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La Grande Cruauté et tirannie exercée par Mustapha, nouvellement empereur de Turquie

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La grande cruauté et tirannie exercée par Mustapha, nouvellement empereur de Turquie, à l’endroit des ambassadeurs chrestiens, tant de France, d’Espaigne et d’Angleterre. Ensemble tout ce qui s’est passé au tourment par luy exercé à l’endroit de son nepveu, luy ayant fait crever les yeux.

1618



La grande cruauté et tirannie exercée par Mustapha, nouvellement empereur de Turquie, à l’endroit des ambassadeurs chrestiens, tant de France, d’Espaigne et d’Angleterre.
Ensemble tout ce qui s’est passé au tourment par luy exercé à l’endroit de son nepveu, luy ayant fait crever les yeux.
À Paris, chez la veufve du Carroy, demeurant en la rue Saint-Jean-de-Beauvais, au Cadran.
M.DC.XVIII.
Avec permission. In-8.

Chrestiens, lesquels ressentez l’honneur d’où la foy vous oblige et convie en ce present siècle, lequel nous fait voir une chose digne de revanche et du tout contraire à Dieu et à la chrestienté par l’ignominie et mauvaise malversation de ce perfide Mustapha, nouveau empereur des Turcs1, ce persecuteur des chrestiens et d’amis de Dieu, lequel nous fait ce jourd’huy voir une infinité de persecutions par l’entreprise mal’heureuse et abominable de ces miserables Turcs, ennemis de nostre eglise chrestienne, plutost enclins à servir le diable que Dieu, lesquels nous monstrent en ceste presente année mil six cens dix-huict une chose digne de remarque, car ces perfides ont osé s’attaquer au plus grand de la chrestienté, et leur faire des opprobres dignes de revanche et capables de la haine de tout cest univers : car, après la mort de Hachmet, premier du nom, dix-huictiesme empereur des Turcs, ayant regné douze ans en son empire, et decedé le quinziesme novembre dernier, laquelle mort a apporté une grande perte et très grande perte digne de memoire à la chrestienté ; car ce grand visir, lequel a toutes les affaires de ce grand empire, ayant proclamé le frère du dit Achmet en ceste monarchie, et ayant delaissé les enfans du deffunct, pourra bien avoir pour sa recompence une espée pour luy trencher la teste ; car les bachas, lesquels estoient à la mort du deffunct Achmet, avoient entendu les supplications du deffunct, suppliant son frère pour ses enfans ; lequel empereur d’Orient, au lieu de les cherir, a faict crever les deux yeux à son nepveu, fils aisné du dict deffunct Achmet2, et puis après jetta sa furie sur les chrestiens lesquels estoient alors en embassades dans Constantinople, et commanda qu’on les chassast hors de ses terres3 ; mais, par le conseil miserable de ce perfide empereur, conseil du tout contraire à Dieu et à son eglise, trouva bon d’en faire mourir une partie, tellement qu’aucuns disent que la maison de l’ambassadeur de France a esté pillée, et luy s’est sauvé par industrie ; mais, pour le fait des autres chrestiens, tant Espagnols, Italiens et autres nations, ont esté empanez et mis à mort avec leurs domestiques et grands nombres de chrestiens, se montans le nombre à plus de trois milles.

Ô perfide et miserable payen ! ne crains-tu pas les forces des chrestiens ? Ne te souvient-il plus de la prophetie que tu dois mourir de la main du François4 ? Ne crains-tu pas que ce grand roy de France te monstre sa force et sa valeur, qui seul te peut lier et te rendre esclave et miserable, te desmolir tes forces, avec l’aide de ses alliez ? Ne te souvient-il plus de ce grand duc de Mercœur5, vray imitateur de ces ancestres lorrains, lequel t’a tenu en sa cordelle, qui sans sa mort te tenoit esclave, et aussi ce brave et genereux prince le duc de Nevers et de Cléves6, et ce vaillant prince de Jainville7, qui, d’une pieté chrestienne et d’un courage martial, ont planté des escadrons au milieu de tes terres, et, comme princes très genereux, se sont monstrés vaillans et se sont mis en teste de leurs armées pour deffendre la foy chrestienne ? Tu trouveras maintenant des princes plus dignes de ton empire que toy, lesquels te feront paroistre que ton conseil infame et desreiglé est du tout contraire aux commandemens de Dieu.

Si les chrestiens estoient vrayement chrestiens, et s’ils avoient en leurs cœurs leur foy vivement emprainte dans le corps et dans l’ame, ils devroient maintenant monstrer leur force et leur courage, ce pendant que le Turc nouvellement proclamé leur donne bon subject de le desplacer de son empire, et que le Persan mesme leur tient la main, et leur convie de faire voir partout cest univers la vraye Eglise plantée, pour à celle fin que Dieu soit loué et glorifié à jamais. Dieu leur en face la grace !



1. Il commença de régner en 1617, après la mort d’Achmet Ier, son frère. C’est la première fois que cette sorte de succession collatérale se rencontrait dans la dynastie d’Othman.

2. C’est gratuitement qu’on prête cette cruauté à Mustapha : Osman, fils aîné d’Achmet, n’eut pas les yeux crevés, et l’année suivante il put monter sur le trône que Mustapha avoit usurpé sur lui, et que sa déchéance, après une émeute des janissaires, rendit libre en cette même année 1618.

3. L’ambassadeur de France, M. le baron de Sancy, évêque de Lavaur, fut un de ceux qui eurent le plus à souffrir dans leur dignité et dans leur personne. Mustapha le fit arrêter comme accusé d’avoir favorisé l’évasion du prince polonais Koreski. Il le récompensoit ainsi de la part qu’il avoit prise à son avénement. Osman, devenu empereur, envoya une ambassade à Louis XIII en réparation de l’insulte faite à la France en la personne de M. de Sancy.

4. Sur cette prophétie, dont ce passage confirme la popularité au commencement du XVIIe siècle, V. notre t. 3, p. 212, note, et p. 358, note.

5. Il avoit fait en Hongrie une campagne dont les succès, entre autres la prise d’Albe-Royale, avoient fort inquiété les Turcs. V. notre t. 3, p. 212, note, et les Œconomies royales de Sully, coll. Petitot, 2e série, t. 4, p. 93.

6. Il étoit de la campagne de Hongrie. Il fut blessé au siége de Bude. (Œconomies royales, id., p. 161.)

7. Le prince de Joinville, quatrième fils du duc de Guise. V. sur lui notre édition des Caquets de l’Accouchee.