La Franc-maçonnerie des femmes/37

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Bourdilliat (p. 368-370).

CHAPITRE XXVIII

Nouvelle imprévue


Quelques heures après, Amélie était à sa toilette, et, malgré son accablement, elle recevait les soins de sa femme de chambre. Elle attendait Philippe, dont la présence devait atténuer ses remords et chasser les souvenirs de la matinée. Mais Philippe n’arrivait pas.

Après avoir revêtu une robe de couleur claire, destinée à relever, selon l’expression adoptée, sa physionomie un peu languissante, Amélie ordonna qu’on introduisît un domestique, qui insistait pour lui parler. Ce domestique était cravaté et ganté de blanc.

— Madame ne me remet pas ? dit-il.

— Votre livrée ne m’est pas inconnue.

— J’ai l’honneur d’appartenir à Son Excellence le ministre des affaires étrangères.

— Ah ! s’écria Amélie, vous venez de la part de mon mari ?

— Oui, madame, répondit le laquais d’un air embarrassé et en regardant la ganse de son chapeau.

— Eh bien ! qu’avez-vous à me dire ?

— Que madame me permette…

— J’attends !

— Je prie madame de ne pas s’inquiéter.

— Qu’y a-t-il donc ? Qu’est-ce qui lui est arrivé ?

— M. Beyle a fait une chute de cheval, dit le laquais.

— Oh ! mon Dieu !

— Que madame se rassure, ce n’est rien… ou du moins presque rien… M. Beyle est à peine blessé.

— Mais où est-il ? demanda Amélie toute tremblante.

— Il est dans une maison de campagne de Son Excellence, à deux pas d’ici. Voici comment cela est arrivé. Son Excellence avait fait demander M. Beyle. M. Beyle s’est empressé de se rendre à cet ordre ; mais, en route, son cheval a été effrayé par le bruit d’une charrette chargée de fer ; M. Beyle est tombé et a dû se faire conduire en voiture chez Son Excellence.

— Mais sa blessure ?

— C’est peu de chose, madame ; une foulure… une entorse, tout au plus.

— Oh ! n’importe, il faut que je le voie ! dit Amélie.

— C’est facile, s’empressa de répondre le laquais ; et pour peu que madame ait quelque doute et conserve quelque inquiétude, je suis chargé par Son Excellence de la conduire immédiatement auprès de M. Beyle. Une des voitures du ministre est en bas.

— Thérèse ! mon chapeau, mon châle !

— Madame sort ?

— À l’instant. Donnez donc !

— Voici, madame.

Amélie fut prête en moins d’une minute.

— Accompagnerai-je madame ? demanda la femme de chambre.

À cette question, le laquais cravaté de blanc ne put réprimer un mouvement qui passa inaperçu des deux femmes.

— Non, répondit Amélie après un moment de réflexion.

— Madame rentrera bientôt ?

— Je ne sais, je vais rejoindre mon mari.

Thérèse, étonnée, s’inclina. Au bout de quelques instants, une voiture emportait rapidement Amélie.

Pendant ce temps, Philippe Beyle et le comte d’Ingrande, dans l’ignorance ce qui se passait, et se promenant bras dessus bras dessous sur le boulevard, entraient au Café Anglais pour y dîner.

Improvisée et due à l’initiative du comte d’Ingrande, cette partie avait pour tous les deux l’attrait d’un repas de célibataires. Pourquoi ces distractions, d’ailleurs bien innocentes, ont-elles toujours lieu hors du cercle des habitudes ? Les épicuriens modernes, qui savent mener de front la politique, l’industrie, la famille, les arts et le plaisir pourraient seuls nous l’apprendre.