La Pointe-du-Lac/07/b

La bibliothèque libre.
Les éditions du Bien public ; Les Trois-Rivières (p. 78-80).

b — Produits de la terre

Par certains vieux papiers on peut diagnostiquer ce qu’était le genre de culture de nos pères : ils cultivaient le blé, ils en chargeaient des barges qui entraient dans la rivière ; ils en épuisaient des sols qui n’avaient rien de la Terre promise où coulaient l’huile et le miel, la graisse et le vin. Le grain, battu au fléau, vanné parfois, trié à la main, passait aux meuniers qui se payaient d’une mouture, et revenait farine pour cuire au four et bénir la table. Tout le monde récolte son blé ; les pauvres y mêlent du seigle, ou le remplacent souvent par le sarrasin aux galettes pleines d’yeux…

Comme on trouve tout ce qu’on veut dans les vieux écrits, surtout entre les lignes, citons deux sortes de documents paroissiaux qui indiquent assez l’évolution de la culture.

D’abord le « Compte que rend Antoine Gautier, marguillier en charge de l’hœuvre et fabrique de la Visitation, seigneurie et fief de Tonnancour pour l’année 1784 ». (Le premier chapitre des recettes contient les sommes touchées des prédécesseurs, 2,019 livres ; (336.50 $) ; le deuxième, la vente de trente-et-un bancs, 102 livres (17 .$) ; le troisième, pour vingt-cinq services et enterrements, 47 livres ; le quatrième énumère les aumônes données à la quête de l’Enfant-Jésus et à la Fabrique. Il y a là des pages d’articles divers : un pain non-bénit, des tresses d’oignons, du savon, du tabac, du bœuf, du lard, des minots de bled, du sucre, du beurre, des bottes de foin, quinze livres de filasse, 22,700 vieux clous à bardeau, trois petits cochons, trois veaux et deux dindes.

Une autre année, on ajoutera : une pelle de bois, un tour de lit, un melon, un mouton, de la laine, une poule, une oye, un câble de chanvre (tressé à la maison, c’est clair !).

En comparant six rapports de visites pastorales échelonnées sur cinquante ans l’on pourra noter la variation des cultures par les dîmes. Quant au chiffre de la population, ceux de 1807 et de 1819 s’expliquent mal.

1789 1807 1819 1829 1833 1840
Communiants 760 250 530 650 850 850
Confirmés 49 100 82 111 170
Dîmes :Blé 211 110 190 100 200 80
Avoine 60 220 260 210 380
Pois 10 18 20 8 28
Seigle 38 16 15 15
Blé-seigle 6 15
Orge 16 4 6 30
Sarrasin 8 15 6

On note une fois 50 cordes de bois, 435 bottes de foin et 5 minots de gaudriole. On voit le genre de culture d’alors. L’industrie laitière n’est pas née. Quelques vaches sans race pacagent, minces et mornes, dans des enclos sans herbe, et hivernent à la paille, le poil long et la façon courte, dans des étables sans fenêtres. Il faut les voir sortir, au printemps, les pieds mous et le cou pelé… L’on n’est soigneux que des beaux chevaux, qui ne rapportent rien, qui ruinent leur homme, mais qui courent fort. L’automobile joue le même rôle.

Les gelées tardives de 1815 jettent la province dans la détresse : pas de grain, pas de pommes de terre. Le gouverneur-général, Drummond, prie Mgr Plessis de recueillir les informations sur la disette, en vue de fournir des secours directs (déjà !) à même les approvisionnements des troupes. Sur cent-quatre réponses reçues, treize paroisses, de Montréal-Richelieu ont du grain à vendre ; quarante, surtout de la région des Trois-Rivières, en ont assez pour vivre et pour semer ; vingt-quatre, d’un peu partout, ne pourront vivre et semer que difficilement ; enfin vingt-sept, presque toutes des paroisses nouvelles, dans Montcalm, la Beauce et à partir de Cacouna, n’ont déjà plus rien en février. C’est cet hiver-là que M. de Calonne payait le blé cinq piastres pour soutenir ses pauvres. En 1787-88 aussi, il avait fallu se serrer la ceinture et manger du son et des racines, c’est-à-dire des patates sauvages.

Deux autres calamités : l’inondation de 1865, qui donna le coup de mort au village du Grand-Machiche ; et celle de 1896, la grande-digue, où l’eau monta tellement que les cultivateurs d’en bas déménageaient le bétail sur des radeaux, et qu’on canotait par-dessus des garde-fous du pont du Moulin et dans la maison Mailhot : le piano des Bellemare était fixé au plafond.