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La Gouvernante/Acte IV

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La Gouvernante
Œuvres de monsieur Nivelle de La ChausséePraultTome III (p. 147-166).
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ACTE IV



Scène I.

ANGÉLIQUE, LA GOUVERNANTE.
La Gouvernante, à part.

Elle rêve… feignons de ne l’avoir pas vûe,
Lorsque tous deux ont eu leur derniere entrevue.

Angélique, apercevant la gouvernante.

Vous m’avez fait chercher ?

La Gouvernante.

Vous m’avez fait chercher ?Oui : mon empressement
Vous donne, je le vois, du refroidissement ;
Il m’a, dans votre cœur, en secret desservie.

Angélique.

Quand j’ai de l’amitié, c’est pour toute ma vie.

La Gouvernante.

Puis-je vous demander, sans indiscrétion,
S’il vous souvient encor d’une commission,
Dont vous m’aviez chargée auprès de la Baronne ?

Angélique.

Vous me la rappelez… mais à propos… ma Bonne…

La Gouvernante.

Quoi ?

Angélique.

Quoi ?Si vous m’en croyez, sans trop précipiter,
Vous attendrez encore à vous en acquitter.

La Gouvernante.

Pourquoi ? (à part.) Dissimulons.

Angélique.

Pourquoi ? Dissimulons.C’est qu’il faut que j’y pense.
Mettez-vous à ma place en cette circonstance ;
Il s’agit de quitter, & d’abandonner tout.

La Gouvernante.

Le monde vous doit-il inspirer tant de goût ?
Se peut-il qu’à vos yeux il offre tant de charmes
Pour préférer d’y vivre au milieu des allarmes,
Et de l’incertitude où je vois votre sort ?
Lorsqu’à l’abri de tout, tranquille dans le port,
On peut, ainsi que vous, se rendre fortunée,
Faut-il mettre au hasard toute sa destinée ?
On ne doute de rien dans le cours des beaux jours,
On croit que l’avenir y répondra toujours.

Angélique.

Je m’en flatte. Calmez vos frayeurs indiscrettes.

La Gouvernante.

Vous vous éblouissez de l’état où vous êtes ;
Et s’il vient à changer, que ferez-vous alors ?
Le néant est caché sous de si beaux dehors ;
La Baronne vous aime, & j’en suis convaincue ;
Mais d’un moment à l’autre, une mort imprévue
Peut, en vous l’enlevant, vous laisser sans espoir.

Angélique.

Vous mettez tout au pis.

La Gouvernante.

Vous mettez tout au pis.Je ne fais que prévoir.
Je ne soutiendrai point cette disgrace affreuse.

Angélique.

Ne craignez rien pour moi, je serai plus heureuse.

La Gouvernante.

Vous ne le voulez pas, j’en mourrai de douleurs,
Et ce sera pour vous le moindre des malheurs.
Je sçais que la retraite, à des gens de votre âge,
N’offre pas d’elle-même une riante image ;
La jeunesse s’en fait un portrait peu charmant,
Bientôt l’expérience en décide autrement.
Que ne m’est-il permis de vous citer la mienne ?
Mais vous n’y croirez pas, on ne croit que la sienne ;
À tout ce qu’il vous plaît, il faut se conformer ;
On ne veut pas vous perdre. Eh ! qui pourroit former
Un projet, un complot si cruel ? Non, vous dis-je,
Un sacrifice entier n’est point ce qu’on exige :
Bien loin de vous réduire à cette extrémité,
Consentez seulement, pour un temps limité,
D’essayer avec moi d’un séjour plus tranquille,
Jusques au mariage…

Angélique.

Jusques au mariage…Eh ! de qui ?

La Gouvernante.

Jusques au mariage…Eh ! de qui ?De Sainville.
Convient-il à vos yeux d’en être les témoins ?

Angélique.

En parle-t-on ?

La Gouvernante.

En parle-t-on ?Son pere y donne tous ses soins.

Angélique.

Et quelle est la future ?

La Gouvernante.

Et quelle est la future ?Une riche héritiere ;
C’est de quoi l’on m’a fait la confidence entiere.

Angélique.

On vous trompe.

La Gouvernante.

On vous trompe.Eh ! pourquoi voulez-vous vous flatter,
Quand cet événement va bientôt éclater ?
Je vous ai toujours dit que jamais l’hyménée
N’attacheroit Sainville à votre destinée ;
Et s’il vous l’a juré, c’est le serment trompeur
D’un traître, d’un perfide, & d’un lâche imposteur.

Angélique.

À votre zele ardent je me livre moi-même ;
Mais n’allez pas plus loin, respectez ce que j’aime.

La Gouvernante.

Vous l’aimez ?

Angélique.

Vous l’aimez ?Et jamais je n’aurai d’autre amour ;
Oui, mon cœur le lui jure à chaque instant du jour :
Je le dois, je remplis un devoir plein de charmes.

La Gouvernante.

Un devoir !… excusez de trop vives allarmes ;

Si j’ai tort, il en faut accuser l’amitié :
Mais enfin, par tendresse autant que par pitié,
Ne me direz-vous rien de plus de ce mystere ?
Faut-il que je l’ignore ?

Angélique.

Faut-il que je l’ignore ?Oui, j’aurais dû me taire.

La Gouvernante.

Eh ! pourquoi me celer vos secrets les plus doux,
À moi, qui ne puis être heureuse que par vous,
Que par votre bonheur ? Je n’en puis avoir d’autre,
Et vous me le cachez ? Quel refus est le vôtre ?
Que vous ai-je donc fait pour l’avoir mérité ?

Angélique.

L’état où je vous vois, & la nécessité
De me justifier dans tout ce que j’adore,
Vont vous ouvrir mon cœur.

La Gouvernante, à part.

Vont vous ouvrir mon cœur.Quels secrets vont éclore ?

Angélique.

Sainville n’est pas tel que vous l’avez pensé :
Quels regrets vous aurez de l’avoir offensé !
Cet hymen que l’on croit si prêt à se conclure,
Ne se fera jamais, comptez que j’en suis sûre…
Sainville est engagé.

La Gouvernante, à part.

Sainville est engagé.Ciel ! quel est mon effroi !
(haut.)
Sainville est engagé, dites-vous ?

Angélique.

Sainville est engagé, dites-vous ?Avec moi.

La Gouvernante.

Qui ? vous, Angélique ?

Angélique.

Qui ? vous, Angélique ?Oui, moi-même.

La Gouvernante.

Qui ? vous, Angélique ?Oui, moi-même.Est-il possible ?

Angélique.

Un nœud qu’à tous les yeux nous rendrons invisible,
Nous enchaîne à jamais au gré de nos soupirs.
Quoi ! n’étoit-ce pas-là l’objet de vos desirs ?
Vous doutiez seulement que l’amour de Sainville
Eût un but légitime ? Eh ! bien, soyez tranquille.
J’ai sa main & sa foi, mes destins sont les siens.

La Gouvernante.

Eh ! de quel droit ?

Angélique.

Eh ! de quel droit ?Faut-il d’autres droits que les miens ?
Mon aveu doit suffire, à ce que j’imagine :
Ne m’avez-vous pas dit que j’étois orpheline,
Et sans nulle fortune, à la merci du sort ?
S’il est vrai, j’ai donc pû, sans avoir aucun tort,
Ne prendre auparavant les ordres de personne.

La Gouvernante.

Du moins vous auriez dû consulter la Baronne :
Peut-être auriez-vous pû me faire cet honneur…
Mais, non, je ne crois point ce prétendu bonheur.

Angélique.

Vous ne le croyez pas ? Il faut donc vous confondre.
(En tirant la promesse de Sainville.)
Tenez, voyez, lisez. Qu’aurez-vous à répondre ?

Est-ce là, de sa foi, le garant immortel ?
Dès que nous le pourrons, nous irons à l’autel,
confirmer, en secret, cette union parfaite…
vous en serez témoin… Êtes-vous satisfaite ?
Sur-tout, ne dites rien de ma félicité ;
Gardez bien le secret.

La Gouvernante.

Gardez bien le secret.Cette nécessité
De vous envelopper des ombres du mystere,
Auroit dû vous donner un remords salutaire.
Voyez quel est l’abîme où vous vous enchaînez !
Ces nœuds défectueux, toujours infortunés,
Sont un piège couvert d’une fausse espérance,
Un écueil invisible aux yeux de l’innocence,
Et qu’elle n’aperçoit que lorsqu’il n’est plus tems.
Ah ! pourquoi voulez-vous l’apprendre à vos dépens
Eh ! n’est-on pas assez à plaindre quand on aime ?
Un Amant n’est déjà que trop fort par lui-même,
Sans lui fournir encor des titres & des droits,
Dont on a vu l’amour abuser tant de fois.

Angélique.

Je ne serai jamais dans ce cas déplorable.

La Gouvernante.

La sagesse n’est pas toujours inaltérable ;
C’est en vain qu’on se flatte, & qu’on croit être sûr
De ne brûler jamais que du feu le plus pur ;
Malgré soi-même, enfin, l’on manque à sa promesse,
Et l’on cede, par force, à sa propre foiblesse :
Tout se découvre alors, un nœud si criminel
Ne laisse, en se brisant, qu’un opprobre éternel.

Angélique, à part.

Cette femme n’a rien à voir que de funeste.
(haut.)
Eh ! tranquillisez-vous, je prendrai soin du reste.

La Gouvernante.

Un si grand intérêt ne sauroit vous toucher ;
Je n’ajoute qu’un mot.

Angélique, avec dépit.

Je n’ajoute qu’un mot.Je ne puis l’empêcher.

La Gouvernante.

Sainville vous est cher ?

Angélique.

Sainville vous est cher ?Cent fois plus que moi-même.

La Gouvernante.

Eh ! bien, vous le perdrez.

Angélique.

Eh ! bien, vous le perdrez.Ma surprise est extrême !
Eh ! comment ?

La Gouvernante.

Eh ! comment ?Sa fortune est au-dessous de lui :
Le plus riche parti se présente aujourd’hui ;
S’il rejette, pour vous, l’hymen qu’on lui propose,
Le Président, surpris, en cherchera la cause :
Craignez tout d’un courroux justement mérité ;
N’en doutez pas, son fils sera deshérité,
Et vous aurez causé son malheur & le vôtre ;
Alors vous deviendrez à charge l’un à l’autre.
Vous croyez que l’amour, qui vous unit tous deux,
Vous tiendra lieu de tout ! Il fuit les malheureux :

Il aime la fortune, & n’est pas plus fidele ;
On ne l’a que trop vu s’envoler avec elle,
Et ne laisser à ceux qu’il avait enflammés,
Que l’affreux désespoir de s’être trop aimés…
Vous ne m’écoutez pas ?

Angélique.

Vous ne m’écoutez pas ?Il est vrai, je ne songe
Qu’à ma félicité.

La Gouvernante.

Qu’à ma félicité.Mais ce n’est qu’un mensonge…
Enfin, vous persistez ?

Angélique.

Enfin, vous persistez ?Oui, sans doute, à jamais.

La Gouvernante.

Je n’ai donc plus qu’à voir si ces nœuds sont bien faits ;
Je n’en sçais pas assez touchant cette matiere ;
Pour prendre en ce papier une assurance entiere,
Il faut que je consulte.

Angélique.

Il faut que je consulte.Il n’en est pas besoin ;
Je ne souffrirai pas que vous preniez ce soin.
La moindre défiance est un manque d’estime ;
Sainville, avec raison, pourroit m’en faire un crime.
Je ne veux, contre lui, ni garans, ni témoins ;
Je ne l’aimerois pas, si je l’estimois moins.

La Gouvernante.

Pour plus de sûreté, souffrez que je m’informe ;
Je crains que cet écrit ne péche par la forme.

Angélique.

Eh ! que m’importe, à moi ? Mes vœux sont satisfaits.
Je crois mieux les sermens que Sainville m’a faits,

Que tout ce qu’on pourrait vous dire : ainsi, ma Bonne,
Rendez-moi…

La Gouvernante.

Rendez-moi…Je ne puis.

Angélique.

Rendez-moi…Je ne puis.Votre refus m’étonne !

La Gouvernante.

Laissez-moi le garder, j’ose vous en prier.

Angélique.

Non, vraiment… mais on vient…



Scène II.

SAINVILLE, ANGÉLIQUE, LA GOUVERNANTE.
sainville, à Angélique.

Non, vraiment… mais on vient…Quel est donc ce papier
Qu’elle cache avec soin ?

Angélique.

Qu’elle cache avec soin ?C’est notre mariage.
Vous allez me gronder.

Sainville.

Vous allez me gronder.Quel est donc ce langage ?
Qu’avez-vous fait ?

Angélique.

Qu’avez-vous fait ?J’ai cru pouvoir m’y confier.

Sainville.

Qu’entends-je ?

Angélique.

Qu’entends-je ?J’ai tout dit, pour vous justifier.

Sainville.

De quoi donc ?

Angélique.

De quoi donc ?Elle a tort ; il lui plaisoit de croire
Que vos feux offensoient votre honneur & ma gloire,
Que l’hymen ne pouvant jamais les couronner,
Au plus fatal espoir j’osois m’abandonner.
À présent, je ne sçais quel scrupule l’arrête ;
Tenez, demandez-lui ce qu’elle a dans la tête.

La Gouvernante.

Tout ce qu’on peut penser d’un hymen clandestin.

Sainville.

Pouvions-nous autrement fixer notre destin
Que par un nœud secret ? Il étoit nécessaire ;
Mais enfin, je le sçais, vous m’êtes trop contraire
Pour ne pas abuser du malheureux secret
Dont elle vous a fait l’aveu trop indiscret.
Vous fûtes, vous serez toujours mon ennemie ;
Et cependant jamais je ne vous ai haïe.
Je vous détesterois, si j’étais criminel :
Connoissez un amour qui doit être éternel ;
Sachez qu’il n’en est pas moins pur pour être extrême.
J’adore sa vertu, j’en fais mon bien suprême ;
Je n’ai rien qui me soit plus cher que son honneur :
Pourrois-je l’en priver, sans perdre mon bonheur,
Sans me déshonorer, sans m’avilir moi-même ?
Ce n’est qu’à ses dépens qu’on corrompt ce qu’on aime.

Connaissez mes desirs ; je borne tous mes droits
Au seul titre secret…

La Gouvernante.

Au seul titre secret…Ignorez-vous les loix
Et les droits paternels ?

Sainville.

Et les droits paternels ?Hélas ! qui les ignore ?
Je les sçais comme vous ; mais je connois encore
Un pouvoir au-dessus de leur autorité,
C’est celui de l’honneur & de la probité.
Ne peut-il arriver des tems plus favorables ?
Et les peres sont-ils toujours inexorables ?
Un fils au désespoir en peut tout espérer ;
Mais j’ai fait un serment, rien ne peut l’altérer,
Et c’est entre vos mains que je le renouvelle.

La Gouvernante.

Je ne le reçois point.

Angélique.

Je ne le reçois point.Eh ! soyez moins cruelle,
Et consentez. D’abord que je réponds de lui…

Sainville.

Eh ! bien, séparez-nous, même dès aujourd’hui,
C’était votre dessein ; loin que je le combatte,
Je vous offre un moyen : la Baronne vous flatte.

La Gouvernante.

Comment ? Expliquez-vous.

Sainville.

Comment ? Expliquez-vous.Je sçais, à ce sujet,
Qu’elle ne compte point remplir votre projet ;

Elle adore Angélique ; &, malgré votre zele,
Elle n’a pas dessein de se séparer d’elle.
Puisque vous me craignez, partez dès-à-présent ;
J’ai le bien de ma mere, il sera suffisant
Pour vous faire à jamais le sort le plus paisible,
En cas que mon bonheur soit toujours impossible.
Avec elle, en un mot, abandonnez ces lieux,
Je remets à vos soins ce dépôt précieux ;
Recevez-le de moi, pour le garder vous-même,
Et pour le rendre un jour à ma tendresse extrême.
(à Angélique.)
N’y consentez-vous pas jusqu’à des temps plus doux ?

Angélique.

Moi, Sainville ? Ah ! pourvû que je vive pour vous,
Au milieu des transports d’une si douce attente,
Fût-ce dans un désert, je serai trop contente ;
L’espérance tient lieu des biens qu’elle promet.
Oui, ma Bonne y consent… votre cœur s’y soumet.

La Gouvernante.

Vous êtes-vous flattés, aveugles que vous êtes,
Que je me prêterois au complot que vous faites ?
Voilà donc la vertu que vous me supposez ?
C’est un enlèvement que vous me proposez.
Pouvez-vous concevoir cette affreuse chimere ?
Moi, je vous aiderois à trahir votre pere,
À son sang révolté je servirois d’appui ?
La nature y répugne, & me parle pour lui.
Eh ! croyez que sa voix ne m’est pas étrangere.

Sainville.

Mais songez qu’Angélique…

La Gouvernante.

Mais songez qu’Angélique…Elle a beau m’être chere,
Je ne porterai point un coup si douloureux
Au mortel le plus digne & le plus généreux.

Sainville.

Je ne veux que du tems, pour amener mon pere
À m’accorder enfin cet aveu que j’espere ;
Il m’aime, je ne crains qu’un premier mouvement :
Du moins, en attendant l’heureux événement,
Gardez-nous le secret, ayez la complaisance…

La Gouvernante.

Qui ? moi ! je garderois un coupable silence !
Je me suis contenue autant que je l’ai pû ;
Mais vous ne cessez point d’offenser la vertu.
Vous doutez qu’on en puisse avoir dans la misere ;
Il faudra prendre un juge.



Scène III.

LE PRÉSIDENT, LA GOUVERNANTE, SAINVILLE, ANGÉLIQUE.
sainville, à part.

Il faudra prendre un juge.Ah ! grands Dieux, c’est mon pere
Je frémis ! Elle est femme à lui révéler tout.
(à la gouvernante.)
Madame, gardez-vous de me pousser à bout.

La Gouvernante.

Je ferai mon devoir.

Sainville.

Je ferai mon devoir.Qu’est-ce qu’elle m’annonce ?

Le Président.

Eh ! bien, mon fils, je viens chercher votre réponse
Au sujet d’un hymen qui flatte mes souhaits.

La Gouvernante.

Elle est entre mes mains, & je vous la remets.

Le Président.

Quoi donc ?

La Gouvernante.

Quoi donc ?Ceci n’a pas besoin que je l’explique.
Mais en tout cas, Monsieur, je vous laisse Angélique.

Sainville, à part.

Tout est perdu.

La Gouvernante, à Angélique.

Tout est perdu.Restez, attendez votre sort.

(Elle s’en va.)
sainville, à Angélique.

Ce sera votre arrêt, & celui de ma mort.



Scène IV.

LE PRÉSIDENT, SAINVILLE, ANGÉLIQUE.
Le Président.

Dites-moi donc, Sainville, est-ce moi qui m’abuse ?
Qu’ai-je lû ?

Sainville.

Qu’ai-je lû ?Vous voyez ma faute & mon excuse.

Le Président.

Quel est donc cet écrit ?

Sainville.

Quel est donc cet écrit ?Le serment solemnel
Qui m’engage à lui rendre un hommage éternel.

Le Président.

Quoi donc ? Êtes-vous libre ? Avez-vous pû promettre ?
Et tant qu’il me plaira de ne le pas permettre,
Pouvez-vous acquitter un semblable serment ?

Sainville.

Eh ! regardez, mon père, un objet si charmant.
Voyez. Pouvois-je prendre une chaîne plus belle ?
(à Angélique.)
Rassurez-vous.

Le Président.

Rassurez-vous.C’est donc avec Mademoiselle ?

Sainville.

Oui, voilà mon vainqueur.

Le Président.

Oui, voilà mon vainqueur.Quelque soit votre choix,
Ainsi donc vous croyez être au-dessus des loix ?
Voilà de votre part un oubli qui me passe.

Sainville.

Mon père, je sçais tout ; mais je demande grace :
La forme est contre moi ; mais, sans aller plus loin,
Voulez-vous mon bonheur ? Laissez-m’en donc le soin.
Eh ! qui peut mieux choisir sa chaîne que soi-même ?
Si vous avez sur moi l’autorité suprême,

Est-ce un droit tyrannique, une loi de rigueur ?
Ah ! voulez-vous m’ôter l’usage de mon cœur,
Et des liens du sang me faire des entraves ?
Les enfans sont-ils donc de malheureux esclaves ?

Le Président.

Non, mon fils ; mais enfin nous en savons plus qu’eux ;
Ce n’est donc que par nous qu’ils peuvent être heureux,
Et c’étoit-là le droit d’un pere qui vous aime.

Sainville.

Eh ! que n’ai-je pas fait pour me vaincre moi-même ?
Depuis plus de trois mois errant jusqu’à ce jour,
J’ai cherché dans le monde à perdre mon amour ;
Je me suis répandu pour éteindre ma flamme ;
J’ai moi-même frayé le chemin de mon ame ;
Aux plus rares beautés j’ai mendié des fers,
Qu’en vain plus d’une fois les plaisirs m’ont offerts :
À ce premier objet d’une flamme si belle,
Le ciel même a voulu que je fusse fidele.

Le Président.

Oui, le Ciel a tout fait. Eh ! quelle illusion !
Je ne vous parle point de la séduction
Qu’on peut vous accuser d’avoir mis en usage ;
Mon fils, j’aurois sur vous un trop grand avantage.

Angélique.

Ah ! Monsieur, arrêtez ; il a dû me charmer.
Est-ce séduction que de se faire aimer ?
Reprochez-moi plutôt l’ardeur dont je l’enflamme.
Oui, Monsieur, c’est sur moi que doit tomber le blâme ;

On séduit, quand on plaît sans l’avoir mérité.

Le Président.

Qu’il use, contre lui, de sa sévérité.
Devoit-il vous laisser ignorer qu’à votre âge,
Se donner sur la foi d’un pareil mariage,
Est un vol que l’on fait à ceux dont on dépend ?
L’amour rend, comme un autre, un sage inconséquent.

Angélique.

Il ne m’a point ravie à ceux dont je suis née,
Dès ma plus tendre enfance ils m’ont abandonnée ;
Il sçavoit que je puis disposer de mon sort ;
À cet égard encor vous l’accusez à tort.

Le Président.

Sans doute ; & je me dois rendre à cette chimere.

Angélique.

Pourquoi non ?

Le Président.

Pourquoi non ?Une tante a les droits d’une mere.

Angélique.

Eh ! ne sçavez-vous pas ?…

Le Président.

Eh ! ne sçavez-vous pas ?…Quoi ?

Angélique.

Eh ! ne sçavez-vous pas ?…Quoi ?Qu’elle ne m’est rien.

Le Président.

La Baronne ?

Angélique.

La Baronne ?Oui, Monsieur, elle me veut du bien ;
Mais…

Le Président.

Mais…Comment ?

Angélique.

Mais…Comment ?Je n’en suis point du tout héritiere.

Sainville, à part.

C’en est fait.

Le Président, à part.

C’en est fait.Quel soupçon !

Sainville, à part.

C’en est fait.Quel soupçon !Ma disgrace est entiere.

Le Président, à Angélique.

Ce que vous m’apprenez…

Angélique.

Ce que vous m’apprenez…Doit le justifier,
Et vous autoriser à me sacrifier.

Le Président.

 (à part.)  (haut.)
Quelle énigme ! En effet, vous n’êtes point sa niece ?

Angélique.

Non, Monsieur, je ne dois ce nom qu’à sa tendresse.

Le Président, rêvant.

À merveille.

Sainville, à part.

À merveille.Il en est encor plus irrité.

Angélique, à Sainville.

Ne faut-il pas toujours dire la vérité ?

Le Président, à part.

Plus j’y songe… ah ! grands Dieux !

Sainville.

Plus j’y songe… ah ! grands Dieux !Quel courroux vous enflamme !
Un rapport enchanteur regne au fond de notre ame.
Quels titres sont plus doux, quels biens ont plus d’appas !

Le Président.

Laissez-moi… seroit-elle ?… Allons voir de ce pas
La Baronne.

Sainville, se jetant aux pieds de son père.

La Baronne.Ah ! mon pere, arrêtez, je vous prie ;
Si vous nous séparez, il y va de ma vie.
J’ai tort d’avoir formé ces nœuds sans votre aveu ;
Mais, si dans votre cœur l’excuse n’a plus lieu,
J’irai dans un désert déplorer ce que j’aime,
Et subir les horreurs d’un désespoir extrême.
Puisse le Ciel, qui lit dans mon cœur éperdu,
Ajouter à vos jours ceux que j’aurois vécu,
Si vous l’eussiez voulu ! Que faut-il que j’espere ?

Le Président.

Eh ! rapportez-vous-en, de grace, à votre pere :
Croyez que je prendrai le plus sage parti ;
Bientôt de votre sort vous serez averti.
(à son fils.) (à Angélique.)
Rentrez… Et vous, allez retrouver votre Bonne.
(à son fils.)  (seul.)
Sortez, vous dis-je. Et nous, allons chez la Baronne
La forcer de céder à mon empressement ;
Il faut que j’en obtienne un éclaircissement.