La Gardienne du Phare/27
CHAPITRE XXVII
La lettre
Claire trouva la cassette dans le bas d’un chiffonnier faisant partie de l’ameublement de la chambre qu’avait occupée le vieillard, et, tandis que Zilumah travaillait au ménage, Claire se prépara à en examiner le contenu. Il y avait une lettre au large cachet de cire. Claire prit cette lettre et retourna l’enveloppe pour en lire l’adresse. Aussitôt, un cri lui échappa, car voici ce qu’elle vit :
Phare des glaces ».
Ainsi, le vieux gardien savait qui elle était !… Il le savait et c’est pourquoi peut-être il avait insisté, oui, insisté, pour l’emmener au « phare des glaces », hors de tout danger !!…
Claire fut saisie de remords : elle n’avait jamais aimé cet homme et, en ce moment, elle se reprochait amèrement son ingratitude…
Quand la jeune fille fut revenue de sa première surprise, une autre chose la frappa : une particularité dans l’écriture du vieillard. Où avait-elle vu cette écriture déjà ?… Elle était sûre de l’avoir vue quelque part et même elle semblait être associée, cette écriture, à un souvenir tragique… Ces mots, liés les uns aux autres… ces caractères fermes et masculins…
Que pouvait bien contenir cette lettre ?… Peut-être des reproches pour son ingratitude ?… Le moyen de le savoir d’ailleurs, c’était d’en prendre connaissance. La lettre n’était pas longue, assez courte même ; mais difficile à lire à cause de ces mots liés les uns aux autres :
Claire porta la main à son cœur pour en comprimer les battements. Cet homme était un assassin et elle avait vécu avec lui durant de longs mois !…
Je ne te raconterai pas ma vie avec ma femme. Flore Dumond… Nous avons vécu quinze ans ensemble ; une vie d’enfer. Un jour, je la mis à la porte, l’accusant faussement, dans un accès de jalousie. Mais, cinq ans plus tard, j’appris qu’elle avait hérité d’une petite fortune. Moi, j’étais pauvre, cousu de dettes. J’essayai de me rapprocher de ma femme ; mais elle me traita avec dédain. Alors, je la menaçai. Le jour même de sa mort, elle a dû recevoir une lettre de moi. Voici ce que contenait cette lettre : « Rencontre-moi à l’hôtel à six heures ce soir ; sinon, gare à toi ! »
— « Ah ! oui, » pensa Claire, « La lettre… je me rappelle maintenant… Je savais bien que cette écriture était associée à de lugubres souvenirs ! »
Azurine, la vieille ménagère, sait bien des choses. Elle m’a vu au moment où je quittais la chambre de Flore après l’avoir assassinée. Certes, elle était loin de se douter de la tragédie qui venait d’avoir lieu… Seulement, tu as eu tort, Claire d’Ivery, de mépriser cette servante au lieu de la craindre ; pour se venger, elle t’a laissé condamner…
« Et c’est tout. Si le Commandant d’Arles retrouve Azurine, il ne sera pas plus avancé, car elle est paralysée totalement. Cependant, j’espère, pour toi, que tu quitteras bientôt le « phare des glaces », dont l’avenir et la sûreté me semblent bien problématiques.
« Fait et signé le quatre janvier, 18 — au Phare des Glaces, au-delà du 65ème parallèle nord.
— « Zilumah ! Zilumah ! » appela Claire.
Zilumah accourut.
— « Qu’y a-t-il ? » demanda-t-elle.
Claire la fit asseoir auprès d’elle et lui raconta tout. Le meurtre de Madame Dumond, son arrestation, à elle, Claire, sa condamnation et son évasion. Zilumah ne revenait pas de sa surprise !!… Claire lut à l’Esquimale la lettre de Charles Dumond et elle lui expliqua l’importance de cette lettre, qui était sa justification et dont il faudrait prendre grand soin.
La cassette contenait aussi quelques documents tels que l’acte de naissance de Charles Dumond et celui de son contrat de mariage avec Flore de Portneuf. Claire résolut d’ajouter un autre document à ceux-là. Elle dressa une sorte d’acte mortuaire, disant le jour et l’heure de la mort du vieux gardien et racontant ses funérailles, indiquant aussi, le mieux possible, l’endroit où le corps avait été submergé. Cet acte, elle le signa et le fit signer par Zilumah, puis il fut enfermé dans la cassette avec les autres papiers.
Ce soir-là, pendant la veillée, Claire parla d’Hervé… Elle raconta à Zilumah ses fiançailles et l’espoir qu’elle avait au cœur qu’il revînt la chercher bientôt peut-être. À son grand étonnement, l’Esquimale fondit en larmes.
« Et moi, que deviendrai-je, Claire ?… Ne sommes-nous pas heureuses ici ?… »
— « Sans doute, Zilumah ; mais nous sommes deux faibles jeunes filles, seules aux confins du monde, il ne faut pas oublier cela… Si l’une de nous tombait malade ! »
— « Ce n’est guère probable, Claire. »
— « Crois-moi, Zilumah, je suis très satisfaite de la vie que nous menons ici ; seulement, Hervé me manque, ah ! tant !!! Tu le verras mon Hervé, Zilumah, un jour, je l’espère. Car nous ne nous quitterons jamais ; là où j’irai, tu viendras… Si je quitte un jour le « phare des glaces », ce ne sera qu’avec toi. »
La joie de Zilumah fut grande en entendant Claire lui parler ainsi… Elles ne se quitteraient plus jamais ces deux jeunes filles que le sort avait jetées ensemble !!…
La vie accoutumée reprit au phare, vie un peu monotone peut-être ; mais non sans charmes. L’été viendrait bientôt et les deux jeunes filles se promettaient bien des promenades en mer et de longues excursions qui feraient passer le temps agréablement. Mais un événement vint renverser tous leurs projets et jeter dans le désespoir la gardienne du phare et sa compagne.