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La Gardienne du Phare/21

La bibliothèque libre.
Le Courrier Fédéral Ltée (p. 50-52).

CHAPITRE XXI

La Vie au Phare des Glaces.

Il y avait trois jours que le bateau de ravitaillement avait quitté le phare des glaces et déjà, Claire avait eu le temps de s’apercevoir, que la position qu’elle avait acceptée ne serait pas une sinécure. C’était elle la véritable gardienne du phare des glaces ; le vieillard, à part d’entretenir le feu, ne s’occupait de rien. C’est Claire qui préparait les repas., faisait le ménage, réparait le linge, allumait et éteignait le fanal, etc., etc.

Ce jour-là, au repas du midi, le vieux gardien dit à la jeune fille :

Mon garçon, tu sais que nous devons tenir un procès-verbal de tout ce qui se passe ici. Il faut noter les hausses et les baisses de température, les tempêtes, etc. Moi, ma main tremble quand j’écris et j’ai remarqué que tu aimes beaucoup à manier la plume. Occupe-toi à tenir le journal du phare. »

— « C’est bien, » répondit Claire. Elle fut fidèle à sa promesse et, à partir de ce jour, le journal fut tenu avec précision.

Claire avait été si occupée depuis son arrivée, qu’elle n’avait pu trouver le temps de sortir, mais, ce jour-là, le temps étant beau et doux, elle résolut d’en profiter pour faire le tour de l’îlot. Elle emmènerait Tribord, qui semblait un peu attristé de ne pouvoir sortir.

L’îlot n’avait que deux milles de superficie. Que c’était agréable de se promener ainsi, accompagnée de Tribord qui courait au-devant de la jeune fille en aboyant joyeusement ! Tout à coup, Claire s’arrêta, avec une exclamation de surprise ; dans une sorte de petite baie, elle venait d’apercevoir une chaloupe élégante, aux coussins de velours marron. Une chaloupe… de luxe en cet endroit ! Elle s’approche et voilà qu’elle voit une enveloppe attachée avec une épingle à un des coussins. L’enveloppe doit contenir une lettre, car elle est adressée comme suit :

«  Jean Clerc
Phare des Glaces. »

Avec des doigts tremblants d’anxiété, Claire ouvrit l’enveloppe ; un court billet y était contenu :

« Ma bien-aimée.

Puisse mon petit cadeau vous procurer quelques heures heureuses. Mais, pour l’amour de Dieu, soyez prudente, ne vous aventurez pas trop loin dans cette frêle embarcation.

Me trouvez-vous prétentieux, Claire, d’avoir donné mon nom à la chaloupe ?… Je veux tant être continuellement dans votre pensée !
HERVÉ. »

Claire baisa la signature de son fiancé, puis elle éclata en sanglots

Il était déjà si loin, si loin, son noble Hervé ! Sur l’avant de la chaloupe, il y avait une plaque en cuivre sur laquelle était gravée « Hervé, » ce cadeau lui serait, alors doublement cher. Claire détacha l’amarre et appela Tribord. Le chien sauta à bord, la jeune fille saisit les rames, légères mais fortes, et bientôt elle voguait sur l’océan bleu… C’est en chaloupe qu’elle fit le tour de l’îlot, puis elle revint dans la baie, amarra solidement l’embarcation et remonta au phare.

« J’ai trouvé une chaloupe dans une petite baie, » dit Claire au vieillard. « Quand vous aimerez à vous promener… »

— « Merci, » répondit-il, « mais je n’aime guère les promenades en mer. »

— « Comme vous voudrez ! » dit Claire. Cette inertie du gardien du phare l’irritait un peu.

Le programme de la vie de Claire, durant toute la belle saison, était celui-ci : levée à sept heures, elle éteignait la lanterne, puis descendait préparer le déjeuner. Le vieillard nous l’avons dit déjà — ne s’occupait que d’entretenir le feu, mais il accomplissait bien sa tâche. Après le déjeuner, elle faisait le ménage de sa chambre, de son cabinet de travail, puis de la salle commune, après quoi elle s’occupait à quelqu’ouvrage de couture jusqu’à l’heure de dîner. Après le dîner, si le temps était favorable, elle sortait avec Tribord et passait presque tout l’après-midi dehors ; aussi, sa santé était-elle florissante. Ensuite venait l’heure du souper, après lequel la jeune fille montait à son cabinet de travail ; elle lisait ou classifiait ses livres, ou écrivait jusqu’à six heures, heure à laquelle elle se couchait.

Et ainsi la belle saison s’écoula.

Un jour, le soleil ne se montra que quelques instants : la longue nuit polaire commençait.