La France Juive (édition populaire)/Livre 5/Chapitre 5
CHAPITRE CINQUIÈME
I
Le club et les courses se chargent des hommes ; la toilette ruine les femmes.
Les couturiers et les couturières sont presque tous d’origine juive ; c’est un Juif, Dreyfus, qui est président de leur chambre syndicale. Ils ont déployé sur ce point un génie véritablement charmant, sinon complètement inventif. Félix fait bien joli ; Kahn, qui succéda à Mme Laferrière, ne faisait pas mal ; mais Sarah Mayer, qui a « conçu » les deux robes de Mme Legault, dans les Rois en exil, a une imagination bien heureuse. A Mme Rodrigues cependant le pompon ! Elle ne coud pas les robes comme on avait coutume jadis, aux temps barbares, elle les édite, du moins c’est le terme qu’employait Étincelle.
L’amour de la toilette n’est plus cette coquetterie relativement innocente et gentille qu’ont eue les filles d’Ève à tous les siècles ; c’est une sorte d’idée fixe, de vice impérieux et sombre comme le vice du baron Hulot. Ceux qui servent ce culte idolâtrique, sont l’objet d’un respect mêlé de crainte ; ils se prennent eux-mêmes au sérieux. Je me souviens d’une exhibition d’une garde-robe royale. Les privilégiées étaient placées sur une estrade, en des fauteuils qui ressemblaient à des trônes ; et Worth, solennellement, criait en agitant son mètre comme un magicien aurait fait d’une baguette : « Allons ! la série des robes de chambre, avancez ! »
Tout cela se fait gravement, pompeusement. Des femmes, regardées comme intelligentes, se soumettent à des séances de quatre à cinq heures, à la veille d’un événement mondain, comme l’inauguration d’un nouveau théâtre, pour étudier l’effet du bleu, du rosé, du blanc, sur des robes qu’on éclaire successivement à la lampe, au gaz, à la lumière électrique.
Elles n’ont même pas la pensée de faire profiter des Chrétiennes de l’argent qu’elles dépensent. Un groupe de femmes dont le nom, en dehors des cocodettes bruyantes, a une influence mondaine, honnête et méritée, aurait pu réunir en un atelier ces jeunes filles laborieuses pour lesquelles la vie est si rude, les former en association, leur commander des vêtements simples. L’élan est si vite donné à Paris, que, le lendemain, la mode aurait été de porter des toilettes modestes et de se fournir à cette association féminine.
Loin de concevoir un tel projet, les femmes du monde se regardent comme les obligées des faiseuses célèbres qui consentent à les habiller. La fête de la couturière est un événement ; ses clientes lui envoient des cartes, des bouquets, des cadeaux : la maison est encombrée dès le matin. Il y a là un tableau de genre tout fait, que la plume d’un essayiste parisien nous retracera peut-être quelque jour.
II
On n’a pas l’idée de la façon dont les meilleures clientes sont traitées à la moindre réclamation. Worth, enrichi par les prodigalités de tant de malheureuses éperdues de vanité, fit imprimer une liste où les plus beaux noms de France étaient marqués de la lettre A, qui signifiait escrocs ; où les autres étaient désignés par la lettre B, indiquant l’abus de confiance probable à la suite de dépenses au-dessus des ressources. La liste, mise entre les mains de toutes les ouvrières, traîna bientôt dans toutes les antichambres, on en colporta des exemplaires dans tous les bureaux de rédaction. Dans un autre pays, l’étranger qui se fût permis cette insolence eût été mis à l’index ; il ne se fût pas trouvé une honnête femme qui consentit à revenir chez lui. Worth ne perdit pas une seule de ses clientes !
Ce que nous disons des couturières s’applique à toutes les dépenses de luxe. Les principaux marchands de chevaux, les confiseurs à la mode sont Juifs. Avec une organisation intelligente, chaque catholique pourrait faire profiter, à la défense de sa cause, l’argent qui sort de sa poche, aider par le travail ceux qui pensent comme lui, n’avoir que des fournisseurs qui partagent ses idées ou qui du moins n’attaquent pas ses droits.
Rien n’eût été plus facile, et, dans certains quartiers où les conservateurs font vivre beaucoup de monde autour d’eux, l’influence eût été très vite sensible. Un groupement se fût fait très rapidement entre gens qui jugent de même. Les conservateurs n’y ont pas songé une minute, non par libéralisme exagéré, croyez-le bien, mais par indifférence, par ignàvie, parce qu’ils sont même incapables du léger effort, de l’attention momentanée qu’il faudrait pour cela.
Ce qu’il y a de douleurs derrière ce luxe sans raison, absolument bête, est incroyable. Le hasard, à chaque instant, nous montre l’envers de ces existences si brillantes en apparence.
J’ai vu une famille de vieille noblesse envoyer chaque jour chercher, chez la crémière d’à côté, un horrible bouillon noir et sentant la graisse. Au bout de quelque temps, ils en devaient pour cinq cents francs ! La femme, qui portait un nom célèbre dans l’histoire de la Révolution, un nom chanté par les poètes, immortalisé à la fois par l’héroïsme et par la pitié, avait une note de dix mille francs chez sa couturière, et s’en allait à travers Paris pour les chercher, avec ce mouvement d’oiseau de grande race qui ne sait pas marcher à pied. Au milieu des querelles et des récriminations grandissait une belle jeune fille, élégante et svelte. N’obéissant qu’à leur bon cœur, ces pauvres gens avaient recueilli un moine expulsé ; et rien n’était baroque comme ce chapelain en appartement, bénissant ce repas pris à la gargote, en tête à tête avec une bonne non payée, qui hurlait les refrains de café-concert qu’elle allait récolter chaque soir.
Parfois on tombe tout à fait. Cette jeune femme adorable, cette ravissante Aryenne, au galbe virginal et fier, que vous n’effleurez même pas d’un regard trop intense, pour ne point enlever le pur duvet de ce fruit en train de mûrir, se vend à quelqu’un de ces cosmopolites affreux, galeux, sentant mauvais, qui ont crié des oranges sur le port de Tunis ou d’Alexandrie, ou qui ont été garçons d’auberge en quelque village de Russie, comme ce Garfounkell, quarante fois millionnaire, qui avait laissé sa femme là-bas pour mener la grande existence ici.
Tout aboutit au Juif, en effet. Nous le verrons plus loin pressurant la misère populaire avec les agences d’achat de reconnaissances du Mont-de-Piété : il est le bailleur de fonds, le prêteur réel des usuriers qui obligent les gens du monde. Il sait, à une minute près, la durée du souffle de toutes ces pauvres petites grenouilles qui s’efforcent de se grossir pour égaler les grosses fortunes Israélites. Quand l’haleine commence à manquer, il arrive, et il est le bien venu.
III
Ce qui est plus inquiétant que tout le reste, peut-être, c’est cet abaissement de la femme française. Aux époques de décadence, on l’a constaté, la femme monte tandis que l’homme descend ; cette fois il ne s’est rien produit de pareil. On aurait pu espérer qu’après la guerre il se serait formé un groupe de Françaises exerçant une influence active comme femmes, comme sœurs, comme amies, s’efforçant d’inspirer à tous des idées patriotiques, se servant de leur beauté, de leur sourire, de leur charme, pour relever les cœurs, pour éveiller le désir des nobles actions. Quelle magnifique mission dans un pays où la femme a toujours joué un si grand rôle !
La duchesse de Chevreuse semble avoir eu un instant cette généreuse ambition : elle a essayé de réunir toutes les femmes dans le culte de Jeanne d’Arc, de faire de la pure héroïne le symbole du relèvement national. C’est pour cela que les journaux francs-maçons et juifs se sont acharnés après elle. Mais sa voix, d’ailleurs, est restée sans écho.
« Courtisane ou ménagère, disait Proudhon, pour la femme, il n’y a pas de milieu. » Sœur de Charité ou cocodette, tel est, dans les classes supérieures, le dilemme de la femme française actuelle. Beaucoup, riches, belles, ayant tout pour être heureuses, quittent tout pour se donner au divin Époux, pour se consacrer à une vie de dévouement et de sacrifice ; mais, sauf quelques exceptions, on n’aperçoit, parmi celles qui demeurent dans le monde, aucune image de ces femmes charmantes et fortes, intelligentes et vaillantes, de ces femmes ayant le sentiment de l’honneur de la race, de la fonction sociale à remplir par les privilégiés de la fortune, résolues à communiquer à ceux qu’elles aiment l’horreur de tout ce qui est avilissant ou dégradant.
Il n’existe plus, d’ailleurs, de salons qui aient encore une autorité un peu considérable. Les réunions mondaines où l’on cherchait jadis, avant tout, le plaisir de se retrouver ensemble, de causer, d’échanger des idées, sont devenues, dès que les banquiers ont pris la tête du mouvement, des solennités théâtrales, des fêtes d’apparat, dont les frais épouvantent les familles riches elles-mêmes, qui ne peuvent lutter avec le faste d’Israël.
La médisance spirituelle, l’allusion fine d’autrefois, ont fait place au potin grossier, que l’on craint toujours de voir passer de la conversation dans le journal du boulevard. Les étrangers et les Juifs ont introduit, dans les habitudes de la bonne société, les plaisanteries de manants, les farces de fumistes. La marquise de X… était dans une ville d’eaux, hors de France, lorsqu’à deux heures du matin on l’entend tout à coup crier : « Au feu ! » On accourt, et l’on aperçoit un ratasquouère bien connu de tous, qui, fuyant devant les flammes, s’élance hors de la chambre avec ses vêtements à la main. Pendant six mois on envoie atout Paris des cartes sur lesquelles on lit : Madame de X… et son rastaquouère.
Les histoires de ce genre, qu’il serait facile de multiplier ; les récits d’adultères, de séparations, d’accommodement entre le mari et l’amant, n’auraient qu’un intérêt de scandale et ne rentreraient pas dans le cadre de ce travail, qui est exclusivement une étude sociale.
IV
La mondaine n’a même plus le respect de sa propre beauté, la haine instinctive de tout ce qui déforme ou enlaidit, de tout ce qui blesse les lois d’une certaine élégance supérieure, qui est une des manifestations de l’art ; elle aime, au contraire, l’étrange et le baroque, le bas, ce qui la rapproche un peu de l’animalité.
Quelle vision encore du Paris contemporain que ce bal des bêtes, donné au mois de mai 1885 par la princesse de Sagan !
Il ne s’agit pas ici de rastaquouères, d’étrangers. Tout l’armorial de France, toute la vraie noblesse est présente à cette fête sans nom, à cette espèce de prostitution de soi-même, qui, dit justement l’Univers, inspire une sorte d’épouvante.
Le Gaulois nous donne d’abord les noms des convives du diner :
Comte et comtesse F. de Gontaut, duc et duchesse de Gramont, vicomte et vicomtesse de Turenne, baron et baronne de Vaufreland, comte et comtesse de Castries, vicomte et vicomtesse de Chavagnac, prince et princesse de Léon, comte et comtesse M. d’Amilly, marquis et marquise des Moustiers, comte et comtesse de Vogue, comte B. de Boisgelin, comte R. de Fitz-James, comte et comtesse A. de la Rochefoucauld, baron et baronne de Noirmont, M. et Mme d’Espeuilles, comte et comtesse de Mieulle, vicomte et vicomtesse Des Garets, duc et duchesse de Bisaccia, marquise de Galliffet, lady Dalhousie, comte et comtesse de Kersaint, M. et Mme O’Connor, marquise de Talleyrand, M. et Mme Lambert, comte et comtesse de Saint-Gilles, M. Haas, comte J. de Gontaut-Biron, vicomte G. Costa de Beauregard, colonel Gibert, baron Seillière, baron de la Redorte, H. Ridgway, comte R. de Gontaut-Biron, Allain de Montgomery, comte et comtesse de Maleyssie, comte et comtesse de Chevigné, marquis de Massa, prince de Lucinge, comte Philippe de Beaumont, comte de Brissac, comte de Kergorlay, de Haro, comte Jean de Beaumont, comte Pierre des Moustiers, duc et duchesse de Frias, vicomte de Bondy, marquis et marquise de Mailly, marquis et marquise de Béville, etc., etc.
Il énumère ensuite, un par un, tous les figurants de cette saturnale, et nous lait assister à leurs ébats :
Des coqs marchent en se pavanant dans les salons. Nous reconnaissons, sous ces crêtes, les vicomtes Roger de Chabrol, M. d’Heursel, le vicomte de Dampierre, le vicomte de Contades, le comte Antoine de La Forêt de Divonne, le comte de Las Cases.
Et les canards ne manquent point non plus. Un long bec en spatule s’allonge sur les fronts de M. le comte de Béthune, du baron de Gargan, du comte Plater, de bien d’autres. L’un d’eux a eu l’idée d’offrir à la princesse un journal ingénieux : le Canard, créé pour la circonstance et mort avec elle.
Le comte d’Espeuilles s’est mis une tête de chouette en décoration. Le comte Albert de La Forêt de Divonne est en héron ; le comte François, en dindon. Le vicomte de Leusse a une tête de pie ; le vicomte d’Andlau, une tête de chouette.
Le duc de Gramont passe au bras de M. de Gramedo ; tous deux sont en pierrots, — la tête de la bête et le corps du Pierrot des Funambules.
Deux frères se sont associés pour représenter une girafe : le comte François de Gontaut forme le devant, et son frère l’arrière-train.
Un M. de Germiny a un succès fou : il est habillé en singe et divertit l’assistance par ses grimaces.
Mme de la Rochefoucauld-Bisaccia est en pélican.
M. d’Espeuilles passe en souris ; le comte de Tocqueville, en renard ; le vicomte Blin de Bourdon, en bengali ; le comte d’Antioche, en lion ; le vicomte de Rambuteau, en coq ; le comte R. de la Rochefoucauld, en loutre.
Mme Thouvenel est en chauve-souris ; le comte de Berthier, en chat blanc ; la comtesse de Grouchy, en souris blanche ; la duchesse de Frias, en cardinal ; M. de Galliffet fils, en serin ; René-Raoul Duval, en renard ; la comtesse de Mieulle, en oiseau bleu, dit oiseau-mouche ; la comtesse de Blacas, en poulette ; M. de Ravignan, tête de chien.
Nous reconnaissons dans la foule le prince François de Broglie, tête de dindon ; le comte de Gontaut-Biron, en caniche blanc ; la marquise de Croix, en martin-pêcheur ; la marquise de la Ferronnays, en hirondelle ; la comtesse Fernand de la Ferronnays, en mouette ; la comtesse de Voguë, en oiseau de paradis ; la comtesse de Maleyssie, en demoiselle.
Mme la vicomtesse de Florian, en or et vert avec des ailes, représente une libellule ; la comtesse de Bryas a de grandes ailes en plumes bleu et jaune colibri.
Toute la Juiverie est naturellement là, riant de l’avilissement de cette malheureuse aristocratie.
La baronne Gustave de Rothschild est en chauve-souris ; Mme Lambert Rothschild est en panthère : jupe de tulle bleu perlée or et perles fines, corsage et la traîne en velours brodé, imitant la peau de panthère, couvrant le derrière de la jupe et se terminant en lambrequin Louis XIII ; tête de panthère sur les cheveux, retenue au milieu par un croissant de diamants.
Mme Michel Ephrussi. en coq de roche : tulle orange plissé entièrement, et drapé par des écharpes tulle, même nuance, arrêtées par des coqs de roche ; milieu du dos de la jupe velours noir, arrêté de chaque côté par deux grandes ailes noires encadrant le corsage en plumes orange formant le corps de l’oiseau.
Il serait dommage de rien retrancher au récit du ballet des abeilles.
Il est un peu plus de minuit… l’heure des crimes, des apparitions — et des merveilles aussi.
Un roulement de tambour fait savoir aux populations qu’une surprise s’apprête. On s’élance, on se pousse un peu, on se presse beaucoup, et l’on monte sur les chaises pour mieux voir.
Voici le ballet qui commence :
Au fond de la galerie des fêtes, une énorme ruche se dresse. Qui dit ruche, dit : abeilles, à moins que la ruche ne soit déserte ; et, heureusement, ce n’est point ici le cas. Elle est habitée, et délicieusement.
Un essaim d’abeilles : corselet de satin marron rayé jaune, jupe de tulle lamé or, tablier marron pailleté d’or, ailes en gaze d’or, casque en or avec antennes, qui répondent aux noms de Mmes la comtesse de Chavagnac, la baronne de Vaufreland, la comtesse François de Gontaut, la duchesse de Gramont, la comtesse Aimery de la Rochefoucauld, la marquise d’Espeuilles, la comtesse de Kersaint, la marquise de Galliffet, la princesse de Léon, la marquise d’Amilly, la comtesse Gabrielle de Castries, vont, viennent, butinent, trottinent. Elles sont trop charmantes pour qu’on les laisse s’envoler, et messieurs les bourdons sont là pour s’y opposer.
Ce sont : MM. le marquis d’Amilly, le comte Philippe de Beaumont, le comte Jean de Beaumont, le comte de Jarnac, le comte Bruno de Boisgelin, AUaiii de Montgomery, le romte de Haro, le marquis des Moutiers, le vicomte Des Garets, le vicomte de Mieulle, le prince de Lucinge. Leur uniforme est fort galant : culotte de satin marron, pourpoint en satia marron à deux tons, formant les anneaux.
MM. les bourdons, qui viennent de s’éveiller avec l’aube, font le tour de la ruche, sur laquelle ils jettent des regards de connaisseurs en arrêt devant des chefs-d’œuvre. Les. abeilles, que l’aurore aux doigts de rose a fait sortir de la ruche, s’approchent des bourdons galants, et, après une poursuite, abeilles et bourdons se mêlent.
La reine des abeilles (comtesse de Gontaut) choisit un roi ! c’est au comte Jean de Beaumont qu’échoit cette fève… chorégraphique, et le couple s’envole en tourbillonnant au milieu des groupes de danseurs et de danseuses, parmi lesquelles on remarque la comtesse de la Rochefoucauld, la duchesse de Gramont et la marquise de Galliffet.
Voilà ce que faisaient des chrétiennes, au mois de mai 1885, pour fêter la profanation de l’église Sainte-Geneviève[1] !
V
Tout cela pour arriver à être cité dans le journal d’Arthur Meyer !
C’est le vrai maître du monde parisien que ce Meyer, l’arbitre de toutes les élégances, l’organisateur de toutes les fêtes. Jamais la Juiverie n’a produit un type aussi réussi. Fils d’un marchand d’habits-galons, il débuta à Paris, il y a quelque vingt ans, comme secrétaire de Blanche d’Antigny. Il cumulait ces fonctions, qui ne devaient pas être une sinécure, avec celles de reporter.
Ce fut la première manière de Meyer. Il avança vite, grâce à la grande poussée juive qui se fit après la guerre. Aujourd’hui il a maquignonné, boursicoté, trafiqué ; il a un coupé, un hôtel, un journal. Il n’excite ni l’envie ni même le mépris, mais plutôt comme un incommensurable étonnement.
Ayant remarqué que quelques gens du monde affectaient une certaine roideur, d’assez mauvais goût, du reste, il les a imités, mais imités en charge : il ne remue plus, il ne tourne plus la tête ; avec son teint blême, son crâne d’ivoire, sa barbe luisante, il donne l’impression d’une momie sémitique déambulant en plein Paris à l’aide d’un ressort qu’on ne voit pas.
Cet être fantastique, ce faquin d’une si invraisemblable faquinerie stupéfie littéralement par des plaisanteries faites de sang-froid qui renversent les gens. Au moment des obsèques de l’empereur à Chislehurst, il voulait marcher aux côtés de la famille impériale ; il a pris le deuil du comte de Chambord, et annoncé gravement qu’il ne pourrait assister à la fête d’Ischia, à cause de la mort du Roi.
Tout cela, je le répète, se produit sérieusement, silencieusement, sans rire.
Il a vraiment une sorte de rôle dans la vie élégante : c’est lui qui a mis en circulation ces mots de « pschutt » et de « v’lan » que nos gentilshommes repètent avec une grimace idiote. A l’exposition canine, les piqueurs de la duchesse d’Uzès sonnent les honneurs quand il arrive ; ce qui se comprendrait tout au plus dans une exposition de pisciculture.
Ce Tom Lewis frotté de lettres est mêlé à tout : il sert d’arbitre, il remplit l’office d’ambassadeur, il fait les courses. C’est lui qui intervient dans le procès de Sarah Bernhardt et du Juif Koning ; c’est lui qui va prendre chez Meissonnier le portrait de Mme Mackay, et qui rapporte l’argent au peintre.
Vous devinez, avec un tel intermédiaire, ce que sont les négociations. Mme Mackay met le portrait de Meissonier dans l’endroit secret où Saint-Simon avait mis le portrait de Dubois. Meissonier se déshonore par son âpreté au gain, en demandant soixante-dix mille francs pour une toile qui lui a demandé quelques séances. Au moment où tout va s’arranger, le Juif Wolff, qui voit son compère Meyer engagé, vient prononcer sur le cas quelques-unes de ces paroles dont il a le secret : « Si, dans un pareil débat, dit cet homme austère, je pouvais hésiter un instant, il me faudrait renoncer à élever la voix dans les questions artistiques ; je signerais ma propre déchéance. »
— C’est donc un repaire de brigands que votre Paris ? vous disent parfois les étrangers.
— Mais non. Paris est encore plein de braves gens.
Si, au lieu de vivre dans ce monde d’intrigants qui attendent les voyageurs à la gare, comme les interprètes et les pickpockets ; si, au lieu de s’entourer de Juifs, Mme Mackay, qui est, dit-on, une femme excellente, avait vécu avec des Parisiens honnêtes, elle aurait su comment on fait une hausse factice sur les œuvres d’art comme sur les actions de sociétés financières ; elle aurait trouvé à Paris trois cents peintres qui ont plus de talent que M. Meissonier ; elle aurait eu affaire à un artiste qui se serait conduit envers elle en homme bien élevé, et elle n’aurait pas été diffamée dans les gazettes.
Quand il n’a plus d’autre occupation en ville, Meyer organise des fêtes avec les duchesses. Lors de la fête des Alsaciens-Lorrains, c’est lui qui devait ouvrir le bal avec la comtesse Aimery de la Rochefoucauld. Au dernier moment, la pauvre comtesse eut honte, et se contenta de faire un tour dans la salle au bras du petit youtre. L’exhibition n’est-elle déjà pas assez triste comme cela ?
Pour moi, je l’avoue, ces abaissements m’affligent toujours. N’est-ce point navrant, ce joli nom d’Aimery, quia je ne sais quel parfum Moyen Age, et fait songer à l’Aymerillo de Victor Hugo ; ce grand nom de la Rochefoucauld, qui rappelle des siècles d’héroïsme, des batailles gagnées, les Maximes : — tout cela sali par la promiscuité d’un ancien secrétaire de Blanche d’Antigny ? Je suis un peu comme Veuillot, et je trouve que « Ces gens-là me trahissent personnellement, me volent quelque chose », en disposant d’un nom dont ils n’ont pas le droit de disposer.
VI
Ne vous y trompez pas néanmoins, Arthur Meyer est la seule personne littéraire que les gens du monde puissent endurer[2].
Ils ne comprennent l’écrivain que sous la forme d’un illettré bien informé, bien mis, intrigant, remuant, s’agitant. M. de la Rochefoucauld, duc de Bisaccia, reçoit Rothschild et Meyer ; il n’invite pas d’Hervilly à une soirée où l’on joue une de ses pièces.
Le duc de Bisaccia n’en reste pas moins un homme fort dévoué à sa cause, fort généreux même à l’occasion ; mais évidemment il a perdu, dans les mauvaises fréquentations des Juifs, cette fleur de délicatesse et de courtoisie qui caractérisait jadis la noblesse française ; il ne sait plus faire la différence qui convient entre un poète, un artiste, qui est un être de désintéressement et de travail, et un vulgaire financier, qui salit ses mains dans le maniement de l’or.
Si je parle ainsi un peu longuement du noble duc, c’est qu’il est, comme je l’ai déjà dit, ce que les Anglais nomment « un personnage représentatif ». Il est instructif et il est pénible de voir dans quelle société vit un homme qui se croit naïvement, et qui est réellement, pour la foule niaise, l’incarnation de la haute aristocratie, le représentant des idées de chevalerie, d’honneur et de foi[3].
Meyer admire le duc, et le duc aime le commerce de Meyer[4]. Le nom de Meyer figure parmi l’assistance d’élite qui se pressait au bal du 18 avril 1884, au milieu de beaucoup de Hirsch, dont les uns se prénomment Maurice et les autres Théodore. Fortement frappé, sans doute, de se voir là, Meyer déclare que ce bal est un des grands événements du siècle.
Si vous voulez voir combien la destinée d’un journaliste chrétien est différente de celle d’un journaliste juif, regardez les hommes qui entourent Meyer.
Allez au Gaulois, vous trouverez, à côté du Meyer blafard, un beau cavalier, un gentilhomme béarnais, qui a ressemblé un peu à Henri IV. Brave, non point seulement en duel, mais dans la rue, — il l’a prouvé lors de la manifestation de la place Vendôme, — M. de Pêne est resté, malgré une production incessante, un écrivain de race ; parmi les milliers d’articles qu’il a improvisés, il n’en est pas un seul qui n’ait un trait, une phrase où se révèle l’artiste qui sait bien tenir sa plume. A quoi cela lui a-t-il servi ? Il est maintenant effacé derrière le petit circoncis qu’il a chaperonné dans le monde ; il n’a pu arriver à garder un journal à lui.
Prenez, si vous voulez encore, Cornély. J’en puis parler en toute indépendance, car je n’ai jamais eu ni à m’en plaindre ni à m’en louer. Il savait certainement que j’aurais eu plaisir à défendre mes idées chez lui ; jamais il ne me l’a proposé : il s’est confiné un peu trop alors, à mon avis du moins, et au point de vue de l’œuvre qu’il dirigeait, dans un milieu un peu restreint et boulevardier.
Malgré tout, il n’en a pas moins réussi à créer, à faire lire, à faire vivre un journal d’avant-garde, qui rendait d’immenses services au parti conservateur. Après avoir perdu deux mille abonnés d’un coup en se ralliant au comte de Paris, le Clairon n’en comptait pas moins 5,375 abonnés ; au moment de sa disparition il avait un tirage quotidien de 11,000 exemplaires.
La moindre aide aurait mis ce journal à flot. Cornély fît demander cette aide au comte de Paris. Celui-ci ne voulut même pas recevoir la personne que lui envoyait le jeune écrivain, qui, somme toute, combattait pour sa cause avec vaillance, avec entrain, avec succès même.
Ne trouvez-vous pas affligeant l’abandon de cet être d’initiative, d’activité, de bonne volonté, par des gens qui ont plus de cent millions à eux ?
La défense des intérêts religieux en France se trouve donc avoir pour organe, du moins dans un certain public, le journal d’un Juif et d’un Meyer.
- ↑ Au banquet d’adieux des Cercles catholiques ouvriers, ce
douloureux rapprochement fournit au comte Albert de Mun le
motif d’un de ses plus beaux mouvements oratoires. L’orateur,
interrompu par les applaudissements, fut plus de cinq minutes
sans pouvoir reprendre la parole.
Les huées, les lazzis, les plaisanteries méprisantes, tombèrent naturellement comme la grêle sur ces détraqués, qui avaient donné ainsi, en public, le spectacle de leur ignominie ou plutôt de leur bêtise. - ↑ Il y a des exceptions cependant, mais elles se produisent
toujours en faveur des Israélites. Le Juif, flatteur, insinuant,
endort le patricien, le berce doucement ; le Français qui lui
dirait franchement la vérité, qui lui apporterait l’écho de la vie,
le déconcerterait, le troublerait, le réveillerait.
Le duc de Chaulnes, dont la mère a été abreuvée d’outrages par la presse juive, fut le dévoué protecteur d’Eugène Mùntz : il l’aida à continuer ses travaux, et, la veille de sa mort, il prit, par une touchante prévoyance, les dispositions nécessaires pour assurer la publication du volume qui a pour titre la Renaissance en Italie et la France à l'époque de Charles VIII.
M. Mùntz, du reste, a rendu un juste hommage au duc de Chaulnes ; et c’est plaisir de voir apparaître, en quelques pages de son introduction, cette bienveillante figure de grand seigneur, curieux de tout, s’intéressant à tout, venant avec des béquilles, après avoir été blessé grièvement à Coulmiers, passer ses examens de droit à Poitiers, étudiant les questions ouvrières, publiant un remarquable travail sur les sculptures connues sous le nom de Saints de Solesmes. - ↑ Au mois d’avril 1885, nous voyons le pauvre homme, toujours cornaqué par Meyer, assister au bal donné par le Conseil municipal à l’Hôtel de Ville. Le chef de la droite, comme on dit, parade à côté de la baronne d’Ange, à laquelle un conseiller municipal fait ouvrir avant l’heure les portes du salon où l’on soupe ; il échange des poignées de main avec tous ces conseillers qui ont chassé les Sœurs des hôpitaux, arraché la Croix des cimetières, persécuté de la plus sale et de la plus ignominieuse façon tout ce que les honnêtes gens respectent. Franchement, était-ce là la place du duc de la Rochefoucauld-Bisaccia ?
- ↑ Pour comprendre ce qu’une pareille association a de significatif, au point de vue des mœurs d’une époque, il faut lire le Druide, un roman à clef, de la comtesse de Martel, qui nous initie à ce qui se passe dans l’intérieur du Gaulois. Il y a de tout là-dedans : la tentative d’assassinat par le vitriol, le proxénétisme, le chantage. Nous apprenons là que c’est une fille, ancienne actrice aux Variétés, qui rédige le courrier mondain et enseigne aux femmes du faubourg Saint-Germain comment il faut se tenir à l’église. Voilà où en est arrivée une certaine aristocratie, l’aristocratie du plaisir !