La Pointe-du-Lac/06

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Les éditions du Bien public ; Les Trois-Rivières (p. 59-62).

VI — Civils et Militaires


Les seigneurs et les capitaines de milice voyaient jadis aux affaires temporelles.

Depuis l’érection civile, en 1845, c’est la fonction du conseil, dont les séances ont lieu à la salle publique attenante au logis du sacristain : symbole d’union de l’Église et de l’État.

Les rapports des premières délibérations n’existent plus : le secrétaire de la municipalité notait sur des feuilles volantes, sans se douter qu’il écrivait l’Histoire. En 1855 un greffier plus prévoyant, M. Sévère Morin, neveu du curé Paradis, se procura un solide registre qui fait encore bonne figure.

Sans suivre dans le détail les mesures des proposeurs et des secondeurs, les routes verbalisées et les procès-verbaux, les contrats de chemins d’hiver et de balisage de la traverse de Nicolet, les évaluations et les élections, gardons seulement la liste du premier conseil connu, puis des maires jusqu’à date :

En 1855, le maire est M. Georges Rivard-Dufresne, et les conseillers, MM. Charles Camirand, André Martin, Frédéric Abran, Jean Crête, Antoine Guilbert et Olivier Duplessis.

Les autres maires seront MM. Joseph Rouette (1857-59), le docteur et seigneur Charles Mailhot (1859-64), André Martin (1864-68), Étienne Comeau (1868-74), dont plusieurs conseillers, entre autres le seigneur Toussaint Biron, signaient d’une croix ; Isaac Denoncourt (1874-78), Antoine Comeau (1878-80), Hector Biron (1880-83), Damase Bouchard (1883-86), Philippe Alarie (1886-94), Joseph Bouchard (1894-96), Edmond Biron (1896-98), Alfred Lemerise (1898-1907), Oliva Dugré (1907-12), Théode Beaulieu (1912-14), Léger Fournier (1914-15), Achille Pothier (1915-17), Léonard Houle (1917-25), Oliva Dugré, (1925…)

Les contribuables d’aujourd’hui trouvent que les taxes ont pris un élan depuis un quart de siècle : « Auparavant, j’emportais $10. pour payer mes taxes, et je revenais avec de la monnaie ; aujourd’hui j’emporte $100. et il m’en manque. Ça me coûte six vaches pour rester sur ma terre ! »

Quand survint, en plus, l’éclairage électrique du village, la municipalité se dédoubla, la mairie aussi, et depuis 1928, M. Alfred Garceau, meunier à L’Acadie, dirige le Conseil rural.

Les secrétaires de la municipalité sont presque perpétuels. Après M. Morin, M. Antoine Garceau fils, cultivateur doté d’un cours classique, rédige les rapports de 1859 à 1900, avec seulement une interruption de deux années (1872-74, alors que M. Onésime Descôteaux fait l’ouvrage). De 1900 à 1921, c’est M. Arthémis Biron, marchand et maître de poste, remplacé alors par M. Martin, encore secrétaire des deux Conseils.

Nous avons fourni les deux députés de Saint-Maurice à la première Chambre de 1792-96 : Thomas Coffin et Augustin Rivard-Dufresne, ancêtre de M. Oscar Dufresne, le grand industriel de Montréal ; aussi à la deuxième, de 1797-1800 : Coffin et Nicolas Montour ; de 1801 à 1805, Coffin seul, qui d’ailleurs habite les Trois-Rivières. Ça été toute notre action politique et elle n’a eu rien d’extraordinaire : Coffin et Montour étaient protestants, fort peu démocrates, et ordinairement de travers.

Nos médecins s’appelèrent les docteurs Mailhot, Thérien, Harel, Doray et Laîné, actuellement soignant.

Le notaire de Carufel ouvrit une étude chez nous, au temps où son fils était curé.

L’avocat LaBarre pratiqua aussi chez nous, mais l’agriculture !

Parmi les laïcs qui ont réussi de façon plus éclatante, outre nos cultivateurs progressifs dont deux viennent d’être médaillés du Mérite agricole, MM. Adolphe Montour et Oliva Dugré, nommons feu le docteur F.-X. Duplessis, de Richmond, MM. Oscar Dufresne et Albert Duplessis, industriels, le capitaine de bateau Louis Dugré, J. Beaulieu, notaire, et J.-D. Camirand, bijoutier en gros, de Montréal ; MM. Camirand, A. Dupont et J. Dugré, de Sherbrooke ; le docteur Biron, de Cochrane, Ont. ; MM. Sévère Descôteaux et Sévère Rivard, les bijoutiers Garceau, le pharmacien Houle, les docteurs Dugré et Denoncourt, des Trois-Rivières, et beaucoup d’autres sans doute, car notre groupe a surabondamment déserté, fournissant le plus souvent des manœuvres et des usiniers.

Quand, les cadres d’une paroisse sont remplis, que les terres sont prises et que les industries manquent, la jeunesse est forcée de déborder.

Où sont allés nos surplus de population ? Dans l’ancien temps, beaucoup de défricheurs, trop serrés par la pauvreté ou gagnés par le goût des aventures, sont allés ouvrir des terres ailleurs. Puis le fléau de l’émigration aux États-Unis a pris notre jeunesse et les familles entières ; ça été la saignée la plus longue et la plus radicale. Quelques familles se sont transplantées naguère aux Cantons de l’Est., à l’exemple de Jean Rivard ; plus récemment au Témiscamingue et dans l’Ouest.

Depuis l’essor nouveau des Trois-Rivières, après l’incendie de 1908, on a déménagé en ville ; beaucoup sont installés à Montréal ou à Shawinigan.

Bien des terres jaunes qui jadis faisaient vivoter une famille, surtout dans les rangs de Saint-Charles et de Saint-Nicolas, sont léguées aux sables et aux bouleaux qui repoussent, alors qu’une culture savante aurait pu transformer cela en potagers, en petites cultures, si profitables, à quelques milles du marché. On aurait pu s’attirer le compliment adressé aux jardiniers belges par un de leurs députés : « C’est un des exploits humains les plus étonnants et qui prouvent le mieux la ténacité de la race flamande, que la transformation de cette région désolée en un vaste jardin légumier : ces terres pauvres donnent parfois plus que les terres riches… L’agriculteur belge a été plus fertile que son sol ; il fait pousser les récoltes dans le creux de sa main. »

Plusieurs de nos fermiers ont fait et font encore leur large vie, et un peu plus, sur des terres sablonneuses qu’ils ont soignées, nourries, préservées de la tuberculose et de la mort. D’autres ont tout lâché. Et la Pointe-du-Lac, qui comptait 1,602 âmes en 1851, n’en compte plus en 1931 que 1,400, et encore c’est en y joignant les deux cent-cinquante nouveaux venus des communautés récentes. Les pertes réelles sont formidables, puisqu’il faut y calculer l’accroissement possible que nous avons perdu. Supposons que notre jeunesse se fût établie chez nous ; aux taux réguliers de natalité, en quatre-vingts-ans notre chiffre pouvait se doubler quatre fois et atteindre 25,000 en 1931 ; les 1,400 qui restent à la Pointe-du-Lac ne sont qu’un reste, et la paroisse-mère peut renouveler la douleur de Rachel qui pleure ses fils et qui ne veut pas de consolations, parce qu’ils ne sont plus, parce qu’ils n’ont pas su créer d’autres campagnes qui seraient ses filles. Alors qu’il fallait essaimer, on a émigré, déserté en sourdine.

Image locale, à multiplier par cent et plus, de la désastreuse et interminable saignée de la race canadienne-française.