La Fille d’alliance de Montaigne, Marie de Gournay/Notice bibliographique

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APPENDICE
A

NOTICE BIBLIOGRAPHIQUE

Mademoiselle de Gournay retouchait constamment ses ouvrages, elle les allongeait souvent et les raccourcissait quelquefois. Elle raturait avec une sorte de fièvre et l’on rencontre sur beaucoup d’exemplaires de ses œuvres des corrections manuscrites faites en marge ou entre les lignes. Avant 1626, date de son premier recueil de mélanges, Marie de Gournay a publié séparément plusieurs de ses travaux. Peut-être ignorons-nous quelques-unes de ces publications. Cela n’est pas impossible étant donné l’extrême rareté de ces petits volumes. Voici la liste de ses œuvres telle que les études des bibliographes qui se sont occupés d’elle nous permettent de la dresser.

1594. Le proumenoir de M. de Montaigne. Paris, Ab. L’Angelier. Cet ouvrage est imprimé dans le même volume qu’une traduction partielle de Virgile et un bouquet poétique. J’ai déjà dit qu’il a eu cinq éditions et qu’il a en outre paru trois fois dans le volume de mélanges de Marie de Gournay.

1608. Bienvenue de monseigneur le duc d’Anjou, dediée à la serenissime république ou etat de Venise, son parrain designé par mademoiselle de G. Paris, Fleury Bourriquant. — Dans les volumes de mélanges de Marie de Gournay ce traité prend le titre d’Abregé d’institution pour le prince souverain.

1610. Adieu de l’âme du roy de France et de Navarre Henry le Grand à la Reyne avec la defense des Peres Jesuites, par la demoiselle de G. Paris, Fleury Bourriquant et Lyon, Poyet.

1619. Versions de quelques pièces de Virgile, avec la réimpression de la Bienvenue. Paris, Fleury Bourriquant.

1620. Eschantillons de Virgile. Au Roy. — Le docteur Payen a vu cet opuscule de 30 pages à la bibliothèque de l’ancien Hôtel de ville de Paris. Ce livre a été brûlé avec les autres et les notes du Dr Payen sont tout ce que nous en savons. Il contenait des fragments du ler et du 4e chant de l’Énéide.

1622. Egalité des hommes et des femmes.

1624. Remerciement au Roy. C’est cette pièce qui contient la Harangue de François de Guise aux soldats de Metz le jour de l’assaut de Ronsard, arrangée par Mademoiselle de Gournay.

1626. L’ombre de la damoiselle de Gournay œuvre composé de meslanges. Paris, Jean Libert. – C’est la première édition des œuvres complètes de mademoiselle de Gournay. In-8o , 1202 p.

1634. Les advis ou les presens de la demoiselle de Gournay. Paris, Toussaint du Bray. In-4o , 860 p.

1641. Les advis ou les presens de la demoiselle de Gournay. Paris, Jean du Bray. In-4o , 995 p.

Ces trois éditions des mélanges de Marie de Gournay contiennent toutes ses œuvres. En 1634 elle a ajouté à l’Ombre : L’institution du Prince (deux traités), De la medisance (trois traités), l’Oraison du Roy à S. Louys durant le siège de Rhé ; la Première delivrance de Casal ; De la temerité et la version du sixième livre de l’Aeneide. En 1641, elle ajoute encore un Discours à Sophrosine, une lettre liminaire, un traité Des broquarts et quel fruit en tirent les brocardeurs et la Vie de la demoiselle de Gournay.

Marie de Gournay tenait beaucoup à ce titre d’Ombre qui flattait ses instincts philosophiques. Elle l’expliquait par un vers : « l’homme est l’ombre d’un songe et son œuvre est son ombre. » Malgré la profondeur de cette pensée, le public paraît s’être obstiné à ne pas la comprendre, si bien que le libraire de l’édition de 1634 exigea un autre titre. La fille d’alliance de Montaigne céda non sans regret et adopta celui d’Advis ou presens.

À la fin de son livre et dans ses trois éditions, mademoiselle de Gournay a mis une imprécation dont la nature spéciale est peut-être la raison qui a fait que l’auteur se soit abstenu de réimprimer son Remerciement au Roy avec les faux vers de Ronsard. « Si ce livre me survit, dit-elle, je deffends à toute personne, telle qu’elle soit, d’y adjouster, diminuer, ny changer jamais aucune chose, soit aux mots ou en la substance, soubs peine à ceux qui l’entreprendroient d’estre tenus aux yeux des gens d’honneur, pour violateurs d’un sepulchre innocent. Et je suprime mesmes tout ce que je puis avoir escrit hors ce livre, reservé la préface des Essais en l’estat que je la fis r’imprimer l’an passé, si je n’ay loisir de l’amender avant mourir. Les insolences, voire les meurtres de réputation que je voy tous les iours faire en cas pareil en cet impertinent siècle, me convient à lascher cette imprécation. »

En 1641 cet avertissement est répété dans les mêmes termes sauf la phrase touchant les Essais qui est ainsi modifiée : « reservé la preface des Essais en l’estat que je la fis r’imprimer l’an mil six cents trente cinq. »

La première édition des œuvres de Marie de Gournay est la plus intéressante des trois et l’Ombre a une saveur que les Advis n’ont plus aussi forte. La première rédaction des écrits de mademoiselle de Gournay est vivante et colorée. Ses retouches surchargent ses phrases, noient les expressions primesautières dans la poussière d’une abusive érudition. De plus il arrive que de 1626, pour ne point parler des ouvrages qui ont paru avant, à 1641 Marie s’est laissée, à son corps défendant, entamer par le purisme et influencer par cette Académie qu’elle blâmait si fort, mais où elle comptait beaucoup d’amis personnels. Il en résulte qu’elle modernise. Son style y perd ce charme à la Montaigne, cet imprévu qui en faisaient l’attrait. La conséquence des concessions arrachées à la vieille intransigeante par le goût des temps nouveaux est qu’elle est obligée de rajeunir sa langue pour assurer des lecteurs à ses plaidoyers en faveur des anciens mots et des anciennes tournures. D’ailleurs elle s’en rend compte, elle proteste, elle gémit, mais elle cède. Aussi c’est à l’édition de 1626 que j’emprunte de préférence mes citations des œuvres de Marie de Gournay. Contrairement à ce qui a lieu le plus souvent sa pensée définitive ne vaut pas sa pensée première. C’est lorsqu’elle est passionnée que sa prose a le plus d’accent.

Le souci de la perfection la tourmenta toute sa vie et jusqu’à son dernier jour elle couvrit les marges de ses livres de petits changements. Sur une feuille volante qu’elle colla dans les exemplaires de 1641 sur lesquels elle put encore mettre la main elle nota : « la correction de quelques erreurs obmises » et « quelques nouvelles lectures que le lecteur est prié de recevoir. » Et, après ce nouvel errata, elle ajoute ces lignes puériles et touchantes : « Permets, lecteur, ce dernier soin à une pauvre mere preste à quitter son enfant orphelin, et veuf de toute assistance. Je te recommande ce qui peut estre encore eschappé à ma derniere recherche. »


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Principaux ouvrages et articles à consulter : Tallemant des Réaux, Les historiettes. Paris, 1834. — Hilarion de Coste, Les éloges et les vies des reynes, des princesses, et des dames illustres en piété, en courage et en doctrine, qui ont fleury de nostre temps, et du temps de nos pères. Paris, 1647. – Pierre Bayle, Dictionnaire historique et critique, 3e édition. Rotterdam, 1720. – Jolly, Remarques critiques sur le dictionnaire de Bayle. Paris, 1748. – Titon du Tillet, Parnasse françois. Paris, 1732. – Léon Feugère, Les femmes poètes au xvie siècle. Paris, 1860. – Dr Payen, Nouveaux documents inédits ou peu connus sur Montaigne, Paris, 1850. – Dr Payen, Note bibliographique sommaire sur les diverses éditions du Proumenoir de M. de Montagne, Bulletin du bibliophile, 1860, p. 1285-1287 et 1291-1292. – Dr Payen, Recherches sur Michel de Montaigne, Bulletin du bibliophile, 1862, p. 1291-1311. – Brunet, Manuel du libraire. – Ch.-L. Livet, Précieux et Précieuses, Paris, 1870. – Ferdinand Brunot, La doctrine de Malherbe, d’après son Commentaire sur Desportes. Paris, 1891. – Paul Stapfer, La famille et les amis de Montaigne. Paris, 1896. – Paul Bonnefon, Montaigne et ses amis. Paris, 1898. – M. Courbet, Recherches sur Mademoiselle de Gournay, Bulletin du Bibliophile, 1898, p. 227-232. — Mario Schiff, La fille d’alliance de Montaigne : Mademoiselle de Gournay, Studi di Filologia moderna, anno II, fascicolo 1-2, 1909.

J’ai copié, pour mon ami le professeur Nyrop, le traité des Diminutifs françois de Mademoiselle de Gournay, sur le texte de 1626. Cette copie a été imprimée à la suite du troisième volume de la Grammaire historique de la langue française du savant romaniste de Copenhague. Quelques vers de Marie de Gournay ont été réimprimés dans Les chefs-d’œuvre lyriques de Ronsard et de son école, publiés par Auguste Dorchain, Paris, 1907, et dans Les Muses françaises d’Alphonse Séché, t. I, Paris, 1908.


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