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La Nouvelle Journée/III, 6

La bibliothèque libre.
Paul Ollendorff (Tome 3p. 233-235).
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Troisième Partie — 6


Georges et Emmanuel se trouvaient réunis chez Christophe. C’était une après-midi. L’un et l’autre étaient pleins de leurs soucis personnels : Emmanuel, de ses déboires littéraires, et Georges, d’une déconvenue dans un concours de sport. Christophe les écoutait avec bonhomie et les raillait affectueusement. On sonna. Georges alla ouvrir. Un domestique apportait une lettre, de la part de Colette. Christophe se mit près de la fenêtre, pour la lire. Ses deux amis avaient repris leur discussion ; ils ne voyaient pas Christophe, qui leur tournait le dos. Il sortit de la chambre, sans qu’ils y prissent garde. Et quand ils le remarquèrent, ils n’en furent pas surpris. Mais comme son absence se prolongeait, Georges alla frapper à la porte de l’autre chambre. Il n’y eut pas de réponse. Georges n’insista point, connaissant les façons bizarres de son vieil ami. Quelques minutes après, Christophe revint. Il avait l’air très calme, très las, très doux. Il s’excusa de les avoir laissés, reprit la conversation où il l’avait interrompue, leur parlant de leurs ennuis avec bonté, et leur disant des choses qui leur faisaient du bien. Le ton de sa voix les émouvait, sans qu’ils sussent pourquoi.

Ils le quittèrent. Au sortir de chez lui, Georges alla chez Colette. Il la trouva en larmes. Aussitôt qu’elle le vit, elle accourut, demandant :

— Et comment a-t-il supporté le coup, le pauvre ami ? C’est affreux !

Georges ne comprenait pas. Et Colette lui apprit qu’elle venait de faire porter à Christophe la nouvelle de la mort de Grazia.


Elle était partie, sans avoir eu le temps de dire adieu à personne. Depuis quelques mois, les racines de sa vie étaient presque arrachées ; il avait suffi d’un souffle pour l’abattre. La veille de la rechute de grippe qui l’emporta, elle avait reçu une bonne lettre de Christophe. Elle en était tout attendrie. Elle eût voulu l’appeler auprès d’elle ; elle sentait que tout le reste, que tout ce qui les séparait, était faux et coupable. Très lasse, elle remit au lendemain, pour lui écrire. Le lendemain, elle dut rester alitée. Elle commença une lettre, qu’elle n’acheva pas : elle avait le vertige, la tête lui tournait ; d’ailleurs, elle hésitait à parler de son mal, elle craignait de troubler Christophe. Il était pris en ce moment par les répétitions d’une œuvre chorale et symphonique, écrite sur un poème d’Emmanuel : le sujet les avait passionnés tous deux, car c’était un peu le symbole de leur propre destinée : La Terre promise. Christophe en avait souvent parlé à Grazia. La première devait avoir lieu, la semaine suivante… Il ne fallait pas l’inquiéter. Grazia fit, dans sa lettre, allusion à un simple rhume. Puis, elle trouva que c’était encore trop. Elle déchira la lettre, et elle n’eut pas la force d’en recommencer une autre. Elle se dit qu’elle écrirait, le soir. Le soir, il était trop tard. Trop tard pour le faire appeler. Trop tard même pour écrire… Comme les choses vont vite ! Quelques heures suffisent à détruire ce qu’il a fallu des siècles pour former… Grazia eut à peine le temps de donner à sa fille l’anneau qu’elle avait au doigt, et elle la pria de le remettre à son ami. Elle n’avait pas été, jusque-là, très intime avec Aurora. À présent qu’elle partait, elle contemplait passionnément le visage de celle qui restait ; elle s’attachait à la main qui transmettrait son étreinte ; et elle pensait avec joie :

— Je ne m’en vais pas tout à fait.