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La Mort d’Artus/11

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Plon (4p. 128-130).


XI


En rentrant à Camaaloth, quand il sut que Lancelot n’était resté qu’un seul jour dans la ville, son cœur fut plus aise. « Si Lancelot aimait la reine de fol amour, songea-t-il, il ne se serait pas éloigné si tôt. » Cela le fit douter de ce que Morgane la déloyale lui avait dit et il pensa que peut-être les peintures ne représentaient pas la vérité ; néanmoins il ne retrouva pas toute sa confiance passée.

Et peu après il advint que messire Gauvain dîna à la table de la reine, avec d’autres prud’hommes, dans une chambre proche de la grande salle. Un chevalier nommé Averlan, qui le haïssait mortellement, avait fait secrètement placer devant la reine un fruit empoisonné, pensant qu’elle le donnerait tout d’abord à goûter à son neveu, puisqu’il était assis à côté d’elle et qu’il était le plus haut baron. Mais elle offrit du fruit à son autre voisin, un compagnon de la Table ronde appelé Gaheris de Kareheu, lequel en mangea aussitôt pour l’amour d’elle et tomba mort dès que le morceau lui eut passé le cou. Ce que voyant, tous les chevaliers se levèrent de table, ébahis.

L’un d’eux se hâta d’aller conter la nouvelle au roi, qui se signa de surprise, et vint tout courant voir ce qu’il en était, suivi de ceux qui mangeaient en sa compagnie.

— C’est trop de méchanceté, s’écria-t-il d’abord, tandis que plusieurs de ses barons murmuraient :

— La reine a vraiment servi la mort !

Or la reine était tellement étonnée, qu’elle ne savait que penser.

— Dieu m’aide ! fit-elle. Si j’eusse su que le fruit était envenimé, je ne le lui eusse pas offert pour la moitié du monde ! Je ne lui demandai d’en manger avant moi que par débonnaireté.

— Dame, reprit le roi, de quelque façon que vous le lui ayez donné, vous avez fait une vilaine et mauvaise action.

Et il commanda qu’on enterrât Gaheris à grand honneur, comme il convenait à un si prud’homme : en sorte que le corps fut enseveli dans l’église de monseigneur Saint Étienne, qui était la principale de la cité de Camaaloth. Le roi Artus et tous ceux qui étaient à la cour eurent tant de chagrin d’une mort si laide et si vilaine, qu’ils n’en parlèrent qu’à peine entre eux ; toutefois les compagnons de la Table ronde firent graver sur la tombe des lettres qui disaient :


Ci-gît Gaheris le blanc de Kareheu, frère de Mador de la Porte, qui trépassa d’un fruit empoisonné que la reine lui donna.


Car telle était la coutume de la Table ronde, qu’on inscrivait sur la tombe des compagnons leur nom et comment ils étaient morts.