La Femme Auteur, ou les Inconvéniens de la célébrité/Tome 1/VIII

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CHAPITRE VIII.




M. de Simiane ramena madame de Crécy chez sa fille. On essayerait en vain de vouloir donner une idée de la scène déchirante qui se passa dans cette première entrevue : il est des douleurs qui ne peuvent se peindre.

Tandis que le chagrin de madame de Simiane paraissait s’accroître tous les jours, celui de madame de Crécy paraissait, au contraire, s’adoucir. Cette femme, le modèle des épouses et des mères, n’avait pas vu la mort arracher subitement de ses bras l’homme à qui elle avait dû vingt ans de bonheur, le seul homme sur qui elle eût jamais arrêté tendrement ses regards, sans que le coup qui le frappa n’eût détruit elle les principes de la vie. Le moment où elle s’aperçut qu’elle le suivrait au tombeau, rendit à ses traits leur expression bienveillante ; un sourire angélique les anima de nouveau : elle paraissait calme, elle n’était que résignée. Son sort ne l’alarmait plus, elle ne plaignait que celui de sa fille, et demandait sans cesse avec ferveur au ciel, qu’il lui donnât le courage de supporter le malheur qui devait, sous peu de temps, l’atteindre encore.

Le monde, qui juge sur les seules apparences, croyait que M. de Crécy avait été beaucoup moins aimé de sa veuve que de sa fille ; il se trompait. Le deuil de ces deux personnes avait d’abord été le même, mais l’une prévoyait qu’elle avait de longs jours à parcourir, privée de la tendresse et de l’appui de son père ; l’autre se complaisait à sentir qu’elle était près de rejoindre son époux.

Une fièvre lente dévorait intérieurement la comtesse. Certaine que tout l’art des médecins ne pourrait la guérir, elle n’en appela point à son secours, et se prépara secrètement à se rendre digne de paraître devant le Dieu de bonté, dont elle était le plus parfait ouvrage. Ce devoir rempli, elle ne s’appliqua plus qu’à dérober la connaissance de son état à sa fille : elle songeait que l’heure de l’affliction n’arriverait que trop tôt ; elle voulait au moins la retarder, et parvint à dissimuler ses souffrances jusqu’à son dernier moment : il fut paisible, elle s’endormit plutôt qu’elle ne mourut.

On trouva, dans un des tiroirs de son secrétaire, un testament qui contenait beaucoup de legs pieux. À ce testament était jointe une lettre adressée à sa fille. En voici le contenu :

« Je meurs, mon Anaïs, ou plutôt j’échappe doucement à ce monde, et je vais dans un meilleur, me réunir pour toujours à ton père. Je n’emporte, dans la tombe, aucun regret que celui de la douleur que je vais te causer : modère-la, ma fille ; Dieu n’approuve point les afflictions extrêmes. Soumets-toi, sans murmure, aux pénibles épreuves qu’il t’envoie. Songe qu’il m’a fait une grâce singulière, en me rappelant vers lui. Ma vie fut courte, mais tranquille et fortunée ; ma mort ne l’est pas moins. Adieu ; notre séparation ne sera pas éternelle, nous nous rejoindrons un jour, pour ne plus nous quitter. Je vais, avec ton père, veiller du haut des cieux sur toi. Je te bénis. Adieu ».


Cet écrit révéla à madame de Simiane, toute la délicatesse de l’ame de sa mère. Je ne me consolerai jamais, répétait-elle à chaque instant, je ne me consolerai jamais de m’être abusée à ce point sur ses sentimens : j’osais l’accuser en moi-même de froideur, tandis que son air serein était un voile généreux, sous lequel elle cachait ses souffrances, pour ne pas m’en accabler ; et moi, je n’ai pas su les pressentir ; j’ai méconnu la tendre énergie de cette femme céleste. Que d’efforts sublimes elle a faits, pour m’éviter l’angoisse de ses derniers soupirs ! Ah ! j’aurais dû les recevoir, ils n’auraient dû que précéder ceux de sa fille ! Ô ma mère ! ange du ciel ! pourquoi, toute à mes regrets, ai-je calomnié ton cœur ? Sans ma funeste erreur, mes soins peut-être auraient pu te conserver : je te verrais encore à mes côtés, ta main essuyerait encore mes larmes ; je ne t’aurais pas perdue, ou si j’étais réservée à subir cet affreux malheur, je n’y joindrais pas du moins le tourment du remords.

Pendant les premiers jours qui suivirent la mort de madame de Crécy, M. de Simiane sembla partager les regrets de la marquise ; il était assidu auprès d’elle, et lui montrait des attentions particulières ; mais il se relâcha bientôt de ses soins ; son cœur, incapable d’un sentiment profond, ne pouvait compatir long-temps à la même douleur. À quoi sert, disait-il à la marquise, à quoi sert de s’affliger sans cesse d’un malheur sans remède. Vos pleurs vous rendront-ils ceux que vous avez perdus ? Cette légèreté cruelle avec laquelle la plupart des gens du monde cherchent à consoler une personne sensible, d’un malheur irréparable, est un nouveau trait enfoncé dans ses blessures. M. de Simiane ajoutait innocemment au chagrin d’Anaïs ; elle se trouva moins à plaindre quand l’ennui l’éloigna de sa présence : elle put du moins gémir en liberté.