La Gouvernante/Acte II
ACTE II.
Scène I.
Ô tendresse du sang ! Doux charme de ma vie,
Qui devroit dès long-tems m’avoir été ravie !
Quel état m’as-tu fait préférer à la mort ?
Grands dieux ! lorsque j’y pense, étoit-ce là mon sort ?
Mais je n’en rougis point, la cause en est trop chere.
Continuons les soins de la plus tendre mere ;
Avant que de rentrer dans ce Cloître écarté,
Où la main d’un parent a daigné par bonté
Assurer mon destin, consommons mon ouvrage.
Ah ! Ciel, permets enfin qu’à travers un nuage,
J’acheve de verser sur l’objet de mes pleurs,
Les seuls biens qui me soient restés de mes malheurs ;
Et du moins, qu’au défaut de tout autre avantage,
L’usage des vertus lui serve d’héritage.
Voyons ce que sur elle ont produit mes avis ;
Et si, pour son bonheur, elle les a suivis.
Scène II.
Ma bonne, embrassez-moi. Que je suis satisfaite !
Quoi donc, ma chere enfant ?
Ma victoire est complette.
(à part.) (haut.)
Que je crains ces transports ! Qu’est-il donc arrivé ?
Que j’ai tout renvoyé, je n’en ai rien sauvé.
J’ignorois qu’on aimât si fort ces bagatelles ;
Je n’ai pû m’en priver sans des peines mortelles :
Je les regrette encor ; mais j’ai fait mon devoir.
Ah ! je suis bien vengée ; il est au désespoir.
Il en fait semblant.
Et Juliette m’a dit qu’il étoit fort à plaindre.
Elle a pensé vous perdre, & sa fausse amitié
Voudroit contre vous-même armer votre pitié.
De ces personnes-là craignez le caractere ;
On ne se perd jamais que par leur ministere ;
Et, si vous m’en croyez, détachez-la de vous ;
En un mot, fuyez-la, rompez.
Me voilà donc réduite à ne voir plus personne ?
Car vous m’ordonnerez, du moins je le soupçonne,
De ne plus voir Sainville.
Oui, ne balancez pas.
Mais s’il m’écrit ?
Peut-être.
Ah ! sans doute.
Sans la décacheter renvoyez-lui sa lettre…
Voilà précisément ce qu’il faut me promettre.
Eh ! quoi ! vous hésitez ! Vous vous taisez ? Parlez.
Ah ! vous faites de moi tout ce que vous voulez.
Mais c’est pour votre bien.
Hélas !
C’est pour vous conserver votre honneur, votre gloire.
L’honneur est donc toujours l’ennemi de l’amour ?
Non vraiment ; au contraire, il l’approuve à son tour.
Et pourquoi donc le mien vous semble-t-il un crime ?
C’est qu’il faut que l’amour ait un but légitime.
Puisque vous m’y forcez : devez-vous ignorer
Que pour pouvoir aimer sans se déshonorer,
Il faut qu’un doux espoir mieux fondé que le vôtre,
Assortisse deux cœurs qui soient faits l’un pour l’autre ?
Eh ! Pour qui donc Sainville & moi sommes-nous faits ?
Que de faiblesse encor ! Que j’en crains les effets !
(à part).
Sans nous trop avancer, ôtons-lui l’espérance
Qu’elle ose concevoir contre toute apparence.
(haut).
Ma fille, (vous m’avez permis un si doux nom,)
Il faut, à vous guérir, forcer votre raison.
Non, ce n’est point à vous que le Ciel le destine :
Peut-il s’associer avec une orpheline
Inconnue, & d’ailleurs réduite à ses attraits,
Qui n’a ni bien, ni rang, qui n’en aura jamais ?
Sur la Baronne en vain vous fondez votre attente.
Et par quelle raison ? N’est-elle pas ma tante ?
Hélas !
Que dites-vous ?
Ôtez-vous cet espoir.
Mais encor, pourquoi donc ?
Elle ne vous est rien, le rapport est fidele.
Depuis plus de quatre ans que je suis avec elle,
Elle fait tout pour moi.
Mais ce n’en est pas moins l’effet de sa bonté.
Vous étiez, dans un Cloître une charge importune,
Où l’on étoit enfin las de votre infortune.
Mais d’où provenoit donc cet abandon total ?
Vos parens ruinés par un procès fatal,
Furent forcés de faire un si grand sacrifice.
Plaignez-les ; ce fut là leur plus cruel supplice.
Vous vous attendrissez. Vous les avez connus ?
S’il est vrai, dites-moi ce qu’ils sont devenus,
Ne me cachez plus rien.
Saisit l’occasion d’une guerre étrangere :
Son courage lui fit espérer tout du sort ;
Mais il s’exposa trop, il y trouva la mort.
Ah ! grands Dieux ! Et ma mere alors que devint-elle ?
Votre mere ! Jugez de sa douleur mortelle ;
Peignez-vous son état & son adversité.
Enfin, après avoir long-tems sollicité,
D’une pension foible, à peine suffisante
Pour soutenir sa vie infirme & languissante,
On crut payer assez les jours de son époux.
Elle comptoit alors se réunir à vous,
Et vous faire venir pour essuyer ses larmes ;
Toute prête à jouir d’un bien si plein de charmes,
Sa santé succomba sous des maux si constans.
Dans les bras de la mort elle resta long-tems ;
À peine elle en sortoit que ce bienfait modique,
Qui faisoit sa fortune & sa ressource unique,
Fut discontinué sans espoir de retour.
Sans doute que depuis un si malheureux jour,
Elle n’a pû survivre à ce coup si funeste ;
Vos larmes, vos soupirs m’apprennent tout le reste.
Ne comptez plus sur elle, & revenons à vous.
Vous étiez au Couvent, où je sens, entre nous,
Jusqu’où pouvait aller votre disgrace affreuse,
Quand le Ciel qui vouloit que vous fussiez heureuse,
De la Baronne un jour y conduisit les pas :
On lui parla de vous. Votre âge, vos appas,
Des larmes, qui pour lors vous prêterent leurs charmes,
Tout força la Baronne à vous rendre les armes ;
Elle vous prodigua ses généreux secours :
Enfin, son amitié s’augmentant tous les jours,
Elle vous prit chez elle, & sa vive tendresse
Daigna vous honorer du titre de sa niece.
Ah ! quelle différence !
Voyez quel précipice est ouvert sous vos pas.
Pouvez-vous vous livrer à l’espoir inutile
De devenir un jour l’épouse de Sainville ?
Non ; cessez de compter sur cet heureux lien.
La Baronne pourra vous faire quelque bien ;
Mais ce n’est pas assez pour que l’on vous préfere
Au plus riche parti que lui cherche son pere :
Sainville en a besoin pour vivre avec l’éclat
Qu’exigeront bientôt son rang & son état.
Et le plus tendre amour n’est donc rien dans la vie ?
Au gré de la fortune il faut qu’on se marie.
Pourvû qu’on soit bien riche, on est donc bien content ?
Je ne l’aurais pas cru.
Le plus sûr est pourtant
De ne plus espérer que l’hymen vous unisse :
N’attendez pas, vous dis-je, un si grand sacrifice,
Je n’imagine pas qu’il y puisse songer.
Vous découvrez l’abîme où j’allois me plonger.
Que de combats vont être arrosés de mes larmes !
Ce n’est que loin de lui que je trouve des armes.
Je dois vous avouer que mon cœur révolté
Sur mes réflexions l’a toujours emporté ;
Et si je reste ici…
Venez.
Où donc, ma Bonne ?
Où l’honneur vous attend, aux pieds de la Baronne :
Venez lui confier votre état dangereux ;
Elle aime la vertu, son cœur est généreux :
Priez-la de finir une peine si rude,
En vous faisant rentrer dans cette solitude
Où vous étiez. Pressez, redoublez votre effort ;
Elle est riche, elle y peut assurer votre sort.
Doutez-vous du succès ? La Baronne vous aime.
Je ne puis avouer ma honte qu’à moi-même.
Mais vous vous êtes bien confiée à ma foi ?
Vous n’êtes pas un tiers entre mon cœur & moi.
N’est-il que ce moyen ? Si je vous intéresse,
Ma bonne, sauvez-moi l’aveu de ma foiblesse.
Hâtez-vous d’employer des motifs si pressans :
Les remedes tardifs sont toujours impuissans.
Disposez d’un aveu que je vous abandonne,
Chargez-vous-en vous-même auprès de la Baronne.
Vous me le permettez ?
Oui, je vous le permets.
Vous me désavouerez.
Non, je vous le promets.
J’y vais donc.
Je pourrois révoquer l’ordre que je vous donne.
J’obéis.
Si l’on daigne accepter ma proposition,
Que vous viendrez aussi, que nous vivrons ensemble ;
Je me soumets à tout, pourvû qu’on nous rassemble.
N’y consentez-vous pas ?
Oui, c’est bien mon dessein.
Ah ! je pourrai du moins soupirer dans son sein ;
Car je ne compte pas guérir de ma foiblesse.
Scène III.
Viens quand je tousserai.
Comptez sur mon adresse.
Scène IV.
Pourroit-on vous parler ?
Tu lui diras que non.
C’est moi qui vous demande audience en mon nom.
Qui ? Toi !
Moi-même.
Eh ! bien, je ne veux plus t’entendre.
Et par quelle raison ?
Je n’en ai plus à rendre.
On vous l’a défendu ?
Je n’obéis qu’à moi.
Depuis assez longtemps, parlons de bonne foi,
Votre Bonne, jalouse, envieuse, inquiette,
Cherche à me supplanter ; sa victoire est complette.
Votre humeur trop facile a comblé son desir.
N’agissez, ne pensez que sous son bon plaisir,
Ayez pour tout instinct celui qu’elle vous prête,
Soyez comme un enfant qu’on mène à la baguette.
De grace, finissons ; je ne vois que trop bien
Quel est le but secret de ce bel entretien.
Vous pourriez vous tromper.
Va, je sçais qui t’envoie.
Ne vous en faites pas une si grande joie.
Quoi ! tu me soutiendras ?
Moi, je ne soutiens rien.
Tu ne viens pas exprès pour trouver le moyen
D’appaiser, s’il se peut, une Amante outragée ?
Ce seroit volontiers, s’il m’en avait chargée ;
Et d’ailleurs, (ce n’est pas que je parle pour lui :)
Mais enfin, croyez-vous les hommes d’aujourd’hui
D’humeur à nous passer tous nos petits caprices,
À faire tous les jours les plus grands sacrifices,
À braver, à souffrir les mépris, les rebuts,
À demeurer constans lorsque l’on n’en veut plus,
À revenir à nous, si-tôt qu’on les rappelle ?
Non ; l’art d’aimer a pris une forme nouvelle :
C’est à nous à présent à remplir, en aimant,
Tout ce qu’une Maîtresse exigeoit d’un Amant ;
Encore arrive-t-il qu’on croit nous faire grace.
Nos esclaves ont mis leurs vainqueurs à leur place ;
Ils se sont emparés de nos droits les plus doux ;
Tout le poids de l’amour est retombé sur nous.
Que m’importe ?
Sainville revenoit après cette rupture,
Plus tendre que jamais, vous rapporter son cœur,
Le vôtre aurait pour lui la dernière rigueur.
Sans doute.
Je dis plus, s’il osoit hasarder une lettre,
Pleine de désespoir, (je suppose le cas,)
Vous la refuseriez ?
Je n’y toucherois pas.
Il se le tient pour dit. Il est temps que je tousse.
(Elle tousse.)
À la derniere épreuve il faut que je la pousse.
Qu’as-tu donc ?
Est-il sourd ? Recommençons encor.
Scène V.
N’avez-vous pas toussé !
Peste soit du butor.
J’ai donc mal entendu.
Donne.
Qu’est-ce ?
Que ce drôle a sans doute ordre de me remettre.
Scène VI.
Ah ! la belle finesse !
De grâce, expliquez-vous.
Il faut, pour m’attraper, être un peu plus habile.
Ce billet qu’on t’apporte est…
De qui ?
De Sainville.
De lui ?
Je gagerois.
Il faut voir.
Que fais-tu ?
Je l’ouvre.
Je dirai que je ne l’ai pas lû.
Pour la pousser à bout, changeons un peu le texte,
(Elle lit haut.)
Et lisons autrement. « Pourquoi prendre un prétexte ?
Arrête, ou je m’en vais.
Eh ! bien, lisons tout bas.
Lis, puisque tu le veux ; mais je n’entendrai pas.
« Lorsque nous avons cru nous aimer l’un & l’autre,
» Nous nous sommes trompés. »
Dieux ! qu’est-ce que j’entends ?
« Il n’est pas malheureux de rompre en même-tems ;
» Car mon erreur n’a pas duré plus que la vôtre.
» J’accepte la rupture, ainsi n’en parlons plus. »
Est-ce à moi qu’on écrit ?… Regardons le dessus.
À qui, diantre, en veut-on ? Quelle est cette aventure ?
Pourriez-vous, par hazard, connoître l’écriture ?
Elle est de mon perfide.
Ah ! vous l’avez bien dit.
Oui, Juliette, elle en est ; c’est à moi qu’il écrit,
Et c’est lui qui m’outrage après m’avoir trahie,
Et qui joint le mépris avec la perfidie…
Poursuis.
Restons-en là.
Acheve, j’ai besoin de l’avoir en horreur.
Vous l’aimiez donc encore ?
Est un état cruel. Mais quelle différence !
Haïr est le tourment le plus affreux de tous.
Donne-moi ce billet.
(à part.)
Avertissons Sainville, il est temps qu’il arrive.
Scène VII.
Cédons, l’impatience où je suis est trop vive.
Fuyons, sans doute il vient jouir de son forfait.
Vous me fuyez ?
Tenez, voilà votre billet.
A-t-il pu vous déplaire ?
Autre insulte mortelle.
C’est de mes sentimens l’expression fidelle.
De peur que je n’en doute encore, il en convient.
Je viens vous assurer de tout ce qu’il contient.
C’en est trop.
Quel courroux !
Auriez-vous la fureur de m’insulter en face ?
Quel est donc mon forfait ?
Feignez de l’ignorer.
D’un éclaircissement pourriez-vous m’honorer ?
Perfide, on n’en doit point à ceux qui nous outragent.
Ah ! je ne vois que trop quels motifs vous engagent
À m’accabler encor d’un si cruel refus.
Hélas ! tout ce qui vient de ce qu’on n’aime plus
Dégénere en offense, & se tourne en injure.
Cessez de m’arrêter.
La révolte devient permise au désespoir :
Vous me rendrez raison d’un procédé si noir.
Scène VIII.
Eh ! je vous cherche.
Parle, est-ce là cette lettre
Qu’à l’instant de ma part tu viens de lui remettre ?
Tu dois la reconnoître, est-ce elle ?
En doutez-vous ?
Eh ! bien, Mademoiselle en est dans un courroux
Qui ne se conçoit pas ; sa fureur est extrême.
Vous pourrez la calmer en la lisant vous-même.
Mais à quoi servira…
Je puis avoir mal lû.
Puisqu’il convient de tout, c’est un soin superflu.
Écoutez ; vous, lisez.
» M’a bien mieux fait sentir le prix de votre cœur ;
» Et lorsque je reviens à mon premier vainqueur,
» C’est avec plus d’amour & plus de connoissance. »
Vous lisez faux.
Voyez.
Suivez des yeux.
» Je n’ai trouvé que vous, dont mon âme asservie
» Pût faire son bonheur le reste de ma vie. »
Il a raison… Juliette.
Eh ! bien, vous vous aimez.
Mais, quoi !
Quelle explication faut-il que je vous donne ?
(En leur prenant la main.)
Eh ! trop heureuse encor l’Amante qui pardonne.
Voilà ce que j’ai craint… Sainville, il n’est plus tems,
Je retourne au Couvent.
Vous voulez donc ma mort ?
(haut.)
J’ai donné ma parole, il faut que je la tienne.
L’Amour n’avait-il pas la vôtre auparavant ?
Eh ! que voulez-vous donc faire dans ce Couvent ?
On est allé, pour moi, le demander en grace.
En grace, dites-vous ?
J’en attends la réponse : & je vous dirai plus,
Je tremble…
Et de quoi donc ?
De n’avoir qu’un refus.
Cette grace, en effet, vous doit être fort chere.
Entendez mes raisons, sans vous mettre en colere.
En pouvez-vous avoir pour me désespérer,
Lorsqu’à tout l’Univers je viens vous préférer ;
Quand je mets mon bonheur, ma fortune, ma vie,
À vous faire regner sur mon ame ravie,
À m’assurer la vôtre, à vous lier à moi
Par le don éternel de ma main, de ma foi ?
Auriez-vous ce dessein ?
Puis-je en avoir un autre ?
On l’a craint.
Il ne vient point de vous ; & je vois en ce jour
L’horreur qu’on a voulu verser sur mon amour,
Et l’effroi qu’on a mis dans le fond de votre ame.
Oui, pendant mon absence on vous a peint ma flamme
Comme un amusement frivole & criminel,
Qui pourroit vous couvrir d’un opprobre éternel.
Avez-vous pû souffrir qu’on me fît cette injure ?
A-t-on vû dans mon cœur le germe du parjure
Et de la perfidie ? Et vous, qui me blessez,
Angélique, est-ce ainsi que vous me connoissez ?
On a jugé bien mal de l’amour de Sainville.
Et vous avez été trop prompte & trop facile
À vous déterminer.
Eh ! regardez du moins ceux que vous offensez.
Ah ! Sainville.
Quoi donc ! Qui fait couler vos larmes ?
Vous ne sçavez pas tout.
Quels secrets devez-vous cacher à mon amour ?
J’ignore qui sont ceux à qui je dois le jour.
(Juliette se retire au fond du théâtre pour faire le guet.)
Vous croyez que je suis niece de la Baronne ?
Comment ?
Il n’en est rien, je ne tiens à personne.
Ah ! grands dieux ! quel sera mon bonheur de pouvoir
vous tenir lieu de tout ! Couronnez mon espoir.
Quoi ! malgré cet aveu ?
Assurez à la fois mon bonheur & le vôtre.
Je pourrois être à vous ?
S’engage, & pour jamais vous en fait le serment.
Tendez-moi cette main… Mais quel trouble vous presse ?
Mais, Sainville, comment retirer ma promesse ?
Nous verrons. Cependant, cachons bien notre amour ;
Dissimulons tous deux jusques à l’heureux jour.
Scène IX.
Levez-vous, & fuyez.
Que vois-je ! C’est ma Bonne !
Évitons cette femme, & fuyons la Baronne.
Scène IX.
Sont-ce là les adieux de ces pauvres enfans ?
Je suis au désespoir.
Vos soins sont triomphans.
Ah ! Madame.
Ils ont bien opéré ; je vous en félicite.
Ah ! daignez me traiter avec moins de rigueur.
Ce que je viens de voir a déchiré mon cœur.
Et croyez-vous encor qu’Angélique ait envie
D’aller dans un Couvent passer toute sa vie ?
Ne la consultez point en cette extrémité,
Madame ; il faut user de votre autorité.
Eh ! comment voulez-vous qu’une fille à son âge
Puisse de sa raison faire un heureux usage,
Quand la séduction, avec tous ses appas,
L’environne, l’obsede, & la suit pas à pas ?
Arrachez au péril une aveugle victime,
Que son propre penchant entraîne dans l’abîme.
(à part). (haut).
Feignons. Il peut avoir dessein de l’épouser.
Angélique à ce point ne sçauroit s’abuser ;
Sa facilité seule emporte la balance.
Sçait-elle seulement qu’elle est sans espérance ?
Dans l’ivresse où son cœur est plongé sans retour,
Ses yeux ne portent pas plus loin que son amour ;
Et son bonheur présent, qui n’est qu’une chimere,
Fait que son avenir ne l’embarrasse guere :
Elle ne sçait qu’aimer, & ne sçait rien prévoir.
Mais enfin, supposé qu’un si fatal espoir,
Sur la foi des sermens, autorise sa flamme,
Et, malgré la raison, règne au fond de son ame,
Que de sujets pour vous de crainte & de terreur !
Jusqu’où peut la conduire une semblable erreur !
Je frémis ; ôtez-vous cette frayeur mortelle.
Eh ! l’amour & l’hymen ne sont pas faits pour elle.
Je le sais comme vous, Sainville est dépendant ;
Jamais il n’obtiendroit l’aveu du Président.
Mais sur une terreur qui peut être indiscrette,
L’enterrer toute vive au fond d’une retraite,
C’est une cruauté.
Qui lui sauve l’honneur.
Leur amour passera. Vous-même, en sa faveur,
Empruntez un moment des entrailles de mere.
Quoi ! vous priveriez-vous d’une fille si chere ?
Vous soupirez ? Parlez.
J’y résoudrois mon cœur.
(à part). (haut).
Fort bien. Je ne sçaurois avoir cette rigueur.
Mais je veux lui parler ; &, si ma remontrance
Est sans succès, j’irai jusques à la défense.
Elle ne servira que d’un attrait de plus.
Veillez-la de plus près encor.
Contre deux cœurs unis que sert la vigilance ?
(Elle se jette à ses pieds.)
J’embrasse vos genoux.
Faisons-nous violence.
Éloignez Angélique, ôtez-la de ces lieux.
Ah ! voulez-vous la voir se perdre sous vos yeux ?
C’en est trop ; laissez-moi, je vous demande grace.
Tant de vivacité m’importune & me lasse.
(En se relevant.) (En s’en allant.)
Eh ! puis-je en mettre moins ? Allons cacher mes pleurs.
Ah ! Ciel, daigne empêcher le plus grand des malheurs !
Scène XI.
Le piége a réussi ; ma froideur affectée
A produit les effets dont je m’étais flattée.
Achevons ; on a dû lui surprendre en secret
Des papiers qui pourront m’instruire tout-à-fait.