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La Poupée sanglante/18

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Tallandier (p. 164-176).
La preuve  ►

XVIII

LES NOUVELLES DE LA MARQUISE

« Ma chère Christine, je vous écris parce que je n’ai plus d’espérance qu’en vous, en vous et en M. Bénédict Masson, espérance bien faible, hélas !…

» Maintenant que je suis loin de vous, comment vous convaincrais-je de ma trop réelle infortune, vous qui n’y avez pas cru quand j’étais frappée sous vos yeux ?

» Non, Christine, ce n’est pas une folle qui vous écrit, ce n’est pas une monomane qui se meurt d’une idée fixe, comme vous l’avez pensé longtemps, comme vous le pensez sûrement encore (sans quoi vous ne m’eussiez pas laissée partir ; vous ne m’eussiez pas, vous et M. Bénédict Masson, abandonnée à mon bourreau), c’est la plus malheureuse des créatures à qui l’on vole sa vie chaque jour, chaque nuit, goutte à goutte, c’est la victime d’un monstre qui a déjà dévoré des générations et qui vient chercher sa nourriture dans des veines épuisées par son insatiable morsure !…

» Ah ! ne souriez pas, Christine, comme je vous ai vue déjà si tristement sourire… Pourquoi ne pas me croire, vous qui m’avez vue ?… Pourquoi ne pas accepter mon mourant témoignage ?…

» Ce mot de vampire, quand je le prononçai pour la première fois devant vous, n’évoquait qu’un vague fantôme né de mon imagination malade… et pourtant !… et pourtant !… Il était là ; entre nous, en chair et en os !…

» Christine ! Christine ! cela a existé les vampires !… J’admets qu’ils aient disparu peu à peu de la surface de la terre, poursuivis, traqués jusqu’au fond de leurs funèbres repaires, mais pourquoi ne voudriez-vous pas qu’au moins l’un d’eux ait survécu à cette race maudite ?…

» Quelquefois, les matelots qui reviennent des mers lointaines nous racontent qu’ils ont soudain vu sortir du sein des flots les replis formidables de l’un de ces monstres qui, au témoignage de l’histoire naturelle, peuplaient la mer aux premiers temps du monde… Le serpent de la baie d’Along est peut-être le dernier de cette espèce redoutable comme celui que vous savez est peut-être le dernier vampire vomi par les tombeaux !…

» Son tombeau ! son tombeau vide d’où il est sorti il y a plus de deux cents ans pour se repaître du sang des vivants ; j’ai voulu le voir ; je l’ai vu… j’en ai soulevé la pierre !… Guidée par un homme, par le plus humble des hommes à qui mon sort a inspiré quelque pitié et qui, en cachette, vous fait parvenir ces lettres, je suis descendue dans la crypte mortuaire de la chapelle de Coulteray dont cet homme est le gardien…

» Là, sont les tombeaux de la famille… Le premier de la seconde rangée à droite… c’est celui-là !… « Cy-gît Louis-Jean-Marie-Chrysostome, marquis de Coulteray, premier écuyer de Sa Majesté… » et une plaque, sous la date, où l’on trouve cette mention : « Les restes de Louis-Jean-Marie-Chrysostome ont été dispersés en 1793, par la Révolution. »

» Dispersés !… dispersés !… Je sais où ils sont, moi, les restes de Louis-Jean-Marie-Chrysostome !… Et vous aussi, Christine, qui ne me croyez pas, vous le saurez un jour !… Ils se portent fort bien !…

» Quelle vision que cette crypte !… Cette tombe vide m’attire !… quelque chose me dit qu’une nuit, je me réveillerai sous cette pierre… et que, moi aussi, à mon tour, je me lèverai, pâle fantôme qui cherchera sa vie !…

» Qu’un pareil destin me soit épargné, Seigneur !… Vous savez à quel prix, Christine !… Vous savez ce que l’on doit faire de nos cadavres pour qu’ils ne soient plus redoutables après la mort !…

» Qu’au moins mon tourment cesse avec ma vie !… Sangor m’a promis de ne point m’épargner quand je serai morte… Moi morte, il n’a aucune raison de me tromper… et puis, ce sera son intérêt, ce dernier geste qui me libérera à jamais des horribles festins de la terre !… Je me suis arrangée pour cela !… Vous allez me croire plus folle que jamais !… Christine ! Christine !… j’espère avoir bientôt l’occasion de vous convaincre de ce qui se passe ici !… de vous fournir une preuve décisive… irréfutable… et alors, vous accourrez, n’est-ce pas, vous et Bénédict Masson !… Vous me sauverez, s’il en est temps encore !…

» Le marquis ne me quitte plus !… depuis que je ne suis plus qu’un souffle, jamais il ne m’a autant aimée !… C’en est fini de cette liberté relative dont je jouissais encore à Paris… Il a renoncé à m’abuser sur la nature de son mortel amour. Il ne cherche plus à tromper personne !… à me faire croire à moi-même que je ne suis qu’une malade ! c’est fini cette étape-là !… Je suis prisonnière de l’époux qui me dévore !… Ses lèvres ne me quitteront que lorsque j’aurai rendu le dernier soupir… Le voilà bien tranquille pour boire sans remords le sang pâle que l’ingéniosité diabolique de Saïb Khan parvient encore à faire couler dans mes veines…

» Je ne sais comment je puis encore me traîner !… Ce médecin hindou ressusciterait les morts !…

» Christine, je vais vous dire comment j’ai voulu profiter des forces que, je ne sais par quel sortilège, il m’avait redonnées, pour m’échapper au cours du dernier voyage… mais assez pour aujourd’hui !… assez ! ils viennent !… Je les entends ! Ils rentrent de la promenade et ils viennent prendre des nouvelles de ma santé !… Sing-Sing leur ouvre déjà la porte !… »

Deuxième lettre. — « Ma chère Christine, vous savez comment on m’a fait quitter Paris, à la suite de quelle scène entrevue par vous et Bénédict Masson… On ne comptait pas sur vous, je puis vous l’affirmer… On se croyait seuls à l’hôtel.

» Quand vous êtes accourus à mes cris, quand vous avez pénétré dans cette chambre où j’étais déjà sa proie, me débattant vainement contre sa morsure, sa figure penchée sur moi et qu’envahissait déjà l’ivresse de sa passion du sang, de mon sang… sa figure est devenue terrible… Je me suis dit : « Ils sont perdus ! »

» Mais c’est moi qui étais perdue ! Vous, on vous a laissés là-bas… Vous supprimer, cela pouvait devenir trop grave… beaucoup trop compliqué… Après tout, qu’est-ce que vous aviez vu ? Rien !… Qu’est-ce que vous aviez entendu ?… Un cri de folle ? Toujours de folle !… Mes confidences antérieures ? Imaginations d’un cerveau endolori !

» Tout de même, après une telle scène, il y avait de quoi troubler les plus sceptiques. On a compris cela !… Il n’y avait plus qu’à en finir avec moi, jusqu’à plus soif !…

» Et l’on m’a emportée !…

» Ah ! je savais bien que c’était la fin !… Ce sentiment affreux d’une pareille mort, suivie de je ne sais quoi de plus horrible peut-être encore, m’a fait me traîner une dernière fois jusqu’à vous dans le moment qu’ils pouvaient me croire incapable d’un mouvement !… Christine ! Christine ! Il m’a semblé que, dans cette dernière entrevue-là, l’équilibre trop bien établi de votre esprit calme, trop calme, a chancelé… J’ai vu passer dans vos yeux non seulement cette pitié coutumière que j’y lisais avec désespoir, mais quelque chose de plus, quelque chose que je pourrais peut-être formuler ainsi : « Si, par hasard, la folle avait raison ? » et chez Bénédict Masson j’ai trouvé aussi quelque chose de nouveau !… Eh bien, accourez ! accourez vite si vous ne voulez pas me trouver morte !…

» Je vous disais dans ma dernière lettre que j’avais voulu me sauver au cours du voyage, Oui, j’avais résolu cela !… j’étais décidée à risquer le cabanon, la maison de folles dont on m’a plus d’une fois menacée, plutôt que de continuer cette agonie !… mais eux, ils m’avaient devinée !… Ils devinent tout !… Sangor, Sing-Sing devinent tous les gestes que je vais faire !… Saïb Khan, qui était du voyage, comme vous pensez bien, devine toutes mes pensées !… Et le marquis peut être tranquille : on lui garde bien sa proie !…

» Tout de même, j’ai tenté l’impossible aventure !… Dans l’auto, je ne pouvais rien espérer !… Nous étions encore dans Paris que cette auto se transformait en cage de fer… les volets se rabattaient sur les rideaux… je pouvais crier là dedans !…

» Mais je ne criai pas !… J’attendis une occasion… Elle se présenta… À l’aurore, nous eûmes une panne… Il fallait travailler à la voiture… Je faisais celle qui dormait, épuisée de vie, je faisais la morte… On me transporta dans une chambre de l’hôtel qui donnait de plain-pied sur la cour où l’on réparait l’auto et, par derrière, sur un jardin qui ouvrait sur la campagne…

» À quelques centaines de mètres, j’aperçus la lisière d’une forêt. Ah ! gagner ces bois !… m’enfouir dans les arbres, dans les feuilles, dans la terre !… leur échapper !…

» Du lit où l’on m’avait étendue, j’apercevais dans la clarté même du matin le petit espace qu’il me fallait parcourir… Par la pensée, je le traversais déjà, je glissais, délivrée, jusqu’à ce bois sauveur !…

» Mais, en réalité, comment faire ?… Devant ma porte se tenait Sangor… Un peu plus loin, le marquis, qui se promenait avec Saïb Khan, tandis que les employés du garage, que l’on avait réveillés, se hâtaient de remettre la voiture en état… sous ma fenêtre dans le jardin, Sing-Sing.

» Je savais combien celui-ci était voleur, chapardeur, fureteur, ne pouvant rester en place… À l’hôtel, on l’attachait quelquefois dans sa niche comme une mauvaise bête de garde, sur laquelle on ne peut compter que la chaîne au cou… Mon espoir était là… Déjà, agile comme un chat, je l’avais vu grimper dans un arbre pour y croquer je ne sais quel fruit vert… Qu’aperçut-il du haut de cet arbre ?… Toujours est-il que, se balançant de branche en branche, il sautait sur le bord d’une fenêtre entr’ouverte au premier étage et disparaissait dans le bâtiment.

» En une seconde, je fus debout !… j’ouvris la fenêtre !… Depuis bien longtemps, je ne m’étais sentie aussi forte !… Je ne pesais pas plus qu’une plume… Mes jambes allaient me porter comme le vent… Je me laissai glisser dans le jardin… et déjà je m’élançais… Tout à coup, je poussai un cri terrible ! J’avais senti la morsure !… »

Troisième lettre. — « Ma chère Christine, je vous écris quand je peux, comme je peux… le plus souvent la nuit, à la lueur de ma veilleuse… au moindre bruit je cache mon chiffon. Je sens qu’il faut que je vous écrive, pour vous convaincre, je veux que vous veniez ! Montrez mes lettres à Bénédict Masson. J’y compte bien. Je compte sur vous deux. Je vous le répète, je ne cesserai de vous le répéter… Et si vous arrivez trop tard, eh bien, mes lettres serviront peut-être à en sauver d’autres !… car il n’est point possible que la vérité ne se découvre pas un jour… il n’est pas possible que le monstre qui mord à distance continue à se promener pendant des siècles encore, au milieu de ses victimes qui peuvent croire quelquefois qu’elles se sont piquées à un rosier et qui en meurent !…

» Ma chère Christine, je reprends mon récit au point où je l’ai laissé la nuit dernière… Je me sentis donc mordue par le monstre, par ce monstre qui était quelque part derrière moi !

» Ah ! l’horrible sensation !… je la connaissais !… Au moment où je m’y attends le moins… toujours au moment où je m’y attends le moins, je sens sa dent aiguë qui me pénètre la veine et qui se retire après y avoir laissé son venin !…

» Oui !… du venin !… j’imagine que les vampires ont, comme les vipères, une dent creuse pleine de venin… d’un certain poison qui se répand dans tout votre corps avec une rapidité et avec une douceur à laquelle il est impossible de résister… Vous sentez immédiatement vos forces vous fuir comme par une porte ouverte… qui est ce petit trou de la morsure !… c’est un engourdissement qui surprend plus qu’il ne fait souffrir… et qui en est d’autant plus terrible, lorsque, comme moi, on en connaît la suite !…

» La suite, c’est le monstre lui-même qui arrive !…

» Car les vampires ont cette particularité que n’ont point les vipères : ils mordent à distance !…

» Je savais qu’il était là…

» Je ne me retournai même pas !… J’essayai, en un effort suprême, de lutter contre l’anéantissement qui déjà me gagnait.

» Je parvins à me traîner jusqu’à la barrière qui fermait le jardin…

» Et puis, vaincue, je tournai sur moi-même… Alors j’aperçus le marquis à la fenêtre de la chambre, qui riait !…

Quatrième lettre. — « Se doute-t-on de quelque chose ? Drouine, le sacristain, le gardien des morts dont je vous ai parlé, un brave homme dans toute l’acception du mot, m’a dit de me méfier de tout… Si l’on surprend son dévouement pour moi, il perdra sa place qui le fait vivre, mais ce n’est pas ce qui l’arrête, il ne craint que pour moi.

» Le bon serviteur, je lui revaudrai cela ! En attendant, nous prenons mille précautions, je feins une grande dévotion (vous savez que je suis catholique) et sous prétexte d’aumônes pour la chapelle, je glisse dans le tronc mes bouts de lettres… Sing-Sing lui-même, qui suit la traîne de mon manteau comme un mauvais lutin, n’y voit que du feu !… Et Drouine ouvre le tronc et vous fait parvenir ces chiffons…

» À la suite de ma dernière escapade, on m’avait jetée dans la voiture comme un paquet et je ne suis sortie de là que dans la cour du château…

» Coulteray est une vraie prison !… Des fossés, des murs qui datent du moyen âge, la chapelle est dans la cour ainsi que ce qui reste du donjon. On me laisse me promener dans cette cour, qu’ils appellent encore « la baille », comme au temps jadis et qui est à moitié transformée en verger.

» La chapelle a un ossuaire, un petit cimetière qui l’entoure avec des parterres de fleurs.

» En cette saison, toutes ces pierres qui appartiennent au passé et à la mort n’ont rien de particulièrement lugubre, sous la parure printanière qui les masque. La verdure triomphe partout, mange les murs, bouche toutes les plaies. La vie déborde de toutes parts pendant qu’elle me fuit.

» De ma fenêtre, située au premier étage, j’aperçois par une brèche un paysage enchanté qui se mire aux eaux calmes de la rivière qui se jette, là-bas, dans la Loire. Et moi, je me meurs !

» Je suis venue ici pour mourir ! Je sens, je sais qu’on ne quittera ces lieux que lorsque je serai morte !

» On ne m’y a amenée que pour aspirer en paix mon dernier souffle !

» Jamais le marquis n’a été aussi doux, aussi aimable, aussi plein de petits soins ! Il s’est fait mon valet ! Il veut être seul à me servir ! Jamais il ne m’a dit d’aussi douces choses ! Il me jure qu’il n’a jamais aimé que moi ! Ah ! comme il m’aime ! comme il m’aime ! Comme il m’offre son bras pour y sentir ma faiblesse. Son amour m’a tout pris !…

» C’est le grand vampire !… Le monde est plein de petits vampires. Il n’y a guère de couples ici-bas qui ne se dévorent. Il faut que l’un mange l’autre ! que l’un profite au détriment de l’autre ! Tantôt c’est le mâle, tantôt c’est la femelle… Un égoïsme plus fort réduit peu à peu l’être qui vit dans son ombre à zéro !… Il n’est point nécessaire pour cela que l’on se perce les veines et que l’on se suce le sang… c’est l’histoire de presque tous les ménages, mais celle du nôtre, c’est autre chose !…

» C’est l’histoire du grand vampire qui est sorti de sa tombe, il y a plus de deux cents ans et qui ne compte plus ses victimes… je n’ai rien inventé, je ne vous le répéterai jamais assez ! ce n’est pas une histoire, c’est de l’histoire ! Et Drouine ne l’ignorait pas. Drouine croit, lui, comme beaucoup d’autres, du reste, au village, qui fuient quand passe le grand vampire…

» Nous nous sommes confessés devant le tombeau vide et je lui ai tout dit !…

» Mais il ne peut rien pour moi, rien avant ma mort ! Mais vous, Christine, vous Bénédict Masson, vous pouvez me sauver avant ma mort !… je vous attends !… »

Cinquième lettre. — « Cette nuit, il m’a accompagnée jusqu’à ma porte comme un amant soumis… et il s’est retiré très triste… Alors, j’ai vivement fermé la porte… j’ai poussé le verrou, j’ai couru à la fenêtre, et j’ai fermé la fenêtre… Car, tant que la fenêtre est ouverte, il peut me mordre à distance !…

» Maintenant, je suis plus tranquille… je sens que je vais avoir une nuit tranquille…

» Quelle paix sur la terre !… enfin !… enfin !… Une lune éblouissante apparaît par la brèche du rempart… Un paysage d’argent m’entoure. Je me sens la légèreté d’un ange. J’ai des ailes. Si j’ouvrais la fenêtre, j’imagine que je pourrais me balancer au-dessus des eaux miroitantes de la Loire.

» J’y regarderais une dernière fois mon image terrestre et je filerais vers les étoiles, détachée à jamais des liens de sang qui me rivent à cette terre maudite.

» Mais je n’ouvrirai pas la fenêtre, car c’est trop dangereux.

» La blessure pourrait entrer par la fenêtre !

» Horreur ! Oh ! Horreur ! Je suis blessée !

» Je suis blessée !

» Mais par où est entrée la blessure ? Qui le dira jamais ?

» Pitié, mon Dieu ! »

Sixième lettre. — « Concevez-vous cela ?… Oui ! tout était fermé !… Il me mord maintenant à travers les murs ! … Et vous n’accourez pas ?… »

Septième lettre. — « Je vais vous prouver que je ne suis pas folle !… Aucun livre au monde n’a jamais dit qu’un vampire pouvait mordre à travers les murs !… Et cependant j’ai été mordue !… j’ai cherché !… j’ai cherché partout !… et j’ai fini par découvrir un petit trou, large d’un doigt, dans le mur, en face de mon prie-Dieu !… C’est par ce petit trou-là que le monstre m’a mordue pendant que je faisais ma prière ! »

Huitième lettre. — « Ah ! je veux savoir !… je veux savoir comment il mord à distance !… je le saurai s’il m’en laisse le temps !… Non, je ne suis pas folle !… non, je ne suis pas folle ! »

Neuvième lettre. — « Horreur de sa bouche ensanglantée quand elle quitte ma veine inépuisable et qu’il relève son front de démon indien pour me dire : « Je t’aime ! »

Dixième lettre. — « Ainsi aimaient les démons indiens, les Assouras domestiqués par Saïb Khan… les premiers vampires du monde connus !… Non loin de Bénarès, dans une île du Gange, il y a un cimetière plein de leurs victimes sacrées… Le grand vampire européen devait rendre visite à ses ancêtres… et là il a connu Saïb Khan, qui est un médecin très moderne (là-bas, la colonie anglaise raffolait de lui, littéralement), ce qui ne l’empêche pas d’être en communication directe avec les Assouras ; aux Indes, c’était un fait que personne ne mettait en doute et qui faisait du reste sa réputation.

» Moi, j’en riais !

» Je le traitais de charlatan !… Je ne croyais pas aux vampires, dans ce temps-là !… j’avais tort !… j’ai eu le temps de m’instruire depuis et je voudrais bien instruire les autres qui doutent encore !…

» Mais je sens que la preuve va venir !…

» J’ai autant de lucidité qu’un Sherlock Holmes, croyez-moi !… Et il en faut pour une enquête pareille !…

» Mais je veux savoir comment il mord de loin !… »

Onzième lettre. — « Hier, j’ai presque touché la preuve !… la preuve que je ne suis pas folle !… »

Douzième et dernière lettre. — « J’ai la preuve… je vous l’envoie ! et maintenant accourez ! car il va me tuer si je ne meurs pas assez vite !… »

À ce dernier griffonnage que lui apporta la poste, un petit paquet recommandé était joint, dont Christine fit sauter les cachets avec une angoisse, une inquiétude dont elle ne se défendait plus…