La Gardienne du Phare/26
CHAPITRE XXVI
Les funérailles.
Aussitôt qu’il fit jour, Claire et Zilumah s’occupèrent d’ensevelir le vieux gardien du phare et de procéder à ses funérailles. C’était une bien lugubre tâche que cet ensevelissement, et Claire se demanda plus d’une fois comment elle aurait pu l’accomplir sans l’aide de Zilumah.
On enveloppa le corps dans un sac d’emballage, puis il fallut le descendre à la surface du sol. L’escalier en spirale étant trop étroit, à l’aide d’une forte corde, on fit glisser la dépouille du vieillard le long de la maçonnerie, jusqu’au sol. Ensuite, les jeunes filles descendirent l’escalier, suivies de Tribord. Le traîneau fut détaché, Tribord attelé, et, avec précaution, on déposa sur le traîneau le corps du vieux gardien, qu’on recouvrit d’un tapis de table. Une pierre fut emportée, qui servirait de lest, et l’on partit.
Claire marchait en avant, tenant Tribord par son collier afin qu’il se maintînt au pas ; mais le chien semblait comprendre que ce n’était pas le temps de gambader. Zilumah fermait la marche ; la procession n’était pas longue. Les jeunes filles, toutes au souvenir de ce qui s’était passé la nuit précédente, pleuraient tout bas en accompagnant le corps du gardien du « phare des glaces » à sa dernière demeure.
Dans cette solitude, combien lugubre étaient ces funérailles et quelle triste impression elle fit sur celles qui y prenaient part !
On fit trois milles ainsi, silencieusement, Claire priant tout bas pour l’âme du défunt, puis on s’arrêta. À quelques pas, la glace s’était rompue ; c’est là qu’on allait déposer le corps du gardien. Claire s’agenouilla, ce que voyant, Zilumah fit de même. Claire récita, tout haut, le « De profundis », sa voix résonnant clairement dans le grand silence. L’écho répétait les mots du psaume funèbre ; on eut dit que mille voix se joignaient à celle de la jeune fille. Enfin « Requiescat in pace » dit Claire. — « In pace » répéta l’écho.
Respectueusement, Claire et Zilumah roulèrent le corps jusqu’au bord de la crevasse. On entendit le froissement de l’eau sur le cadavre et, doucement, la dépouille mortelle du vieux gardien du « phare des glaces » glissa dans la mer bleue.
La lugubre cérémonie était terminée.
Tribord fut dételé ; on lui accordait sa liberté maintenant. Le chien n’était pas sorti depuis deux ou trois jours et il profita de sa liberté, courant et s’agitant à la manière des chiens… Les jeunes filles, à tour de rôle, tiraient le traîneau, qui, d’ailleurs, ne pesait guère. Le temps était magnifique, la température très supportable, Claire et Zilumah marchaient lentement, n’ayant pas hâte de retourner au phare. Mais elles finirent par y arriver. Elles se hâtèrent de remettre la couchette du vieillard dans sa chambre. Les couvertures, les oreillers et le matelas furent jetés sur la galerie, afin qu’ils pussent s’aérer parfaitement, on referma portes et fenêtres qui avaient été ouvertes presque toute la nuit, puis Claire prépara du café que l’on but, tout brûlant.
Il fut décidé que Zilumah occuperait désormais la chambre du vieillard. Claire ne serait pas fâchée de reprendre sa chambre, qu’elle avait cédée à l’Esquimale, couchant elle-même dans son cabinet de travail, et Zilumah était folle de joie à l’idée d’avoir une pièce à elle, bien à elle. Presque toute la journée, les jeunes filles s’occupèrent du déménagement ; cependant, dans l’après-midi, elles trouvèrent le moyen d’aller faire une promenade dehors. Elles avaient été privées du grand air depuis quelque temps, à cause du malade qu’elles n’avaient osé laisser seul ; aussi, Claire avait-elle perdu un peu de ses fraîches couleurs.
Après le souper, les jeunes filles s’installèrent dans la salle commune et, tandis que Zilumah était occupée à quelque ouvrage de couture, Claire songeait… Si la Providence n’avait pas mis Zilumah sur sa route, combien cette première veillée, seule au phare, aurait été terrible !!… Elle serait morte de peur, tout simplement… Elle aurait cru entendre encore la toux sèche du vieillard…, Ç’aurait été terrible !… Si terrible que Claire frissonna de la tête aux pieds.
Claire pouvait-elle compter sur Zilumah pour toujours maintenant ?… N’appartenait-elle pas à une race nomade ? Les Esquimaux ne sont guère sédentaires, loin de là ; si Zilumah allait l’abandonner, que deviendrait-elle ?…
« Zilumah, » dit Claire, « tu te plais bien au phare, n’est-ce pas ?… Tu ne songes pas à me quitter ?… »
— « Vous quitter ! » s’écria Zilumah. « Savez-vous, Jean, si vous me mettiez à la porte, je resterais autour du phare jusqu’à ce que, pris de pitié, vous me rappeliez auprès de vous. »
— « Merci, Zilumah, merci », répondit Claire. Des larmes vinrent à ses yeux et elle déposa un baiser sur le front de l’Esquimale.
À neuf heures, elles se retirèrent pour la nuit. Elles avaient peu dormi depuis quelques semaines et toutes deux étaient épuisées.
Ce n’est que le lendemain, dans l’avant-midi, que Claire se rappela la lettre du vieillard, enfermée dans une cassette d’ébène, dont elle avait la clef.