La Mort de notre chère France en Orient/07

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VII

NOS ÉGARDS SPÉCIAUX POUR LES TURCS,
EN RETOUR DES LEURS[1]


Janvier 1919.

Au lendemain des armistices, les journaux des deux continents se sont alarmés de la détresse alimentaire de tous les peuples des deux camps, des Yougo-Slaves, des Polonais, des Syriens, des Grecs (assassinat de nos matelots à Athènes), même des Prussiens (monceaux d’inimaginables crimes), mais jamais personne n’a parlé des pauvres Turcs. Ils sont cependant les seuls chez qui nos compatriotes, nos prisonniers, nos blessés ont été fraternellement traités pendant la guerre ; les seuls chez lesquels on ait pu dire, comme à Beyrouth : « La colonie française est restée intacte. » (Dépêche de l’amiral français à notre gouvernement.) Ce sont là des faits absolus, des faits patents, que, malgré l’acharnement des calomnies levantines, tout homme de bonne foi peut vérifier sans peine.

Or, si la disette des Boches est exagérée et camouflée comme tout ce qui vient de ces professionnels menteurs, les Turcs, eux, meurent littéralement de faim et de froid ; nos journaux de Paris, même les moins suspects de tendresse pour eux, font de la littérature sur le spectacle terrible de leur misère, mais, depuis trois mois qu’ils se sont rendus à la merci de leurs soi-disant protecteurs séculaires, personne n’a songé à leur donner un morceau de pain ni une paire de sabots !

J’ose donc implorer la pitié, ou plutôt la justice de nos gouvernants et de tous les gouvernants alliés pour qu’au moins ces malheureux égarés d’un moment ne soient pas traités d’une façon plus impitoyable que les pires de nos ennemis !

Je citerai maintenant en faveur des Turcs un témoignage étranger. C’est mon ami, M. L. Barthou, qui le tient d’un grand homme d’État roumain et m’autorise à le publier.

Voici ce témoignage : « La Roumanie vient de subir l’invasion de plusieurs peuples divers ; les voilà par ordre de férocité. Les plus atroces ont été les Allemands ; après eux, les Bulgares ; ensuite les Autrichiens, et puis les Hongrois. Les plus humains de tous ont été sans contredit les Turcs. »

L’histoire nous apprend aussi que jadis les malheureux Juifs, expulsés d’Espagne après de terribles persécutions, se réfugièrent chez les Turcs qui leur donnèrent la plus tolérante hospitalité et chez qui ils vivent en paix depuis des siècles, tandis que les persécutions contre eux n’ont pas cessé dans la sainte Russie ortho­doxe.

  1. Lettre publiée dans le Figaro.