La Femme Auteur, ou les Inconvéniens de la célébrité/Tome 1/X

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CHAPITRE X.




Pendant les deux mois que madame de Simiane resta seule à la campagne, elle composa un petit poëme, intitulé : La Mort du Père de Famille. Ce morceau, dont la couleur avait quelque chose de la noblesse et de la simplicité antique, était rempli de sentiment, de mélancolie et de grâces. Revenue à Paris, elle le montra à Mr. D., qui lui demanda la permission d’en prendre une copie. Quel fut son étonnement, lorsque, quelque temps après, il lui apporta la nouvelle qu’elle avait remporté le prix des jeux floraux.

Cette première faveur des arts causa un doux ravissement à la marquise ; cependant il ne fut pas sans mélange de tristesse. Ô mon père ! s’écria-t-elle, pourquoi n’as-tu pas vécu assez long-temps pour être témoin de mon succès ? Tu me presserais plus tendrement sur ton sein ; je verrais des larmes de plaisir humecter tes paupières ; ton regard se fixerait sur ta fille, avec autant d’orgueil que d’amour. Mais, hélas ! le ciel m’a refusé cette joie ; je ne sentirai plus l’étreinte de tes caresses paternelles ! C’est sans retour qu’elles me sont ravies ! Je te cherche, je t’appelle vainement ; tu ne me vois plus, tu ne m’entends plus ! — Il vous voit, il vous entend, il vous inspire, prononce Mr. D. d’un ton touchant et solennel. Continuez à parcourir avec ardeur la carrière où vous venez d’entrer avec éclat ; espérez tout du feu divin qui vous anime ; plus heureuse que vos modèles, c’est au sentiment le plus pur, le plus louable, que vous devrez vos éclatans trophées.

Digne ami, s’écria Mme. de Simiane, digne ami, je n’en doute pas, c’est mon père lui-même qui me parle par votre organe. Je vous dois déjà de n’avoir pas succombé à mes maux ; faites que je vous doive davantage. J’ai besoin d’un guide, d’un appui ; j’ai besoin surtout d’aimer et d’être aimée. Ne voulez-vous pas remplacer le tendre protecteur que m’avait donné la nature ? — Si je le veux ! aimable Anaïs ! si je le veux ! ah ! dès long-temps je vous chéris en père. — Je rends grâces à mes cheveux blancs, qui vous engagent à m’en accorder les priviléges.

Mr. D. donna quelques conseils à madame de Simiane, relativement à ses travaux, et à la conduite qu’elle devait tenir désormais. Il l’engagea à ne plus faire de sa maison une solitude : vous devez, dit-il, à votre rang, aux goûts du marquis, de recevoir du monde ; vous vous devez enfin à vous-même de montrer de la déférence à l’homme dont vous portez le nom, et, croyez-moi, quand on sait ordonner son temps, la société ne nous enlève que celui que la raison exigerait qu’on donnât au repos.

Anaïs promit de se régler en tout, d’après les avis de Mr. D. Cet accord fait, elle partit à la hâte pour sa campagne, d’où elle revint aussitôt après qu’elle eut déposé la fleur académique sur la tombe sacrée.