La Liberté du travail, l’association et la démocratie/10

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CHAPITRE VIII

L’ASSOCIATION. — LES ASSOCIATIONS OUVRIÈRES.


I
L’homme n’est pas seulement un individu libre et responsable, il est aussi un être sociable. Cette sociabilité prend dans le travail une foule de formes. Ce qu’on appelle la division du travail en est une. Bien loin d’être un témoignage de l’isolement de l’individu, elle crée entre toutes les tâches et entre tous les travailleurs une vaste solidarité. L’échange est la manifestation économique la plus éclatante de la sociabilité. Mais il est des formes de la sociabilité dans le travail plus spéciales et plus particulièrement adaptées aux sociétés démocratiques. C’est de celles-là que je voudrais parler. Reconnaître, constater la puissance de l’association, en recommander l’usage est un des principaux objets que je me suis proposé.

Voici ce qu’écrivait il y a environ trente ans un publiciste éminent : « S’il y a dans l’homme un principe d’indépendance personnelle, il y a aussi un principe non moins puissant et non moins sacré de fraternité et de secours mutuel : le vrai, le bien, l’utile, se trouvent dans l’harmonie de tous les principes de notre nature sous l’empire de la raison. » Et le même publiciste ajoutait : « Dans les sociétés modernes, l’individu est trop isolé, trop concentré en lui-même ; cette même fierté qui l’isole, l’affaiblit, et cette même indépendance personnelle qui l’élève, devient une cause de retardement et de faiblesse pour tous. Le correctif, c’est l’association volontaire. Malheureusement le public n’a pas encore une vue bien nette des conditions du problème qu’il est appelé à résoudre : aussi le progrès que nous signalons ne peut-il être improvisé : c’est un but vers lequel nous avançons un peu tous les jours. Entre la dissolution des anciens liens et la formation des liens nouveaux qui, sous l’empire de l’égalité civile, doivent réunir et coordonner les forces individuelles, il devait y avoir un état intermédiaire, une époque transitoire, agitée difficile, livrée aux passions et aux controverses des hommes. Cet intervalle, plein de difficultés et de périls, nous sommes près de le franchir : on peut en apercevoir distinctement la ligne extrême. » Ces paroles de Rossi contenaient la critique des économistes trop systématiquement indifférents ou hostiles aux progrès de l’association, donnaient raison non pas certes aux vains rêves et aux faux systèmes mais aux pressentiments et aux appels de ceux qui invoquaient l’association comme un des remèdes aux souffrances des classes ouvrières. Ce que M. Rossi, cet esprit ferme et judicieux, si peu enclin lui-même aux illusions de l’utopie, annonçait en termes si clairs et si assurés, est en voie de se réaliser. On dirait que nous touchons à cette ligne extrême qu’il est dans la destinée de la moitié du XIXe siècle de franchir. C’est un mouvement qui fait peu de bruit. Mais la tâche des esprits sérieux, dans l’ordre de la politique et de l’économie sociale, est de se montrer attentifs à ce sourd travail par lequel les sociétés se modifient jour à jour. À croire épuisées toutes les combinaisons économiques, il y aurait une illusion extrême. Le monde ne s’arrête pas. Il se transforme lentement, mais sans cesse. Pendant que l’on répétait encore les paroles d’Aristote en faveur de la perpétuité de l’esclavage, l’esclavage achevait de s’en aller. Puis ç’a été le tour du servage, des corporations. Le travail libre, lui aussi, sans rêver des transformations aussi radicales, peut revêtir plus d’une forme. Déjà, grâce au crédit, l’association des petits capitaux a pu donner à une société démocratique dont les fortunes présentent le spectacle d’un morcellement parfois extrême, une puissance de création industrielle dont l’ancienne société, aux jours les plus brillants de sa prospérité et de sa force, n’avait pas même l’idée. En face du mouvement d’agglomération qui associe les capitaux, l’isolement des individus qui travaillent, poussé au degré où il l’est, frappe comme une anomalie !

Ce n’est pas que je m’étonne qu’au point de vue de l’association, le capital ait pris et dû prendre mieux et plus vite que le travail son assiette et son équilibre. Le capital représente la force acquise, l’intelligence éprouvée, l’expérience. Ses écarts, ses écoles, ses crises même, sont les maladies d’un corps ordinairement sain et vigoureux. Il en sort plus fort, plus vivace, mieux discipliné. Il est en outre de sa nature plus mobile, plus malléable, plus susceptible de se prêter à toutes les combinaisons que les volontés individuelles engagées dans le travail. Il y a pour celles-ci un principe d’indocilité, de résistance, aussi bien dans ce qui fait leur valeur et leur dignité, que dans leurs imperfections et leurs faiblesses. Associer des individus, des personnes vivantes, c’est-à-dire pourvues de liberté et animées de passions, sera toujours une œuvre infiniment plus difficile que d’associer des valeurs.

Est-ce une raison de conclure à l’impossibilité de l’association des travailleurs ? Faut-il à l’excès réduire le champ du possible parce que des imaginations enthousiastes et des esprits abusés l’ont à l’excès étendu ? L’expérience elle-même ne le permet pas. Voyez, pour citer une espèce d’association qui n’a que des partisans, voyez les sociétés de secours mutuels. Quels progrès depuis environ vingt ans ! C’était le grain de sénevé. C’est un arbre aux rameaux vigoureux, étendus. Ne veuillez pas trop les diriger par une indiscrète ingérence. Abstenez-vous d’une intervention trop défiante. Elles couvriront de leur ombre d’inépuisables générations nées et à naître.

L’association est dans la nature même, dans les besoins impérieux de l’humanité ! Partout où elle peut se produire, elle se manifeste. Elle se plie à la diversité même des buts dont l’accomplissement constitue la destinée totale de l’humanité. Partout, au sein de la grande société, des sociétés particulières poursuivent un objet spécial. La religion pousse à l’association. Elle enfante l’Église, et, au sein de l’Eglise, combien d associations diverses, d’Ordres puissants, plus durables que des empires ! La politique pousse à l’association. Glorieuses ou coupables, publiques ou secrètes, ces associations remplissent le monde de leurs oeuvres ou de leur bruit. La Ligue, la Fronde, les clubs de la Révolution, qu’est-ce, sinon de l’association ? L’industrie pousse à l’association autant et plus que nulle autre puissance. Dans l’isolement, l’homme ne produit rien ou presque rien. L’échange est une association qui de l’individu s’étend au monde. La division du travail qui a l’air d’isoler les individus aussi bien que les tâches, cache et contient le fait de l’universelle coopération. Association aux mille replis, échange immense de services rénumérés, compensés les uns par les autres, voila la société ! Est-ce donc l’association entre ouvriers qui est nouvelle ? Pas davantage. La Grèce et Rome ont leurs corporations, leurs hétairies. Le vieux Paris travailleur du temps des Césars nous montre une association de bateliers.

Aujourd’hui l’association tend à descendre dans les plus profondes couches populaires, de même qu’à envelopper un plus grand nombre de situations de la vie. Mouvement excellent sous deux conditions : la première, c’est que la liberté individuelle et la responsabilité morale n’en souffriront point d’atteintes ; la seconde, c’est qu’elles y gagneront, car l’association n’est pas un fait indifférent ; ou elle aide l’individu à se développer, ou elle contribue à l’étouffer. Pour qu’elle ne soit pas une diminution de la liberté, il faut qu’elle en soit un complément et une extension. C’est à ce but que nous devons tendre.

L’Angleterre a résolu le problème ; elle le résout du moins de plus en plus, à la satisfaction de l’économiste et du politique. Nulle part l’individu n’y est en général plus lui-même, nulle part l’association n’y est plus florissante. Non que je veuille dire qu’elle a atteint là non plus la perfection. Elle en est loin sans doute : elle est loin encore de cette perfection purement relative, la seule qui appartienne aux choses humaines, trop heureuses quand elles y parviennent ! Mais c’est là que l’association, même celle des ouvriers, a fait le plus de progrès. C’est là que l’association rencontre aussi le moins d’entraves. Jetons-y donc un coup d’oeil, mais sans perdre de vue la France. C’est à la France que nous viendrons ensuite plus directement.

L’association ouvrière forme l’application la moins connue de cet esprit d’association si puissant qui, en Angleterre, comprend tous les actes et presque toutes les pensées et tous les désirs, celui de travailler ou de refuser de travailler, celui de manger et de boire avec tout le confortable désirable, et même avec quelque excès, ou le désir tout contraire de demeurer tempérant jusqu’à l’exclusion des boissons fermentées et de la viande. Dans l’ensemble, en général plein de grandeur, de l’association chez les Anglais, se détachent les nombreuses sociétés ouvrières dont les plus vastes accroissements sont le fruit des vingt dernières années. On ne saurait en faire honneur au socialisme, doctrine qui compte peu d’adeptes dans la Grande-Bretagne. Le développement des associations y prouve donc seulement une chose, c’est qu’entre l’association et le socialisme il n’y a nulle solidarité.

Parlons avec quelques détails de ces diverses sortes d’associations entre ouvriers. En voici d’abord une dont le développement est bien fait pour nous frapper. Les sociétés dites d’amis ( friendly societies ) tiennent dans l’organisme industriel de ce grand pays une place dont on a de la peine à se faire une idée. Il ne faudrait pas croire d’ailleurs que sous la forme de sociétés de prévoyance et d’assistance mutuelle l’association ouvrière y date d’hier. Les historiens de l’association remontent, pour en rendre compte, jusqu’à des époques fort reculées. Sans aller au delà du dernier siècle, citons-en quelques-unes, par exemple deux associations qui ont des statuts datés de 1703 et de 1705. L’association des cordonniers de Newcastle upon Tyne remonte à 1719. Une autre ( l’Amiable Society ), qui repose sur des combinaisons d’assurance, fut fondée par la charte de la reine Anne en 1706. Une particularité curieuse est à noter ici, de laquelle il résulterait que nous ne sommes pas, nous autres Français, aussi incapables qu’on veut bien le dire et que nous nous plaisons souvent à le dire nous-mêmes, de la faculté d’association. Les Français ont concouru pour une part notable à la fondation des sociétés d’amis en Angleterre. « Quelques personnes, dit un des plus habiles et des plus récents historiens de ces sociétés[1], veulent même que les Français puissent revendiquer absolument l’honneur des premières sociétés de ce genre, et que, par un pareil exemple, ils aient indirectement, mais grandement, acquitté la dette qu’ils contractèrent, lors de la révocation de l’édit de Nantes, vis-à-vis de la nation dont ils reçurent l’hospitalité et les généreux subsides. Ce qui est certain, c’est qu’un rapport officiel présenté au Parlement en 1858 énonce que, « lors de la révocation de l’édit Nantes, des Français réfugiés à Londres y fondèrent une société de secours réciproques sous le titre de Société des Parisiens. En 1703, une autre société mutuelle française s’établit à Londres, dans la paroisse de Bethual-Green, sous le titre qu’elle porte encore de Société normande. En 1764, une nouvelle association, qui, elle aussi, existe encore aujourd’hui, fut fondée dans la même paroisse, sous le titre de Société de Haute et Basse-Normandie. En 1765, toujours dans la paroisse de Bethual-Green, se fonda une société appelée jusqu’à ce jour Société des Picards et des Wallons. La Société du Lintot, ainsi appelée du nom d’une contrée de la Normandie, est la troisième société normande que possède encore Londres. Longtemps ces diverses sociétés, qui durent être d’un si puissant secours et d’une si grande consolation pour nos malheureux compatriotes chassés de France, chassés du Palatinat, chassés de partout, puis isolés dans une ancienne ville dont ils comprenaient à peine la langue, ont été exclusivement composées de Français. » Voilà donc l’association française à l’étranger. Elle est née de la persécution, de l’isolement et de la souffrance !

Les sociétés d’amis présentent une masse des plus imposantes. D’après le rapport publié en 1863, les sociétés amicales seraient au nombre de 20,000, comptant 6 millions de membres, et possédant 625 millions de francs. M. Gladstone évalue à 30,000 le nombre de ces sociétés. Telles sont les proportions colossales dans lesquelles se présente l’association en Angleterre. La seule Union des Odd-Fellows ( bons garçons ou drôles de corps ), la plus considérable de toutes, et dont le siège est à Manchester, paraît se composer aujourd’hui de 3,198 loges et de 287,573 sociétaires. Cette immense association peut assurer à ses membres, outre plusieurs avantages spéciaux, 12 fr. 26 c. par semaine en cas de maladie. 205 fr. à la mort du sociétaire, 153 fr. à celle de sa femme. Viennent ensuite par ordre d’importance les foresters et l’association des employés des chemins de fer. L’aristocratie se mêle à ce mouvement pour le diriger, comme elle se mêle à tout chez nos voisins. Les plus hauts personnages ont sous leur protection spéciale telle ou telle association ouvrière. On se fera une idée de l’extension qu’ont acquise ces sociétés par ce fait que sur la population totale de l’Angleterre on compte plus d’un sociétaire par cinq habitants. La proportion n’est encore chez nous que de 1 sur 76 !

Quelle assurance mutuelle qu’une telle masse d’individus associés ! Quelle puissance que celle qui repose sur le bon sens et la prévoyance de ces classes qui pourraient se rendre si aisément redoutables, mais qui ne font sentir le poids dont elles pèsent que dans le sens de la grandeur et de la sécurité de leur pays !

Ces grandes associations n’échappent pas pourtant au reproche de gaspillage. M. Gladstone, dans un de ses discours, ne le leur a pas épargné. On en accuse des réunions trop fréquentes, des repas trop abondants, des amusements trop prolongés. À côté du budget de l’épargne utile il y a le budget des consommations intempérantes. C’est une des causes qui contribuent à maintenir encore si considérable en Angleterre la proportion du paupérisme. Mais le bien fait par ces sociétés d’amis est incalculable, sans aucune comparaison avec leurs défauts, qu’il serait d’ailleurs injuste d’imputer à toutes également et de reprocher sans distinction à la grande masse des membres qui les composent.

En dehors des sociétés amicales se placent les sociétés connues sous le nom de Trades Unions. Ces dernières associations ont été formées surtout en vue du maintien ou de l’élévation du taux des salaires. Des grèves gigantesques, celles de Preston, de Manchester, de Glascow, de Colne, de Londres, la grève récente du pays noir et tant d’autres, les ont rendues célèbres même chez nous. Sans doute les Trades Unions donnent aussi des secours à leurs membres malades : mais, dans l’immense majorité des cas, leurs fonds sont attribués aux secours en cas de chômage, et lorsque le chômage a été ordonné par le comité même de l’union. Sans doute encore, depuis quelques années surtout, elles se préoccupent, elles aussi, pour la plupart, de certaines conditions de moralité chez les travailleurs qu’elles incorporent : ceux-ci ne franchissent guère le seuil des Workhouses et ils sont frappés d’exclusion s’ils ont forfait à la probité : mais ces analogies ne sont que partielles, Somme toute, il faut mettre les Friendly Societies fort au-dessus des Trades Unions. Tout ce qui est enlevé aux grèves, dont les ouvriers anglais tendent à s’éloigner, et que l’expérience leur a appris à juger comme des déceptions douloureuses, ôtera de leur raison d’être à ces formidables associations qui, au nombre de 2,000 il y a peu d années, comprenaient environ 600,000 membres et disposaient d’un fonds de 300,000 liv. st.

Si elles rapprochent les individus associés, de telles associations ne créent pas entre eux cette solidarité intime, quotidienne, permanente, de travailleurs, s’engageant de leurs personnes dans le succès d’une même entreprise. Il existe aussi des associations de ce dernier genre en Angleterre et en France. Partons-en plus à loisir.

II
L’association ouvrière qui en Angleterre a fait le plus de bruit est celle des Équitables pionniers de Rochdale. On ne saurait trop rappeler comment cette association, formée durant l’hiver de 1814, de vingt pauvres tisserands presque sans pain, et qui eut tant de peine, avec les économies les plus sévères de réaliser un capital de sept cents francs, parvint, à force de, persévérance, de bonne entente et d’heureuses inspirations, au plus haut degré de prospérité. Leurs premiers statuts indiquaient pourtant des visées bien hautes. Il s’agissait de réorganiser le travail sur de nouvelles bases, et, peu s’en faut, de régénérer le monde. Reconnaissons-le l’influence du célèbre réformateur Robert Owen se faisait sentir dans de tels projets, qui démentiraient ce que nous avons dit sur le peu de part qu’a eu le socialisme dans le développement des associations ouvrières, si ce n’était là une exception isolée.

Tous nos lecteurs connaissent les étonnants succès et les revers plus éclatants encore qui ont marqué la carrière du réformateur Owen[2], ce promoteur ardent de l’association, mais de l’association entreprise en dehors de toutes les idées saines en morale et en économie politique.

Curieuse destinée que celle de cette forte intelligence, animée des sentiments les plus humains, voulant faire de l’association ouvrière le levier de l’amélioration sociale ! Lui-même était né dans les classes pauvres et il occupait une place obscure lorsque ses talents et sa probité frappèrent l’attention de son riche patron, le manufacturier Dale, qui lui donna sa fille et qui le plaça à la tête d’une grande filature de coton, à New-Lanark, en Écosse. Ce village industriel, fondé sur les bords de la Clyde par le beau-père de Robert Owen, se composait de la lie de la classe ouvrière. Tout ce que mit en œuvre cette volonté puissante, cette âme charitable pour améliorer les mœurs d’une telle population et lui communiquer avec le goût du travail la possession du bien-être se conçoit difficilement. La bienveillance, la persuasion, l’exemple, furent ses seules armes. Son succès fut immense. Il1 changea la face de ce village, transforma en travailleurs actifs et en honnêtes gens des hommes paresseux et corrompus, et fit lui-même une très-grande fortune. L’homme avait fait réussir le système, d’ailleurs à peine indiqué alors, et qui ne se dessina complètement que lorsque le succès de New-Lanark fut devenu pour le réformateur un type absolu. Owen s’imagina que ce qui avait réussi sur un point donné réussirait partout par les mêmes procédés. La bienveillance universelle devint pour lui le secret de la régénération du genre humain, sans le secours des peines et des récompenses, ce qui le mena droit à la négation de la responsabilité humaine. Aussi l’immoralité fondamentale du système devait-elle porter ses véritables fruits, et l’échec de la colonie de New-Harmony, fondée par Owen dans l’État d’Indiana, restera à jamais la leçon du communisme. Cet échec ramena à des idées plus saines bien des adeptes : il n’ouvrit pas les yeux de l’opiniâtre réformateur : nous l’avons vu en 1848, parvenu déjà à un âge avancé, reprendre ( le moment semblait favorable ) ses ardentes et infructueuses prédications.

Les premiers ouvriers de Rochdale avaient été touchés de ce souffle réformateur, mais ils eurent le bon sens de rejeter loin d’eux les idées communistes. L’expérience eut bien vite corrigé ce qui restait d’excessif dans leurs ambitions de régénération sociale, et il n’y eut de remarquable chez eux que la modestie même de leurs opérations. On a pu lire dans un article du Quaterly Review, traduit par la Revue britannique, et dans une récente brochure, très-sympathique aux sociétés coopératives, écrite par M. Casimir Périer, d’intéressants détails sur les débuts de ces travailleurs. Ils se bornèrent assez longtemps à une association pour la vente en détail et au comptant de quelques denrées, farine, beurre, sel, au fond d’une boutique ou plutôt d’une espèce de trou noir, éclairée par un bout de chandelle, et où chacun venait vendre à tour de rôle le samedi soir. Les frais étaient faits par une cotisation de 31 c. par semaine pour chaque associé. Sachant se contenter d’un petit bénéfice sur chaque vente, mis à l’abri des pertes par la vente au comptant, qui ne souffrait pas d’exception, enfin vivant de presque rien, ils réussirent assez pour susciter bientôt contre eux une ligue de détaillants qui vendirent au-dessous du cours établi au magasin; c’était le nom qu’on donnait par moquerie à la petite boutique et qu’elle garda pour le justifier avec honneur. Ni les procès qu’on trouva moyen de leur intenter, ni de perfides manœuvres ne lassèrent leur persévérance et n’arrêtèrent leur succès. D’hebdomadaire la vente était devenue quotidienne en 1851. Avec la prospérité croissante on multiplia les entreprises. À côté du magasin général agrandi s’établirent des boutiques dans différentes parties de la ville, destinées non plus seulement à des ventes d’épiceries, mais à la boucherie, à la chaussure, au vêtement, à la draperie, à la lingerie. On fonda une bibliothèque, on établit des lectures, on créa même un enseignement professionnel. Voilà ce qu’avaient produit les 31 c. hebdomadaires donnés par chaque membre, auxquels s’étaient jointes des cotisations successives. Est-il besoin de remarquer que ceux qui menaient bien une pareille œuvre étaient des hommes de choix tant par leurs qualités morales que par leur capacité professionnelle  ? Pour qu’aucun mélange impur ne vînt compromettre l’oeuvre, les nouveaux venus étaient tenus de se faire agréer par le conseil de direction ou par l’assemblée générale. Quant aux combinaisons qui aujourd’hui encore assurent le succès de cette belle association, on les trouve aussi simples qu’ingénieuses. Chaque membre continue à verser la cotisation jusqu’à ce qu’il ait complété le prix d’une action de 25 fr. Nul ne peut avoir moins d’une action, nul n’en peut en avoir plus de cinq. Le surplus des fonds figure en compte courant au crédit personnel du dépositaire jusqu’à la limite de 2,500 fr. qui est un maximum. L’intérêt payé par l’association est de 5 0/0. Le retrait des fonds peut avoir lieu immédiatement jusqu’à 62 fr. 50 c. ; au-dessus il y a des délais fixés, selon l’importance de la somme. Acheter en gros, revendre en détail et au comptant, à un prix modéré, et en donnant toute sécurité à l’acheteur sur le poids et la qualité, voilà tout le secret de l’entreprise. Par une mesure aussi habile que fraternelle, l’association a su s’assurer la clientèle et la coopération de beaucoup d’ouvriers endettés. Elle a payé leurs dettes en leur faisant des avances qu’ils ont remboursées avec une scrupuleuse ponctualité pour la partie convenue. L’autre partie devait être payée par des retenues sur les dividendes de ces nouveaux associés. Une autre idée originale est venue enfin compléter le succès de l’association. Le simple fait d’acheter à l’association devint un titre constaté par un reçu à une part dans les bénéfices, qui fut proportionnelle à la quantité des achats. Il suffit d’avoir versé la somme obligatoire de 25 fr, pour acquérir cet avantage, qui ne laisse pas que d’être très-fructueux ; plus d’une fois, en effet, une part de 12 0/0 pour payer un trimestre est échue à une famille ayant acheté pour 100 fr. En laissant la somme au crédit de leur compte dans l’association, des acheteurs se trouvent posséder 12 à 1,500 fr. Telle est pour ainsi dire toute l’économie de cette association ouvrière qui attire aujourd’hui l’attention du monde civilisé : elle compte plus de 4,000 associés ; son capital dépasse 1 million. Pourtant ce merveilleux résultat n’épuise pas encore l’histoire du succès de l’association de Rochdale. Du commerce elle passa à la manufacture, non sans d’assez graves difficultés au début, qui furent surmontées avec la même sagesse, la même fermeté, le même bonheur. Elle eut d’abord un moulin. En 1856, elle y joignit une filature qui a, elle aussi, traversé, non sans de rudes épreuves, la crise de la guerre d’Amérique, et qui se sert aujourd’hui des machines à vapeur les plus perfectionnées et les plus coûteuses. La filature et le moulin ont fait en 1863 pour 6 millions 500,000 fr. d’affaires.

On se tromperait fort en voyant dans cette magnifique réussite des équitables pionniers un échec quelconque pour les enseignements de l’économie politique. Bien loin de là, ces enseignements ont tous été respectés, et il n’est qu’exact d’affirmer que c’est par le respect même des principes économiques que l’entreprise a réussi. Les droits du capital ont d’abord été pleinement reconnus. Le capital, qui représente une avance, a vu sa part évaluée à un taux notablement supérieur à celle du travail. À Rochdale, le capital ne reçoit pas seulement un intérêt, mais une part dans les bénéfices, ce qui n’empêche pas celle du travail d’être assez élevés. On évalue de la manière suivante les parts respectives, dans la supposition de l’intérêt à 5 et du dividende fixé à 6 0/0 Le capital versé dans l’entreprise, en admettant que son possesseur travaille ailleurs, perçoit 111 fr. ; le travailleur qui n’a rien versé, et qui gagne 100 fr. pour son salaire, reçoit 106 fr. ; enfin le travailleur qui n’a gagné que 75 fr. pour son salaire, mais qui possède une action de 25 fr., touche 107 fr. 25 c.

L’exemple des équitables pionniers de Rochdale était trop frappant pour ne pas être contagieux. Aussi les imitations ont-elles été nombreuses. Quelques-unes ont échoué, celle de Coventry, par exemple. Et pourquoi ? C’est que les principes d’économie sévère et peut-être les sentiments de bienveillance mutuelle et de réciproque dévouement qui avaient commencé et qui ont presque fait le succès de Rochdale paraissent n’avoir pas trouvé le même accès auprès des associés. On avait trop donné aux jouissances ; on avait converti même des terres coûteusement achetées en jardins d’agrément. Mais si plusieurs de ces imitations n’ont pas réussi, il faut reconnaître que d’autres en assez grand nombre prospèrent, et c’est là un résultat des plus importants. On cite l’association de Leeds, qui, partie en 1848 de commencements moins humbles que les tisserands de Rochdale, mais bien modestes aussi, s’appliqua avec un succès croissant à l’exploitation de moulins, montés et possédés exclusivement par des ouvriers. L’association de Leeds a vu en dix années le nombre de ses associés porté à 3,000 membres ; elle a vendu pour 1 million 500,000 fr, de farine, et réalisé un bénéfice de 62,000 fr., avec un capital engagé de 280,000 fr. Un rapport du greffier des sociétés amicales a constaté, à la date de décembre 1865, l’existence de 454 associations enregistrées. Les 381 sociétés qui ont, à cette époque, envoyé leurs rapports comprenaient 108.558 membres, et le total des ventes ou consommations s’est élevé pour 1863 à la somme de 65 millions 668,525 fr. Étant mise à part l’association de Rochdale, on trouve, pour chacun des membres composant ces sociétés, une consommation égale à 55 millions 380,000 fr., soit-environ 510 fr, par tête. Les bénéfices réalisés par ces sociétés, c’est-à-dire l’économie faite sur la dépense et constituée en épargne, s’élève pour cette même année à 5 millions 310,000 fr.[3].

Pour que les résultats dont nous avons esquissé l’historique puissent se produire, il ne suffit pas qu’un peuple soit bien préparé à l’association par l’ensemble de ses moeurs et de sa civilisation politique et économique. La condition première, sinon absolument suffisante, pour que l’association prospère, c’est que la loi n’y mette pas d’obstacles. Même en Angleterre, il a fallu, pour favoriser les récents progrès de l’association ouvrière, les changements introduits dans la législation depuis quelques années par les nouvelles lois sur les associations, et principalement par la loi de 1863, sur les sociétés de prévoyance. En France, la liberté de l’association industrielle trouve dans la loi son principal empêchement. L’auteur de la brochure sur les sociétés coopératives, que je viens de citer, M. Casimir Périer, n’a pas de peine à prouver, le texte de la loi en main, que l’association des pionniers de Rochdale n’aurait pas été possible en France. Ainsi qu’il le remarque, la loi du 23 mai 1863, sur les sociétés à responsabilité limitée, n’a presque rien fait dont puissent profiter les sociétés de coopération. Elle ne dispense de l’autorisation exigée par l’article 37 du Code de commerce que les sociétés commerciales qui observent les dispositions des articles 29. 30, 32, 33, 34, 36 et 40 de ce Code. Le capital doit être divisé en actions cessibles (art. 34 et 36). Cela est contraire au principe de la plupart des associations, cela est tout à fait impossible pour les sociétés coopératrices de crédit et de travail, qui doivent, en raison de la mutualité et de la solidarité, rester libres d’accorder ou de refuser l’admission dans leur sein. La loi ne permet pas la division en actions ou coupons d’actions de moins de 100 fr, lorsque le capital n’excède pas 200,000 fr. ; de moins de 500 fr., lorsque le capital est supérieur. Elle ne permet la constitution des sociétés qu’après le versement du quart au moins du capital souscrit (art. 4). Les dispositions de ces deux articles s’opposent à la formation graduelle du capital par cotisations successives, ce qui est la base fondamentale des sociétés de coopération pour qu’elles soient accessibles à tous. En outre, le minimum des coupons d’actions est porté trop haut, et l’obligation du versement préalable du quart du capital souscrit équivaudrait souvent à une interdiction. La loi impose aux administrateurs (art. 7) l’obligation d’être propriétaires, par parts égales, d’un vingtième du capital social, ce qui, dans les associations nombreuses, ne permettrait pas de composer le conseil d’administration, ou pourrait en exclure les membres les plus capables. Il faut permettre aux sociétés de coopération de réunir les conditions qui sont indispensables à leur existence, ou sans lesquelles elles ne peuvent avoir qu’une existence précaire, si on veut leur ouvrir la voie qui leur a si bien réussi ailleurs, si on veut que la France ne reste pas trop étrangère au mouvement qui s’accomplit à côté d’elle[4].

Malgré l’absence d’une suffisante liberté d’association industrielle, l’association ouvrière a poussé néanmoins en France plusieurs rejetons ; elle s’y présente sous diverses formes. Il nous reste à voir où elle en est aujourd’hui, et à discuter sa valeur en elle-même.

III
On ne prononce guère en France le nom de l’association sans éveiller des préventions et des craintes. Ces préventions sont antérieures à la formation et aux échecs des associations ouvrières de 1848. Toutes nos lois portent l’empreinte de cette défiance, et la libérale Assemblée constituante de 1789 a donné elle-même cet exemple, dans la crainte avouée de voir renaître ces corporations industrielles pleines d’iniquités, toutes pénétrées d’abus qu’elle faisait disparaître pour y substituer la libre concurrence dans le travail. Peut-être aussi faut-il rapporter ces préventions contraires à l’association à l’influence de la philosophie générale du temps, habituée, comme on le sait, par sa méthode même et par tous ses penchants, à

considérer l’individu isolément. Tous les philosophes du dix-huitième siècle isolent pour ainsi dire l’individu humain pour mieux l’étudier, du moins à ce qu’ils croient. Condillac isole l’homme métaphysique et en fait une statue vivante, recevant toutes ses idées du monde extérieur, sans aucun secours de la société ; Helvétius isole l’homme moral dans son moi égoïste, devenu le centre et la mesure de toutes choses ; Rousseau isole son élève le plus possible de tout contact avec ses semblables ; le sauvage, errant seul au milieu des bois, est présenté comme le type auquel doivent être ramenées toutes nos opinions pour en éprouver la vérité, toutes nos institutions pour en contrôler le mérite ; enfin, sous le nom de droit naturel, on imagine une théorie qui le plus souvent fait abstraction de la tradition, cette sociabilité dans le temps, comme l’unité de langue et d’éducation, et la puissance de l’échange, s’appliquant aux idées et aux produits, forme la sociabilité dans l’espace. Qu’y a-t-il donc d’étonnant que cette génération, nourrie des théories et des sentiments qui dominaient alors l’esprit humain, ait paru touchée des droits de l’indépendance individuelle jusqu’à oublier, jusqu’à sacrifier quelquefois ceux de l’association, sauf à se rattraper pour ainsi dire du côté d’une centralisation excessive, legs de la monarchie accru par la République ?

Depuis lors, combien de fois l’association n’est-elle pas apparue à la France comme un épouvantail ! Elle a eu peur des associations, des congrégations religieuses, peur des associations politiques et des clubs. L’association dans le travail, l’association des ouvriers dans l’industrie travaillant à leurs risques et périls, la France ne l’a entrevue également qu’au milieu du nuage de sang des journées de juin et au bruit de chutes successives. Le souvenir du socialisme pèse sur l’association comme le souvenir de la Terreur a pesé longtemps et pèse encore peut-être sur la liberté. Il faut envisager la question avec sang-froid. L’association ouvrière en vue de produire est-elle possible, est-elle désirable ? dans quelle mesure et sous quelles conditions ?

Est-elle possible ? On l’a contesté. Des hommes d’une très-grande autorité lui ont refusé tout avenir. À ces condamnations trop sommaires l’association a répondu en existant. Elle existe en Angleterre, en Belgique, en France même. Il suffit de quelques succès durables, et nous verrons qu’il y en a même en France, – pour ôter sa valeur à l’objection d’impossibilité.

C’est bien assez que l’association ouvrière offre de sérieuses difficultés. Il s’agit d’abord de remplacer le patron, le chef d’entreprise. Comment le remplacera-t-on ? Sera-ce par le gouvernement direct des ouvriers votant sur chaque mesure, spéculant, administrant, dirigeant et travaillant à la fois ? C’est de l’anarchie pure et simple. Sera-ce par un gérant ? Sera-t-il révocable, et à quelle échéance ? Quel gérant que ce coassocié qui tremble sans cesse sous le jugement de ses pairs ? Où est son indépendance ? Un gérant, même investi de pouvoirs suffisants, aura-t-il au même degré que l’entrepreneur l’esprit des affaires ? Trouvera-t-il dans son dévouement, même convenablement rémunéré, car j’écarte l’absurde hypothèse de l’égalité des salaires, l’équivalent du stimulant puissant de l’intérêt personnel chez un homme qui engage toute sa fortune, tout son avenir et celui de sa famille ?

Ces objections sont triomphantes contre l’application de l’association ouvrière à toute l’industrie. Elles sont loin d’avoir une valeur absolue contre toute entreprise formée en dehors des cadres de l’organisation actuelle. Que des hommes de choix se réunissent, qu’ils confient à l’un d’entre eux ayant les qualités qui constituent le bon commerçant la gérance de leur entreprise, il n’y a nulle impossibilité à ce qu’ils prospèrent, à ce qu’ils trouvent dans l’association de leurs petits capitaux et dans la combinaison de leurs efforts les éléments d’un succès. On a soutenu que l’industrie morcelée, que celle du moins qui se contente d’un très-petit nombre d’auxiliaires, pouvait seule s’accommoder de ce régime. C’est encore vrai pour la généralité des cas. Pourtant les exemples de Leeds et de Rochdale, dans lesquels il s’agit de filatures occupant une masse d’ouvriers, s’opposent encore à cette déclaration d’impossibilité absolue. N’oublions pas aussi que, même dans la grande industrie, on voit à côté d’immenses manufactures exister et se développer de petits ateliers. Il faut conclure seulement que l’association ouvrière, déjà difficile quand il s’agit d’un petit nombre d’ouvriers dans la petite industrie, l’est beaucoup plus quand il s’agit d’une masse considérable d’hommes dans l’industrie manufacturière, où le besoin de l’unité parfaite dans la direction et la présence d’un fort capital se font sentir plus particulièrement. L’association ouvrière n’est donc pas impossible, et plus se répandront la moralité, l’instruction, la capacité professionnelle, l’intelligence des conditions auxquelles a été mise la réussite des entreprises, plus on conçoit qu’elle puisse tenir, de place dans le travail. On demande en second lieu si l’association ouvrière est désirable. Il est difficile de ne pas répondre affirmativement, à condition qu’elle ne soit pas, qu’elle ne vise pas même à être une forme absorbante pour l’industrie, ce qu’une foule de raisons rend impossible. Si l’association met plus fortement en jeu la responsabilité, contribue à développer le goût du travail et des habitudes d’ordre, il n’est pas douteux qu’un certain degré d’extension de cette forme de travail ne soit un bienfait pour l’industrie, pour les associés, pour le pays lui-même. Or, comment nier que l’ouvrier travaillant à ses risques et périls ne soit autrement stimulé que l’ouvrier salarié ? Il a au succès de l’entreprise un intérêt direct. N’est-ce pas ce sentiment que les commerçants savent exploiter déjà en intéressant leurs commis à un bénéfice, et que de grandes compagnies ou d’importantes maisons mettent en jeu, avec une philanthropique habileté, par une certaine participation de leurs ouvriers à leurs profits ?

Le rêve, où donc est-il ? C’est de vouloir exclure le salariat, cette forme de rémunération qui a ses avantages incontestables et sa place prépondérante dans l’industrie. L’association elle-même n’exclut pas l’emploi d’un certain nombre d’auxiliaires salariés par les associés, qui deviennent ainsi comme de petits patrons. Dans un certain nombre de cas, cette combinaison s’est réalisée et elle a bien réussi. On parle beaucoup de la société de l’avenir. Autant que nous pouvons nous en faire une idée, bien loin d’être l’exagération de l’unité, elle aura pour caractère de voir se produire et se développer librement dans leur riche variété les formes et les types les plus divers.

Le rêve encore, c’est de vouloir supprimer la concurrence. Heureusement, l’association ouvrière ne la supprime pas ; autrement, il faudrait la sacrifier ; car, quelque bienfaits qu’on puisse en attendre, ils compteraient pour peu s’il fallait les mettre en balance avec les avantages que la concurrence développe dans la production au profit de la masse sociale tout entière.

Enfin l’association ouvrière ne peut-elle, dans une certaine mesure, servir de contre-poids à ces vastes et absorbantes concentrations opérées par le capital dans bon nombre d’entreprises ? Il y aurait un danger sérieux à ce que ces concentrations énormes tendissent trop à se multiplier et à s’exagérer. Tout en souffrirait, la production et la consommation. Au lieu de l’économie dans les frais généraux, on n’aurait que les inconvénients du monopole. Pourquoi l’association ouvrière ne constituerait-elle pas en face de ces agglomérations, dans les cas où c’est possible, la moyenne et la petite industrie au sein de la grande société laborieuse ?

Au surplus, que demande aujourd’hui l’association ouvrière  ? Est-ce l’intervention, les subsides de l’État ? Est-ce l’emploi de la force pour l’imposer aux patrons ? Si de telles folies subsistent trop souvent encore, les travailleurs doivent s’attendre à en porter la peine. Mais non dans les exemples qui s’en produisent sous nos yeux, ce que l’association ouvrière demande, c’est tout simplement qu’on la laisse se former sans obstacles, que l’on supprime les entraves légales qui l’empêchent de se développer. Comment lui contester le droit de faire en quelque sorte son expérience dans les conditions du droit commun ?

Voyons où en est l’association ouvrière en France.

La plupart des associations ouvrières dont nous avons vu la chute depuis 1848 s’étaient formées en dehors et souvent même en haine des principes qui rendent possible une exploitation industrielle quelconque. Elles étaient nées sous l’astre mortel de l’utopie. Toutes n’étaient pas pénétrées pourtant au même degré de cette funeste influence. Ainsi il ne serait pas juste de confondre l’action exercée par la démocratie néo-chrétienne de M. Buchez, dont le journal l’Atelier fut l’organe, et qui commença dès 1831 à propager l’association ouvrière, avec les idées de rénovation radicale qui devaient un instant trôner au Luxembourg. Ceux que j’appellerais les ouvriers de l’école de M. Buchez étaient en général des hommes de moeurs rigides, réfléchis, d’une capacité exceptionnelle. Ils échouèrent pourtant dans la plupart des cas, parce que si les conditions morales sont indispensables au succès de l’association ouvrière, elles ne peuvent tenir lieu, néanmoins, des conditions économiques, qui péchèrent par plus d’un endroit. Les ouvriers qui fondèrent ces essais si honorables oubliaient qu’on peut être de très-bons travailleurs et de très-mauvais commerçants. C’est ainsi que s’explique, par exemple, la chute d’une société formée pour exploiter le brevet d’imprimerie de M. Lacrampe et dont le public admira les produits sans savoir quelle était l’organisation de l’établissement d’où ils sortaient. Inhabile à se faire payer par ses débiteurs, elle fut, par une conséquence inévitable, entraînée elle-même à s’endetter. Une autre de ces sociétés qui naquirent sous l’inspiration des idées et des sentiments qu’exprime le nom de M. Buchez subsiste non sans éclat encore aujourd’hui c’est celle des bijoutiers en doré. Elle débutait avec 200 fr. en 1835, et elle faisait en 1851 pour 130,000 fr. d’affaires par an ! Elle a pris encore de nouveaux développements. Elle est en pleine prospérité. Elle a fondé des succursales. Elle fut l’oeuvre, au début de quelques ouvriers d’élite, tous d’un catholicisme sévère. Cette association obéit à un gérant unique et emploie des ouvriers auxiliaires.

Sur les cinquante-six associations ouvrières qui, après 1848, eurent leur part des 3 millions votés par l’Assemblée à titre d’encouragement, quarante-deux sont mortes après avoir, pour la plupart, végété obscurément. Dans son curieux travail sur les associations ouvrières, publié il y a quelques années, M. Anatole Lemercier cite celles de ces sociétés subventionnées qui eurent plus de longévité que les autres. Ainsi la société des ouvriers d’appareils au gaz et à l’huile, qui reçut un prêt de 17,500 fr., et qui comptait une dizaine d’associés offrant des garanties sérieuses d’admission, avec un gérant unique et irresponsable, vécut plusieurs années. L’Union des veloutiers de Lyon, qui obtint un prêt considérable, 200,000 fr., a prolongé son existence jusqu’en 1862. Mais, il faut bien le dire, c’est à tort qu’elle a été inscrite par quelques-uns des historiens des associations ouvrières au chapitre des succès. La vérité est qu’elle a très-malheureusement échoué. Un rapport adressé en 1858 à tous les créanciers de la Société des veloutiers par le mandataire judiciaire chargé, dès 1856, de liquider cette entreprise, en attribue l’insuccès à la direction insuffisante du gérant, à l’inexpérience des membres du conseil de surveillance, « à leur ignorance des données les plus communes du commerce, » à l’insolvabilité des commanditaires. À ces causes officiellement signalées par le liquidateur, l’auteur d’un ouvrage tout récent sur les associations ouvrières[5], qui a pu étudier celle-ci de très-près, ajoute le mauvais vouloir et l’inintelligence des ouvriers commanditaires, aussi disposés à réclamer leur part dans les bénéfices que rebelles à contribuer aux pertes. C’est ainsi que, sur la demande en payement que le liquidateur dut former contre eux du montant intégral de leur commandite, la plupart répondirent en excipant soit de la ruine de la société qui, à leurs yeux, devait les exonérer de toute obligation, soit de la clause qui leur permettait de réaliser leur mise de fonds, partie en espèces, partie en salaires d’industrie. Ils ne pouvaient comprendre que l’obligation d’un commanditaire consiste essentiellement à contribuer aux pertes sociales à concurrence du capital qu’il a promis, et que les stipulations particulières ayant pour objet de lui en faciliter le versement par la prestation de son industrie, à défaut d’espèces, ne sauraient être opposables aux tiers. En résumé, la Société des veloutiers a été dissoute avec un passif de 361,715 fr. (sur lesquels elle doit près de 200,000 fr. à l’État), et avec un actif de 166,428 fr. 89 c, seulement.

Nous reconnaîtrons pourtant avec une vraie satisfaction qu’il existe encore plusieurs associations qui remontent à cette époque et qui n’ont pas cessé de se développer. Telle est, par exemple, celle des menuisiers en fauteuils. Elle est gouvernée par un gérant unique revêtu d’un pouvoir

presque absolu, qui a même donné son nom à cette société, qu’on appelle l’association Antoine. Elle possède un excellent personnel. Elle présente enfin l’observation scrupuleuse des règles qui, dans la grande société laborieuse, établissent des rémunérations inégales pour des services inégaux. L’attention s’arrête à bon droit sur cette association qui débuta avec un capital social de 804 fr. 20 c., dont 369 fr. en outils et 153 fr. 20 c, en argent, et qui possédait en 1857 un établissement d’une valeur de 400,000 fr. ; elle avait même perçu un bénéfice de 110,000 fr. pour les dix premières années. À la même date, l’association des menuisiers en fauteuils comptait 68 associés, dont 8 en nom collectif, 60 en participation et plus de 100 auxiliaires. On doit accorder les mêmes éloges à l’Association des ouvriers en limes, qui a commencé avec 14 ouvriers et un capital de 2,280 fr. en matériel, et à peu près 500 en argent. Au bout de peu d’années, elle comptait 34 ouvriers, dont la moitié en nom collectif, l’autre moitié en auxiliaires, et faisant 80,000 fr. d’affaires par an. Je signalerai de même l’association des ouvriers imprimeurs qui, au nombre de quinze, acquirent le fonds de la maison Renouard où ils travaillaient depuis des années, et prirent le brevet de leur ancien patron. Une subvention de 80,000 fr. les aida à en payer le prix, qui était de 90,000 fr. Cette florissante entreprise est une preuve que l’association ouvrière peut vivre et prospérer. Au reste, ces ouvriers typographes se montrèrent fort peu enclins tout d’abord aux idées utopistes ; ils déclarèrent dans un langage très-propriétaire, comme on eût dit en 1848, que leur but était de travailler pour produire et d’épargner pour avoir. Leur projet de statuts portait que le gérant possède tous les pouvoirs du patron. Cela est clair et explicite[6]. La grande association des maçons, également fondée en 1848 sans aucun capital, est à la tête maintenant d’un capital de 250,000 fr.

Les ferblantiers-lampistes ont réalisé un des succès les plus honorables dont puisse se recommander l’association ouvrière, et cela à force d’économie et de travail. Leur association a traversé les plus difficiles épreuves et supporté courageusement les plus dures privations. La société ne comptait que 14 ouvriers en juillet 1849 ; elle en comptait 45 il y a trois ans, avec un actif à reporter qui s’élevait à 74,000 fr. Les ouvriers en pianos offrent une expérience non moins remarquable. Chez eux, le travail est payé aux pièces. C’est une garantie de plus de zèle et d’activité. Il y a en outre une part proportionnelle au bénéfice, réglée par tête et qui, à une époque encore peu éloignée, avait représenté 1 fr. en sus par journée de dix heures. C’est avec une réelle sympathie qu’on suit les péripéties par lesquelles a dû passer l’association, bien modeste d’abord, des tourneurs en chaises. Réduits à un état voisin de la misère, ils ne demandèrent rien pourtant sur le fonds de 3 millions. Nous avons voulu, disent-ils, ne devoir rien à personne et rester libres. Un tel sentiment, courageusement soutenu par une lutte de tous les jours, porta bonheur à l’association. Elle s’accrut d’année en année, et, à mesure qu’elle se développa, elle redoubla de surveillance morale sur ses membres. Ce caractère de moralité qui exclut ou punit tout acte contraire non-seulement à la loyauté la plus scrupuleuse, mais à la tempérance, à la dignité des mœurs au dehors, à la décence des propos dans l’atelier,

est extrêmement remarquable chez plusieurs de ces associations ouvrières. Il atteste le sérieux de ce mouvement, toute réforme efficace ayant besoin de commencer par la réforme intérieure de ceux qui l’accomplissent. C’est en se rendant digne d’une forme aussi difficile à mettre en pratique qu’on réussira à l’implanter dans le travail, non pas partout, encore une fois, mais dans des proportions auxquelles il est difficile d’assigner une limite précise.

À la fin de l’année 1861, il existait en France une cinquantaine d’associations coopératives tant de crédit que de consommation et de production. Il existe aujourd’hui à Paris 45 sociétés de crédit mutuel. La province participe aussi à ce mouvement. D’après les renseignements que fournit un nouveau journal destiné à lui servir d’organe, l’Association, on compte à Lyon trois grandes associations de productioni ; d’autres associations de teinturiers, de mécaniciens et de tisseurs fonctionnent ou sont en voie de se former. La grande association des tisseurs comprend plus de 1,800 membres, à la tête d’un capital dépassant 80,000 fr. Je sais même gré à ce journal, qui se dévoue avec une foi enthousiaste à l’association ouvrière, d’avoir fait entendre quelques prudentes réserves en disant que le mouvement à Lyon se prononce avec un entraînement, une furia française qui demandera bientôt à être plutôt contenue qu’aiguillonnée. Les associations de consommation sont de 14 ou de 15. Elles comptent de 15 à 1,800 membres. À Saint-Étienne, le mouvement d’association coopérative n’est pas moins sensible. La société des ouvriers rubaniers, constituée le 31 octobre 1863 (sous la raison sociale Dommartin, Laroche et Ce), comprend plus de 1,200 membres et possède un capital souscrit de plus de 600,000 fr. À Roanne (Loire), il y a une association d’ouvriers en cotonnade qui, dit-on, marche bien. À Aix, les ouvriers chapeliers, au nombre de 22, ont fondé une association qui a commencé au 1er janvier 1864 : depuis, de nouvelles admissions ont porté le nombre des associés à 40. En 1863, il s’est formé une association d’ouvriers tailleurs à Nantes et une à Bordeaux ; elles sont toutes deux en voie de prospérité. Au Havre, il vient de s’établir une société de consommation et d’approvisionnement dont les débuts paraissent très-heureux. À Pau, à Pouilly-sur-Loire, à Alger, des associations de consommation sont en train de se constituer. Tout ce mouvement, on le voit, est de date assez récente. Parmi les associations de production en province qui remontent à 1848 on ne cite, à notre connaissance, que les drapiers à Vienne (Isère) et les porcelainiers à Limoges.

Outre les sociétés de crédit mutuel, il s’est formé, depuis le 1er octobre 1863, une importante société dite de Crédit au travail, fondée et dirigée par M. Bétuze, et qui est destinée à créditer les sociétés coopératives existantes, à aider à la formation de nouvelles associations et à rendre en général le crédit accessible aux travailleurs dans les différentes branches de l’industrie. Fondée sur des principes analogues à ceux des banques populaires de l’Allemagne, elle mérite de réussir comme elles.

Du dernier rapport présenté par le directeur, il résulte que le nombre de ces associations ouvrières s’est fort développé depuis peu, puisque nous voyons la Société de crédit au travail en rapport avec des associations de boulonniers, de charpentiers, de cloutiers, de menuisiers en bâtiment, de peintres, de cordonniers, de tailleurs, de fondeurs en fer. Il s’en faut bien d’ailleurs que toutes ces associations prospèrent. Beaucoup sont dans une situation médiocre, plusieurs dans une position très-précaire. La prudence doit donc rester la loi suprême des ouvriers. Avant de s’engager dans l’association, il faut qu’ils mesurent leurs forces, et qu’ils ne s’y laissent pas entraîner par des déclamations contre le salariat. Car le salariat, condition de quiconque reçoit une rétribution fixe, le salariat, qui est le lot d’une portion même fort élevée de la société, ne manque ni de dignité ni d’une sécurité souvent plus grande que celle qui appartient à des bénéfices purement éventuels. Le salaire, nous ne saurions trop le répéter, gardera sa place, quoi qu’il arrive, par cent raisons morales et économiques, dans toutes les industries. Mais quand les conditions dictées par la prudence sont remplies, quand les moyens sont aussi louables que le but est honorable, comment ne pas assister avec un sympathique intérêt, et même avec espérance, à ce travail interne de la démocratie sur elle-même, à cet enfantement silencieux d’une organisation qui a sa place entre la corporation d’autrefois et le régime d’indépendance isolée qui prévaut aujourd’hui ? Au lieu des jurandes et des maîtrises, avec leurs oppressions et leurs iniquités, ce sera l’association volontaire et libre d’une élite intelligente et courageuse, d’un état-major suivi par une masse plus ou moins grande d’ouvriers pourvus de la capacité, de la moralité et du capital nécessaires à une pareille tâche. Même entre les ouvriers salariés il y a encore bien des manières de pratiquer l’association. La formation de syndicats en est une. Parler de l’association, comme nous le faisons ici avec éloge, ce n’est pas cesser d’être économiste pour devenir socialiste, ce n’est pas cesser d’être conservateur, dans le sens où ce mot n’exclut pas le progrès, pour devenir utopiste et révolutionnaire. Bien loin de là : c’est en s’inoculant l’association sous ses diverses formes que la société moderne pourra le mieux réussir, selon nous, à se préserver du socialisme qui la menace et qui la perdrait. Il est à désirer que les hommes qui occupent les rangs élevés de cette société le comprennent, afin qu’ils aident, au moins de leurs vœux sincères, cette transformation partielle des rapports que l’industrie établit entre les membres de la grande famille laborieuse.

Nous terminerons en disant un mot des applications de l’association aux sociétés de secours mutuels, aux logements et aux sociétés alimentaires.

IV
Concilier la mutualité avec le sentiment de la responsabilité personnelle, tels sont les termes dans lesquels s’est posé à nos yeux le problème de l’association, problème qui contient encore beaucoup d’inconnu. C’est le chef-d’œuvre de l’association quand, au lieu d’effacer l’individu, comme on le lui a reproché souvent avec raison, elle est employée comme ressort pour le développer. Elle atteint la perfection quand elle le modifie de telle sorte que les efforts de l’individu associé deviennent plus habiles et plus énergiques, ses prévoyances plus longues et plus fermes, ses travaux plus fructueux pour lui-même et pour la communauté. Le succès des associations ouvrières les mieux conçues est à ce double prix de supposer d’abord ces sentiments chez les associés et de les augmenter dans une forte proportion. C’est là ce qui fait le mérite moral et la puissance économique des sociétés de secours mutuels. Ces associations, dont personne ne conteste le mérite et l’avenir, combinent deux idées qui trop souvent apparaissent en complète opposition : l’assistance et la prévoyance, le secours reçu et la dignité personnelle. C’est l’assisté qui, moyennant un faible sacrifice consenti, s’assiste lui-même lorsque le malheur le frappe. Forme savante de l’assurance mutuelle contre la misère, ou du moins contre quelques-uns des embarras qu’elle amène, comme la difficulté de se faire soigner dans la maladie, de suffire aux frais des funérailles, etc. On a même vu là un levier qui, appliqué en sens divers, peut contribuer puissamment à changer la face de nos laborieuses sociétés. On répète qu’il n’y a point de panacée contre la misère, et rien n’est plus vrai. Ce n’est pas seulement l’Évangile, c’est la raison qui affirme qu’il y aura toujours des pauvres parmi nous. Mais cette pauvreté ne peut-elle être atténuée chez ceux qui en souffrent ? En second lieu, est-il permis de conclure de la pauvreté individuelle, née de circonstances accidentelles ou fruit volontaire du désordre, au paupérisme qui atteint fatalement des catégories entières, à la misère endémique et héréditaire qui frappe des générations successives ? Non assurément, et contre une telle interprétation donnée au christianisme la conscience humaine ne protesterait pas moins énergiquement que l’économie politique.

Ces réflexions s’appliquent aussi aux associations en vue de consommer. Nous y rencontrons de plus un sentiment qu’il n’importe pas moins de ménager et de développer que celui de la responsabilité ; nous voulons parler du sentiment de la famille. Une forme de l’association qui désorganiserait au lieu de le fortifier ce type primitif de toute association serait condamnée d’avance. Dans la critique toujours si vraie qu’il a faite de la république de Platon, Aristote remarquait déjà que les affections ne constituent pas un mobile de production moins puissant que l’intérêt égoïste. Allons plus loin il arrive souvent que le pur égoïsme préfère les jouissances immédiates, les satisfactions brutales, même suivies de privations, aux résultats heureux, mais éloignés de la prévoyance et de l’épargne. Le moi quand rien n’est là pour le soutenir et l’ennoblir en l’élargissant, vit beaucoup dans le présent, très-peu dans l’avenir. Il se jette sur le plaisir comme sur une proie assurée, aimant mieux s’étourdir que de s’attrister par des privations pénibles en vue d’incertains châtiments. Ce n’est pas là, nous dit-on, la voix de la raison ; qu’importe, si c’est la loi de la nature ? Le sentiment de la famille vient en aide à ce qu’il y a dans l’égoïsme de court et d’insuffisant. En substituant à l’idée du plaisir l’idée plus haute, plus compliquée et plus morale du bonheur, il met des devoirs à la place de cette sécheresse de cœur qui rapporte tout à elle-même. Combien voilà de freins et de stimulants ! et combien ils profitent à l’aisance particulière, à l’ordre public, à la richesse nationale ! Avec la prescription de respecter la liberté, l’association n’en connaît pas de plus obligatoire que de respecter le sentiment de la famille, sans lequel l’individu isolé n’est qu’un atome, n’ayant avec ce qui l’entoure que des rapports passagers ou fragiles.

Pourquoi les cités dites ouvrières, qui sont à coup sûr une des formes de l’association dans les classes populaires, ont-elles généralement si peu réussi, et pourquoi les maisons construites sur un autre modèle, particulièrement à Mulhouse, ont-elles obtenu un succès qui fait en ce moment notre admiration et notre espoir ? Les cités ouvrières ont échoué, parce qu’elles gênaient et inquiétaient la liberté de l’individu, et parce qu’elles semblaient en outre établir entre les familles une sorte de communauté. On n’était pas assez chez soi dans ces vastes et monumentales maisons si coûteusement construites à Paris et à Marseille. C’était parfait au point de vue de l’air et de la lumière. C’était, eu égard aux avantages matériels à un prix peu élevé. L’exécution, à beaucoup d’égards, était digne de l’intention, en elle-même fort louable. Mais ces règlements qui rappelaient la caserne, impossibles à éviter dans d’aussi populeuses habitations, ces règlements déplaisaient extrêmement. On croyait avoir toujours l’œil de la police ouvert chez soi. Partout régnaient de longs corridors où s’ouvraient les chambres et où l’on se rencontrait beaucoup trop souvent. Enfin les voisins étaient beaucoup trop nombreux pour n’être pas fréquemment désagréables, sans parler du rapprochement peu moral des ménages. Tout cela s’opposait à rendre jamais populaire l’usage des cités ouvrières. Plutôt respirer un mauvais air, plutôt un escalier humide, infect et être chez soi ! Voilà l’instinct de l’ouvrier. Et pourtant l’insalubrité du logement est souvent portée à un tel point qu’elle détruit ce chez soi si précieux, puisque sans lui, qui ne le sait ? c’est la dispersion et la ruine même de la famille. L’homme s’éloigne avec dégoût de ces affreux réduits, il s’éloigne dès lors de sa femme et de ses enfants. Parfois la femme elle-même le déserte. Ce n’est plus le foyer domestique, ce n’est plus que le lieu banal où l’on se réunit pour y dormir quelques heures. Et voila l’ivrognerie, les mauvaises distractions, l’immoralité, le vice, s’introduisant et s’établissant en permanence par cette espèce d’absentéisme d’un nouveau genre. C’est là qu’est le mal, et il est trop commun. Pour les uns, il semble inévitable, les salaires ne donnant pas de quoi vivre à la famille ouvrière ; pour les autres, plus à leur aise, le logement est la dépense sacrifiée ; on aime mieux donner plus à d’autres besoins. Il se passe chez les ouvriers juste le contraire de ce qui a lieu dans la classe supérieure, où le goût et les besoins de la vie de famille, se joignant aux exigences du décorum, portent cette dépense du logement jusqu’à l’exagération, eu égard à l’ensemble des ressources.

C’est une sorte d’association entre les patrons et les ouvriers, c’est d’abord l’association entre les premiers, sous forme de société industrielle, qui a résolu, par une combinaison ingénieuse, ce problème difficile. Les maisons de Mulhouse, ces maisons dont nous ont entretenu M. Louis Reybaud, M. Jules Simon, M. Audiganne, et plusieurs autres écrivains qui s’occupent des classes laborieuses, prennent aussi le nom de cités ouvrières ; mais elles diffèrent des cités dont nous avons parlé de toute la distance de la caserne à ce que les Anglais appellent le at home. Elles sont au nombre de plus de 700, et on en construit près de 100 chaque année. Environ 6,000 personnes les occupent aujourd’hui. C’est par le concours des patrons formant cette grande association connue sous le nom de Société industrielle, et des ouvriers leurs auxiliaires dans l’industrie, qu’elles sont nées et se sont multipliées. Le procédé auquel on n’est arrivé qu’après bien des tâtonnements et des essais semble aujourd’hui si simple, qu’on s’étonne qu’on ne l’ait pas trouvé depuis longtemps. C’est l’éternelle histoire de l’œuf de Christophe Colomb ! Rappelons seulement en quelques mots cette organisation aujourd’hui connue. La société civile des cités ouvrières de Mulhouse, qui s’est constituée en 1853 au capital de 300,000 fr., divisé en soixante actions de 500 fr. appartenant à douze actionnaires (il y en, a aujourd’hui dix-neuf), vend à un ouvrier une maison et un petit jardin. Elle fait le compte total de ses déboursés avec l’intérêt. Par une clause expresse de ses statuts, elle s’interdit tout bénéfice au delà de l’intérêt fixe de 4 0/0 que reçoivent les porteurs d’actions. L’ouvrier acquéreur devient le même jour propriétaire et débiteur. Il paye un à-compte de 400 fr., et doit non-seulement le capital, mais encore les intérêts arriérés et l’intérêt courant. La somme qu’il paye chaque mois, qui est de 18 à 25 fr., se compose du loyer calculé sur le taux des loyers ordinaires, et d’une très-légère augmentation représentant l’épargne, et plus spécialement destinée à l’amortissement. La société qui encaisse ces sommes les regarde comme la perception d’un à-compte sur sa créance, et en bonifie l’intérêt au débiteur, qui touche 5 0/0 sur tous les versements, de telle sorte que sa dette est diminuée d’autant, pour le principal et pour les intérêts. En dix, douze ou quatorze ans, suivant les conventions faites, la société a recouvré son capital avec les intérêts, et voilà l’ouvrier, sans que cela lui ait rien coûté qu’un peu d’épargne régulière, propriétaire à jamais, lui et les siens, d’une maison propre, commode et riante. Tout ce qu’il aime y tient, y vit à l’aise. Comment surtout oublier le petit jardin où jouent les enfants, où lui-même respire aux heures de repos, et où il trouve les éléments d’un gai, salubre et fructueux labeur ?

Ceci, disons-le, n’est guère moins qu’une révolution morale en même temps qu’économique ; c’est la famille reconstruite par la propriété, et la moralité reconstituée par la famille.

Chose digne de réflexion ! l’expérience qui s’est faite à Mulhouse n’est pas moins que la reproduction sur un petit théâtre du mouvement même de la société moderne depuis plusieurs siècles. C’est ainsi qu’elles se sont formées successivement, ces familles qu’aujourd’hui encore on appelle bourgeoises ! L’amour de la propriété bien dirigé a engendré le travail, l’économie, le capital. Les procédés sont encore les mêmes parce que le cœur humain n’a pas changé, non plus que l’éternelle nature des choses, parce qu’aujourd’hui, comme aux époques où peu à peu la richesse mobilière appela un nombre croissant d’individus aux lumières et au bien-être, il y a dans la propriété une admirable puissance pour arracher l’homme aux vices de l’imprévoyance. Liberté, propriété, dignité, causes et effets tout ensemble ! Où donc est-elle, la prédication aussi efficace contre le vice que cette perspective prochaine, assurée de la propriété ? Où est l’aumône qui ait contre la misère la même puissance préventive et la même action durable ?

Nul type de cité ouvrière n’est donc à mettre en comparaison avec celui de Mulhouse, imité dans plusieurs de nos grandes villes manufacturières. Il ne s’agit pas ici seulement d’une propriété quelconque à acquérir, mais, notons ceci, d’une propriété foncière, c’est-à-dire de cette propriété spéciale qui parle le plus à l’imagination et au cœur de l’homme ; n’est-ce pas celle qui ressemble le plus à un prolongement de sa vie même ? celle qui lui fait éprouver le plus vivement l’orgueil et la douceur de dire : Ceci est à moi ? celle qui se combine le mieux avec les joies de la famille, les rêves d’avenir et l’espoir du repos dans les vieux jours ? Sans doute un coupon de rente est, lui aussi, un vrai titre d’affranchissement pour le travailleur économe. Avec un livret de la Caisse d’épargne, c’est aussi sa liberté qu’il tient en main, c’en est du moins le premier fondement ; j’entends ici cette liberté réelle que procure la possession d’un capital. N’est-ce pas la liberté d’attendre en cas de chômage ou de maladie ? n’est-ce pas la liberté de discuter ses conditions de salaire plus à loisir avec l’entrepreneur ? n’est-ce pas enfin la liberté aussi vis-à-vis des besoins les plus pressants, assurés de trouver satisfaction ? Mais la différence est grande avec une maison où il s’abrite et qui est à lui ; propriété commode, jouissance de chaque jour ! Elle n’exclut pas, elle excite au contraire l’épargne prenant la forme des valeurs mobilières ; car l’ouvrier qui se trouve avoir acheté une maison rien qu’en payant son loyer pas beaucoup au delà du taux habituel pendant une douzaine d’années, c’est-à-dire au prix de 2,400 fr. ou de 3,000 fr., n’est pas au bout de ses moyens d’économiser, qu’augmentent au contraire ses habitudes d’ordre et son amour pour sa famille. Une autre supériorité de cette forme de l’épargne, c’est qu’elle commande un sacrifice permanent, au nom de l’honneur comme de l’intérêt. Ce qui rend préférables ces maisons aux logements loués par les patrons, c’est que l’ouvrier s’y sent plus libre. Il est absolument chez lui. Nul rapprochement gênant, nulle contrainte, nulle surveillance réelle ou supposée. Rien ne saurait l’attirer et le retenir davantage.

Voità bien des motifs qui doivent faire souhaiter que ce mode de cités se répande de plus en plus parmi nous. Mais est-ce à dire que ce type excellent exclut les logements loués dans des maisons spécialement adaptées aux ouvriers, comme celles, par exemple, que vient de faire construire M. de Madre, à Paris, comme celles aussi qui existent, grâce au concours des patrons dans d’autres villes ? Non, assurément. Tous les ouvriers ne peuvent devenir propriétaires. Qu’on leur donne pour 200 ou 830 fr. des logements qui offrent toutes les conditions désirables de commodité et d’hygiène, ce sera un immense service rendu. L’association peut utilement s’y employer. C’est ce qui a eu lieu à Amsterdam, par exemple, une des villes où les cités ouvrières, construites par une société constituée à cet effet et bâties dans des conditions admirables d’hygiène et de bonne appropriation, sans aucune tache de communisme, malgré l’étendue assez grande des maisons, ont le mieux réussi et méritaient le mieux leur succès.

J’ai rattaché les logements aux associations en vue de consommer, parce qu’en effet le logement est une consommation véritable qui prend à chacun une portion de plus en plus notable de son revenu et qui répond à un des besoins les plus impérieux dans toutes les classes. Mais le sens de consommation a, dans le langage populaire, une signification plus particulière et indique surtout la consommation alimentaire. Avant de dire un mot des associations qui se proposent cet objet, je signalerai rapidement d’autres sociétés de ventes et d’achats qui ne sont pas sans certains rapports avec ce que j’ai dit précédemment de quelques associations anglaises. La Compagnie du chemin de fer d’Orléans a fondé un magasin de denrées de consommation et de vêtements procurant à ceux qui y recourent une économie de plus de 100 pour 100. Les magasins sont établis à Paris, à Orléans, à Tours et à Bordeaux. L’acheteur envoie son livret, sur lequel il inscrit sa demande, au magasin le plus voisin de lui ; on lui renvoie dans le plus bref délai les denrées, étoffes ou vêtements demandés, avec son livret portant mention du prix. Le compte de l’employé est débité de ce prix, qui est retenu sur son traitement. En 1862, il a été livré pour 950,000 fr. de denrées diverses et pour 300,000 fr. de vêtements. On se demande pourquoi une association ne ferait pas pour ses membres ce qu’une grande compagnie fait pour ses employés, sauf, comme à Rochdale, à répartir ses bénéfices, au lieu de les employer à un trop grand abaissement de prix. C’est encore à la puissance salutaire de l’association qu’il faut rapporter, à Mulhouse même, la création, au centre du quartier des cités ouvrières, d’établissements communs d’une grande utilité. Une boulangerie vend le pain de 5 à 7 c. ½ au-dessous de la taxe municipale. Un restaurant très-vaste et très-proprement tenu reçoit les ouvriers célibataires et procure, pour des prix très-réduits, des portions de soupe et de viande à ceux qui les font prendre sur place. L’ouvrier dépense pour dîner de 35 à 45 centimes. Un établissement de bains très-suivi donne des bains avec linge au prix modique de 20 centimes ; un lavoir, avec séchoir, est ouvert pour deux heures à quiconque paye 5 centimes. Ici, comme pour la construction des maisons, se retrouve encore la trace bienfaisante de M. Jean Dollfus, si bien secondé, pour ce qui regarde les cités ouvrières, entre autres collaborateurs, par MM. Louis Huguenin et Zuber, et par le gérant, M. Bernard.

Les sociétés alimentaires destinées à réaliser le bon marché de la vie pour la nourriture des classes ouvrières ne sont pas soustraites à ces conditions morales que nous assignions tout à l’heure à toutes les associations, quelles qu’elles soient. Elles ne doivent pas agir comme un dissolvant, mais comme un auxiliaire de la famille. C’est avilir l’économie politique, même sous la plus humble de ses formes, à savoir : l’économie domestique, que de la réduire en quelque sorte à un problème de cuisine. Bien manger n’est pas tout, même pour l’ouvrier qui a tant besoin de réparer ses forces, et dont l’alimentation intéresse à un haut degré la puissance productive du pays. Le repas en commun au sein de la famille est pour ainsi dire sacré. C’est là que les corps fatigués se reposent et que les cœurs séparés par les travaux absorbants du jour se touchent pour ainsi dire et se réchauffent. L’honnête liberté, la gaieté douce, la cordialité, ne s’accommodent pas du communisme des restaurants. Les sociétés alimentaires ont donc deux buts : suffire sur place aux besoins des célibataires, et fournir aux ménages quelques plats substantiels auxquels la ménagère ajoute ce qu’elle juge à propos, de manière à faire sentir sa douce présence au mari et aux enfants. Sous ces conditions, les sociétés alimentaires sont dignes de tout éloge. Deux plaies s’attachent à la consommation ouvrière : l’achat à crédit, et la cherté qui résulte de l’achat au détail poussé aux limites extrêmes. Anomalie blessante ! le pauvre paye tout plus cher que l’homme aisé. L’association est donc son seul refuge, et contre la nécessité du mauvais crédit, et contre la cherté qu’entraîne l’achat très-morcelé. Je ne parle pas ici des institutions connues sous le nom de fourneaux économiques, cette forme d’ailleurs trop nécessaire de l’aumône, dont la clientèle à Paris est si étendue. Je parle des sociétés alimentaires réalisant des bénéfices modestes, mais réels, comme à Saint-Quentin, comme à Grenoble, dont l’établissement de ce genre est célèbre. L’économie pour les consommateurs y est très-considérable, et l’on y voit avec satisfaction que les consommations sur place n’y tiennent pas la plus grande part. Ce n’est pas que cette consommation sur place, si utile aux célibataires, n’ait aussi sa nécessité dans certaines industries qui retiennent l’ouvrier pendant toute la durée du jour loin de son foyer. On ne peut qu’applaudir en ce sens au réfectoire institué par la Compagnie d’Orléans aux ateliers d’Ivry et tenu par des sœurs de charité. La faculté d’emporter des denrées est loin d’ailleurs d’en être exclue. Le réfectoire sert chaque jour à plus de mille employés et ouvriers qui peuvent aussi emporter dans leurs ménages des repas dont la valeur est de 65 à 70 centimes, et composés de 255 grammes de pain, 100 grammes de viande, une portion de légumes et une ration de vin.

Je me suis étendu assez longuement sur l’association ouvrière, et je suis loin pourtant d’avoir épuisé cet immense sujet, si riche en aspect pour le moraliste, l’économiste et le politique. Je voudrais qu’il se dégageât de ces considérations un vif sentiment de l’importance réelle et croissante que l’association est appelée à tenir dans notre organisation industrielle, sous les diverses formes que j’ai indiquées et sous d’autres que le temps développera ; je voudrais avoir mis en relief la nature des conditions tant morales qu’économiques qui font d’elle le complément de la liberté du travail, qui font d’elle surtout un des moyens de cette liberté de fait de cette émancipation réelle des travailleurs que la simple proclamation du droit ne suffit pas à assurer. L’association ouvrière peut et doit se passer de l’intervention de l’État, sauf dans un certain nombre de cas déterminés et limités et sous des formes qui excluent la tutelle et les subsides en argent. Mais les classes ouvrières ont besoin d’y être aidés par le concours des capitalistes et des patrons. Si l’intervention de la classe la plus aisée et la plus éclairée est nécessaire pour constituer les sociétés de secours mutuels elle est indispensable pour la constitution de certaines autres formes d’association plus difficiles. L’association, ce puissant instrument de concorde entre les classes, si ce mot de classes s’applique bien aux différentes catégories formées par l’inégalité inévitable des conditions, suppose donc déjà entre elles une certaine union. Mais, une fois créées, les associations ouvrières peuvent se prêter une aide mutuelle. Ce ne sera pas, nous l’avons dit, en faisant disparaître la concurrence, rêve insensé, heureusement irréalisable ; ce ne sera point en opérant de colossales fusions. Ce sera, par exemple, en s’approvisionnant réciproquement les unes chez les autres. On cite déjà des exemples de ce mode de procéder pour quelques associations ouvrières établies à Paris. C’est là de l’assurance mutuelle contre la ruine, et du meilleur aloi. De ces libres et fraternelles associations, on ne saurait attendre que d’excellents effets pour le succès de chaque association particulière.

Nous résumerons nos vœux dans celui-ci : qu’on laisse s’établir les associations ! Puisse la loi qui se prépare en ce moment donner à ce vœu une complète satisfaction ! Le gouvernement a assez de force pour ne pas craindre le développement de quelques associations ouvrières. Les moyens ne lui manquent pas d’ailleurs pour ôter à ces associations industrielles le caractère politique que l’on redoute. À seconder cette expansion qui cherche à se faire jour, il ne peut que gagner. Le développement de l’association, besoin que rien ne saurait arrêter toujours, fait partie de ces libertés économiques que le gouvernement a tenu avec raison à accroître, au grand profit de la masse. Il est d’une bonne politique aussi bien que d’une économie sociale conforme à tous les principes du juste et de l’utile ; d’ouvrir un libre essor à ce besoin croissant d’association dans les classes qui forment la majorité des villes et qui sont, pour ainsi dire, à l’avant-garde de ce qui a été justement appelé la seconde couche du Tiers-État.


  1. M. Émile Laurent, le Paupérisme et les Associations de prévoyance, livre couronné par l’Académie des sciences morales et politiques, 2e édition. L’auteur consacre tout un chapitre, dans cette édition nouvelle, en deux volumes, aux Sociétés amicales qui se sont formées en Angleterre et un autre à leur législation.
  2. M. Louis Reybaud a raconté cette histoire si pleine d’enseignements, et ceux qui veulent s’instruire à fond sur les expériences du communisme pourront la lire dans la septième édition, récemment publiée, de ses Réformateurs contemporains.
  3. Chiffres publiés par M. Léon Say dans son excellent compte rendu du Journal des Débats, relatif cette association.
  4. Au moment où nous mettons sous presse, le conseil d’État s’occupe d’une loi destinée à faire disparaître la plupart des entraves qui empêchent la formation des associations ouvrières.
  5. Les Associations ouvrières, par M. Paul Rougier, docteur en droit, avocat a la Cour impériale de Lyon. 1 vol· in-8, chez Guillaumin et Ce. Cet ouvrage a été couronné par l’Académie des sciences, arts et belles-lettres de Lyon.
  6. M. Cochut a présenta, dans un travail fort sympathique à l’association ouvrière, un tableau excellent de ces associations ouvrières à Paris. Les observations de l’auteur ont été confirmées par d’autres témoins moins manifestement favorables. On trouve dans les Leçons d’économie politique à Montpellier, faites par M. Frédéric Passy, une remarquable analyse des associations ouvrières.