La Guinée septentrionale à propos de l’expédition anglaise
LA GUINÉE SEPTENTRIONALE
À PROPOS DE L’EXPÉDITION ANGLAISE.
La portion de la côte de Guinée qui sépare la république nègre de Libéria des bouches du Niger a une étendue d’environ quatre cents lieues. Elle se dirige presque exactement de l’ouest à l’est, et se trouve située à une latitude moyenne de 4 à 5 degrés au nord de l’équateur. Cette longue ligne de pays maritimes se partage en trois parties à peu près d’égale étendue : la côte d’Ivoire, dont il semble que la république de Libéria finira par s’emparer, la côte d’Or, d’un accès plus facile et possédant un assez grand nombre de ports ; enfin la côte des Esclaves, la plus aride et de toutes la plus inhospitalière. C’est sur la côte d’Or que l’attention publique se trouve dirigée en ce moment. C’est donc de cette vaste partie de la Guinée que nous parlerons plus particulièrement.
L’embouchure de tous les fleuves de la Guinée septentrionale est obstruée par des péninsules très-longues et très-étroites, formées par des limons déposés pendant les grandes inondations, mélangés de sables, et où s’est développée lentement une végétation bien moins robuste que celle des forêts inextricables de l’intérieur. Aucune partie du périmètre de l’Afrique n’offre à un aussi haut degré cet étrange caractère provenant en partie de l’état d’abandon dans lequel ont été laissés, depuis l’origine des âges, de puissants cours d’eau dignes de rivaliser avec les plus grandes artères fluviales du monde.
Peut-être la côte d’Or est-elle plus riche que les autres parties de la Guinée en métaux précieux, car c’est dans cette partie de la côte que la poudre est sinon plus abondante, du moins plus pure. C’est aussi là que les nègres et les grands, qu’on nomme cabossirs, ont le plus d’ornements, de bijoux et d’ustensiles en or. On comprend facilement le soin avec lequel les Anglais cherchent à établir leur influence, à peu près exclusive, dans un pays où le plus précieux de tous les métaux sert quelquefois à des usages auxquels nous réservons ordinairement le fer, et où le climat, quoique terriblement chaud, n’est point aussi destructeur qu’on pourrait le croire. En effet, l’année offrant deux saisons de pluies, les sécheresses ne sont naturellement pas très-longues.
Le principal obstacle qu’ils ont rencontré provient des Achantis, peuplade très-puissante, qui a fondé dans ces régions barbares un véritable empire, très-bien décrit en 1818 par un diplomate anglais nommé Bowdich, et qui n’a point considérablement changé depuis cette époque, ni de mœurs, ni d’étendue, ni de religion. C’est toujours la même nation aussi énergiquement idolâtre et barbare, aussi sanguinaire, aussi jalouse de son indépendance.
Les origines de la querelle qui fait aujourd’hui couler le sang dans une terre avide de sacrifices humains sont trop obscures pour que nous cherchions à les déterminer. Les Achantis affirment que les Anglais ont violé les lois internationales en refusant de livrer un cabossir qui avait enlevé des trésors appartenant au roi. Les Anglais prétendent que l’humanité leur fait un devoir de ne point abandonner ce personnage, qui est venu chercher l’hospitalité du foyer britannique, car le roi des Achantis ne s’en emparerait que pour le faire périr dans les supplices que peut rêver l’imagination d’un barbare. Dans le voisinage de la mer, le sol est léger, sablonneux et, par conséquent, peu favorable à la culture. C’est seulement dans l’intérieur que la végétation tropicale reprend ses droits, et elle ne tarde point à être d’une richesse prodigieuse. C’est sur la zone stérile, découverte par des marins dieppois à la fin du quatorzième siècle, que plusieurs nations ont successivement formé des établissements qui n’étaient à l’origine que des grands foyers de la traite des nègres, et qui ont perdu momentanément une grande partie de leur importance, dès que la chair humaine a cessé d’être une marchandise.
Les Hollandais et les Danois, et même les Anglais s’étaient donc contentés de forts malsains, situés sur le bord de la mer, c’est-à-dire dans la partie inhabitable du pays, et n’avaient jamais songé à porter leurs établissements dans la région que peuplent des singes semblables à des hommes, et des hommes semblables à des fauves.
Les Danois ont occupé pendant plus d’un siècle les forts de Friedersborg, de Christianborg, de Kœnigstein, dont l’Angleterre hérita en 1849 par un traité d’acquisition.
Les Hollandais ont longtemps possédé à la côte d’Or des établissements d’une importance encore plus grande : Saint-Georges-d’Elmina, le principal comptoir de tout le pays, et Crèvecœur, en même temps qu’une multitude de villages et de territoires peuplés par plus de 100 000 habitants.
Un peu avant cette époque (janvier 1871), nous avons abandonné spontanément les possessions que nous avons récemment réoccupées sur cette côte. À la suite d’explorations et de traités passés avec les chefs indigènes, nous avions en effet acheté, il y a trente ans, les comptoirs d’Assinie et de Grand-Bassam, situés l’un et l’autre sur les frontières de la côte d’Ivoire. Une révolte qui avait éclaté en 1853 et dans laquelle le général Faidherbe, alors simple capitaine du génie, avait commencé à se faire connaître, ayant été réprimée, nous serions encore établis dans ces régions, si l’on n’avait été réduit par les malheurs des temps à économiser la solde d’une centaine de soldats nègres, et l’entretien de quelques embarcations de guerre. Grâce à ces circonstances funestes, les Anglais sont donc actuellement les maîtres incontestés de tout ce vaste territoire : quoiqu’ils soient obligés de respecter la neutralité du pays que nous avons occupé, ils n’ont plus à redouter une influence étrangère, rivale de la leur.
Leur capitale est le château du cap Corse, ville de 16 000 âmes, la plus peuplée de la côte après Saint-Georges-d’Elmina, longtemps sa rivale. Malheureusement pour les Anglais, la cession que les Hollandais ont faite de leurs droits ne paraît point avoir été acceptée avec une égale satisfaction par tous les habitants de la côte. Les gens d’Elmina, ayant accueilli les Achantis, ont vu leur ville brûlée de fond en comble par des navires de guerre de Sa Majesté britannique. Mais ce succès n’a point empêché les Achantis d’envahir successivement toutes les parties du territoire occupé par les alliés de l’Angleterre et de cerner étroitement les Anglais dans le château du cap Corse, après avoir battu leurs auxiliaires. Le plus redoutable ennemi contre lequel les Anglais aient à lutter est sans contredit la fièvre, compliquée cette année de la petite vérole. Les causes de cette épidémie désastreuse sont attribuées au système vicieux de construction des fosses d’aisance qui paraissent infecter les eaux potables. — La capitale des Achantis se nomme Coumassiet, ville située au nord de la chaîne du littoral, et leur empire s’étend jusqu’aux premiers rameaux des monts Cong. Cette chaîne du littoral est d’un accès fort difficile, non point parce que ses hauts sommets sont très élevés, mais parce que ses pentes sont couvertes d’une végétation inextricable. C’est par le fer et le feu qu’une armée peut seulement arriver à s’y frayer un passage. Aussi les Achantis, qui peuvent, dit-on, mettre sur pied deux cent mille guerriers pour défendre leur territoire dans le cas d’invasion étrangère, doivent compter sur la nature plus encore que sur leur nombre.
Leur puissance date de la fin du dix-septième siècle, époque à laquelle un guerrier, nommé Saï-Toutau fonda leur monarchie, où le pouvoir se transmet par ligne collatérale féminine. Ils ont été quelquefois assez heureux dans leurs guerres contre les Anglais, car ils conservent à Coumassiet le crâne du général Mac-Carthy, tué dans un combat en 1828. Leur roi, nommé Coffy Calcaly, s’en sert pour boire le vin de palmier dans les occasions solennelles, alors qu’on procède à d’horribles sacrifices humains pour rendre les fétiches favorables.
C’est sur les territoires abandonnés par la France que les Achantis se procurent actuellement des armes, que leur apportent des nègres Fantis, très-actifs courtiers de ce commerce interlope. Ce n’est point à nous qu’il importe d’examiner s’il est à espérer que cette circonstance ramène notre pavillon dans ces régions. Mais nous ne pouvions donner une idée de la géographie de ces contrées sans raconter sommairement l’histoire des vicissitudes auxquelles notre domination y a déjà été soumise, et qui ne sont peut-être point les dernières.
Au sud de la côte d’Or, commence la côte des Esclaves, également connue sous le nom de royaume de Dahomey. Cet empire barbare est encore plus célèbre que celui des Achantis par les horribles cruautés qui s’y commettent. On y trouve cependant une oasis où l’humanité exerce tous ses droits les plus raffinés, et où brille le dévouement le plus sublime : c’est l’établissement français d’Onydat, occupé maintenant par des sœurs dépendant de l’évêque du Gabon, et qui, abandonnées à elles-mêmes, car la France n’a jamais pris possession de ce territoire, n’ont en quelque sorte que Dieu pour les protéger sur la terre. Autour de ces religieuses se sont groupés des noirs affranchis, que ces admirables filles ont élevés à vivre libres ; sans y avoir aucun droit, ils arborent le drapeau de la France, dont ils ont appris à balbutier la langue.
La mort du roi de Dahomey, qui est toute récente, donnera peut-être lieu à des complications nouvelles, et, par conséquent, ajoutera un nouvel intérêt aux conquêtes morales que la vertu chrétienne a su faire sur une côte où règne le paganisme le plus sauvage.