La Porteuse de pain/III/I

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Troisième partie : Maman Lison
I
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Le matin du jour qui suivait les incidents racontés par nous dans nos précédents chapitres, Ovide Soliveau, un peu avant onze heures, arriva au restaurant où il déjeunait assez souvent avec Amanda. Celle-ci ne se fit point attendre, et dit en rentrant dans le cabinet réservé pour eux :

« Déjeunons vite… Je meurs de faim. »

Amanda n’avait point exagéré son appétit. Elle se mit à dévorer. Ovide, lui, mangeait à peine et paraissait soucieux.

« Ah ! ça, qu’avez-vous donc ? vous ne mangez pas, vous ne buvez pas… Êtes-vous malade ?

– Non… je m’ennuie de la monotonie de l’existence. Menez-moi passer quelques jours à la campagne. »

En disant ces mots, Melle Amanda commettait une grave imprudence. Ovide dissimula un sourire de satisfaction.

« Vous n’êtes pas libre, dit-il.

– Je demanderai un congé à ma patronne.

– Eh bien, demandez le congé. Je vous emmène à la campagne pour huit jours, ce soir.

– Je ne demande pas mieux. Où irons-nous ?

– Choisissez l’endroit. Ça m’est égal, pourvu qu’il soit au bord de l’eau. Vous louerez un canot et nous irons nous promener sur la rivière du matin au soir.

– Connaissez-vous Bois-le-Roi ? Sur la lisière de la forêt de Fontainebleau et sur les bords de la Seine.

– Eh bien, va pour Bois-le-Roi. Après déjeuner je prendrai le chemin de fer, et j’irai m’occuper des détails. Obtenez l’autorisation de Mme Augustine, faites les achats nécessaires pour huit jours de villégiature et venez me retrouver. »

Ovide présentait un billet de banque à l’essayeuse.

« Merci… J’irai vous rejoindre pour l’heure du dîner. »

Ovide devait attendre Amanda à la gare, le soir.

La jeune femme regagna l’atelier, alla trouver Mme Augustine et lui dit d’une voix émue, en essuyant avec son mouchoir une larme factice, qu’une de ses tantes était gravement malade et désirait la voir. Le congé fut accordé.

Ovide s’était fait conduire chez lui, avait préparé une valise, placé entre deux chemises une fiole contenant certaine liqueur dont nous connaissons déjà les effets ; puis il était parti pour Bois-le-Roi. Une auberge de modeste apparence, à l’enseigne du Rendez-vous des Chasseurs, se trouva sur son chemin.

« Pouvez-vous me louer un appartement pour une semaine ? demanda-t-il à l’hôtesse qui répondit :

– Nous possédons à cent pas d’ici un joli pavillon, la villa des Mûriers. Monsieur viendra déjeuner et dîner ici, ou on le servira dans le pavillon, à son choix.

– Très bien ; mais j’aurai besoin d’un canot.

– Nous en avons six. Vous choisirez celui qui vous plaira.

– Parfait ! Maintenant veuillez préparer à dîner pour deux personnes. »

L’hôtesse du Rendez-vous des Chasseurs appela une servante et lui donna l’ordre de conduire le voyageur au pavillon. C’était une maison exiguë mais fort coquette, n’ayant qu’un rez-de-chaussée divisé en quatre petites pièces, une salle à manger, deux chambres à coucher et une cuisine. Ovide serra sa valise dans son armoire dont il eut soin de retirer la clef. Puis il revint à l’hôtel et traça les lignes suivantes :


« Mon cher ami,

« Je suis en villégiature à Bois-le-Roi avec une jolie personne. Si tu avais besoin de moi ; écris ou télégraphie au baron Arnold de Reiss, à l’hôtel du Rendez-vous des Chasseurs. Bien à toi. OVIDE. »


Cela fait, le Dijonnais se dirigea vers la gare où il mit sa lettre à la poste. Il avait une heure à employer. La forêt de Fontainebleau lui offrit un but de promenade.

Il aperçut un groupe de cinq personnes assises au pied d’un chêne. Au centre se trouvait un homme dont les cheveux blancs attestaient le grand âge. À sa droite, se voyaient une femme de cinquante ans environ et deux jeunes filles. À sa gauche un homme de quarante-neuf ans, vêtu de noir. Disons tout de suite que c’était un médecin. Ovide avançait toujours. La voix du vieillard, un octogénaire, frappa son oreille, et il tressaillit.

« C’est singulier, se disait-il en s’éloignant, voilà une voix qu’il me semble bien avoir entendu quelque part. Et l’homme en redingote noire, je le connais aussi… »

Laissons-le s’éloigner. Le médecin parlait.

« Ainsi, disait-il, en 1861, vous vous êtes embarqué à Londres sur le Lord-Maire à destination de New York. Sans nous en douter nous nous trouvions sur le même navire, monsieur Bosc ; il y avait à bord un grand industriel américain, James Mortimer ; et un Français, plus tard son gendre, M. Paul Harmant.

– Oui, nous étions ensemble, fit l’octogénaire. Ce nom de Mortimer me le prouve et me rappelle une tentative de vol dont j’ai failli être victime, j’avais sur moi, dans une sacoche, une somme importante. Un misérable coupa la courroie et s’empara de la sacoche.

– Elle vous a été rendue, cependant ?

– Oui, grâce à un passager qui avait surpris le voleur.

– Sur ce même paquebot, reprit le médecin. J’ai eu l’occasion de causer avec un Canadien qui m’a fait connaître un liquide que les Indiens nomment liqueur bavarde, et qui est à peu près l’équivalent du pohou upas, mais sans le côté toxique, ou du moins avec ce côté bien amoindri.

– Oui, oui, je connais, répondit l’ex-agent de la Sûreté René Bosc. Cette liqueur fait parler les plus discrets. En avez-vous fait l’expérience ?

– Oui, et j’ai toujours obtenu le résultat souhaité.

– Êtes-vous pour longtemps dans ce pays ?

– Pour quelques jours seulement. Je suis venu voir ma sœur souffrante, et je profite de mon séjour ici en me reposant.

– Eh bien, tout le temps que vous resterez à Bois-le-Roi, voyons-nous chaque jour, je vous en prie. Nous parlerons de cette belle Amérique que j’aime.

– Cher monsieur Bosc, je vous le promets. »

Le médecin aida l’octogénaire à se relever et les cinq personnages prirent le chemin de Bois-le-Roi où l’ex-agent de la Sûreté habitait une maison sur les bords de la Seine. Ovide était revenu sur ses pas, car l’heure s’avançait. Un coup de sifflet prolongé lui annonça l’arrivée du train de Paris à Bois-le-Roi. Amanda descendit d’un compartiment de première classe fort coquettement mise et jolie à ravir.

« Avez-vous trouvé quelque chose de confortable ? demanda-t-elle au pseudo-baron de Reiss.

– Vous en jugerez tout à l’heure… Le dîner nous attend.

– Et le canot ?

– L’hôtel en possède six. Vous choisirez. »

Ovide et sa compagne arrivèrent au Rendez-vous des Chasseurs. Ovide conduisit Amanda au pavillon.

« C’est très gentil, ici ! s’écria la fille. Nous serons comme chez nous. Mais où prendrons-nous nos repas ?

– À l’hôtel, répondit Ovide.

– Ah ! ça par exemple, c’est ennuyeux. Le déjeuner, passe encore, mais pas le dîner. J’aimerais dîner ici ; on se met à son aise. Arrangez-vous pour qu’on nous serve ici le soir. »

On rejoignit l’hôtel où le dîner attendait.

« Madame est satisfaite du pavillon ? demanda l’hôtesse.

– Tout à fait.

– Vous serez tranquille. Pas de voisins, sauf à droite, une maison habitée par une dame, la sœur du docteur Richard.

– Si je suis malade, je l’appellerai par-dessus le mur…

– Il ne vous entendrait pas. La propriété est grande, et la maison se trouve au bout du jardin. »

Ovide écoutait avec attention et notait chaque parole… Depuis quatre jours nos deux personnages habitaient Bois-le-Roi dont c’était la fête patronale. La jeune fille voyant le pseudo-baron de Reiss attentif auprès d’elle, commençait à croire qu’elle l’avait mal jugé, qu’il ne songeait nullement à se servir contre elle de la déclaration dont il était possesseur.

Après le déjeuner, Amanda eut envie de faire une promenade en bateau. Depuis le matin Ovide s’était plaint d’un violent mal de tête.

« Ma belle poulette, fit-il, je n’aurai pas aujourd’hui le courage de vous accompagner. Permettez-moi d’aller me reposer. Où nous retrouvons-nous ?

– Je ne veux point abuser de vous, répondit Amanda. J’irai faire un tour sur la rivière. Allez vous reposer.

– Ici, avant dîner. J’y viendrai prendre mon absinthe. »

Ovide quitta la jeune femme et se rendit à la villa des Mûriers. Une fois la porte du pavillon refermée derrière lui, ouvrant l’armoire dans laquelle il avait soigneusement enfermé sa valise, il tira de cette valise la fiole que nous l’avons vu placer entre deux chemises. Un sourire vint à ses lèvres tandis qu’il regardait cette fiole.

« La liqueur bavarde, fit-il, me donnera encore un résultat. »

Un buffet supportait plusieurs bouteilles de diverses liqueurs. L’une de ces bouteilles, étiquetée chartreuse verte, ne refermait plus que quatre ou cinq petits verres.

« C’est la chartreuse verte qu’Amanda préfère », fit-il.

Il déboucha la bouteille de chartreuse, puis la fiole apportée d’Amérique, et versa dans la première deux cuillerées du contenu de la seconde. Cela fait, il alla dormir.

Nous le laisserons sommeiller et nous rejoindrons Melle Amanda, occupée à pêcher le goujon. Tout à coup son attention fut détournée par un bruit curieux en cet endroit de la rivière. Des coups de sifflet retentissaient, suivis bientôt d’un choc terrible, puis de cris, de gémissements, d’appels au secours.

« La rencontre de deux trains sans doute », murmura la jeune fille.

Elle amarra son canot au tronc du saule et se dirigea vers le théâtre de la catastrophe. Déjà nombre de curieux se rendaient du même côté. Un spectacle effroyable s’offrit à sa vue. Trois wagons étaient complètement démolis, d’autres culbutés. De toutes parts s’élevaient des cris de douleur.

Déjà on emportait des gens blessés, sanglants, à moitié morts. Amanda, épouvantée, avait pris place près de la sortie, pour voir les malheureux qu’on emportait.

En ce moment deux médecins arrivaient : celui du pays et le docteur Richard que nous avons entendu causer dans la forêt avec le vieux René Bosc. Les deux médecins se mirent en devoir d’examiner les blessés. À l’appel du chef de gare le docteur Richard accourut et demanda :

« Qu’y a-t-il ?

– Voici ce malheureux, monsieur, je vous en prie ! »

Et le chef de gare désignait un corps inanimé que deux employés du chemin de fer venaient de déposer sur le quai. Le médecin se pencha vers le blessé. Amanda se trouvait en ce moment tout près de lui. Elle poussa une exclamation :

« C’est lui ! C’est bien lui ! C’est Duchemin !… »

Le chef de gare avait entendu l’exclamation.

« Vous connaissez ce jeune homme, madame ? » fit-il.

Le souvenir du passé de Joigny ne lui permettait pas de répondre d’une façon affirmative à cette question.

« J’avais cru… balbutia-t-elle, mais je vois bien que je me trompais ; une ressemblance très vague…

– Ce jeune homme n’est que blessé, dit le docteur. Qu’on le porte de ma part au Rendez-vous des Chasseurs.

– Voilà qui s’arrange mal, pensait Amanda. Je n’aurais pas voulu que le baron vît Duchemin… »

On emportait déjà le blessé. La jeune fille suivit à quelque distance. La civière entra dans la cour de l’auberge ; l’amie du baron de Reiss rejoignit alors l’hôtesse.

« Vous savez l’accident, madame ? lui demanda celle-ci.

– Il s’est passé presque sous mes yeux. Je sais même qu’on vous a amené des blessés.

– Trois. Deux dames et un jeune homme. »

Ovide Soliveau entra. Il avait l’air parfaitement dispos.

« Je viens d’entendre parler d’un accident », fit-il.

Amanda raconta ce qu’elle avait vu, en ayant soin de ne point parler de Duchemin reconnu par elle.

Vers sept heures, Ovide et sa compagne regagnèrent la villa des Mûriers où on allait leur servir à dîner.

Ovide prolongea le repas. Amanda servit le café.

« Quelle liqueur boirez-vous, mon ami ? demanda-t-elle.

– Du rhum, ma poulette, selon mon habitude… et vous ?

– Oh ! moi, de la chartreuse, c’est mon faible. »

Melle Amanda posa la bouteille de rhum à côté d’Ovide, remplit pour elle un petit verre de chartreuse mélangée de liqueur canadienne, puis, ayant pris son café, vida son verre d’un seul trait, le remplit de nouveau, et, tout en causant et en fumant, le but par petites gorgées. Dix heures et demie sonnèrent, puis onze heures. Ovide quitta son siège, se dirigea vers la fenêtre du pavillon dont il ferma le volet, et revint s’asseoir en face d’Amanda. Celle-ci continuait à fumer cigarettes sur cigarettes. Tout à coup, comme Jacques vingt et une années auparavant, elle se trouva d’une façon foudroyante sous l’influence de la liqueur bavarde.

« La gorge me brûle, fit-elle, j’ai soif. »

Elle se versa un grand verre d’eau et le but avidement.

Cette absorption ne fit que hâter l’effet prévu. Amanda se dressa, les membres raidis, les yeux hagards.

Ovide, comprenant que le moment était venu, commença :

« Eh bien, avez-vous deviné quel était l’homme qui s’est payé le couteau du quai Bourbon ? »

Amanda répondit, d’une voix sifflante :

« L’homme ? C’est le même qui est allé à Joigny collectionner le billet faux de Duchemin et la preuve du vol que j’ai commis chez Melle Delion. Est-ce que vous vous figurez que je ne vous avais point deviné depuis longtemps ? C’est vous qui, certain soir où vous m’avez conduite chez Lucie, avez acheté le couteau pendant que je montais… C’est vous qui êtes allé vous embusquer sur le chemin que devait suivre la pauvre fille… c’est vous qui l’avez frappée. Vous valez moins que moi, mon bien cher. Je suis une voleuse, oui, mais vous êtes un assassin ! »

Elle parlait de plus en plus haut, et sa voix devenait stridente. Ovide se leva pour lui imposer silence. Elle recula.

« Laissez-moi ! Laissez-moi ! cria-t-elle. Ah ! je vous connais ; pas encore entièrement, mais je saurai bientôt qui vous êtes. Et quand j’aurai découvert le nom caché sous celui du baron de Reiss, tant pis pour vous !… Ah ! vous pouvez me perdre. Eh bien, je vous perdrai la première… Pourquoi vouliez-vous tuer Lucie ? Il y a là un mystère que j’éclaircirai… »

Ovide était devenu pâle. Il tremblait.

« Tais-toi, bégaya-t-il, je t’ordonne de te taire !

– Et moi je veux parler ! répondit violemment Amanda. Ah ! tu me croyais assez sotte pour ne rien comprendre ! Maintenant je te suivrai pas à pas. Je deviendrai ton ombre. Je veux être riche, tu m’entends, sinon, je t’enverrai au bagne. Entends-tu ? au bagne ! Ah ! ah ! ah ! au bagne ! »

Et la jeune fille eut un long éclat de rire strident. Soliveau craignait que le bruit de ce rire n’arrivât au dehors.

« Te tairas-tu ? » répéta-t-il d’une voix menaçante.

Amanda, dont le délire grandissait toujours, répliqua :

Me taire ? pourquoi me taire ? Je dis la vérité. Tu n’es pas le baron de Reiss ! Je t’arracherai ton masque. »

Amanda se tut enfin. Maintenant des sons inarticulés remplaçaient la parole. Quelques minutes s’écoulèrent encore, puis la jeune fille s’abattit sur le parquet, en proie à des convulsions violentes.

Ovide se sentit frissonner de la tête aux pieds. Jamais la liqueur canadienne n’avait produit sur Jacques Garaud aucun effet de ce genre. La dose était-elle trop forte ?

« Il faut tout prévoir », pensa Soliveau.

Et, après avoir vidé dans les cendres du foyer le reste de la bouteille de chartreuse, il se hâta de quitter le pavillon. Comme il sortait du jardin, il se trouva en face d’une femme et d’un homme, immobiles et semblant écouter. La femme, qui n’était autre que l’hôtesse du Rendez-vous des Chasseurs, s’écria :

« Mais, c’est M. le baron de Reiss !…

– Oui, madame. Je suis en quête d’un médecin. La personne qui habite le pavillon avec moi est malade…

– Ainsi, ces clameurs lamentables que nous entendions ?

– Étaient poussées par elle, oui, madame.

– Je suis médecin, monsieur, dit alors le docteur Richard qui venait de panser les blessés à l’hôtel ; disposez de moi. »

Lorsque les trois personnes entrèrent dans la salle à manger, le corps de la jeune femme se tordait sur le plancher. Le docteur Richard prit un des poignets d’Amanda et posa ses doigts sur l’artère. Il souleva ensuite les paupières à moitié closes ; il écarta les lèvres contractées.

Le sang ne s’en échappait plus : une écume blanchâtre le remplaçait. Le docteur regarda fixement Ovide.

« Vous êtes allé en Amérique, n’est-ce pas ? dit-il. Vous connaissez Cuchillino, de New York ? »

Soliveau devint livide en reconnaissant tout à coup le médecin que, vingt et une années auparavant, il avait vu causer avec le vieux Canadien sur le pont du Lord-Maire.

« Oui, monsieur, balbutia-t-il.

– Avez-vous de l’ammoniaque ici ? Il en faut, et vite.

– Vous en aurez dans trois minutes, docteur », fit l’hôtesse.

Et elle s’élança dehors. Dès qu’elle se fut éloignée, le médecin s’approcha d’Ovide et renoua en ces termes l’entretien :

« Non seulement vous avez connu à New York le Canadien Cuchillino, mais encore vous lui avez acheté un flacon du liquide qu’ils nomment, là-bas, la liqueur bavarde. »

Ovide comprit que toute dénégation serait superflue. En conséquence, il répondit affirmativement.

« Vous aviez le désir de savoir ce que pensait cette jeune femme, poursuivit le docteur en désignant Amanda, et vous avez employé la liqueur canadienne.

– Je ne le nie point, mais mes motifs étaient légitimes.

– Ces motifs m’importent peu, interrompit le médecin. Le fait existe, voilà tout, et il est heureux que vous m’ayez trouvé sur votre passage, car, en exagérant la dose, vous avez mis cette malheureuse à deux doigts de la mort ! »

En ce moment l’hôtesse apparut. Le docteur Richard prit le flacon d’alcali qu’elle apportait, et laissa tomber dix gouttes de son contenu dans un verre plein d’eau. Il s’agenouilla à côté d’Amanda à qui il fit absorber une gorgée du mélange d’eau et d’ammoniaque. L’effet produit fut instantané ; le corps devint absolument inerte. Deux autres cuillerées furent administrées par le médecin, puis il dit :

« Il n’y a plus autre chose à faire que de coucher cette jeune femme. Tout danger me paraît avoir disparu. »

Ovide n’avait qu’à s’incliner. Il prononça quelques paroles de gratitude et le docteur Richard quitta le pavillon.

« Elle n’est pas morte, murmura-t-il. Plus rien à craindre, puisque la coquine est hors de danger. Le médecin a cru qu’il s’agissait d’un amant jaloux voulant faire avouer à sa maîtresse quelque trahison. Il ne parlera pas… Ce docteur est bien l’homme que j’ai vu, assis dans la forêt. Je ne pouvais me rappeler en quel endroit, jadis, j’avais rencontré cet homme… Je me souviens maintenant ; c’est à bord du Lord-Maire. Il questionnait le Canadien au sujet des vertus de la liqueur bavarde… Et il s’est trouvé là juste à point pour reconnaître les symptômes produits par cette liqueur, et pour sauver Amanda ! Décidément, j’ai de la chance ! Je sais ce que pense l’aimable enfant, je connais ses projets. Je suis sur mes gardes, Amanda n’est plus dangereuse… »






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