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La Femme Auteur, ou les Inconvéniens de la célébrité/Tome 1/II

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CHAPITRE II.




Le lendemain, à déjeûner, Anaïs parut rêveuse. Es-tu souffrante, lui demanda le comte ? — Non, mon père ; mais je réfléchis. — À quoi donc ? — À la conversation d’hier. — Tu y penses encore ? — J’y penserai toute ma vie. — Elle se hasarde alors à l’interroger sur les femmes illustres dont elle enviait le destin, écoute avec la plus grande attention, tout ce que lui en raconte M. de Crécy, et quand il a cessé de parler, se jette à son col, en s’écriant : Mon père, nous serons heureux, vous m’aimerez autant que vous aimez Racine ; je deviendrai célèbre, soyez-en certain ; je le deviendrai. Puis elle courut chercher une superbe poupée dont on lui avait fait présent il y avait peu de jours, et qu’elle avait reçue avec transport, demandant la permission à sa mère de l’envoyer à une de ses amies. Prends garde de te repentir de ce trait généreux, observa le comte. — Jamais, mon père : je ne veux conserver aucun objet de distraction ; je ne veux plus songer qu’à devenir savante. Vous me donnerez beaucoup de livres, et j’étudierai du matin au soir. — Ce zèle est beau, mais je doute qu’il dure. — Il durera. S’il arrive que l’étude m’ennuie, je penserai à vous, et je n’y trouverai plus que du plaisir. — Bonne, chère Anais ! Ma Virginie, presse avec moi notre enfant sur ton cœur. La comtesse embrassa sa fille en soupirant. — Mon projet vous déplairait-il, maman, demanda la petite avec inquiétude. J’approuve toujours tout ce que ton père approuve, répondit la comtesse ; mais je serais fâchée que de nouvelles occupations t’éloignassent de celles que tu partageais avec moi. — Oh ! ne craignez rien, maman, je ne veux pas être moins aimée de vous que de mon père, je trouverai du temps pour tout. — À la bonne heure. — Me donnerez-vous bientôt des maîtres, mon père ? — Dès demain. — Vous me le promettez. — Je te le promets. — La femme-de-chambre vint chercher Anaïs, pour faire sa toilette ; elle la suivit, non sans avoir prié plusieurs fois le comte de ne pas oublier sa parole.