup d’étonnement à la Cour, « qui en conçut un grand respect pour M. le Dauphin et pour son crédit[9]. »

Le Duc de Bourgogne essaya-t-il de faire usage de ce crédit en faveur de quelqu’un qui lui tenait autrement au cœur que Charost ou même Beauvilliers ? Fit-il quelque tentative pour mettre un terme à la disgrâce de Fénelon ? Saint-Simon n’en dit rien, mais Mme Dunoyer l’affirme : « Ce prince, écrit-elle, a donné encore une marque de son bon cœur et de la justesse de son discernement dans la tentative qu’il a faite pour rappeler l’archevêque de Cambrai d’un injuste exil. On avoit cru même qu’il y avoit réussi, et nous espérions de revoir ici cet illustre prélat, mais il faut croire qu’il est un temps pour toute chose et que celui-là n’est pas encore venu[10]. » Mme Dunoyer n’était pas en position d’être très bien informée, mais pour qu’elle ait rapporté ce bruit dans ses lettres, il faut qu’il en ait couru, et ce bruit était trop à l’honneur du Duc de Bourgogne pour que nous n’ayons pas cru devoir le rapporter.

Avant cette nomination, le Roi avait donné une preuve bien autrement significative de la confiance qu’il mettait dans le Duc de Bourgogne. « Après l’avoir retenu assez longtemps un matin dans son cabinet, dit Saint-Simon, il donna ordre le même jour à ses ministres d’aller travailler chez le Dauphin toutes les fois qu’il les manderoit, et, sans être mandés encore, de lui aller rendre compte de toutes les affaires dont, une fois pour toutes, il leur auroit ordonné de le faire. » C’était là un singulier changement dans les habitudes du Roi, qui s’était montré si jaloux jusque-là de son autorité, et qui, plus vieux de quelques années, devait encore relever si vertement Torcy lorsque celui-ci lui proposa de faire préparer les affaires par le plus ancien ministre. Mais c’est qu’il voyait dans son héritier direct comme une incarnation et un prolongement de lui-même, et que cet héritier lui avait donné assez de preuves de son respect et de sa subordination pour qu’il n’eût à craindre de sa part aucune usurpation. À en croire Saint-Simon, cet ordre du Roi aurait causé à la Cour un mouvement prodigieux et aurait été un coup de foudre pour les ministres « dont ils se trouvèrent tellement étourdis qu’ils n’en purent cacher leur étonnement ni leur déconcertement[11]. » Mais ici, comme à son ordinaire, Saint-Simon nous paraît avoir un peu exagéré les choses. Ni Dangeau ni Sourches, qui s’appesantissent sur la nomination de Charost, ne font en effet mention de cet ordre, et quant au déconcertement qu’en auraient éprouvé les ministres, les sentimens qu’il leur prête sont peu conformes à la vraisemblance. « Ce fut, dit-il en insistant, un ordre bien amer pour des hommes qui, tirés de la poussière et tout à coup portés à la plus sûre et à la plus suprême puissance, étoient si accoutumés à régner en plein sous le nom du Roi auquel ils osaient même parfois substituer le leur, en usage tranquille et sans contredit de faire et de défaire les fortunes, d’attaquer avec succès les plus hautes, d’être les maîtres des plus patrimoniales de tout le monde, de disposer avec toute autorité du dedans et du dehors de l’État, de dispenser à leur gré toute considération, tout châtiment, toute récompense, de décider de tout hardiment par un : le Roi le veut… en un mot rois d’effet et presque de représentation. Quelle chute pour de tels hommes ! »

Il est, à notre sens, très douteux que ces hommes contre lesquels Saint-Simon épanche sa bile, et qu’il appelle ailleurs « les marteaux de l’Etat » aient éprouvé les sentimens qu’il leur prête. Le Duc de Bourgogne était devenu le prince dont leur sort, d’un jour à l’autre, pouvait dépendre, qui les maintiendrait au pouvoir ou les précipiterait dans la disgrâce. L’approcher de plus près, avoir occasion de lui faire apprécier leurs mérites, capter à l’avance sa faveur était donc de leur intérêt, et rien ne fait supposer qu’ils ne l’aient pas parfaitement compris. D’ailleurs le Duc de Bourgogne, avec sa honte réelle, prit soin de leur faciliter le travail avec lui[12]. « Il les reçut, dit encore Saint-Simon, avec un air de bonté et de commisération ; il entra avec eux dans le détail de leurs journées pour leur donner les heures les moins incommodes à la nécessité du travail et de l’expédition, et, pour cette première soumission, n’entra pas avec eux en affaires mais ne différa pas de commencer à travailler chez lui avec eux. »

Torcy, Voisin, Desmaretz, furent les seuls avec lesquels le Duc de Bourgogne eut de fréquens entretiens, mais surtout Desmaretz. C’était en effet l’état des finances dont il se préoccupait le plus, avec juste raison. C’était aussi le ministre avec lequel le public se réjouissait le plus de le voir travailler. « Monsieur le Dauphin va s’appliquer, dit-on, à régler les finances, écrivait Mme Dunoyer. Du moins on le voit toujours enfermé avec M. Desmaretz qui en est le ministre[13] ; » et, dans une autre lettre : « Notre Dauphin, est enfermé tous les jours avec M. Desmaretz pour tâcher de mettre les finances sur un pied qu’on puisse tous les mois être éclairci de la dépense et de la recette, moyen très sûr pour n’être point trompé[14]. »

En s’appliquant ainsi aux affaires, le Duc de Bourgogne ne faisait que suivre sa pente. Depuis plusieurs années, il y prenait une part plus active que le public ne le savait par son assiduité aux Conseils, et comme sa participation à leurs délibérations n’avait rien qui pût porter ombrage au Roi son grand-père, il ne se faisait point faute d’y prendre la parole dans un sens toujours judicieux et modéré. Avant de pousser plus avant et d’en arriver à ce que Saint-Simon appelle son avant-règne, nous le voudrions montrer dans ce rôle de conseiller du trône.


II

Les Conseils qui complétaient, pour emprunter une expression à Saint-Simon, la mécanique du gouvernement royal, — gouvernement absolu sans doute, mais dont les formalités administratives tempéraient l’absolutisme, — étaient au nombre de trois principaux : le Conseil des Dépêches où se traitaient toutes les affaires concernant « le dedans du royaume, » et en outre « toute sorte d’affaires qui lui étaient portées pour une raison ou pour une autre[15] ; » le Conseil des Finances où se traitaient, comme le nom l’indique, les questions concernant les impôts de toute sorte et leur mode de perception, ainsi que celles relatives au domaine du Roi : enfin le plus important de tous, le Conseil d’en Haut, qu’on appelait officiellement le Conseil d’État, où se traitaient toutes les grandes affaires de l’État, aussi bien, en temps de guerre, celles relatives aux mouvemens des armées ou aux négociations, qu’en temps de paix celles concernant les relations avec les Puissances étrangères. Le Conseil d’en Haut, qui était le plus important, se tenait sept fois en quinze jours, le Conseil des Finances deux fois par semaine, le Conseil des Dépêches tous les quinze jours seulement. Ces trois Conseils étaient toujours présidés par le Roi qui n’y manquait jamais, dans quelque circonstance que ce fût, puisque, nous l’avons vu, il avait fallu le détourner de tenir conseil le lendemain de la mort de Monseigneur. À ces trois Conseils il faut en ajouter un autre, beaucoup plus étendu par sa composition, car il comprenait trente conseillers d’État et quatre-vingts maîtres des requêtes, appelé Conseil des Parties ou Conseil Privé. C’était une haute Cour qui exerçait sur tout le royaume la juridiction suprême en matière civile et en matière administrative, et devant laquelle pouvaient être portées, par évocation, toutes les affaires dont, disait le Roi, « nous jugeons quelquefois à propos, par des raisons d’utilité publique et de notre service, de lui attribuer la connoissance du fond, en l’ôtant aux juges ordinaires[16]. » Ce Conseil n’était que rarement présidé par le Roi.

Le Duc de Bourgogne avait été appelé successivement par le Roi à faire partie du Conseil des Dépêches, du Conseil des Finances et du Conseil d’en Haut. Jamais il ne venait au Conseil des Finances. Il avait peu de goût à ces matières qu’il connaissait mal, et il était très contraire à certaines mesures sanctionnées par le Roi. S’il était venu au Conseil des Finances, ce n’aurait donc pu être que pour y faire de l’opposition, et c’était une attitude qu’il ne voulait pas prendre. Au Conseil des Dépêches, au contraire, et au Conseil d’en Haut, il se montrait fort exact, à l’opposé de Monseigneur, son père, qui n’y venait presque jamais. Dans plusieurs affaires, il prit éloquemment la parole, entre autres dans une circonstance qui fit grand bruit à la Cour et qu’il est intéressant de rapporter, ne fût-ce que pour montrer avec quelle conscience et quelle indépendance, malgré l’arbitraire apparent de la procédure, se jugeaient certaines affaires.

On sait que Marguerite de Rohan, fille et unique héritière du duc de Rohan, l’illustre chef huguenot créé en 1603 duc et pair par Henri IV, épousa en 1645 Henri Chabot, sieur de Saint-Aulaye, d’une fort ancienne et illustre maison du Poitou, et que, trois ans après, une nouvelle érection du duché-pairie de Rohan était consentie par la Reine régente Anne d’Autriche en faveur de cet Henri Chabot et des enfans mâles qui naîtraient de ce premier mariage. Ce premier duc de Rohan-Chabot était mort depuis cinquante et un ans, et son fils, le second duc, demeurait en pleine et paisible possession, depuis plus d’un demi-siècle, du nom et des armes de Rohan, lorsque le prince de Guéménée, chef d’une seconde branche des Rohan, s’avisa, en 1700, de lui intenter un procès. Jaloux de ce que deux fils du duc de Rohan, le prince de Léon et le chevalier de Rohan, avaient figuré avec éclat à Londres, à la cour du roi Guillaume (c’était avant la rupture), tandis qu’il y vivait dans l’obscurité, il s’avisa de vouloir faire interdire aux enfans du duc de Rohan, de porter le nom et les armes de Rohan, bien que le contrat de mariage de leurs grand-père et grand’mère stipulât expressément « que les enfans qui en naîtroient porteroient à toujours et leur postérité le nom et les armes de Rohan. » Le duc de Montbazon, son neveu, se joignit à lui, mais ce qui fit l’importance de l’affaire, ce fut l’intervention au procès d’une tierce personne, appartenant également à la maison de Rohan, et qui faisait plus grande figure à Versailles non seulement que le prince de Guéménée, et le duc de Montbazon, mais que le duc de Rohan lui-même. C’était la princesse de Soubise.

Anne de Rohan-Chabot, propre sœur du duc de Rohan, avait épousé, à l’âge de quinze ans, son cousin M. de Soubise, « le plus beau gendarme et un des hommes les mieux faits de son temps de corps et de visage, » dit Saint-Simon, mais qui avait le défaut d’être fort pauvre. Lorsqu’elle parut à la Cour, quelques années après son mariage, sa beauté y fit sensation. Elle avait les cheveux d’un, blond roux, avec les yeux un peu petits, mais une taille superbe et un teint éblouissant, bien qu’elle passât pour être de constitution assez malsaine, ce qui la faisait comparer par Mme de Montespan à « une belle pomme gâtée au dedans. » Mais peut-être faut-il voir dans ce propos de Mme de Montespan une vengeance de femme, car elle eut bientôt des griefs contre la nouvelle venue.

La beauté de Mme de Soubise avait produit en effet sur Louis XIV une vive impression au moment où, las du joug que faisait peser sur lui son impérieuse maîtresse, il commençait à se montrer quelque peu infidèle. La vertu de Mme de Soubise a donné lieu à beaucoup de discussions dont M. de Boislisle s’est fait l’écho dans une savante et intéressante notice qu’il a jointe au tome cinquième de son incomparable édition de Saint-Simon, et où il a pris la défense de la belle princesse. Il a eu fort à faire En effet, si les auteurs de certains mémoires et même de certains pamphlets, comme celui du Grand Alcandre frustré, prétendent que Louis XIV perdit ses peines auprès d’elle, d’autres pamphlets lui sont au contraire moins favorables. Certains prétendent que « ses yeux allaient tous les jours à la petite guerre, » ce qui, à la vérité, n’est pas démonstratif ; mais d’autres auteurs qui furent ses contemporains, tels que Mme de Caylus et Saint-Simon, vont plus loin et n’hésitent pas à en médire. Saint-Simon en particulier attribue à Louis XIV la paternité d’Armand-Gaston de Soubise qui, parmi les nombreux enfans de la princesse (elle avait en moyenne de son mari un enfant tous les deux ans), se distinguait par sa beauté et, disaient les malins, par sa ressemblance avec le Roi. Il est vrai que Mme de Caylus conteste cette attribution et croit que le Roi fut le père d’un autre enfant. Quoi qu’on en puisse penser, que ce soit par sa complaisance, comme le veut Saint-Simon, ou par sa résistance, comme le veut M. de Boislisle, il est certain qu’elle avait acquis un crédit prodigieux sur l’esprit du Roi, crédit qu’elle faisait servir sans relâche à l’élévation et à la fortune de sa maison. Il n’était presque pas d’année qui ne fût signalée par quelque faveur ou par quelque don d’argent accordés à son mari ou à ses enfans. Entre autres elle avait obtenu en 1701 pour le bel abbé de Soubise la coadjutorerie de Strasbourg. Depuis quelques années, retenue par la maladie, elle paraissait peu à la Cour mais elle était demeurée en correspondance avec le Roi auquel elle écrivit encore la veille de sa mort. Quand elle venait à Versailles, le Roi lui accordait fréquemment des audiences privées dans son cabinet, mais en ayant soin de laisser les portes ouvertes, habitude qu’il n’avait point quand il recevait d’autres dames et précaution qu’il prenait pour éviter la médisance, sans se rendre compte que par là il l’entretenait ou du moins la ravivait. Son autorité sur l’esprit du Roi continuait à s’affirmer. On savait qu’il n’était point de grâce qu’elle n’obtînt. Aussi, quand on la vit prendre ouvertement parti contre son propre frère, avec lequel elle avait toujours fort mal vécu, et se prononcer en faveur de ses cousins et neveux, les amis du duc de Rohan commencèrent à craindre que les choses ne prissent pour lui une mauvaise tournure.

Par l’intervention des Soubise se joignant aux Guéménée et aux Montbazon, ce procès devenait celui des Rohan contre les Rohan-Chabot. Le gros des courtisans se montrait plus favorables au duc de Rohan qu’aux Rohan, ceux-ci ayant eu la maladresse, dans les mémoires qu’ils avaient fait imprimer, de prétendre « s’élever au-dessus de toute noblesse, en princes qui étoient d’une classe hors du niveau, » et ce à raison de l’ancienneté de la maison de Rohan qu’ils prétendaient tirer d’un certain Conan Mériadec, « prétendu roi de Bretagne, continue Saint-Simon, qui n’exista jamais[17]. » Il n’en fallut pas davantage pour que les représentans des grandes familles françaises prissent fait et cause pour le duc de Rohan, bien que celui-ci fût personnellement peu aimé. Informé du bruit que faisait l’affaire, le Roi, après s’en être défendu longtemps, prit, à la sollicitation des parties en cause des deux côtés, une grande décision, qui n’avait cependant rien de contraire aux usages du temps : ce fut d’évoquer l’affaire devant lui. Mais au lieu de la faire venir devant le Conseil d’en Haut, qui était généralement appelé à juger les conflits de famille, il décida la formation d’un tribunal spécial devant lequel le procès serait porté. Ce tribunal devait être composé du Conseil des Dépêches, du Conseil des Finances et du bureau du Conseil des Parties qui était chargé, au préalable, d’instruire l’affaire et de choisir un maître des requêtes pour en faire rapport : ce bureau était présidé par Daguesseau père.

L’instruction fut assez lente et conduite avec quelque partialité en faveur de Mme de Soubise qui déployait de plus en plus d’ardeur et devenait ainsi partie principale au procès. L’affaire ne vint en état qu’en août 1704. Le Roi fixa un jour pour le procès qui devait se juger sur mémoires des parties et sur rapport du maître des requêtes, mais sans plaidoiries d’avocat. On ne plaidait point devant le Roi. La veille, 25 août, la famille de Rohan attendit le Roi au sortir de la messe pour lui remettre en mains propres un nouveau mémoire. Le coadjuteur de Strasbourg, que Saint-Simon appelle à cette occasion « le fils de la Fortune et de l’Amour, » se promenait dans la galerie, avec l’air d’un homme sûr de son fait et disant qu’on ne devait pas être surpris « si ceux de sa maison, si fort relevés par leur naissance au-dessus de la noblesse du royaume, étoient jaloux de leur nom et le souffroient impatiemment à d’autres, » ce qui lui valut, de la part du marquis d’Ambres, cette verte réplique : « Cela s’appelle soutenir une mauvaise cause par des propos encore plus odieux. » Les esprits se montaient, comme on voit, et il était temps d’en finir ; mais, connaissant la faveur dont la princesse de Soubise jouissait auprès du Roi, ce jour-là peu de personnes doutaient que l’arrêt ne fût rendu en sa faveur.

Le lendemain 26, le Roi avança l’heure de son dîner, qui était habituellement une heure, pour donner plus de temps à ouïr la cause. Il ne dérogeait ainsi à ses habitudes que dans les circonstances graves. Les juges se réunirent immédiatement après le dîner. Un instant avant que l’audience ne commençât, le Roi demanda tout bas à Chamillart pour qui il serait : « Pour Mme de Soubise, » répondit à l’oreille le ministre courtisan. Dès que tous les juges furent en place, le Roi prit la parole : « Messieurs, dit-il, je dois la justice à tout le monde ; je veux la rendre exactement dans l’affaire que je vais juger. Je serois bien fâché d’y commettre aucune injustice, mais pour de grâce je n’en dois à personne, et je vous avertis que je n’en veux faire aucune au duc de Rohan. » Après ce début, qui faisait mal augurer de l’affaire au point de vue du duc de Rohan, le Roi donna immédiatement la parole au rapporteur. Le maître des requêtes choisi pour exercer ces fonctions difficiles était Courson, le fils de l’intendant Bâville ; c’était la première fois qu’il parlait devant le Roi. Il garda la parole deux heures et s’exprima avec beaucoup de clarté, d’élégance et de précision. La conclusion, qui surprit tout le monde, fut entièrement en faveur du duc de Rohan[18]. La délibération s’ouvrit ensuite ; chacun prenait la parole suivant son rang en commençant par le juge du rang le moins élevé, suivant une habitude respectueuse de l’indépendance du juge qui ne date point, comme on le croirait, de nos jours. Quand vint le tour de Daguesseau, comme on le savait timide, s’exprimant avec hésitation, et comme son opinion semblait toujours « mourante sur ses lèvres, » on crut, dans le Conseil, qu’il éviterait peut-être de donner son opinion d’une façon formelle. Il n’en fut rien. Au contraire il parla cinq quarts d’heure, avec beaucoup de force et d’éloquence en faveur du duc de Rohan, et, dans une péroraison éloquente, il adjura le Roi de ne pas laisser révoquer en doute l’autorité des stipulations d’un contrat de mariage au bas duquel la Reine sa mère avait apposé sa signature, donnant ainsi une force particulière aux moindres stipulations de ce contrat. L’éloquence de Daguesseau entraîna le vote de Chamillart qui, abandonnant la cause de la princesse de Soubise, opina en faveur du duc de Rohan ; mais d’autres juges opinèrent en faveur de la princesse. Le duc de Rohan ne l’emportait que de deux voix au moment où le Chancelier, qui était le dernier des ministres à entendre, prit la parole. Après lui ne devait parler que le Duc de Bourgogne. Du sens dans lequel le Duc de Bourgogne se prononcerait pouvait dépendre l’arrêt. Aussi le Chancelier, grand ami de Mme de Soubise, s’appliqua-t-il dans son discours moins à faire valoir les argumens en faveur des Rohan qu’à mettre le Duc de Bourgogne dans l’embarras, en lui poussant directement des bottes et en réfutant ce qu’il pourrait dire. Sans doute, il espérait ainsi ou emporter la conviction du jeune prince, ou tout au moins mettre sa timidité à l’épreuve d’avoir à lui répliquer. Son calcul fut déjoué.

Le Duc de Bourgogne n’était timide qu’autant qu’il était incertain du parti qu’il avait à prendre et que sa conscience n’était pas engagée. Mais lorsqu’il croyait obéir à la loi du devoir, aucune considération ne l’arrêtait. Or il avait fait par avance une étude approfondie de l’affaire, ayant lu avec soin les nombreux mémoires publiés par les deux parties, et fait venir leurs avocats pour les entendre. Souvent au surplus, il s’était entretenu avec le généalogiste Gaignères des questions concernant les grandes familles françaises et il connaissait bien leurs origines. Dans son discours, qui fut long, après un peu de retenue au début, il finit par s’animer et apostropher en quelque sorte le Chancelier : « Ce que je vous répondrai, monsieur, dit-il tout à coup, à ce que vous venez de dire, c’est que je ne trouve pas de question en ce procès et que je suis surpris de la hardiesse de la maison de Rohan à l’entreprendre. » Il réfuta alors, point par point, les argumens du chancelier et reprit avec force ceux de Daguesseau. Cependant il y en eut un qu’il n’admit point : ce fut celui du caractère particulier et incommutable donné aux stipulations du contrat de mariage par la signature de la Reine mère, car il déclara qu’ « il ne croyoit point que l’autorité des rois pût s’étendre jusque sur les lois de famille. » « Il parla une heure et demie, ajoute Saint-Simon, et se fit admirer par la force et la sagesse de son discours, et par la profonde instruction qu’il y montra[19]. » L’avis du Duc de Bourgogne, ainsi exprimé, faisait l’arrêt en faveur du duc de Rohan à la majorité de deux voix, mais il restait le Roi. Qu’allait-il dire ?

En théorie, c’était le Roi qui jugeait et décidait. En fait il était infiniment rare qu’il ne se rangeât pas à l’avis de la pluralité, comme on disait alors, et il le faisait toujours lorsque, un procès étant pendant entre un particulier et le domaine royal, la pluralité se prononçait contre le domaine, c’est-à-dire contre lui-même. Mais il n’avait jamais voulu admettre, en quelque matière que ce fût, que l’avis de la pluralité l’obligeât, et il avait même une fois, devant tous les courtisans, blâmé l’empereur Léopold de ce que « dans les plus grandes affaires de l’Etat il en passoit toujours par la voie de son Conseil, » ajoutant que « pour lui il étoit persuadé qu’un grand monarque devoit prendre les voix de tous ceux qui composoient son Conseil, mais qu’il étoit à propos qu’il digérât leurs sentimens et qu’il choisît lui-même le meilleur[20]. » Louis XIV aurait donc pu sans abus de pouvoir, ou du moins sans scandale, ne pas se ranger à l’avis de la pluralité, d’autant plus que le duc de Rohan ne l’emportait que de deux voix. Il n’en fit rien. Dans un discours d’un quart d’heure il opina comme un simple juge, exposa les raisons qui l’avaient le plus touché, donna son approbation au discours tenu par le Duc de Bourgogne et termina en donnant ordre au Chancelier de rédiger l’arrêt en faveur du duc de Rohan, et d’une façon si formelle et si claire que la chose ne pût jamais être remise en question. La belle princesse succombait.

Le Conseil s’était prolongé jusqu’à huit heures du soir. Pendant cette longue attente, les parties en cause avaient eu une attitude fort différente. Affectant la sécurité, les Rohan étaient venus de bonne heure à Versailles ; ils se montraient partout et le coadjuteur jouait à l’hombre chez la Chancelière. Au contraire le duc de Rohan était demeuré chez lui en ville. Cependant, à la fin de la journée il vint au palais savoir ce qui l’attendait. La foule des courtisans, voyant que le prononcé du jugement tardait, avait grossi peu à peu ; elle avait envahi l’appartement du Roi, et jusque dans la Cour de marbre il y avait du monde qui espérait savoir la nouvelle par les fenêtres. Le Duc de Bourgogne sortit le premier du Conseil. Le duc de Rohan s’avança au-devant de lui et lui demanda son sort. Très secret, le jeune prince ne répondit rien. Le duc de Rohan, insistant, le pria de lui dire si tout au moins l’arrêt était rendu. « Oh ! pour cela, oui, » répliqua le Duc de Bourgogne, et, se tournant incontinent vers le Chancelier qui le suivait, il lui demanda s’il pouvait dire le jugement. Le Chancelier ayant répondu qu’il n’y voyait nul inconvénient : « Puisque cela est, reprit le Prince, s’adressant au duc de Rohan, vous avez gagné entièrement et je suis ravi de vous l’apprendre, » et il l’embrassa. La nouvelle se répandit comme une traînée de poudre. Tout l’appartement et toute la Cour de marbre retentit de cris de joie et d’applaudissemens. « Nous avons gagné ; ils ont perdu ! » criaient tout haut les courtisans, tant les Rohan par leurs prétentions avaient mis toute la noblesse contre eux. Tout le monde voulait embrasser le duc de Rohan qui eut beaucoup de peine à gagner le petit degré par où le Roi, bien que la soirée fût très avancée, tenait à gagner les jardins pour y faire sa promenade quotidienne, fatigué qu’il était par une aussi longue séance. Avant de sortir, il reçut les remerciemens du duc. Les Rohan au contraire, surpris de leur défaite, étaient atterrés. Cependant, le lendemain, la princesse de Soubise se présenta au Roi, comme il allait passer chez Mme de Maintenon. Elle demanda qu’au moins l’arrêt fût communiqué au prince de Guéménée avant d’être définitivement rédigé. Elle obtint satisfaction, mais ne gagna rien sur la rédaction, qui fut toute en faveur du duc de Rohan.

Ainsi se termina ce procès qui rappelle, par certains côtés, un procès célèbre et relativement récent, où plusieurs grandes familles françaises ont été mêlées. Ce que, d’après Saint-Simon, nous en avons rapporté ne fait pas seulement honneur au sens judicieux du Duc de Bourgogne et à la consciencieuse application qu’il portait aux affaires. On y voit la preuve que si, dans les affaires évoquées devant le Roi, la forme et la procédure étaient arbitraires, au fond la justice n’avait pas à en souffrir, et que Louis XIV savait, quand il s’agissait de faire droit, se laisser convaincre par les bonnes raisons et imposer silence à ses affections.

Le Duc de Bourgogne donna le même exemple d’impartialité dans un procès que les Jésuites eurent avec la ville de Brest ou ils occupaient, depuis 1685, une maison qui leur avait été donnée par le Roi et dont ils sollicitaient la cure malgré le vœu des habitans. L’affaire avait été, sur leur demande, évoquée devant le Roi. Les Jésuites comptaient beaucoup sur le Duc de Bourgogne. Son confesseur, le Père Martineau, était un des leurs. Il passait pour leur être généralement favorable. Néanmoins, lorsque l’affaire vint devant le Conseil des Finances, il se prononça contre eux, et ne craignit pas d’encourir leurs reproches. Le Duc de Bourgogne pouvait avoir ses préventions et ses étroitesses, mais, quand il s’agissait de décider, la voix de la conscience était toujours celle qui chez lui parlait le plus haut.


III

Les affaires entre parties privées ou celles concernant « le dedans du royaume » dont le Duc de Bourgogne pouvait avoir à connaître au Conseil des Dépêches étaient peu importantes en comparaison de celles portées devant le Conseil d’en Haut dont, au moment où nous sommes arrivés, il faisait partie depuis neuf ans. C’était une haute marque de faveur que le Roi lui avait donnée de l’appeler à y siéger dès l’âge de vingt ans, car Monseigneur n’y était entré qu’à trente. Aussi le Duc de Bourgogne avait-il reçu à cette occasion les complimens de tous les courtisans, et il tenait à reconnaître la grâce que le Roi lui avait faite, en assistant assidûment à toutes les séances. « Monseigneur le Duc de Bourgogne, dit Dangeau dans son Journal, à la date du 24 septembre 1703, ne manque jamais d’y aller et songe fort à se rendre capable d’affaires de guerre et de paix[21]. »

Jamais peut-être le Conseil d’en Haut, devant lequel étaient portées, comme nous l’avons dit, toutes les questions concernant aussi bien les mouvemens des armées que les négociations diplomatiques n’eut à prendre des résolutions aussi importantes que durant la guerre de la succession d’Espagne. Au cours de cette longue période de onze ans où la France fut toujours en armes, les négociations diplomatiques marchèrent presque toujours de front avec les entreprises militaires, et les diplomates n’eurent pas moins à faire que les généraux[22]. Que ce fût par l’intermédiaire d’agens secrets tels que le docteur Helvétius, l’introducteur en France de ripécacuanha, du résident d’Holstein-Gottorp Petekum, du juif portugais Henriquez, du teinturier Florisson, ou au contraire de personnages haut placés et de ministres plénipotentiaires accrédités, les négociations publiques, ou occultes, ne furent jamais complètement suspendues depuis le lendemain d’Hochstedt jusqu’à la veille de Denain. Parfois même les généraux se transformaient en diplomates. C’est ainsi qu’en 1708 le Duc de Bourgogne, alors qu’il commandait l’armée de Flandre, avait été mêlé à un échange de communications épistolaires entre Berwick, que le Roi avait, on s’en souvient, placé près de lui, et Marlborough qui commandait l’armée anglo-hollandaise. C’était pendant le siège de Lille. Marlborough, dont la sœur, Arabella Churchill, était la mère de Berwick, entretenait par lettres avec son neveu d’assez fréquentes relations dont Berwick, très loyalement, avait informé Chamillart, mais qui, chez Marlborough, sentaient bien un peu la trahison, et l’arrière-pensée de se faire bien voir du prétendant Jacques III. Vis-à-vis de ce prétendant qui était son propre frère, la reine Anne elle-même passait pour être mieux disposée que vis-à-vis des héritiers hanovriens, peu aimés d’elle, de sa tante la princesse Sophie. Quels que fussent les motifs, assez difficiles à démêler, de Marlborough, il adressa à Berwick le 30 octobre, c’est-à-dire dans l’intervalle entre la capitulation de la ville de Lille et celle de la citadelle, une lettre qui fut portée par un trompette et dans laquelle, après avoir demandé parole au Duc de Bourgogne que ni son nom, ni le contenu de sa lettre ne seraient jamais sus que de lui et du Roi, il s’exprimait de la sorte : « Si Monseigneur le Duc de Bourgogne avoit la permission du Roy pour faire des propositions par voye de lettres aux députés, au prince Eugène et à moy, nous requiérant de les communiquer à nos maîtres, ce que nous ne pourrions nous dispenser de faire, cela feroit un tel effet en Hollande, que certainement la paix s’ensuivroit[23]. »

Le Duc de Bourgogne était à ce moment au camp du Saulsoy où se trouvait également Chamillart. L’ouverture de Marlborough fut accueillie par lui avec joie, car il souhaitait la paix, mais non sans méfiance. L’affaire était trop grave, en tout cas, pour qu’il n’en référât pas sur-le-champ à Versailles. Aussi s’empressait-il dès le lendemain d’écrire à Torcy, et, après l’avoir mis au courant de la proposition de Marlborough, il ajoutait :

« J’avoue que je ne compte pas beaucoup sur ce que dit ce duc, mais ce qui doit faire icy plus d’impression, c’est qu’il espère, à ce qu’il escrit, que le Roy n’oubliera pas les offres qu’il [le Roy] luy fit faire personnellement par le marquis d’Alegre, il y a trois ans, et qu’il [Marlborough] rejeta alors avec hauteur. Quand un homme glorieux revient ainsy à écouter son intérest, il paroît que l’on peut espérer quelque chose[24]. »

A Versailles, la proposition était accueillie avec méfiance également, car on connaissait le personnage. On ne voulait pas la repousser, mais on ne voulait pas, avec raison, s’engagera l’avance par des préliminaires de paix sur lesquels il serait impossible de revenir. Torcy estimait que procéder ainsi n’était ni de la dignité ni de l’intérêt du Roi, et, quel que fût son désir de la paix, le Duc de Bourgogne partageait ce sentiment. « Je pense comme vous, écrivait-il à Torcy, qu’il ne faut point jeter à la tête de ses ennemis les choses qu’on ne doit se résoudre à leur lâcher qu’à la dernière extrémité, et quand la paix ne tien-droit plus qu’à ces articles, » mais il aurait voulu qu’on signât une suspension d’armes, ce qui aurait sauvé la citadelle de Lille, et, à son point de vue particulier, l’aurait tiré des perplexités où il se débattait encore. « Je suis persuadé, écrivait-il à Torcy, le 5 novembre, que si la suspension étoit une fois faite à des conditions raisonnables, on goûteroit de part et d’autre le repos qu’elle causeroit, et que les hostilités ne recommenceroient plus de part ni d’autre[25]. »

A Versailles, on crut devoir procéder autrement, et Torcy envoyait à Berwick le texte d’une réponse qui proposait de substituer à une suspension d’armes et à des préliminaires publics des conférences secrètes avec Marlborough et les députés des États-Généraux. Mais Marlborough prit mal cette réponse où il vit une défaite, et le Duc de Bourgogne, qui le prévoyait, s’affligeait de la marche suivie. Il s’en ouvrait dans une lettre à Torcy : « Je vois avec douleur que l’on ne fait que changer l’ordre des choses sans en changer la substance, mais il n’y a rien à dire lorsque le bien de l’État l’ordonne et il doit aller avant tout[26]. » La suite de la négociation devait au reste lui échapper, car Berwick, sacrifié à l’animosité de Vendôme, allait prendre le commandement de l’armée d’Allemagne, et Marlborough ne se souciait pas d’entrer en communication directe avec le Duc de Bourgogne, car, ainsi que l’écrivait avec raison Torcy, « on découvre plus aisément ses faiblesses à un neveu qu’à un prince dont on veut, quoique ennemi, mériter l’estime[27]. »

Peu de jours après, le Duc de Bourgogne quittait lui-même l’armée de Flandres et retournait à Versailles, où il allait être mêlé d’encore plus près à des négociations autrement graves.


IV

« S’il y a jamais eu des conjonctures qui demandoient l’application la plus sérieuse à trouver des expédiens pour sortir heureusement d’une guerre funeste, l’on peut dire que c’est la présente dans laquelle les ennemis, enflés par les avantages inouïs qu’ils ont remportés et animés plus que jamais contre la France, font des menaces qu’on n’ose pas nommer et qu’on croiroit non seulement impraticables, mais même insensées, si les succès si peu attendus qu’ils ont eus depuis quelques années ne donnoient lieu à tout craindre de la part d’un ennemy implacable et acharné[28]. »

Ainsi débute un mémoire sans nom d’auteur, mais daté de l’année 1709, qui se trouve au ministère des Affaires étrangères et qui conclut, comme diversion à la guerre qui se poursuivait alors en Flandre, à une expédition dirigée contre l’Ecosse. Quel que soit l’auteur de ce mémoire, le ton dont il s’exprime traduit exactement l’état d’anxiété générale qui régnait en France au cours de cette néfaste année 1709, dont les épreuves extérieures étaient encore aggravées par la famine et la détresse intérieure. Aussi n’est-il pas étonnant que tout un parti se formât en France qui désirait la paix, la paix à quelque condition que ce fût. La France eut alors ses pacifistes qu’on appelait, dans une langue plus correcte : les pacifiques, et assurément ils n’étaient pas sans excuse. Ce parti comptait des adhérens à Versailles même, parmi les personnages les plus haut placés. Au premier rang des pacifiques on trouve Mme de Maintenon. Sa correspondance de ces années avec son neveu le duc de Noailles et avec la princesse des Ursins nous la montre, elle-même en convient, « abattue, tremblante, » toujours portée à toutes les concessions, et, quoiqu’elle s’en vante dans les rares momens où elle reprenait courage, pas du tout « la petite-fille du vieil Agrippa. » Elle n’étoit même pas éloignée de voir dans les malheurs publics un juste châtiment de la Providence. C’est ainsi qu’elle écrit à la princesse des Ursins : « Vous avez raison, madame, de dire qu’il faut regarder tout ce qui nous arrive comme venant de Dieu. Notre Roi étoit trop glorieux ; il veut l’humilier pour le sauver. La France s’étoit trop étendue et peut-être injustement ; il veut la resserrer dans des bornes plus étroites et qui en seront peut-être plus solides. Notre nation étoit insolente et déréglée ; Dieu veut la punir et l’abaisser. » Aussi est-elle d’avis, comme au reste l’héroïque défenseur de Lille, Boufflers lui-même, « qu’il faut faire la paix à quelque condition que ce soit, qu’il faut céder à la force, au bras de Dieu qui est visiblement contre nous, et que le Roi doit plus à ses peuples qu’à lui-même. »

L’insistance avec laquelle elle se déclarait pour la paix, même la plus dure, tout en répétant qu’elle n’était « qu’une simple particulière, et que ce n’étoient pas ses avis qui feroient la paix ou la guerre, » lui valait des lettres « à feu et à sang[29] » de la princesse des Ursins, qui lui répondait, d’un ton à la fois railleur et fier : « On vous fait craindre, madame, le scorbut et la peste ; comment n’y ajoute-t-on pas que le ciel tombera ?… Pardonnez-moi si je ne me rends pas sur la nécessité que vous trouvez à soumettre tout aux lois que la Ligue veut imposer au plus grand monarque du monde. Je ne puis me représenter le chagrin mortel qu’il aura, après les avoir subies, sans ressentir une douleur inconcevable[30]. »

Il y avait encore, loin de Versailles, mais exerçant cependant une secrète influence, jusque dans le Conseil du Roi, un autre pacifique illustre : c’était Fénelon. L’ardeur qu’il déployait à prêcher la paix était d’autant plus grande que, voisin de la frontière, il voyait de plus près l’état des choses. Peut-être aussi, bien qu’il s’en défendît, cette ardeur était-elle entretenue chez lui par « l’indisposition du cœur d’un homme disgracié[31]. » De son archevêché de Cambrai, Fénelon adressait en effet au duc de Chevreuse, dont il ne pouvait ignorer la situation quasi ministérielle, des lettres pathétiques où il décrivait l’état déplorable de l’armée. « Je profite, mon bon duc, avec beaucoup de joie d’une occasion sûre, pour vous dire que toute cette frontière est consternée. Les troupes y manquent d’argent, et on est chaque jour au dernier morceau de pain. Ceux qui sont chargés des affaires paroissent eux-mêmes rebutés, et dans un véritable accablement. Les soldats languissent et meurent ; les corps entiers dépérissent et ils n’ont même pas l’espérance de se remettre. Vous savez que je n’aime point à me mêler des affaires qui sont au-dessus de moi ; mais celles-ci deviennent si violemment les nôtres qu’il nous est permis, ce me semble, de craindre que les ennemis ne nous envahissent la campagne prochaine… Voyez ce que vous pourrez dire à MM. de Beauvilliers, Desmaretz et Voysin ; » et dans une autre lettre où il commence par insister sur l’utilité d’une suspension d’armes : « Quand vous parviendrez, en poussant tout à boul, à faire encore une campagne, vous y hasarderez beaucoup, et que deviendrez-vous après l’avoir faite ? Je crains qu’on ne se flatte, et qu’il n’arrive de grands mécomptes. Ce qui me fait le plus de peur est de voir que rien, en deçà d’une ruine, ne nous humilie (ce nous signifie Louis XIV) et ne nous ramène au but ; » et encore six semaines plus tard : « Si la paix traîne, la campagne achèvera de ruiner ce pays ; il pourra même arriver des accidens terribles qui renverseroient tous ces beaux projets, si vos troupes se trouvoient dépourvues de subsistance[32]. »

Il était impossible que l’effet d’objurgations aussi vives ne se fît pas sentir jusque dans le Conseil d’en Haut, et ne fortifiât pas le parti des pacifiques. Bien que Chevreuse n’eût point entrée au Conseil, on y lisait parfois des mémoires de lui. Assurément il communiquait à Beauvilliers les lettres de Fénelon, et Beauvilliers n’était que trop porté à tout voir par les yeux du prélat. Chamillart, qui succombait sous le poids du double fardeau de la Guerre et du Contrôle général, savait mieux que personne la situation critique de l’armée comme le fâcheux état des finances. Aussi souhaitait-il avec ardeur une paix qui l’aurait déchargé d’une responsabilité écrasante, et lorsque, au cours de l’année 1709, il fut remplacé d’abord au Contrôle général par Desmaretz, puisa la Guerre par Voysin, le parti de la paix se fortifia encore de deux nouvelles recrues, car Voysin, tout à Mme de Maintenon à qui il devait son élévation, n’aurait eu garde de la contrarier, et quant à Desmaretz, auquel incombait la lourde tâche de trouver les ressources nécessaires pour continuer la guerre, cette seule raison devait suffire pour l’incliner à la paix. Louis XIV n’était donc guère entouré que de conseillers pusillanimes ou découragés. Souvent il s’en plaignait. « Le Roi, dit quelque part Torcy, dans son Journal[33], gémit sur les instances trop vives que ses ministres lui avaient faites pour le porter toujours à se relâcher, et sur la facilité qu’il avait eue de suivre ces conseils. »

Dans ces douloureuses conjonctures, Louis XIV eut cependant la fortune de trouver en celui dont nous venons de citer quelques lignes, et qui était alors secrétaire d’Etat aux Affaires étrangères, un appui et un instrument. Ce bon serviteur des mauvais jours mérite mieux qu’une mention rapide, car s’il n’a point connu, comme tel de ses prédécesseurs, l’heureuse fortune de préparer la signature de quelque glorieux ou avantageux traité, il a eu du moins le mérite de parler avec dignité au nom de la France, dans les temps les plus critiques, et de ne jamais désespérer d’elle.

Jean-Baptiste Colbert, marquis de Torcy, était fils de ce Colbert de Croissy, frère du grand Colbert, qui fut en 1673 le successeur de Pomponne, et se montra, pendant quinze ans, assez médiocre secrétaire d’Etat aux Affaires étrangères. Élève du collège de la Marche, qui était situé sur la montagne Sainte-Geneviève, « collège de médiocre extérieur et de médiocre pension, peu fréquenté des gens de noblesse, » dit M. Frédéric Masson, dans la vivante et vibrante notice dont il a fait précéder le Journal de Torcy, il y fit de fortes études et y lut prodigieusement, s’attachant de préférence aux livres d’histoire. A quatorze ans, il passait brillamment sa thèse de philosophie et eut l’honneur d’être à cette occasion présenté au Roi qui dit à son père : « La figure m’en plaît. » A seize ans, ses exercices étant terminés et une dispense d’âge lui ayant été accordée pour qu’il pût être reçu licencié et prêter le serment d’avocat, il se mit à courir l’Europe, mais toujours par obéissance et en mission. « Souvenez-vous sur toute chose, lui écrivait son père, qu’il n’y a que la vertu, le mérite personnel et l’habileté qui soient considérés du Roi, que les services des pères et des parens n’aident guère les enfans quand ils ne sont pas capables d’en rendre eux-mêmes[34]. » C’était peut-être beaucoup dire, car si Torcy n’eût pas été le fils du ministre, il est probable qu’il n’eût pas été non plus, dès l’âge de dix-neuf ans, chargé d’une mission à Lisbonne, puis envoyé successivement à Madrid, à Hambourg, à Vienne, à Munich, à Rome (ce qui lui donna l’occasion d’apprendre l’espagnol, l’allemand, l’italien), puis à Londres, puis de nouveau à Rome. Mais était-ce donc un si mauvais système celui qui employait les jeunes gens de bonne heure, les formait aux affaires en même temps qu’au monde, et en faisait déjà, à vingt-quatre ans, des hommes d’expérience ? Torcy avait cet âge quand le Roi lui accorda la survivance de la charge de secrétaire d’Etat aux Affaires étrangères qu’exerçait son père. A partir de cette date, il fut associé au travail des bureaux, n’ayant point encore entrée au Conseil, mais préparant la rédaction des dépêches dont il donnait lecture au Roi chez Mme de Maintenon. Déjà il savait rendre avec art la pensée royale et se plier avec souplesse à traduire ce que le maître voulait dire. Aussi Louis XIV lui adressa-t-il un jour ce compliment : « Nous sommes bien heureux de vous avoir ; qu’aurions-nous fait si vous eussiez été d’un autre caractère[35] ? » Torcy remplit pendant sept ans cet emploi, à peu près analogue à celui d’un sous-secrétaire d’Etat de nos jours. Il était donc bien, comme nous dirions, « de la carrière, » quand, en 1696, son père étant mort, il lui succéda dans les fonctions de secrétaire d’Etat. Quelques mois auparavant il avait épousé la fille de Pomponne, un de ses prédécesseurs, nièce du grand Arnauld et de la première mère Angélique, chrétienne austère, un peu teintée de jansénisme, mais rigide seulement pour elle-même, car elle était d’une vertu douce, d’un commerce agréable et savait faire bonne mine à chacun. Elle fut pour son mari une épouse dévouée ; il lui fut un mari fidèle, et le ménage défia jusqu’au bout la médisance. Torcy occupa ces fonctions jusqu’en 1715, c’est-à-dire pendant vingt ans. Dans un instant nous l’allons voir à l’œuvre, mais, pour le suivre jusqu’au bout de sa carrière, disons tout de suite ce qu’il advint de lui au lendemain de la mort de Louis XIV.

Il semble que le gouvernement nouveau aurait dû se tenir pour heureux de conserver à son service un ministre de cette expérience. Il n’en fut rien. Sans doute, une place lui fut ménagée dans le Conseil de Régence ; cependant les affaires étrangères n’étaient plus expédiées par lui. Comme dédommagement, la grande maîtrise et surintendance des postes, qu’il exerçait déjà, était érigée pour lui en office distinct. Au bout de cinq ans, il donnait sa démission de cette charge secondaire. En 1723, le Conseil de Régence était dissous par la majorité du Roi. A quarante-quatre ans, Torcy n’était plus rien. C’est trop dire. Il demeurait associé honoraire de l’Académie des Sciences. Comme font à l’Académie Française quelques anciens ministres de nos jours, il chercha dans les séances et les travaux de l’Académie des Sciences une distraction et une occupation. Il y lut même quelques mémoires. Mais sa pensée se tournait de plus en plus habituellement vers les choses religieuses. « Il faisait sa lecture habituelle de la Bible, dit encore M. Masson ; il savait tous les psaumes par cœur et portait toujours sur lui les livres sapientiaux. » Torcy vécut ainsi jusqu’à l’âge de quatre-vingt-un ans où une attaque de paralysie l’emporta. Quelque temps avant sa mort, Clairambault, généalogiste des ordres du Roi, lui demanda l’énumération des services de sa famille pour les consigner dans ses registres. Torcy fournit l’état des services de son oncle et de son père. « Pour moi, ajouta-t-il, je ne m’en sais aucun. » L’histoire n’a pas ratifié ce jugement porté par Torcy sur lui-même. Aujourd’hui que son rôle est mieux connu, elle salue au contraire en lui un de ces bons serviteurs du Roi, de l’Etat, de la patrie, — peu importe le mot, la chose était alors la même, — qui autrefois se dévouaient à d’obscures, parfois même à d’ingrates besognes. qui n’en espéraient point de récompense, et qui, loin de chercher à se faire valoir, savaient au contraire se laisser attaquer injustement plutôt que de trahir le secret des négociations qui leur avaient été confiées, heureux pourvu que leur conscience leur rendît ce témoignage qu’ils avaient bien servi. Si nous avons employé le mot : autrefois, ce n’est pas qu’à notre sens la France ne compte encore aujourd’hui d’aussi utiles serviteurs, principalement peut-être dans la carrière diplomatique, mais le nombre n’en est pas si grand qu’il ne soit bon de les encourager, en rendant à leurs devanciers une tardive justice.

Tel était l’homme auquel Louis XIV devait, jusqu’à la fin de son règne, conserver sa confiance et qui eut l’honneur tantôt de parler, tantôt d’écrire au nom du Roi aux puissances étrangères. Si Louis XIV avait autrefois disgracié Pomponne, parce que, dit-il dans ses Mémoires, « tout ce qui passoit par lui perdoit de la grandeur et de la force qu’on doit avoir en exécutant les ordres d’un Roi de France qui n’est pas malheureux[36], » il n’aurait pu adresser ce même reproche à Torcy. C’était au nom d’un roi de France malheureux que Torcy était condamné à écrire ; mais il savait, dans les dépêches qu’il soumettait à sa signature, conserver le ton, sinon de la force, du moins de la grandeur. Ce ne fut pas le seul service qu’il rendit à un maître parfois exigeant, et le labeur incessant auquel il avait à faire face, comme secrétaire d’État aux Affaires étrangères, et comme administrateur de plusieurs provinces importantes, ne fut pas la seule preuve de dévouement qu’il lui donna. On sait quel fut son rôle en 1709, lors de ces négociations que l’histoire appelle les préliminaires de la Haye. Il y avait deux mois que notre malheureux ministre plénipotentiaire, le président Rouillé, se débattait dans cette ville contre les exigences des Hollandais qui croissaient à chaque entrevue. Incertain, effrayé, il n’osait prendre sur lui aucune responsabilité, soit qu’il s’agît d’accepter ou de refuser quelques conditions nouvelles, et l’on pouvait craindre que l’insuffisance du négociateur n’entrât pour quelque chose dans le mauvais succès des négociations. Ce fut alors qu’à l’issue d’un Conseil où le Roi avait pris son parti, non sans douleur, de faire de nouvelles et importantes concessions, Torcy offrit au Roi de se rendre lui-même à la Haye, porteur de ses instructions dernières et de chercher à les faire accepter. « Une telle commission, dit-il dans ses Mémoires[37], n’étoit exempte de péril ni pour celui qui l’avoit proposée, ni de peines et de déplaisirs qu’elle pouvoit lui causer pour l’avenir, » et il ajoute avec raison : « le souvenir des maux qui ne sont plus s’efface aisément ; plus les temps s’éloignent, plus les événemens passés deviennent inconnus ; mais la postérité se croit en droit de condamner les sacrifices dont elle ignore quelle a été la fatale nécessité. Celui qui, dans son temps, a signé un traité peu honorable mais nécessaire est mis au rang des négociateurs infortunés et regardé comme l’instrument de la honte de sa nation. »

Torcy n’en partit pas moins le 1er mai, et, pendant un long mois, il débattit avec le grand pensionnaire Heinsius, le prince Eugène et Marlborough, les préliminaires on quarante articles d’un traité de paix, dont les dures conditions, dictées pour la plupart par Heinsius, vengeaient la Hollande des souffrances et des humiliations que la France lui avait autrefois infligées. Rouillé était cependant d’avis de signer. « Vous savez, dit-il à Torcy, l’état des affaires quand vous êtes venu en Hollande ; votre voyage en est une preuve ; si vous partez sans conclure, quelque onéreuse que soit la paix, jugez et soyez sûr du découragement de toute la nation. » « Dieu permit que Torcy espérât mieux, » ajoute Torcy lui-même dans ses Mémoires[38]qui sont rédigés sous la forme impersonnelle. Il refusa en effet de signer, et, s’en revenant à Versailles, proposa au Roi de « relever le courage de ses fidèles sujets et de leur donner une marque de sa bonté pour eux en les instruisant des facilités presque incroyables que Sa Majesté avoit inutilement apportées à la paix et de l’opposition opiniâtre de ses ennemis. » Ainsi fut fait, et il eut l’honneur de contresigner, probablement même de rédiger la lettre adressée par Louis XIV aux gouverneurs des provinces de son royaume, lettre célèbre où, pour la première fois, après plus de quarante ans de règne, le Roi faisait appel à ce que nous nommons aujourd’hui l’opinion publique et cherchait un point d’appui sur la nation pour résister à l’étranger. Le sentiment qui la dicta demeure l’honneur du Roi vieilli, et Saint-Simon a raison de dire « que c’est du fond de cet abysme de douleurs de toute espèce que Louis XIV a su mériter, du consentement de toute l’Europe, et, ce qui met le comble, aux yeux de ceux qui virent son intérieur de plus près, ce surnom de Grand que les flatteurs luy avaient avancé devant le temps par le bonheur si long et la gloire de son règne[39]. »

Quelles étaient cependant ces conditions si dures, qu’elles révoltaient, non seulement l’orgueil royal, mais le sentiment national, et qu’elles valaient au gouvernement de Louis XIV, si attaqué et si décrié, comme un retour de popularité ? Laissons le Duc de Bourgogne les résumer dans une lettre à son frère Philippe V, lettre touchante et qui nous fera apercevoir en même temps les incertitudes de son esprit et les combats de son cœur :

« M. de Torcy arriva avant-hier au soir, écrit-il le 3 juin, les propositions des ennemis étant telles que je vais vous les dire : ils demandent que l’on reconnoisse l’Archiduc pour Roy de toute la monarchie d’Espagne, et que le Roy se rende garant que vous la céderez entre-cy et deux mois ; que l’on rende Strasbourg et que l’on rase les places d’Alsace, Landau demeurant fortifié à l’Empereur ; que l’on laisse à M. le duc de Savoye ce qu’il a pris sur la France en luy rendant ce que l’on ocupe de ses États ; que l’on donne à l’Archiduc nos plus considérables places des Pays-Bas pour être gardées par les Hollandais et servir de barrière contre la puissance de la France, et cela avant le terme de deux mois ; qu’il y aura une suspension d’armes. On doit aussi commencer à raser Dunquerque et combler le port pour la satisfaction des Anglais avant ce terme, et si, lorsqu’il sera expiré, vous n’avez pas cédé l’Espagne, ou la guerre recommencera contre nous, toutes nos places étant presque entre leurs mains, ou bien, ainsy qu’il a été dit à M. de Torcy, le Roy joindra ses forces aux leurs pour vous chasser d’Espagne, chose qu’il n’acceptera jamais, quoi qu’il en puisse arriver. Ainsi donc, malgré la situation extresme où nous sommes, le Roy n’a pas cru devoir acquiescer à de si extraordinaires conditions qui ne l’assurent point même de la paix, car tout cecy n’en est que les préliminaires ; il a ordonné au président Rouillé de le déclarer en Hollande et de se retirer à moins qu’ils n’adoucissent, ce qui n’arrivera pas, ces insurmontables articles. »

Après avoir mis ainsi son frère au courant de cette situation douloureuse, il s’efforce de lui faire admettre les raisons qui déterminent cependant le Roi à rappeler ses troupes en France, en abandonnant l’Espagne à ses propres forces, et il continue :

« Ma tendresse pour vous, mon très cher frère, me fait sentir vivement tout ce qui vous regarde en particulier, et je puis vous assurer que le seul bien nécessaire de l’État a eu part dans tout ce que le Roy, qui vous aime comme son petit-fils, a fait d’avances auprès des ennemis. On ne peut estre plus touché aussi que je le suis du respect et de la reconnoissance que vous avez toujours pour luy, connoissant le fonds de son cœur, et que ce n’est que par force majeure qu’il ne peut continuer à vous donner les secours dont il vous a aidé jusqu’à présent. Je n’escris point à la Reine dans une si triste conjoncture, et j’attends celle de son accouchement pour l’en féliciter et luy renouveler les témoignages de ma véritable amitié ; faittes luy toujours mes complimens, je vous en supplie, et soyez persuadé, mon très cher frère, que ma tendresse durera autant que ma vie, m’estimant bien malheureux que l’état de la France m’ait obligé de penser autrement que ne l’auroit voulu mon cœur sur ce qui peut estre à votre satisfaction en un sens, je veux dire la soustraction de secours de la part du Roy. Encore un coup je vous embrasse, mon très cher frère, et vous aime plus que je ne puis l’exprimer. »


Quelques semaines plus tard, il renouvelait à son frère l’expression de sa tendresse :

« Pensez-vous en vérité que, dans les maux qui nous pressent, j’oublie aussi ceux qui vous menacent, et pourriez-vous soupçonner que l’absence eût diminué en moy la tendresse que j’ai toujours eue pour vous ? Je vous puis assurer qu’elle se fait bien sentir présentement, et que je suis toujours touché, comme je le doys, et des succès, et des malheurs qui vous arrivent. Je suis aussi un témoin fidèle de celle que le Roy a pour vous, sûr qu’il sacrifieroit encore une partie de ses conquestes, et peut-être qu’il les sacrifieroit toutes pour mettre vos intérests en sûreté et vous conserver la courone que Dieu vous a donnée. Vos reproches pleins de tendresse ont réveillé la mienne, et j’espère être plus régulier à vous en donner des marques à l’avenir. Adieu, mon très cher frère ; Dieu fera tout ce qu’il voudra, et sa volonté seule est à quoi nous devons nous attacher, mais il est selon cette mesme volonté que je vous aime aussi tendrement que je le fais, et sente aussi vivement tout ce qui vous regarde. »


Aussi était-il heureux, quelques jours après, de lui faire part d’une meilleure nouvelle :

« Depuis la lettre que je vous ai écritte avant-hier, mon très cher frère, le Roy, changeant de sentimens, s’est rendu à vos remontrances et vous laisse encore pour quelque temps une partie des troupes qu’il a en Espagne. Vous verrez au moins par là qu’il donne à la tendresse tout ce qui ne préjudicie point directement au bien de son État. Il est constant que les propositions des ennemis sont pleines d’un orgueil excité par les succès qu’ils ont eus dans le cours de cette guerre ; mais quoiqu’elles ayent été rejettées présentement, il ne faut pas compter (à moins qu’il n’arrivast des coups de la main de Dieu seul), il ne faut pas compter, dis-je, que nous en soyons jamais quittes à beaucoup meilleur marché. Je me flatte que vous ne me croyez pas capable d’oublier jamais l’amitié étroitte qui nous a liés pendant notre enfance et qui me fait pleurer si tendrement notre séparation ; c’est cette mesme amitié qui me fait sentir maintenant combien il m’est pénible d’estre frère et François en mesme temps, et que nos malheurs aient été jusqu’au point de désunir en partie ces deux qualités. Mais ils ne désuniront jamais nos cœurs, et la tendresse du mien pour vous sera toujours telle, mon très cher frère, qu’elle doit estre et que vous pouvez désirer[40]. »

Comme on le voit par ces lettres, c’était principalement sur la question de l’aide jusque-là prêtée par la France à l’Espagne que la négociation avait échoué. Non seulement les alliés exigeaient que Louis XIV abandonnât Philippe V, et Louis XIV y avait un moment consenti, mais ils avaient la prétention odieuse de le contraindre à tourner ses armes contre son petit-fils, si, dans le délai de deux mois, celui-ci n’abandonnait pas l’Espagne. La fierté et la résolution dont le jeune Roi avait jusque-là fait preuve ne laissaient point douter qu’il ne s’y refusât absolument. Ces sentimens avaient, en eux-mêmes, l’approbation du Duc de Bourgogne : « Un prince du sang de France, lui écrivait-il encore, n’en doit ou n’en peut avoir d’autres. » Mais on comprend aussi, quels devaient être, en présence d’une question ainsi posée, ses sentimens à lui-même et la douleur qu’il éprouvait de ne pouvoir concilier comme il le lui écrivait, ses deux qualités de Français et de frère. Malheureusement la même question devait se poser encore l’année suivante, et d’une façon encore plus cruelle.

Si la sanglante bataille de Malplaquet, livrée le 11 septembre 1709, n’avait pas été une victoire, elle avait cependant, par les pertes considérables infligées aux ennemis, arrêté leur marche en avant. Mais la campagne de 1710 s’annonçait sous les plus tristes auspices. Les troupes étaient mal payées et mal nourries ; les magasins étaient vides ; le pays épuisé. Qu’une bataille fût perdue, et rien n’empêcherait l’armée des alliés d’arriver jusqu’aux portes de Versailles. Aussi les pacifiques rentraient-ils en campagne, et le plus ardent était encore Fénelon. Durant les premiers mois de l’année 1710 on peut dire qu’il harcèle le duc de Chevreuse de lettres où il lui dépeint la situation de la façon la plus noire : « Il ne faut point se flatter, lui écrit-il le 20 mars ; vous n’avez de ressource d’aucun côté. Versailles est ce que vous savez mieux que moi. Tous les corps du royaume sont épuisés, aigris, et au désespoir ; le gouvernement est haï et méprisé. Toutes ses places sont dégarnies presque de tout et tomberoient comme d’elles-mêmes en cas de malheur. Les troupes meurent de faim et n’ont pas la force de marcher. Nos généraux ne me promettent rien de consolant. Le maréchal de Villars est une tête vaine qui en impose apparemment au Roi. Le maréchal de Montesquiou n’a que des talens médiocres et paroît fort usé. La discipline, l’ordre, le courage, l’affection, l’espérance ne sont plus dans le corps militaire ; tout est tombé et ne se relèvera point dans cette guerre. Ma conclusion est qu’il faut acheter l’armistice à tout, prix[41]. » Aussi abandonnerait-il, pour avoir la paix, des provinces entières, non seulement l’Artois, les Trois-Evêchés, la Franche-Comté, mais encore Perpignan et Bayonne, car « il vaut mieux accepter et même offrir des conditions très dures et très honteuses que d’être obligé de les subir dans un an. » Et il ne faut pas se flatter de l’espérance de rétablir le crédit sur la rupture hautaine que les ennemis ont faite de la négociation, car « la France est comme une place assiégée. Le refus de la capitulation irrite la garnison et le peuple ; on fait un nouvel effort pour quatre ou cinq jours ; après quoi le peuple et la garnison affamés crient qu’il faut se rendre. Tout est fait prisonnier. Ce sont les Fourches Caudines. »

Les lettres ne lui suffisent pas. Il adresse successivement à Chevreuse un, deux mémoires pressans qu’il lui demande de communiquer à Beauvilliers et, pour partie, au Duc de Bourgogne sur l’ « état déplorable de la France, » et « sur les raisons qui semblent obliger Philippe V à abdiquer la couronne d’Espagne[42]. » Dans ces mémoires, il ne se borne pas à faire valoir de nouveau les argumens qui, à son sens, militent en faveur de la paix, et qui, assurément, n’étaient pas sans force ; il va au-devant de la difficulté qui en a empêché la conclusion et qu’il connaît bien : l’obligation que les alliés voulaient imposer à Louis XIV de porter les armés contre son petit-fils. Il convient que les « ennemis ne doivent point vouloir réduire le Roi à faire la guerre à son petit-fils ; c’est plutôt vouloir le déshonorer qu’exiger de lui une sûreté effective. » Mais il suggère un expédient. Ce serait que le Roi envoyât une armée en Espagne, pour enlever, malgré lui, Philippe V et le garantir ainsi d’une captivité honteuse. « On me répondra, dit-il, que le Roi, en ce cas, détrôneroit son petit-fils de ses propres mains ; mais je réponds qu’il lui seroit bien moins triste et moins honteux de le détrôner lui-même que de le voir détrôner sous ses yeux par ses ennemis. »

Il revient, à plusieurs reprises, dans ces deux mémoires sur cette proposition singulière, et il s’indigne même à l’avance contre ceux qui pourraient y opposer quelque objection. « Que ceux, s’écrie-t-il, qui disent qu’on relâche trop pour la paix viennent au plus tôt relever la guerre et les finances. Sinon, qu’ils se taisent et qu’ils ne s’obstinent pas à vouloir qu’on hasarde de perdre la France pour l’Espagne. » Dans son ardeur pacifique, il va jusqu’à craindre des succès qui ne feraient que flatter de vaines espérances et prolonger la maladie. « Je ne puis, ajoute-t-il, souhaiter qu’une paix qui nous sauve avec une humiliation dont je demande à Dieu un saint usage. Il n’y a que l’humilité et l’aveu de l’abus de la prospérité qui puisse apaiser Dieu. »

Mme de Maintenon, de nouveau, se montrait ardente pour la paix. Bien qu’elle répète encore dans ses lettres à la princesse des Ursins qu’elle n’est qu’une particulière très peu importante, qu’elle ne sait point les affaires, qu’elle ne veut point s’en mêler (et d’ailleurs on ne veut point qu’elle s’en mêle), cependant ces mêmes lettres[43]laissent apercevoir sa pensée véritable qui est d’abandonner l’Espagne, car elle reproche à la princesse des Ursins « que la passion qu’elle a pour le Roi et la Reine d’Espagne, lui ont fait cesser d’être Françoise. » Sans doute elle souhaite de voir leur règne affermi, mais elle ne voudrait pas pour cela la destruction de la France, et elle craint plus la perte de la France que celle de l’Espagne. Dans une conversation avec Villars, elle allait plus loin et disait qu’il n’y avait d’autre parti à prendre que de faire la guerre à l’Espagne. Son sentiment était au reste devenu tellement public que le Grand Pensionnaire Heinsius engageait un des intermédiaires secrets dont il se servait, le teinturier Florisson, à s’adresser directement à elle parce qu’il savait qu’elle voulait la paix[44]. »

Villars lui-même, si présomptueux d’ordinaire, ne donnait pas d’autres conseils. Retenu à Versailles par la blessure qu’il avait reçue à Malplaquet, mais destiné, aussitôt rétabli, à prendre le commandement de l’armée de Flandre, il ne croyait pas, rapporte Torcy, que le Roi pût faire la paix à des conditions meilleures que celles que les ennemis avaient demandées, car « il recevait de la frontière des lettres lamentables et la misère des officiers et des soldats était à un tel point que plusieurs ayant déjà déserté, les meilleurs se voyaient forcés de suivre incessamment le même exemple pour ne pas périr par la faim[45]. »

On comprend qu’ainsi pressé, circonvenu de toutes parts, Louis XIV se soit résolu, quoique sa fierté en dût souffrir, à prêter l’oreille aux ouvertures que lui firent de nouveau parvenir les Hollandais et à rentrer en pourparlers. Le cri public qui s’élevait, à tort ou à raison, contre le malheureux Rouillé lui fit choisir de nouveaux plénipotentiaires. C’étaient le maréchal d’Huxelles et notre ancienne connaissance l’abbé de Polignac, qui n’était point encore cardinal, mais seulement abbé de Bonport. Tous deux, au mois de mars 1710, partirent pour la Hollande. En passant, ils s’arrêtèrent à Cambrai où ils ne cachèrent pas à Fénelon (et celui-ci dans une nouvelle lettre à Chevreuse s’empare de leur conversation) le peu de confiance qu’ils entretenaient dans le succès de cette nouvelle négociation. Les instructions qu’ils emportaient, semblaient cependant de nature à en faciliter le succès. Ils étaient en effet autorisés à accepter les conditions si dures des préliminaires de la Haye que nous avons vues énumérées dans la lettre du Duc de Bourgogne à Philippe V, une seule exceptée. Au cas où le roi d’Espagne n’aurait pas voulu accepter la compensation qu’on lui offrait et se serait refusé à abandonner son royaume d’Espagne, Louis XIV se refusait de son côté à l’y contraindre par la force. Il se bornerait à retirer ses troupes d’Espagne, et laisserait les alliés s’y prendre comme ils l’entendraient pour détrôner le Roi. C’était presque uniquement sur ce point qu’allaient porter pendant plusieurs mois les conférences ouvertes à Gertruydenberg, morne petite ville de Hollande, située au milieu d’un immense marécage et dont la tristesse, dit avec raison M. Legrelle dans l’intéressante histoire qu’il a écrite de ces négociations, devait faire une singulier ? impression sur les deux plénipotentiaires français, « habitués à Versailles ou à Marly, voire au riant paysage de l’abbaye de Bonport[46]. »

Sur les péripéties de ces négociations, nous avons un document de première main, intéressant jusqu’à en être dramatique, c’est ce Journal où Torcy écrivait pour lui-même, presque tous les soirs, ce qui s’était passé au Conseil d’en Haut. On y voit au clair les sentimens et l’attitude de chacun des membres du Conseil. La douloureuse question qui semblait mettre aux prises l’honneur royal et l’intérêt français y vint en délibération une première fois le 26 mars. Des lettres longues et chiffrées étaient arrivées dans la journée. Il fallut l’après-midi pour les déchiffrer, et le Roi remit le Conseil au soir, chez Mme de Maintenon qui assistait à ces conseils tardifs de son lit. Les plénipotentiaires faisaient savoir que, toutes les conditions des préliminaires de la Haye étant maintenues, les alliés voulaient bien offrir la Sicile au roi d’Espagne ; mais, s’il refusait cette misérable compensation, ils continuaient à exiger que son grand-père lui déclarât la guerre et se joignît aux alliés pour le détrôner. Le Roi ouvrit la délibération en commandant à Torcy de dire son avis. Torcy, de son propre aveu, faiblit. Il conseilla de demander Naples en outre de la Sicile, mais de déclarer que si le roi d’Espagne refusait la compensation, le « Roi consentirait à joindre ses forces à celles des alliés pour lui faire la guerre. » Desmaretz, Pontchartrain, furent de son avis. Mais cet avis fut combattu fortement par Beauvilliers, « qui parla longtemps et avec éloquence sur l’injustice de faire la guerre au roi d’Espagne » et le Duc de Bourgogne, prenant la parole après Beauvilliers, « soutint parfaitement bien les raisons que celui-ci avait fait valoir, parlant, dit Torcy, « sur les guerres injustes, en prince rempli de piété et des maximes de notre religion. » « Il ne m’appartient pas, ajoute-t-il, de juger s’il les appliquait en leur place[47]. »

Ainsi, quels que fussent ses motifs, le Duc de Bourgogne se montrait plus ferme que Torcy, et il se prononçait nettement contre l’acceptation d’une condition ignominieuse. Le Roi lui donna raison ; s’adressant à Torcy, il déclara « qu’il ne voulait en aucune façon du monde promettre ni faire envisager que jamais il consentît à faire la guerre au roi d’Espagne[48], » et il lui commanda de préparer une autre réponse à faire aux plénipotentiaires.

La même question devait revenir une seconde fois devant le Conseil et dans des circonstances encore plus critiques. Quelle que fût la pression que de Versailles on exerçât sur lui, Philippe V répondait que rien ne le déciderait à abandonner de son plein gré son royaume et ses fidèles sujets castillans. D’un autre côté, les alliés ne voulaient rien rabattre de leurs exigences ; les plénipotentiaires de Gertruydenberg faisaient savoir qu’on était à la veille d’une rupture et demandaient des instructions définitives. Villars, qui était à la veille de partir pour prendre le commandement de l’armée, avait eu une audience du Roi qui lui donnait le pouvoir de combattre ; mais comme c’était « absolument exposer l’Etat au hasard d’une journée, il avait, rapporte Torcy, cru, en cette occasion, devoir en bon sujet presser Sa Majesté de faire la paix à des conditions dures, même en déclarant la guerre au roi d’Espagne, plutôt que de tout perdre[49]. »

Il n’était donc plus personne qui ne fût d’avis de céder et c’est dans ces conditions vraiment tragiques que s’ouvrit le Conseil du 11 mai. Le Roi invita de nouveau chacun à dire son avis. Beauvilliers, auquel Chevreuse avait fait parvenir un mémoire en ce sens, suggéra un expédient : c’était d’offrir de l’argent aux alliés pour les dépenses de la guerre qu’ils seraient obligés de faire au roi d’Espagne. Torcy, qui aurait été disposé à aller plus loin encore, car il voulait qu’on fît expliquer les alliés sur la manière dont le Roi s’y prendrait pour détrôner son petit-fils, se rallia à cet expédient. Voysin, Desmaretz, le Chancelier firent de même, non sans quelques dissentimens et quelques récriminations sur le passé, auxquelles le Roi coupa court en demandant l’avis du Duc de Bourgogne. Voici comment Torcy résume l’opinion exprimée par le jeune prince : « Il biaisa quand il fallut dire son sentiment. La conscience, dit-il, empêchait presque également et de faire la guerre au roi d’Espagne et de donner aux ennemis de l’argent pour lui arracher la couronne. Cependant le bien de l’État demandait la paix. Au milieu de ces perplexités, ce prince, rempli d’excellens sentimens et d’esprit, comme s’il fût demeuré ébloui de ses propres lumières, ne put jamais sortir de ce labyrinthe, ni décider du parti qu’il y avait à prendre, sans toutefois s’opposer à l’avis commun. »

Monseigneur, le propre père du roi d’Espagne, s’étant également rangé à cet avis, le Roi céda et commanda à Torcy de préparer une lettre aux plénipotentiaires par laquelle ceux-ci seraient autorisés à faire cette dernière concession. Torcy, le soir même, porta la lettre à signer au Roi chez Mme de Maintenon. « Le Roi, dit Torcy, parla pour lors des scrupules du Duc de Bourgogne, et ne loua pas la manière d’attirer toujours la conscience, bien ou mal, à toutes les affaires d’État[50]. »

Le récit manifestement malveillant de Torcy qui en voulait peut-être au Duc de Bourgogne de l’avoir contrecarré précédemment et d’avoir montré plus de fermeté que lui, laisse clairement apercevoir ce qui a dû se passer au Conseil. Par scrupule de conscience, le Duc de Bourgogne était contraire à l’avis commun. S’il n’osa pas le dire formellement, il le laissa entendre et son attitude impliquait un regret de la résolution prise. De là la mauvaise humeur du Roi, mais faut-il donc le blâmer, comme l’ont fait quelques historiens, parce que la conscience lui tenait le même langage et lui dictait les mêmes sentimens que l’honneur ?

De ces sentimens nous continuons à trouver la touchante expression dans la suite de la correspondance avec son frère, vis-à-vis duquel on l’a accusé, nous ignorons sur quels fondemens, d’éprouver des sentimens de jalousie. Au commencement de l’année, il le met loyalement au courant des difficultés au milieu desquelles la France se débat. « Si nous étions en état de continuer la guerre, lui écrit-il, nous ne penserions jamais à nous séparer de l’Espagne, mais plus on va en ayant et plus on se ruine. On n’a point d’argent ni pour payer les troupes, ni pour acheter du bled, quoiqu’il baisse de prix et qu’il y ait une belle espérance à la récolte. Les ennemis cependant ont assemblé de grands magasins, et s’ils entroient en campagne avant que le verd soit venu, l’on ne sait si l’on pourroit leur opposer d’abord une armée. Cependant si les ennemis ne veulent point de paix qu’à des conditions impossibles, je conviens avec vous qu’il est de la dernière importance d’essayer à reconquérir la Catalogne et à renvoyer l’Archiduc en Italie. » En même temps il redouble l’expression de sa tendresse : « Adieu, mon très cher frère ; encore un coup, après les intérêts de la France je n’en ai point de plus chers que les vostres. J’espère de la bonté de Dieu qu’il nous tirera bientost de cette terrible guerre, et qu’il vous conservera la couronne qu’il vous a donnée. Je vous embrasse de tout mon cœur et vous demande toujours la continuation de vostre amitié. »

Les négociations se rouvrent cependant à Gertruydenberg, mais le Duc de Bourgogne ne semble pas beaucoup croire à leur succès, et c’est en Dieu qu’il met sa confiance. « Les négotiations de Hollande languissent, écrit-il, le 5 avril. Les ennemis croyent appuyer leurs demandes par les opérations de leur armée. Il faut espérer de la bonté de Dieu qu’après s’estre servi d’eux pour nous châtier, il punira enfin leur injustice et que leurs succès ne seront pas tels qu’ils se les promettent. » Il ne dit rien cependant à son frère des décisions prises dans les délibérations du Conseil où se jouaient tout à la fois le sort de l’Espagne et celui de la France, car c’eût été trahir le secret du Roi, et d’ailleurs ses lettres, qu’il expédiait par l’ordinaire, auraient pu tomber dans les mains des ennemis. Aussi se borne-t-il à exhorter son frère à la résignation. Apprenant que Philippe V a dû quitter Madrid et transporter sa cour à Valladolid : « Je ne doute pas, lui écrit-il, que vous ne receviez toutes ces choses-là de la main de Dieu qui nous favorise d’autant plus qu’il nous frappe plus rudement en cette vie. Il nous est bien nécessaire depuis quelque temps de nous soutenir dans ces pensées ; mais il faut espérer que Dieu, après nous avoir humiliés, ne nous écrasera pas tout à fait. »

Il l’assure cependant de son suffrage pour les secours qui ne préjudicieraient point à la France, et son amitié ne lui laissera pas oublier les occasions. Une conversation avec le duc de Noailles, qui revient d’Espagne, lui fait craindre que Philippe V, qui s’est cru un moment abandonné par la France, n’en ait conservé contre lui quelque ressentiment. Il tient à s’expliquer en toute franchise avec ce frère si véritablement aimé. « Le duc de Noailles m’a dit que vous l’avez questionné si je n’étois point refroidi à votre égard. Il est vrai, mon cher frère, que dans les choses où j’ai pu croire les intérêts de la France différens des vostres, je me suis attaché à la France, préférablement à l’Espagne, mais pour le fond du cœur, il a toujours esté le mesme, et ce m’est une véritable joye que, les intérêts se réunissant, le devoir et l’amitié puissent tendre à un mesme but. Soyez donc, je vous prie, bien persuadé de ma tendresse, et n’ayez plus aucun doute là-dessus. Je puis vous assurer que dans la situation où nous nous sommes trouvés, vous en auriez fait autant que moy, mais je puis vous assurer que je n’ai jamais été que jusqu’où j’ai cru que l’exacte justice pouvoit me le permettre. Encore un coup, mon cher frère, aimez moy toujours comme vous l’avez fait jusqu’icy, et comptez que la tendresse que j’ai pour vous durera autant que moy[51]. »

On sait la suite des événemens. Les alliés n’ayant rien voulu rabattre de leurs exigences, et ayant déclaré « qu’il n’y avait qu’à prendre ou à laisser, » en n’accordant que quinze jours aux plénipotentiaires pour répondre, Louis XIV rompit les négociations. Au lieu d’abandonner l’Espagne, il y renvoyait le duc de Noailles à la tête d’une armée, et, cédant aux instances de Philippe V auxquelles se joignait le Duc de Bourgogne, il lui expédiait Vendôme. Celui-ci remportait à Villa-Viciosa une victoire éclatante qui rétablissait les affaires, au moins en Espagne. Par inadvertance ou à dessein, car à ce moment il paraît avoir été un peu piqué contre son petit-fils, Louis XIV loua en plein Conseil le roi d’Espagne « d’avoir laissé faire le duc de Vendôme. » Torcy, qui rapporte ce propos, admire en même temps « la vertu de M. le Duc de Bourgogne, car il ne parut en rien que ce discours lui fît la moindre peine, quoiqu’il eût tout l’esprit et tout le discernement nécessaire pour en bien sentir la force[52]. » Le Duc de Bourgogne poussait même la vertu jusqu’à écrire à Vendôme pour le complimenter[53]. En Flandre, Villars contenait les ennemis et les empêchait de faire des progrès, jusqu’au jour où la victoire de Denain, que le Duc de Bourgogne ne devait pas voir, rétablissait la fortune de la France et préparait une paix inespérée, puisque, en 1713 et 1714, les traités d’Utrecht et de Rastadt non seulement laissaient intacte la France telle que Louis XIV l’avait faite, mais maintenaient Philippe V sur le trône d’Espagne. Ainsi le sort donnait raison à ceux qui n’avaient pas voulu souscrire à ces conditions « très honteuses » auxquelles Fénelon, Villars, Mme de Maintenon, et jusqu’à Torcy lui-même s’étaient un instant résignés. Ce fut l’honneur de Louis XIV de ne les accepter jamais, mais le Duc de Bourgogne partage avec lui cet honneur, et nous ne croyons céder à aucun sentiment de complaisance envers lui, en disant que dans ces circonstances tragiques, il sut ne manquer à aucun des devoirs que lui imposait sa triple qualité de frère, de prince et de Français.

Nous venons de voir comment il avait compris et exercé son rôle dans les Conseils. Il nous reste à montrer comment il se préparait à ses devoirs de Roi.


HAUSSONVILLE.

  1. Voyez la Revue des 1er et 15 juin 1905 et du 1er mars 1906.
  2. Saint-Simon. Édition Chéruel de 1855, t. IX, p. 302.
  3. La Beaumelle. Édition de Maëstricht de 1789, t. XI, p. 240 et 242. Nous avons déjà dit pourquoi les lettres publiées par le seul La Beaumelle, bien que toujours un peu suspectes, ne doivent pas cependant, de parti pris, être toutes rejetées. La lettre page 240 porte jolie et non pas polie. Il est probable que c’est une faute d’impression ou une altération de La Beaumelle.
  4. Lettres inédites de Mme de Maintenon à la princesse des Ursins, t. II, p. 183.
  5. Lettres historiques et galantes, t. III, p. 188.
  6. Lettres historiques et galantes, tome III, p. 259.
  7. Saint-Simon. Édition Chéruel de 1856, t. IX, p. 303.
  8. Saint-Simon. Édition de Chéruel de 1856, tome IX, p. 294.
  9. Saint-Simon. Addition au journal de Dangeau, t. XIII, p. 473.
  10. Lettres historiques et galantes, t. III, p. 260.
  11. Saint-Simon. Édition Chéruel de 1856, t. IX, p. 305.
  12. Saint-Simon. Édition Chéruel de 1856, tome IX, p. 306.
  13. Lettres historiques et galantes, t. III, p. 188.
  14. Ibid., p. 260.
  15. Histoire de France depuis les origines jusqu’à la Révolution, t. VII. Fascicule 2. L’État politique, par M. Ernest Lavisse.
  16. Voir sur ces différens Conseils les savantes études de M. de Boislisle, aux tomes IV et V de son Saint-Simon.
  17. Saint-Simon. Édition Boislisle, t. XIV, p. 110.
  18. Nous suivons le récit de Saint-Simon. Cependant d’après une lettre du Chancelier citée par M. de Boislisle en note de son tome XIV, p. 157, l’avis de Courson n’aurait pas été suivi dans la décision qui fut, comme on va voir, en faveur du duc de Rohan, d’où il faudrait conclure que l’avis de Courson ne fut pas, comme le dit Saint-Simon, « entièrement en faveur du duc de Rohan. »
  19. Saint-Simon. Édition Boislisle, t. XIV, p. 159 et passim.
  20. Sourches, t. IX, p. 239.
  21. Dangeau, t. IX, p. 300.
  22. Ces longues négociations qui aboutirent aux traités d’Utrecht et de Rastadt ont été résumées à merveille dans les deux derniers volumes de l’important ouvrage de M. Legrelle intitulé : la Diplomatie française et la Succession d’Espagne.
  23. Legrelle, t. V, p. 385.
  24. Aff. étrangères. Corresp. Angleterre, vol. 226. Le Duc de Bourgogne à Torcy, 1er novembre 1708.
  25. Legrelle, t. V, p. 389.
  26. Ibid., p. 398.
  27. lbid., p. 398. Il est assez difficile, étant donné le caractère tortueux du personnage, de démêler la véritable pensée de Marlborough. Suivant Berwick, il aurait été sincère dans son désir de la paix et ç’aurait été de la part de Chamillart une faute et un « excès de politique » de ne pas donner suite à cette proposition (Mémoires, t. II, p. 51-53). M. Henri Martin, dans son Histoire de France, t. XVI, p. 504, va plus loin et dit : « il semble qu’à Versailles, Roi, ministres, généraux, tout le monde fut pris de vertige. » Mais M. Legrelle, qui a fait d’après les documens originaux une étude des plus consciencieuses de la question, pense que la proposition de Marlborough était surtout dictée par la pensée d’obtenir une suspension d’armes et de tirer ainsi l’armée anglo-hollandaise de la situation dangereuse où elle se trouvait. Il nous parait en tout cas hors de doute que Marlborough voulait ainsi se faire bien voir de la veuve et du fils de Jacques II avec lesquels il entretenait, dit M. Legrelle, « un ténébreux commerce. »
  28. Aff. étrang. Corresp., Angleterre, vol. 226.
  29. Mme de Maintenon d’après sa Correspondance authentique, t. II, p. 185, 198, 203.
  30. Lettres inédites de Mme de Maintenon à la princesse des Ursins, t. IV, p. 272.
  31. Œuvres complètes de Fénelon. Édition de Saint-Sulpice, t. VII, p. 315.
  32. Œuvres complètes de Fénelon. Edition de Saint-Sulpice, t. VII, pp. 298, 300, 303.
  33. Le Journal de Torcy, qu’il ne faut pas confondre avec ses Mémoires, a été publié Dar M. Frédéric Masson en 1884.
  34. Introduction au Journal de Torcy, par M. Frédéric Masson, p. X.
  35. Ibid., p. XVIII.
  36. Mémoires de Louis XIV, par Charles Dreyss, t. II, p. 521.
  37. Les Mémoires de Torcy ont été publiés pour la première fois en 1756 à Amsterdam, sous ce titre : Mémoires de M. de M. pour servir à l’Histoire des négociations depuis le traité de paix de Ryswick jusqu’à la paix d’Utrecht, et réimprimés dans la Collection des Mémoires relatifs à l’Histoire de France, par Petitot et Monmerqué, deuxième série, t. VII. C’est d’après cette édition que nous les citons.
  38. Mémoires de Torcy dans la Collection des Mémoires relatifs à l’Histoire de France, par Petitot et Monmerqué, 2e série, t. VII, p. 331.
  39. Saint-Simon, Écrits inédits t. I. Parallèle des trois premiers rois Bourbons, p. 283.
  40. Archives d’Alcala. Lettres des 3, 24 et 26 juin communiquées par l’abbé Baudrillart qui en a publié déjà quelques fragmens dans son très remarquable ouvrage sur Philippe V et la Cour de France.
  41. Œuvres complètes de Fénelon. Édition de Saint-Sulpice, t. VII, p. 310 et passim.
  42. Œuvres complètes de Fénelon. Édition de Saint-Sulpice, t. VII, p. 159 et 164.
  43. Mme de Maintenon d’après sa Correspondance authentique, t. II, p. 232 et passim
  44. Journal de Torcy, p. 122-177.
  45. Ibid., p. 70.
  46. Legrelle, la Diplomatie française et la Succession d’Espagne, t. V, p. 507.
  47. Journal de Torcy, p. 153.
  48. Ibid., p. 156-157.
  49. Ibid., p. 177.
  50. Journal de Torcy, p. 179.
  51. Archives d’Alcala. Lettres des 9 février, 2 et 28 septembre, 17 novembre, communiquées par l’abbé Baudrillart.
  52. Journal de Torcy, p. 322.
  53. Voici cette lettre, telle qu’on la trouve dans les papiers de Bellerive qui sont à la Bibliothèque nationale (manuscrits français, 14 178) : « J’ai vu par votre lettre que je reçus hier, Monsieur, que le Roy mon frère s’étoit acquitté de la commission dont je l’avois chargé. Vous venez certainement de lui rendre les plus importans services, et par les dispositions que je sais que vous faites, je ne doute pas que vous ne continuiez de même. Soyez persuadé que j’y ai pris et y prendrai toujours beaucoup de part. Vous savez comme je vous en ai parlé, lorsque vous partîtes d’ici et vous me connoissez pour homme véritable. Assurez-vous aussi, Monsieur, de la parfaite estime que j’ai pour vous et dont je serai ravi de pouvoir vous donner des marques quand les occasions s’en présenteront. — Louis. »