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La Maison aux phlox/3/04

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Texte établi par Imprimerie Populaire,  (p. 118-120).


La pluie

Enfin la pluie ! Une petite pluie d’argent, douce, fine, tranquille, que nous ne connaissions plus depuis deux mois ; une pluie apaisante, berceuse, qui chante sur le toit et gratte aux vitres, une pluie qui me semble tenace et amicale à la fois…

Si amicale que je n’y tiens plus, je sors. Mon béret loin sur mes cheveux, comme au temps de ma jeune jeunesse, mon imperméable rouge serré jusqu’au cou, je m’en vais, le nez au vent, heureuse et fredonnant… Et la petite pluie d’argent, qui frappait timide sur mes vitres, frappe doucettement sur mon front, sur mes joues, et, taquine, amusante, remplit mes oreilles, et de mes cheveux qui se mouillent se met ensuite à couler plus lourde, mais toujours tiède et bonne.

Elle pèse sur mes cils, le vent s’en mêle, m’aveugle, je ferme les yeux un moment. En les rouvrant, je vois rouler deux, trois gouttes brillantes comme des gouttes de mercure. Ah ! que je plains ceux que délecte le coin du feu ! Je me sens forte, et fraîche et si bien ! La pluie s’anime, me baigne, m’amuse, comme je m’amusais autrefois, quand je désobéissais et, sans protection, courais d’une rue à l’autre, sous les gouttières en cataractes…

Mais je ne pense pas qu’il est triste que le passé soit mort, il ne pleure pas dans mon cœur, je ne suis pas Verlaine. J’irais, il me semble, jusqu’au bout du monde sous la douce ondée d’argent… J’irais dans la montagne, dans les sentiers glissants, sous les sapins qui secoueraient leurs branches, sous les sapins où demain pousseront les beaux champignons jaunes… J’irais aussi en bateau, par ce temps, si je n’avais qu’à m’écouter. En barque, et à l’avant ! d’où je regarderais l’étrave fendre les belles vagues grises, gonflées, au creux desquelles le bateau retomberait, frémissant. Il balancerait, ferait des sauts, des plongeons, il danserait comme un bateau ivre, comme un fou…

Et je n’aurais ni peur, ni froid, je ne serais que contente. Que la pluie est fraîche sur mon visage, qu’elle lisse comme une caresse, qu’elle est bonne, vivifiante ! Je vais souriant toute seule, et je me sens miraculeusement, tellement plus jeune et sans souci ! Et je bois l’eau qui maintenant ruisselle, je bois l’air si pur, si neuf…

Mais je reviens enfin. Il faut revenir. Je ne suis pas libre. Je n’ai plus vingt ans. En claquant la porte du jardin, j’aspire une grande fois l’air iodé, violent, bon comme un breuvage. Je regarde l’eau qui luit sous les verdures repeintes, le chemin mouillé qui rougit. J’entrerai, mais je n’en ai guère envie. Mes enfants me font signe de la fenêtre. Je ris. Plus tard, probablement, ils penseront à moi, comme Marcel Proust pensait à sa grand’mère, qui trouvait un crime de ne pas boire incessamment l’air marin, quand on l’avait à sa portée…

La mer, pareille à du plomb fondu, claque le rivage et les goélands passent et repassent au-dessus, comme s’ils dansaient une ronde…

Je les envie, je soupire et j’entre…