La Philosophie dans le boudoir/Tome II/Sixième Dialogue
SIXIÈME DIALOGUE.
LE CHEVALIER.
En vérité, mon frère, ton ami est bien libertin.
Je ne t’ai donc pas trompée en te le donnant pour tel.
Je suis persuadée qu’il n’a pas son égal au monde… Oh ! ma bonne, il est charmant ; voyons-le souvent, je t’en prie.
On frappe… qui cela peut-il être… j’avois défendu ma porte… il faut que cela soit bien pressé. Vois ce que c’est, chevalier, je te prie.
Une lettre qu’apportoit Lafleur, il s’est retiré bien vîte, en disant qu’il se souvenoit des ordres que vous lui aviez donné, mais que la chose lui avoit paru aussi importante que pressée.
Ah ! ah ! qu’est-ce que c’est que ceci… c’est votre père, Eugénie.
Mon père !… Ah ! nous sommes perdues.
Lisons avant que de nous décourager. (Elle lit.)
Croiriez-vous, ma belle dame, que mon insoutenable épouse, alarmée du voyage de ma fille chez vous part à l’instant pour aller la rechercher ; elle s’imagine tout plein de choses… qui, à supposer même qu’elles fussent, ne seroient en vérité que fort simples. Je vous prie de la punir rigoureusement de cette impertinence ; je la corrigeai hier pour une semblable, la leçon n’a pas suffi ; mistifiez-la donc d’importance, je vous le demande en grace, et croyez qu’à quelque point que vous portiez les choses, je ne m’en plaindrai pas… Il y a si long-tems que cette catin me pèse… qu’en vérité… vous m’entendez, ce que vous ferez sera bien fait, c’est tout ce que je puis vous dire ; elle va suivre ma lettre de très-près, tenez-vous donc sur vos gardes. Adieu, je voudrois bien être des vôtres. Ne me renvoyez Eugénie qu’instruite, je vous en conjure ; je veux bien vous laisser faire les premières récoltes, mais soyez assurée cependant que vous aurez un peu travaillé pour moi.
Eh bien ! Eugénie, tu vois qu’il n’y a point trop de quoi s’effrayer ; il faut convenir que voilà une petite femme bien insolente.
La putain !… Ah ! ma chère, puisque mon papa nous donne carte blanche, il faut, je t’en conjure, recevoir cette coquine-là comme elle le mérite.
Baise-moi, mon cœur ; que je suis aise de te voir dans de telles dispositions… Va, tranquillise-toi, je te réponds que nous ne l’épargnerons pas. Tu voulois une victime, Eugénie, en voilà une que te donne à-la-fois la nature et le sort.
Nous en jouirons, ma chère, nous en jouirons, je te le jure.
Ah ! qu’il me tarde de savoir comment Dolmancé va prendre cette nouvelle.
Le mieux du monde. Mesdames, je n’étois pas assez loin de vous pour ne pas vous entendre, je sais tout… Madame de Mistival arrive on ne sauroit plus à propos… Vous êtes bien décidée, j’espère, à remplir les vues ne son mari.
Les remplir !… les outre-passer, mon cher… Ah ! que la terre s’effondre sous moi, si vous me voyez foiblir, quelque soient les horreurs où vous condamniez cette gueuse… Cher ami, charge-toi de diriger tout cela, je t’en prie.
Laissez faire votre amie et moi, obéissez seulement vous autres, c’est tout ce que nous vous demandons… Ah ! l’insolente créature, je n’ai jamais rien vu de semblable.
C’est d’un mal-adroit !… En bien ! nous remettons-nous un peu décemment pour la recevoir ?
Au contraire, il faut que rien, dès qu’elle entrera, ne, puisse l’empêcher d’être sûre de la manière dont nous faisons passer le tems à sa fille ; soyons tous deux dans le plus grand désordre.
J’entends du bruit, c’est elle ; allons, courage, Eugénie, rappelle-toi bien nos principes. Ah ! sacre-dieu, délicieuse scène !