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La Plante/Partie I, chapitre XIX

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Charles Delagrave (p. 183-200).
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Partie I.
XIX. — Structure des Feuilles

XIX
Structure des Feuilles.

Épiderme. — Cellules épidermiques. — Fonctions de l’épiderme. — Feuilles aquatiques. — Poils. — Poils glanduleux. — Poils de l’ortie. — Leur analogie avec les armes venimeuses des animaux. — Stomates. — Leur nombre. — Leurs fonctions. — Transpiration des végétaux. — Effets de la transpiration. — Nervures des feuilles. — Parenchyme. — Méats intercellulaires. — Chambres aériennes. — Contenu des cellules. — Chlorophylle. — Rôle des cellules à grains verts. — Leur situation à portée de la lumière.

Si de la pointe du canif on écorche légèrement la surface d’une feuille, un lambeau de pellicule est soulevé, extrêmement mince et de la transparence du verre. Quelque part que l’on promène la pointe d’acier, au-dessus, au-dessous, sur le limbe, sur le pétiole, la même pellicule reparaît. On lui donne le nom d’épiderme. Nous avons déjà trouvé une pareille membrane sur les jeunes tiges. Examiné à la vue simple, l’épiderme n’a rien de remarquable ; il faut le secours du microscope pour reconnaître son élégante et curieuse structure. Sous les verres grossissants, la fine lamelle se montre comme une mosaïque de pièces assemblées côte à côte à la manière des briques d’un parquet, et configurées, suivant l’espèce végétale, en rectangles, en losanges, en polygones rectilignes ou sinueux. Puis, çà et là, des boutonnières bâillent avec de grosses lèvres proéminentes, puis encore quelques pièces du carrelage épidermique se gonflent en vésicules, se dressent en cornes, s’épanouissent en étoiles. Trois choses sont donc à étudier dans l’épiderme : les pièces assemblées en mosaïque, les prolongements dont quelques-unes sont armées, les boutonnières percées çà et là.

Les pièces dont l’épiderme se compose sont des cellules. Vous vous rappelez ces petits sachets clos de partout, que nous avons trouvés dans l’écorce, dans le bois, dans la moelle surtout. D’ordinaire ils sont arrondis, ou légèrement déformés par leur pression mutuelle. Ils contiennent des substances très-variées, des liquides, des grains de fécule, des cristaux, des gommes, du sucre, des huiles, des résines. Dans l’épiderme de la feuille, les cellules sont, au contraire, généralement aplaties ; elles s’ajustent exactement l’une à l’autre, si peu régulier que soit leur contour ; elles sont disposées en une seule assise et ne contiennent dans leur cavité rien qui ressemble aux matériaux si variés des premières. L’épiderme est donc une espèce de vernis cellulaire étendu sur toute la surface de la feuille.

Sa fonction immédiate est de faire obstacle à l’évaporation. Toute feuille, en effet, même la plus aride en apparence, est plus ou moins imbibée d’eau, nécessaire à son travail vital. Les racines la puisent dans le sol ; le bois encore jeune, l’aubier, la conduit à destination ; la feuille la reçoit et l’utilise pour les besoins de la communauté. Si rien ne protégeait son tissu gorgé de liquide, la feuille, au premier coup de soleil, se fanerait et pendrait mourante. Eh bien ! c’est l’épiderme qui empêche ou plutôt retarde l’évaporation, à la manière d’un enduit imperméable. Lorsque les racines ne trouvent pas à temps dans le sol de quoi renouveler l’eau disparue, l’évaporation, entravée seulement par l’épiderme, finit par mettre les feuilles à sec, et la plante baisse la tête, toute flétrie. Il suffit d’avoir vu le piteux état où le soleil met une plante qu’on a oublié d’arroser dans son vase, pour comprendre les fâcheuses conséquences d’une évaporation non compensée à temps par l’imbibition des racines. Que serait-ce donc si le végétal était livré sans épiderme à l’action desséchante du soleil et de l’air ?

Quant aux plantes aquatiques, plongées qu’elles sont dans l’eau, elles n’ont pas à se prémunir contre la dessiccation. Aussi leurs feuilles sont-elles entièrement dépourvues d’épiderme, ce qui leur permet de s’imbiber à satiété. Mais une fois exposées à l’air, ces plantes, si vigoureuses dans l’eau, se fanent et se crispent avec une facilité extrême, faute de l’enveloppe épidermique qui les défendrait de l’évaporation. Enfin les feuilles flottantes, à demi aquatiques, à demi aériennes, adoptent un moyen terme : elles n’ont pas d’épiderme à la face inférieure, en contact avec l’eau, elles en ont à la face supérieure, en rapport avec l’air.

Pour achever de vous démontrer l’efficacité de l’épiderme contre l’évaporation qui, trop active, compromet la vie de la plante, je fais appel à votre propre expérience, s’il vous arrive de préparer pour votre herbier des plantes aquatiques, des volants-d’eau, des utriculaires, des potamots et tant d’autres. Ces plantes sont mises en presse, entre du papier gris, toutes ruisselantes d’humidité, telles qu’on les retire de leur fossé, de leur marécage ; et cependant du matin au soir elles sont sèches ; tandis que des plantes aériennes, d’apparence quelquefois aride, mettent des semaines pour leur dessiccation. Comment l’humide est-il si prompt à se dessécher, et l’aride si lent ? La réponse à cette question ne doit plus maintenant vous embarrasser. La plante aquatique, dépourvue d’épiderme, cède rapidement au papier buvard l’humidité qui l’imbibe ; la plante aérienne, revêtue d’épiderme, ne cède la sienne qu’avec lenteur.

En général, les cellules de l’épiderme sont aplaties et la membrane qu’elles forment par leur assemblage est régulièrement unie. Mais il n’est pas rare que certaines cellules, parfois toutes, se gonflent en mamelon, se soulèvent en verrues, ou se prolongent en cornes creuses, appelées poils. La surface de la feuille est alors ou mamelonnée à la manière d’une framboise, ou veloutée d’un fin duvet, ou hérissée de cils roides, ou matelassée de bourre, suivant le degré d’allongement et la finesse des cellules épidermiques. La ficoïde glaciale soulève son épiderme, autant sur les rameaux que sur les feuilles, en petites ampoules semblables à des perles de glace ; d’où le nom vulgaire de glaciale donné à la curieuse plante, qui miroite au soleil d’été avec une parure de frimas. La joubarbe cotonneuse se fait, avec quelques cellules de l’épiderme, de longs brins soyeux qui s’enchevêtrent et couvrent les rosettes de feuilles d’une espèce de gaze semblable à la toile de l’araignée. D’autres feutrent leurs poils en ouate ; d’autres les assemblent en velours ; d’autres, comme l’ortie, en empoisonnent la cavité et les utilisent comme armes offensives. Ce ne sont pas les espèces les plus exposées à la rigueur des frimas qui se couvrent de poils épidermiques, mais bien principalement les espèces exposées à toutes les ardeurs du soleil. La primevère des glaciers a ses feuilles nues ; l’athanasie maritime, sur les plages brûlantes de la Méditerranée, est empaquetée d’un épais coton aussi blanc que neige. À l’ombre et dans les terrains humides, rarement se montre la feuille ouatée de poils ; elle est fréquente, au contraire, sur les terrains arides, brûlés par le soleil et battus par le vent. Il semblerait donc que la plante, en se matelassant de bourre, se prémunit surtout contre l’évaporation ; pour entraver davantage la déperdition de l’eau qui l’humecte, à l’obstacle de l’épiderme, elle ajoute l’obstacle d’une toison.

Le poil le plus simple consiste en une seule cellule épidermique, qui se prolonge sous forme de corne. Cette cellule peut se ramifier et donner naissance à un poil à deux ou plusieurs branches, dont, les cavités communiquent entre elles. D’autres fois plusieurs cellules s’ajustent bout à bout pour constituer un poil divisé en compartiments. Parmi ces poils à plusieurs cellules, il y en a de simples et de ramifiés ; il y en a dont les branches rayonnent autour d’un centre commun ; d’autres dont les cellules courtes et arrondies sont assemblées en chapelet ; d’autres encore qui, par la soudure de longues cellules rayonnantes, prennent la forme d’une écaille étoilée, adhérant à la feuille par son point central. Ces poils écailleux ont en général des reflets brillants, presque métalliques ; on les prendrait pour de fines écailles de poisson, ou pour cette poussière argentée que l’aile du papillon laisse aux doigts. Ce sont eux qui donnent au feuillage de l’olivier son aspect cendré ; ce sont eux qui argentent en dessous les feuilles de l’argoussier et de l’olivier de Bohême.

Fig. 98. Poil étoilé de l’Alyssum. Fig. 99. Poil écailleux de l’Olivier de Bohême. Fig. 100. Poils glanduleux du Muflier.

Certains poils se renflent à l’extrémité en une ou plusieurs cellules dans l’intérieur desquelles s’élaborent des substances spéciales, comme des acides, des résines, des essences, des liquides visqueux. On les nomme poils glanduleux et l’on désigne par le nom de glande la petite masse cellulaire où se fait ce travail d’élaboration. Les poils glanduleux des cônes du houblon préparent la matière appelée lupuline, qui donne à la bière son bouquet et sa saveur amère ; ceux des gousses du pois-chiche produisent une substance à saveur très-aigre nommée acide oxalique.

D’autres poils sont remplis d’un liquide irritant, sorte de venin végétal qui, introduit dans les chairs, cause de vives démangeaisons. Tels sont ceux qui hérissent notre vulgaire ortie.
Fig. 101. Poil de l’Ortie.
Ils sont composés d’une cellule unique, renflée en ampoule à la base, et graduellement rétrécie en un long goulot qui se termine par un bouton sans orifice. L’ampoule est elle même en partie enchâssée dans un court support cylindrique qui, pour la recevoir, se creuse supérieurement en godet. Ce support, formé d’un tissu de fines cellules, paraît être le laboratoire où se prépare le liquide venimeux, enfin l’ampoule est le réservoir où il s’amasse. Quand un de ces poils, vrai stylet empoisonné, pénètre dans la peau, le bouton terminal se casse, et la fiole à venin, ainsi débouchée, verse son contenu dans la blessure par la contraction de sa paroi élastique. Le mélange de l’âcre liquide avec le sang est cause de la rougeur qui se manifeste autour du point atteint et de la douleur qu’on éprouve.

Qui ne connaît, pour avoir au moins une fois plongé par mégarde la main dans un fourré d’orties, les cuisantes démangeaisons suite de la piqûre des poils de la plante ? Ce n’est rien encore cependant par rapport aux effets de certaines orties des pays tropicaux, où la chaleur du climat exalte les propriétés végétales jusqu’à faire d’un simple poil une arme redoutable. L’ortie crénelée des Indes pique si cruellement, que la douleur dure plusieurs jours et peut aller jusqu’à provoquer des convulsions. Un voyageur rapporte que, visitant le jardin botanique de Calcutta, il fut piqué à trois doigts de la main par la terrible ortie. Pendant quarante-huit heures, la douleur fut des plus vives et accompagnée de légères contractions tétaniques. Les effets de la piqûre ne cessèrent que neuf jours après l’accident. Enfin l’ortie très-brulante de Java est désignée par les indigènes sous le nom de feuille du diable ; nom bien mérité, car, à ce que l’on assure, la piqûre de cette plante cause, une année durant, de cuisantes douleurs, provoque des accès de tétanos et peut même donner la mort.


Fig. 102. Appareil venimeux du Serpent à sonnettes.
Il ne sera pas sans intérêt de comparer ici la structure et le mécanisme du poil de l’ortie avec la structure et le mécanisme de l’arme venimeuse de l’animal, notamment de la vipère. Qui n’a vu les serpents darder entre leurs lèvres un filament noir, très-flexible, fourchu, qui va et vient avec une extrême vélocité. Pour beaucoup, c’est l’arme du reptile, le dard. Erreur grossière ! ce filament n’est autre que la langue, langue tout à fait inoffensive, dont l’animal se sert pour happer les insectes et pour exprimer, à sa manière, les passions qui l’agitent en la passant rapidement entre les lèvres. Tous les serpents, sans exception, en ont une ; mais un petit nombre seulement, vipère, céraste, serpent à sonnettes, etc., possèdent le terrible appareil à venin. Cet appareil se compose d’abord de deux crochets ou dents longues et aiguës, placées à la mâchoire supérieure. Les crochets sont mobiles. À la volonté de l’animal, ils se dressent pour l’attaque ou se couchent dans une gouttière de la gencive et s’y tiennent inoffensifs comme un stylet dans son fourreau. De la sorte, le reptile ne court pas le risque de se blesser lui-même. En outre, des crochets de rechange, plus jeunes, arment la mâchoire en arrière des premiers, pour remplacer ceux-ci s’ils viennent à se casser. Pour le moment les deux aînés suffisent ; à eux seuls ils constituent l’arme de la vipère et des autres serpents venimeux. Ce sont eux qui, sur la partie blessée, laissent deux points rouges, vraies piqûres d’aiguille ; ce sont eux enfin qui causent tout le mal, car le reste de l’empreinte de la mâchoire, quand cette empreinte existe à l’endroit mordu, est sans effet aucun, à part une meurtrissure très-superficielle. Comment deux légères piqûres peuvent-elles amener de graves désordres organiques, provoquer même la mort ? Cela tient à ce que le reptile inocule, dans la blessure faite par les crochets, un liquide atroce, un venin, de même que l’ortie répand dans la petite plaie faite par un poil le contenu venimeux de l’ampoule. Ce liquide est une humeur d’aspect inoffensif, sans odeur, sans saveur, rappelant presque de l’eau. Mis sur la langue, avalé même, il n’a pas d’action ; et voilà pourquoi on peut sucer sans crainte, pour en extraire le venin, la plaie faite par le reptile ; mais une fois introduit dans le sang, il révèle ses redoutables énergies.

À l’effet d’introduire le venin dans la plaie, les crochets sont creux et percés vers la pointe d’une fine ouverture. Un canal membraneux conduit le venin dans la cavité dentaire. Une petite ampoule le tient en réserve ; enfin un organe spécial, une glande, le prépare. Le même appareil se retrouve chez les divers serpents venimeux, dans la vipère de nos pays, dans le hideux céraste du Sahara algérien, qui tue en quelques heures ; dans les crotales, dont les crochets font expirer un bœuf presque instantanément.

Les insectes mêmes, d’un art si raffiné dans leurs armes, ne changent rien d’essentiel à cet appareil de mort. Ce sont toujours une glande qui élabore le Venin, une ampoule qui le tient en réserve, un dard perforé qui l’instille dans la piqûre. Seulement chaque espèce porte son arme à sa guise. L’araignée tient ses deux crochets venimeux repliés à l’entrée de la bouche ; le scorpion porte son dard au bout de la queue ; la guêpe, pour ne pas en émousser la fine pointe, cache le sien dans une gaîne logée à l’extrémité de l’abdomen. Si nous revenons au poil de l’ortie, nous verrons maintenant son étroite ressemblance avec l’arme venimeuse de l’animal. Le support cylindrique qui, dans son tissu cellulaire, produit le liquide brûlant,
Fig. 103. Stomates du Lis.
représente la glande où s’élabore le venin. La base du poil renflée en ampoule est le réservoir où s’amasse ce liquide et rappelle la vésicule à venin de l’animal. Enfin le col du poil est un poinçon aigu et creux analogue aux crochets du reptile, au dard du scorpion, à l’aiguillon de la guêpe ; seulement son extrémité est fermée par un bouton qui se casse dans la plaie pour permettre l’écoulement du liquide, tandis que l’arme de l’animal est toujours ouverte.

Le troisième genre d’organes qu’un rapide examen nous a montré dans un lambeau d’épiderme se compose de ces fines ouvertures dont la conformation rappelle une boutonnière. Chacune consiste en une fente oblongue, bordée de deux cellules symétriques et arquées, qui se renflent en manière de lèvres et donnent à l’ensemble l’aspect d’une petite bouche, tantôt close, tantôt entr’ouverte. De cette ressemblance avec une bouche, en grec stoma, est venu le nom de stomates par lequel on désigne ces orifices de l’épiderme. Les stomates se trouvent principalement à la face inférieure pour les feuilles aériennes, et à la face supérieure pour les feuilles aquatiques flottantes. Il est inutile de chercher à les voir sans microscope, car leurs dimensions sont d’une excessive finesse. L’empreinte laissée par l’aiguille la plus déliée, en comparaison, serait un trou grossier. Aussi leur nombre est-il prodigieux. Dans l’étendue d’un centimètre carré, on compte 7000 stomates environ à la face inférieure d’une feuille de reine-marguerite ; 12500 dans la vigne ; 21500 dans l’olivier ; 25000 dans le chêne pédonculé. On a calculé qu’une seule feuille de tilleul de grandeur moyenne est percée de 1053000 stomates environ. À quels inconcevables nombres n’arriverait on pas si l’on voulait dénombrer leur total pour le tilleul entier, dont les feuilles se comptent par myriades !

Les stomates, ainsi que les poils, ne sont pas le domaine exclusif de la feuille ; on les trouve aussi plus ou moins abondants sur les diverses parties de la plante en rapport avec l’air, principalement les parties vertes, stipules, écorce des jeunes rameaux. En général, ils manquent sur les organes plongés dans le sol ou immergés dans l’eau. Les surfaces vertes, étalées à l’air, sont leur emplacement par excellence ; aussi ai-je réservé leur histoire pour le chapitre des feuilles, les plus importantes des surfaces vertes du végétal. Leurs fonctions sont du plus haut intérêt, ainsi que je vous l’expliquerai bientôt. Pour le moment, je me bornerai à vous dire que les stomates mettent en rapport avec l’atmosphère l’épaisseur du tissu de la feuille. Ce sont des orifices d’entrée et de sortie qui permettent un échange continuel de matériaux gazeux entre l’intérieur du végétal et l’extérieur. Ainsi l’une des fonctions des stomates est de laisser exhaler en vapeurs l’eau dont la feuille est imprégnée.

Les plantes transpirent constamment ; c’est surtout au soleil qu’elles laissent dégager à l’air des vapeurs invisibles. Pour nous convaincre de l’humidité dégagée par notre respiration, nous dirigeons l’haleine contre un carreau de vitre froid. La vapeur invisible du souffle se condense, ternit le verre, et finit par ruisseler en gouttelettes. L’exhalaison humide des stomates se constate de la même manière. Dans un flacon bien sec, on met un rameau vivant, sans trace apparente d’humidité. Bientôt la paroi du flacon se couvre de gouttelettes à l’intérieur. Les petites bouches de la feuille exhalent donc de la vapeur d’eau tout aussi bien que la bouche de l’homme ; leur haleine est humide comme la nôtre. Ce qui peut s’échapper de vapeur par chacun de ces soupiraux est au-dessous de toute évaluation ; mais, vu le nombre immense de stomates, le total de l’eau exhalée n’en est pas moins considérable. Un arbre de moyenne grandeur rejette à l’air une dizaine de litres d’eau par jour ; un seul pied d’hélianthe annuel, vulgairement soleil, transpire en douze heures, par un temps sec et chaud, bien près d’un kilogramme d’eau.

La transpiration remplit un rôle multiple. D’abord elle empêche la température de s’élever jusqu’à devenir dangereuse pour la plante. Un liquide qui s’évapore est, en effet, pour l’objet aux dépens duquel se fait l’évaporation, une cause de refroidissement, parce que la vapeur qui s’en va emporte avec elle une grande quantité de chaleur prise à l’objet lui-même. Versez dans le creux de la main quelques gouttes d’un liquide volatil, d’éther. Aussitôt l’évaporation se fait, et l’on éprouve à la main une vive impression de fraîcheur. Les vapeurs, en s’en allant, emportent une partie de votre chaleur. Je vous rappellerai encore les frissons éprouvés au sortir du bain. La mince couche d’eau dont le corps est couvert en est cause. En s’évaporant, elle nous soutire un peu de notre chaleur. Une fois le corps essuyé, l’évaporation n’a plus lieu et les frissons cessent comme par enchantement. Ces deux exemples suffisent pour vous faire au moins entrevoir que l’évaporation est une cause d’abaissement de température. Lors donc que, sous les rayons du soleil, l’échauffement menace de devenir trop fort et de compromettre la vie de la plante, les stomates exhalent de la vapeur pour conjurer le péril. Mille, dix mille, vingt mille soupiraux, dans une étendue pas plus grande que l’ongle, refroidissent les feuilles en transpirant leur eau. C’est vous dire que l’exhalation des stomates est plus active de jour que de nuit, au soleil qu’à l’ombre, par un temps sec et chaud que par un temps humide et froid.

Par un temps qui ne met plus la plante en péril, de nuit même, l’exhalation se fait encore, mais bien moins abondante. Les gouttes d’eau qui perlent le matin à l’extrémité des brins de gazon, ou roulent dans les fossettes des feuilles du chou, résultent précisément de la transpiration nocturne, condensée par la fraîcheur de la nuit. Pour quels motifs les stomates ne cessent-ils d’exhaler de la vapeur à l’ombre, par un temps frais, de nuit, lorsque la plante n’a rien à craindre d’un excès de température ? La raison en est celle-ci. — Pour son alimentation, le végétal puise dans la terre, au moyen des racines, de l’eau tenant en dissolution un peu de tout ce que le sol renferme de soluble. C’est un liquide des plus clairs où, dans de grandes masses d’eau, nagent, dissoutes, quelques parcelles nutritives. La plante doit en absorber beaucoup pour trouver au total de quoi se sustenter. Le maigre brouet s’infiltre des racines dans le bois encore jeune, et du bois il monte aux feuilles, qui procèdent aussitôt au triage. Les particules alimentaires sont retenues dans le tissu des feuilles pour y subir de profonds remaniements chimiques, s’y combiner avec d’autres matériaux venus de l’atmosphère par la voie des stomates, et devenir enfin, sous l’influence de la lumière, un liquide nourricier, véritable sang de la plante, où puisent tous les organes pour leur formation, leur entretien, leur accroissement. Ce liquide nourricier porte le nom de séve descendante, parce qu’il descend, une fois préparé dans les feuilles, de celles-ci aux rameaux, des rameaux aux branches, des branches au tronc et du tronc aux racines, distribuant à tout ce qu’il baigne les matériaux des formations nouvelles. L’autre liquide, celui que les racines puisent dans le sol, se nomme séve ascendante et monte des racines aux feuilles par la voie de l’aubier. Il se compose principalement d’eau, que les stomates doivent exhaler en majeure partie afin de concentrer en un moindre volume les substances nutritives dissoutes. Or ce travail de concentration des matériaux bruts ascendants n’est jamais suspendu, parce que l’absorption par les racines est continuelle ; et tel est le motif pour lequel les stomates transpirent toujours, même à l’ombre, même de nuit. Sans discontinuer, ils rejettent en vapeurs dans l’atmosphère l’eau surabondante, nécessaire pour amener aux feuilles les aliments fournis par le sol ; ils concentrent le maigre liquide de la séve ascendante pour en faire le liquide substantiel de la séve descendante.

Je réserve pour plus tard les développements qu’exige l’étude de la séve et je continue l’examen de la structure des feuilles. L’épiderme nous est maintenant connu, avec ses cellules aplaties, assemblées en fine membrane propre à modérer l’évaporation ; avec ses poils, parfois assez touffus pour former un duvet qui augmente les obstacles contre une déperdition d’humidité trop rapide ; avec ses stomates ou bouches exhalantes, qui permettent, dans une juste mesure, le départ de l’eau en excès. Ce que la feuille contient dans son épaisseur entre les deux lames d’épiderme est encore plus important. Là se trouve d’abord une espèce de charpente qui donne à la feuille de la solidité. Elle est formée de fibres et de vaisseaux assemblés en paquets, dont l’ensemble constitue le pétiole. À son entrée dans le limbe, le faisceau commun de fibres et de vaisseaux tantôt s’épanouit en plusieurs ramifications à peu près d’égale importance, comme dans la feuille du platane, tantôt se continue par un prolongement unique occupant la position médiane, comme dans la feuille du laurier, Ces prolongements directs du pétiole, simples ou multiples, se nomment nervures primaires. De ces nervures en naissent d’autres, moindres, appelées secondaires ; celles-ci en produisent de tertiaires ; et ainsi de suite, de manière que, de subdivisions en subdivisions, l’unique faisceau du pétiole se trouve réparti en une multitude de nervures très-fines, qui se rejoignent entre elles et forment un réseau à mailles innombrables. Rappelez-vous ces dentelles élégantes en lesquelles se réduisent les feuilles longtemps exposées à l’action de la pourriture ; elles ne sont autre chose que le réseau fibro-vasculaire dépouillé du tissu de cellules qui en remplit les mailles à l’état vivant. Le rôle de cette jolie charpente ne se borne pas à donner de la consistance au limbe de la feuille et à le maintenir étalé ; une autre fonction lui est dévolue, d’un intérêt bien plus grand. C’est par les vaisseaux du pétiole que la séve ascendante arrive dans la feuille ; c’est par les vaisseaux des nervures et de leurs ramifications de plus en plus petites et nombreuses, qu’elle se distribue dans toute l’étendue du limbe pour y subir la concentration par les stomates, l’action chimique de la lumière, et devenir fluide nourricier ; c’est enfin par le même réseau de vaisseaux et de fibres, que la séve élaborée revient de feuille au rameau pour se distribuer aux divers organes qu’elle doit alimenter. Le réseau fibro-vasculaire est donc la voie de communication entre la feuille et la plante. Il amène dans le limbe des matériaux bruts ; il en ramène de la séve nourricière, préparée dans le laboratoire qu’il nous reste à examiner.

Ce laboratoire, où réside par excellence l’activité de la feuille, se nomme parenchyme. Il consiste en un tissu de cellules qui remplit les mailles du réseau fibro-vasculaire et englobe plus ou moins les nervures dans son épaisseur. Les cellules sont d’un vert pâle, généralement irrégulières, et groupées sans ordre bien déterminé. Leur forme et leur arrangement diffèrent, dans la grande majorité des cas, sur les deux faces de la feuille. À la face supérieure, le microscope montre deux ou trois couches de cellules oblongues, dirigées perpendiculairement à l’épiderme et serrées entre elles de manière à ne laisser que peu ou point d’intervalles vides. Dans l’épaisseur même de la feuille et à la face inférieure, les cellules sont fort irrégulières au contraire, ne se touchent que partiellement et laissent ainsi de nombreux espaces inoccupés, que l’on nomme méats intercellulaires, et lacunes quand ils prennent un peu plus d’ampleur. De cette différence de contexture résulte la teinte différente des deux faces de la feuille.

Fig. 104. Tranche verticale d’une feuille de Giroflée.
e, épiderme ; s, stomate ; l, l, l, lacunes ou chambres aériennes ; m, méats intercellulaires ; p, parenchyme.
Fig. 105. Lambeau de la face inférieure de la même feuille.
c, c, c, cellules épidermiques ; s, s, s, stomates.

Sur la face supérieure, à travers l’épiderme transparent et incolore, apparaît une coloration d’un vert foncé parce que les cellules vertes y sont assemblées en tissu compacte ; sur la face inférieure, la coloration est pâle parce que les cellules vertes n’y forment qu’un tissu lâche, tout criblé de lacunes à la manière d’une éponge.

Enfin chaque stomate communique directement avec un espace vide, un peu plus grand, plus régulier que les autres, et nommé chambre aérienne. Les divers méats intercellulaires du voisinage viennent tous, de proche en proche, en communiquant entre eux, déboucher dans cette chambre, sorte de vestibule d’attente où s’amassent les produits gazeux des feuilles avant de s’exhaler dans l’atmosphère par l’orifice du stomate, où s’emmagasinent provisoirement aussi les substances gazeuses puisées dans l’air avant de se rendre aux cellules, pour y subir le merveilleux travail dont je vous parlerai plus tard. La chambre aérienne est ainsi un carrefour, un réservoir pour les matériaux gazeux qui sortent des cellules ou doivent y pénétrer ; le stomate, ouvert dans la couche épidermique qui lui sert de plafond, est la porte d’entrée et de sortie. Divers couloirs en partent, tortueux, rétrécis, utilisant le moindre intervalle entre les cellules ;
Fig. 106. Coupe d’une feuille submergée de Potamot, sans épiderme et de criblée larges lacunes.
de ça et de là, sur le trajet de ces couloirs, s’ouvrent les vides plus spacieux des méats intercellulaires.

Cette structure nous permet déjà de nous rendre compte de la transpiration des feuilles. Chaque cellule, dans l’épaisseur du parenchyme, est remplie d’un liquide pour la majeure partie formé d’eau ; elle est en outre entourée de lacunes pleines d’air. À travers sa mince membrane, perméable aux liquides, la cellule transpire en saturant d’humidité la petite atmosphère qui l’entoure ; puis l’air humide, chassé lentement d’un méat intercellulaire à l’autre, arrive tôt ou tard à quelque chambre aérienne qui l’exhale au dehors par la bouche du stomate. C’est ainsi qu’au moyen des vides dont le parenchyme est tout criblé et des innombrables stomates ouverts dans l’épiderme, chaque cellule de la feuille, si profondément située qu’elle soit, est néanmoins en rapport avec l’air extérieur pour ses continuels échanges gazeux.

Dans cette admirable usine que l’on nomme une feuille, le véritable atelier de travail est la cellule ; tout le reste ne constitue guère que des voies de communication. Dans les vaisseaux des nervures circulent les liquides, matériaux bruts de la séve ascendante et produits nourriciers de la séve descendante ; les méats intercellulaires, les chambres aériennes, les stomates, servent à la circulation des vapeurs et des gaz. Ce perpétuel mouvement de va-et-vient a pour point de départ et pour point d’arrivée la cellule, où s’effectue finalement le merveilleux travail de la plante. Or, pour accomplir son œuvre, la cellule dispose d’un matériel d’atelier qu’il me reste maintenant à vous faire connaître.

Vous savez déjà qu’une cellule se compose d’un petit sac clos de toutes parts et formé d’une délicate membrane incolore. La coloration verte n’appartient donc pas à la paroi mais bien au contenu du sac. Sous le microscope, une cellule déchirée par la compression laisse, en effet, écouler une gouttelette de fluide transparent dans lequel nagent de nombreux granules verts, d’une excessive finesse. Le fluide transparent est presque en entier formé d’eau ; quant aux granules verts, ils constituent une substance spéciale que l’on nomme chlorophylle, de deux mots grecs signifiant matière verte des feuilles. C’est tantôt une gelée verte sans forme déterminée, tantôt et plus fréquemment un amas de corpuscules globuleux ou déformés par leur pression mutuelle, et si menus qu’il en faudrait environ 130 disposés à la file l’un de l’autre pour faire la longueur d’un millimètre. Une cellule dont la capacité serait d’un millimètre cube pourrait par conséquent en contenir plus de deux millions. La chlorophylle donne à la feuille sa coloration verte ; elle la donne aussi à l’écorce jeune, aux fruits non mûrs, enfin à toutes les parties de la plante colorées en vert.

Qu’elle entre dans la composition de tel ou tel autre organe, toute cellule verte est remplie de granules de chlorophylle d’où provient sa coloration ; toujours aussi elle occupe la superficie de la plante afin de recevoir l’influence de la lumière solaire. Son travail est si délicat, si difficile, que sans l’aide du soleil, le grand moteur, l’universelle puissance de ce monde, jamais elle ne pourrait l’accomplir. Aussi voyez comme les cellules à grains verts recherchent la lumière. Dans une feuille, presque toujours assez mince pour donner accès dans son intérieur aux rayons du soleil, les cellules vertes occupent l’épaisseur entière ;
Fig. 107. Coupe d’une feuille de balsamine.
mais s’il y a des couches profondes, c’est toujours à la surface qu’elles se montrent, jamais à l’intérieur, où la lumière ne peut arriver. Fendez une jeune tige : où sont les couches franchement vertes ? En dehors, à la surface. Ouvrez un melon : le vert, où est-il ? En dehors, toujours en dehors. Je ne veux pas dire que les cellules non vertes, profondément situées, restent inactives. Elles aussi travaillent : elles parachèvent les produits dégrossis, les amènent à perfection, les emmagasinent au moins dans leur cavité. Mais l’œuvre primordiale, l’œuvre par excellence, la plus ardue de toutes, les cellules à grains de chlorophylle en ont le monopole, et voilà pourquoi toutes viennent à la superficie demander aide au soleil. L’atelier et son outillage vous étant maintenant connus, je vais essayer de vous faire comprendre le travail qui s’y fait.