La Princesse des airs/III/6
CHAPITRE VI
constantinople
M. Lecormier, professeur au Muséum d’Histoire naturelle, habitait, rue Lacépède, à Paris, une petite maison à deux étages, derrière laquelle s’étendait un jardin qu’il avait toujours refusé de vendre, malgré les offres brillantes des entrepreneurs de maisons de rapport.
C’est que M. Lecormier était d’un caractère et d’un tempérament bien spéciaux. Quoiqu’il eût soixante-cinq ans, et qu’il fût l’auteur de découvertes considérables, il n’était même pas décoré, et vivait avec une simplicité que ses collègues, plus jeunes et plus intrigants, qualifiaient volontiers de mesquinerie.
Vêtu, hiver comme été, d’une redingote noire rapée, il n’avait pour tout domestique qu’un jeune homme qu’il avait adopté et recueilli, et qui lui servait de garçon de laboratoire et d’aide dans ses expériences.
Au physique, M. Lecormier était grand, sec, et sa physionomie, très osseuse et toujours bien rasée, se décorait de lunettes d’argent d’un modèle ancien et solide, ainsi que d’un chapeau à larges bords.
Dans son quartier, il passait pour maniaque.
Toujours préoccupé d’une expérience ou d’une théorie, il ne répondait jamais aux saluts qu’on lui faisait dans la rue, et ne fréquentait presque personne.
L’emploi de son temps était méthodiquement fixé d’avance, et il ne se fût jamais permis de déroger, sous quelque prétexte que ce fût, à l’ordre du tableau qu’il dressait, chaque matin, des occupations de la journée.
Son aide, Pierre, avait été habitué par lui, de longue date, à respecter toutes ses manies.
Pierre était un grand garçon au sourire un peu niais qui exécutait, avec une rigueur toute militaire, les consignes qui lui étaient données.
Aussi M. Lecormier ne fut-il pas peu surpris, un matin qu’il était occupé à la rédaction consciencieuse du tome troisième de son grand ouvrage sur les coléoptères antédiluviens, d’entendre Pierre frapper à la porte de son cabinet de travail.
Les sourcils grisonnants et hérissés du vieux savant se froncèrent.
De huit à dix, il était convenu que Pierre ne devait jamais déranger son maître, même, avait dit le vieux savant, si le feu prenait dans le quartier, ou ce qui serait plus grave encore, à la bibliothèque du Muséum.
Ces deux heures de la matinée étaient invariablement consacrées à la notation des expériences faites la veille.
Aussi, Pierre fut-il très mal accueilli.
Ce fut d’un ton à la fois sec et glacial que M. Lecormier s’écria :
— Quelle catastrophe se produit donc ? Es-tu fou de venir me déranger à pareille heure ? Tu n’as donc pas consulté le tableau de l’emploi du temps ? Tu sais que je ne fais pas de cours, puisque c’est aujourd’hui samedi ?…
Pierre se disposait à répondre.
M. Lecormier, lui imposant silence d’un regard foudroyant, continua lentement, de cette même voix sans timbre qui semble l’exclusif apanage des purs logiciens.
— Par conséquent, j’attends que tu me fournisses des explications sur ta conduite.
Pierre ouvrit une large bouche, roula autour de lui des yeux égarés, mais son gosier, paralysé par la crainte, n’émit aucun son.
Il se contenta de déposer, sur le rebord du bureau de M. Lecormier, un petit paquet carré enveloppé d’un fort papier gris, dans lequel on avait pratiqué une quantité de trous à l’aide d’une épingle.
Le savant n’eut pas plutôt jeté les yeux sur le minuscule colis, qu’il s’en empara avec une joie fébrile.
— Tu ne pouvais pas m’annoncer plus vite, dit-il sévèrement à Pierre, qu’il s’agissait d’un envoi d’insectes de M. Lissajoux, l’entomologiste avignonnais, mon excellent correspondant et collaborateur !
Pierre, entraîné de longue date au silence comme un trappiste, se dirigeait vers la porte sans une parole, quand M. Lecormier le rappela.
— Si la même circonstance se représente, dit-il d’un ton plus doux, tu pourras me déranger, fût-ce à l’heure de mon travail de rédaction… Va Pierre, tu es un brave garçon.
Un sourire béat illumina la face de l’honnête serviteur qui disparut, cette fois définitivement, pendant que son maître, avec une impatience toute juvénile, achevait de couper les ficelles et de déchirer le papier gris qui enveloppait le paquet. Le papier ôté, M. Lecormier trouva une petite cage grillée de fil de fer, d’où s’échappait un bruit strident et monotone.
— Pardieu ! s’écria le savant avec joie, je parie que ce sont des sauterelles de la grande espèce, des sauterelles d’Afrique que le vent à portées d’Algérie jusqu’en Avignon.
M. Lecormier s’était arrêté, avant d’ouvrir définitivement la cage.
Il s’était croisé les bras, et penchant l’oreille, il écoutait, avec un sourire de béatitude, le stridulement léger…
Évidemment les sauterelles ne trouvaient pas la captivité de leur goût.
— Elles font du bruit, dit M. Lecormier en se frottant les mains, donc elles sont en excellent état… Ce ne sont pas de ces insectes à moitié morts comme on m’en a envoyé tant de fois… Ce seront d’excellents sujets pour une prochaine expérience.
Ces réflexions préliminaires une fois terminées, M. Lecormier s’arma d’une forte loupe, et se décida enfin à ouvrir la cage.
Il s’empara habilement du premier insecte qui se présenta par l’entrebâillement du couvercle, le tint quelques instants dans sa main fermée ; puis, avec une dextérité toute professionnelle, le fit glisser entre son pouce et son index.
Alors, il put l’examiner à loisir.
Mais, il avait à peine porté la loupe à son arcade sourcilière gauche, qu’il poussa une exclamation, moitié de plaisir, moitié d’étonnement.
Il faillit, sans sa surprise, laisser échapper le long insecte vert.
— Voilà qui est surprenant, par exemple, s’écria-t-il. Cette sauterelle est d’une espèce tout à fait rare, on ne la rencontre je crois que sur les hauts plateaux de l’Asie centrale. Le Muséum n’en possède guère qu’un ou deux exemplaires… Pour arriver, jusqu’en Provence, pour se faire prendre dans le filet de mon ami Lissajoux, cette bestiole a dû faire la moitié du tour du monde !… Quelque courant atmosphérique l’aura portée jusque dans le centre africain d’où un autre courant l’aura prise et emmenée en Avignon. Le voyage de cette sauterelle tient véritablement du prodige. C’est bien ce qui confirme une opinion de moi, et dont on s’est autrefois moqué. J’ai dit que, pour s’occuper de la science des insectes, il fallait être ferré en météorologie. Avec une bonne carte des vents, je vais reconstituer exactement l’itinéraire qu’a suivi ce petit animal… Et dès ce soir, sans plus tarder, je vais acheter les œuvres complètes de Bouldu. C’est véritablement le seul qui connaisse quelque chose à la météorologie.
Après avoir minutieusement noté l’emplette qu’il comptait faire, M. Lecormier porta la grande sauterelle sur une table voisine, et l’immobilisa sous l’objectif d’un microscope spécialement disposé pour les examens entomologiques. Il approcha l’œil de l’oculaire ; et les mains appuyées sur le rebord de la table, s’absorba dans l’étude de cet insecte, presque nouveau pour lui.
Mais la sauterelle asiatique offrait sans doute des particularités tout à fait remarquables, car le savant resta plus d’une demi-heure dans la même posture fatigante.
Ses sourcils s’étaient froncés, son front s’était plissé sous l’effort de l’attention.
Il y avait certainement quelque chose qu’il ne comprenait pas.
À la fin, M. Lecormier abandonna le microscope, et alla se rasseoir sur son fauteuil pour y réfléchir tout à son aise.
Au bout d’un instant, il se releva, prit la sauterelle entre deux doigts, et avec un scalpel à la lame très effilée, il détacha de son corselet une mince pellicule qu’il recueillit sur une plaque de verre.
Pendant cette opération, ses mains tremblaient d’émotion.
Ensuite, il envoya, presque brutalement, la sauterelle rejoindre dans la boîte ses compagnes de captivité ; puis, sans plus s’en occuper, il essuya méticuleusement le verre de ses lunettes et disposa, avec mille précautions, la pellicule qu’il venait de détacher, sous l’objectif d’un autre microscope d’un très fort grossissement.
— Je ne m’étais pas trompé, s’écria-t-il après un instant d’examen. Sur cette pellicule de collodion, on a reproduit, par la photographie, en caractères minuscules, tout un message. Pour que ceux qui l’ont envoyé aient employé un moyen aussi peu usité et aussi hasardeux, il faut qu’ils se soient trouvés dans un grave péril, dans une situation tout à fait extraordinaire et hors des aventures communes. Des savants seuls peuvent avoir eu l’idée d’un tel moyen… Et se sont des savants français… car le message est entièrement écrit en français. Il ne me reste plus qu’à le transcrire.
M. Lecormier appuya sur le bouton d’un timbre électrique.
Pierre, pour qui cette matinée devait être décidément fertile en incidents, montra, dans l’entrebâillement de la porte, sa large face rose, étonnée et naïve.
— Tu vas prendre une feuille de papier, commanda M. Lecormier, et écrire sous ma dictée ce que je suis en train de déchiffrer.
Pierre s’installa.
Et voici le texte du document que M. Lecormier lui dicta lentement :
« Pour être remis, contre récompense, à M. Rabican, docteur médecin à Saint-Cloud, près Paris, France. Les personnes qui trouveraient cette lettre sont priées de la faire parvenir à son adresse, dans le plus bref délai possible. L’existence de plusieurs personnes en dépend. L’aéroscaphe la Princesse des Airs monté par l’aéronaute Alban Molifer, par Mme Molifer et leur fille Armandine, ainsi que Ludovic Rabican, fils du docteur, est venu, après une traversée mouvementée, s’échouer, par suite d’avaries à ses appareils moteurs, sur un plateau des monts Himalaya, entouré de rocs escarpés qu’il leur est impossible de franchir. Ils n’attendent de secours que de leurs amis de France. Jusqu’ici, ils sont en bonne santé. Ils n’ont pu déterminer exactement la latitude de l’endroit où il se trouvent ; le seul renseignement qu’ils peuvent donner à leurs amis, c’est que les altitudes des monts qui les entourent dépassent cinq mille mètres. Ils doivent donc se trouver dans la partie la plus élevée de la chaîne. Ludovic Rabican prie ses parents de lui pardonner et de venir à son secours. »
M. Lecormier avait dicté le texte de cette lettre, d’une voix émue et solennelle que Pierre ne lui connaissait pas.
Il était profondément agité.
Dans toute sa carrière de savant, jamais pareille aventure ne lui était arrivée.
La transcription terminée, il colla précieusement la pellicule de collodion sur une lamelle de verre qu’il renferma dans un tiroir.
Puis, il ordonna à Pierre de lui apporter son chapeau, sa canne à pomme d’ivoire et son pardessus.
Pendant qu’il s’habillait avec une coquetterie inaccoutumée, Pierre exécutait une seconde copie de la lettre si miraculeusement arrivée du fond des déserts asiatiques.
M. Lecormier prit la dernière copie, qui était la plus nette, fit appeler une voiture, et jeta au cocher l’adresse du Figaro.
M. Lecormier connaissait, par la lecture des journaux, le départ tout récent de l’expédition Rabican-Bouldu-Van der Schoppen.
Il n’eut donc pas un seul instant l’idée de se rendre à Saint-Cloud.
Il jugea que le meilleur moyen de répondre au désir des naufragés de la Princesse des Airs était de livrer à la presse le document tombé entre ses mains. Tous les journaux de l’univers s’empresseraient de le reproduire, ne fût-ce qu’à cause de la singulière façon dont il était parvenu à destination.
Très autoritaire dans la vie privée, M. Lecormier était, en public, d’une extrême timidité.
Il sentit tout son aplomb s’évanouir, en se trouvant mêlé à la foule élégante qui remplissait le salon d’attente du grand journal parisien.
Tous les regards se tournaient vers lui.
Les uns le prenaient pour un vieux poète de province, les autres pour un inventeur ; et le vieux savant se trouvait très gêné par la façon trop curieuse dont chacun le dévisageait.
Il avait fait passer sa carte.
Son nom et ses ouvrages étaient connus de toute l’Europe ; aussi fut-il introduit sans retard.
On accéda immédiatement à sa demande.
Un des rédacteurs scientifiques se mit aussitôt à l’œuvre et élabora un article qui contenait un résumé, agréablement présenté, de la tentative d’Alban Molifer, un portrait des explorateurs, et même une biographie succincte de M. Lecormier.
L’article, qui devait passer en première page, se terminait par le texte exact du document et le récit de la façon merveilleuse dont il était parvenu en France.
Le secrétaire de la rédaction promit même d’envoyer, dans le plus bref délai, rue Lacépède, un reporter chargé de photographier la sauterelle et l’image de la pellicule de collodion, agrandie par le système des projections électriques.
Respectueusement reconduit par un des rédacteurs, M. Lecormier traversa triomphalement le salon d’attente.
Il regagna son laboratoire, enchanté de sa démarche.
Le lendemain matin, M. Lecormier, dès son lever, se fit acheter le Figaro et savoura l’article de tête jusqu’à la dernière ligne.
Bien que d’un caractère très désintéressé, le brave homme n’était pas insensible aux satisfactions de la vanité.
Il terminait à peine cette lecture, que Pierre frappait à la porte du cabinet.
Le savant eut une moue de mécontentement.
— Décidément, bougonna-t-il, le drôle va prendre l’habitude de me déranger à tout instant… Entre, ajouta-t-il d’une voix où perçait un commencement de colère.
— Monsieur, bredouilla Pierre, c’est un grand jeune homme qui veut absolument vous parler.
— Quelque reporter qui vient m’ennuyer ; quelqu’un de mes élèves qui veut des explications complémentaires sur mon dernier cours…
— Voici sa carte, monsieur.
M. Lecormier lut :
Ces mots étaient tracés en superbe gothique, sur un vaste carton…
— Van der Schoppen, murmura le savant ; mais c’est le nom de ce médecin allemand qui soigne ses malades à coups de poing et qui a accompagné le docteur Rabican et M. Bouldu dans leur expédition en Asie centrale… Ce visiteur doit être son fils… Faites entrer, ajouta-t-il.
Un instant après, Pierre introduisait un adolescent au visage joufflu, aux grands yeux bleus, à qui sa redingote trop longue et son pantalon trop court achevaient de donner un air de gaucherie et de maladresse tout à fait caractéristiques.
Il tenait à la main un numéro du Figaro.
La physionomie de Karl revint à M. Lecormier, qui apprit avec joie que le jeune homme s’occupait d’entomologie et comptait au nombre de ses lecteurs assidus.
Il le fit asseoir, l’interrogea, lui montra la sauterelle messagère, et finalement lui conseilla de télégraphier à ses parents, s’il en était encore temps, le texte entier de la dépêche.
Karl prit congé de M. Lecormier enchanté de l’affabilité du savant qui lui avait fait promettre de revenir le voir.
En sortant, il courut au bureau de poste le plus proche et télégraphia à Tiflis, dans la province russe du Caucase où, d’après l’itinéraire qu’ils lui avaient laissé, son père et ses amis devaient alors se trouver.
En sortant du bureau de poste, Karl se dirigea, tout pensif, du côté de la Seine, pour prendre le bateau qui devait le ramener à Saint-Cloud.
Il avait le cœur gros. Au fond, sans s’en bien rendre compte lui-même, il était un peu jaloux de son père et de ses amis, qui allaient accomplir sans lui le voyage de Paris à l’Himalaya.
Il ne put s’empêcher de pousser un soupir, en songeant que la dépêche qu’il venait de lancer, courant déjà sur les fils des réseaux télégraphiques européens, allait, plus heureuse que lui, rejoindre les voyageurs déjà parvenus en plein Caucase.
Il eut bien voulu, comme eux, pénétrer dans ces contrées où avaient fleuri et s’étaient éteintes des civilisations inconnues.
C’est de ces profondes steppes asiatiques, qui semblent un des plus vastes réservoirs de la vitalité de la race humaine, que s’étaient élancés les conquérants qui avaient dévasté le monde, et les religions qui l’avaient moralisé.
Pendant que le bateau l’emportait vers Saint-Cloud, il évoquait par la pensée, les empereurs et les apôtres asiatiques dont il avait lu l’histoire : Houlagou, le destructeur et le conquérant féroce qui ne laissait que le désert partout où il avait passé ; Timour-Lenk qui construisait des pyramides avec les crânes de ses ennemis, et qui éleva, un jour, un rempart avec les corps encore vivants de ses prisonniers, qu’il fit murer malgré leurs supplications, entre des pierres et du mortier, pour laisser aux générations futures, un éternel monument de ses instincts barbares.
Les temps avaient passé, les empires des conquérants s’étaient écroulés, l’Asie centrale était retournée à son mystère ; et ses déserts étaient redevenus impénétrables aux investigations de la science européenne, pendant qu’il s’y préparait peut-être une nouvelle religion ou une nouvelle invasion de barbares.
C’était ces antiques contrées que son père et ses amis allaient traverser à la recherche des naufragés de la Princesse des Airs.
Cette réflexion fit comprendre à Karl à quels puérils sentiments il avait obéi en jalousant le sort des explorateurs, et il ne regretta plus sa présence parmi eux pour le plaisir qu’il aurait eu à partager leurs dangers et à les défendre contre les ennemis.
Cependant Karl, qui était doué d’un grand bon sens et d’une résignation extraordinaire, finit par se répéter le raisonnement qu’il se faisait presque tous les jours depuis le départ de son père :
— Malgré les difficultés du voyage, se dit-il, il est certain que nos chers explorateurs sont dans les meilleures conditions possibles de succès. Jusqu’à Sa-markande où le chemin de fer transcapien les déposera, ils ne courent aucun danger. Pour ce qui est de la suite du voyage, ils sont nombreux, bien armés, bien outillés, et munis de toutes les recommandations officielles qui peuvent faciliter leur tâche près des autorités de la Tartarie chinoise et des autres peuplades himalayennes.
Doué d’une imagination très peu ardente, Karl était loin de soupçonner les tragiques aventures qui attendaient son père et ses amis.
De Paris à Constantinople le voyage s’était effectué sans aucun accident.
Les trains de l’Orient-Express sont à la fois les plus rapides et les plus confortablement installés de tout le réseau européen.
À la gare de Constantinople même, il leur fallut subir un véritable combat, contre une armée de douaniers turcs, aux moustaches énormes, qui jetaient sur les colis des voyageurs des regards féroces, énuméraient sur les doigts l’interminable liste des redevances à payer, et semblaient bien décidés à se montrer intraitables, à visiter inexorablement, malles et valises, sans respect pour les objets fragiles.
Ce fut alors que l’intervention de Jonathan Alcott, fut précieuse.
Pendant le voyage, il était demeuré invisible, et s’était tenu modestement à l’écart dans un autre compartiment que celui de ses compagnons.
Il sentait que, dans la situation toute spéciale qu’il occupait près du docteur, il était nécessaire qu’il usât de la plus grande prudence.
D’ailleurs, le perfide Yankee ne s’était nullement amendé. Il conservait intacte toute sa haine envers M. Bouldu et ses amis, et il se proposait de tirer, dès qu’une occasion favorable se présenterait, une éclatante vengeance des humiliations méritées qu’il avait subies.
La pensée d’une trahison habilement machinée était donc bien arrêtée dans son esprit.
Mais, pour trahir, il faut posséder la confiance, et, ce n’était pas le cas de Jonathan.
Tout le monde, depuis l’impétueux Bouldu, jusqu’au flegmatique Van der Schoppen, avait l’œil sur lui.
Jonathan savait par expérience que son maître était doué d’un cœur excellent, et lui pardonnerait bien vite le passé, pourvu qu’il fît montre de quelque dévouement.
Jonathan s’était donc résolu à paraître, jusqu’à nouvel ordre, dévoué et même servile.
Ce fut à la gare de Constantinople qu’il commença à se montrer sous cet aspect, tout à fait nouveau pour ceux qui le connaissaient depuis longtemps.
Le Yankee avait de grandes qualités pratiques.
Dans ses nombreuses pérégrinations, il avait étudié à fond l’art de voyager sans perdre de temps, et avec le moins de dépense possible.
Il eut vite fait de mettre les douaniers à la raison.
Il n’ignorait pas qu’en Turquie comme dans tout l’Orient, le pourboire ou bacchich est, dans toutes ces occasions de la vie, un talisman magique.
Les pourboires et les pots-de-vin sont tellement entrés dans les mœurs ottomanes, que tout le monde en reçoit, et même en exige, depuis le dernier portefaix, jusqu’au plus sublime vizir.
Jonathan s’approcha donc des douaniers, et avec des gestes expressifs, leur distribua quelques pièces blanches.
L’effet de cette gratification fut instantané.
En un clin d’œil, les féroces Osmanlis se trouvèrent transformés en serviteurs empressés.
M. Bouldu n’avait pu s’empêcher de sourire pendant toute cette scène.
— Quel habile coquin que ce Jonathan ! murmura-t-il. Quel homme précieux s’il voulait se montrer honnête !
— Il le sera, monsieur ! répondit à demi-voix l’hypocrite Yankee, qui avait entendu la réflexion.
En prononçant ces paroles, Jonathan avait posé la main sur sa poitrine et levé les yeux au ciel, d’un air si convaincu que le naïf savant en fut touché.
— Après tout, grommela-t-il, il se repent peut-être de ses erreurs.
Ni le docteur Rabican, ni Yvon n’avaient entendu la réflexion de M. Bouldu. À peine débarrassés des douaniers, il leur fallut tenir tête à une troupe de portefaix en turban, de Levantins aux longues dents blanches et au sourire obséquieux, et de garçons d’hôtel, anglais, français, allemands, italiens, qui se ruaient sur les valises dans un vacarme étourdissant.
Un professeur de linguistique eut reconnu dans leur charabia, des mots, appartenant à toutes les langues, à tous les patois de l’Orient et de l’Occident.
— Une voiture pour Mylord ?
— Où faut-il porter des bagages de Vos Seigneuries ?
— Mylord, Great Britain’s Hôtel ?
— Messieurs, ce n’est qu’à l’hôtel de Paris que vous trouverez des chambres confortables à des prix modérés.
— Posada del Madrid !
— Man spricht Deutsch !
— Si parla italiano !
— Govoriat pa rucckii !
C’était une cohue extraordinaire, un tohu-bohu invraisemblable.
Le débarcadère semblait une succursale de la tour de Babel.
Mme Rabican et sa fille s’étaient craintivement rapprochées du docteur.
Yvon, Jonathan et M. Bouldu défendaient leurs bagages contre une demi-douzaine de Levantins aux barbes noires et frisées.
Quant au professeur Van der Schoppen, qu’une troupe de garçons d’hôtel cherchait à démunir d’un vaste sac de toile rempli de notes scientifiques, il avait commencé par répondre patiemment à ses adversaires, en employant tour à tour mais sans succès, les trois seules langues qu’il parlât : l’anglais, le français, l’allemand.
Voyant l’inutilité de ses efforts, il avait ensuite proféré d’affreux jurons tudesques.
Enfin, pour empêcher la curée des malles, des valises et des sacs, qui, sur le dos des porteurs de toutes les nations, partaient tous dans des directions différentes, il avait songé à appliquer à ces enragés son infaillible méthode.
Cette fois la kinésithérapie fit merveille. Quelques coups de poings appliqués avec méthode, eurent vite fait de mettre à la raison les récalcitrants.
En quelques instants, l’honorable professeur eut récupéré tout son bagage.
Un large vide s’était fait autour de lui.
Ses adversaires se contentaient maintenant de lui crier leurs offres à distance, tout en le considérant avec un certain respect.
Yvon Bouldu et Jonathan avaient suivi l’exemple du professeur. Au bout de cinq minutes la place se trouvait libre.
Les voyageurs se firent alors conduire dans un hôtel français du faubourg de Péra qui leur avait été recommandé.
Cet établissement, qui réunissait à la fois les raffinements de la civilisation orientale et le confort de l’Occident, était entouré de jardins.
Des cours intérieures, ornées de colonnades de marbre blanc et rafraîchies par des jets d’eau, en faisaient un séjour délicieux.
Le soleil déclinait déjà à l’horizon, lorsque les voyageurs y arrivèrent.
On remit au lendemain les courses indispensables.
D’ailleurs, le bateau à vapeur de Constantinople à Poti, tête de ligne du chemin de fer transcaucasien ne devait partir que le surlendemain.
À la demande de Mme Rabican, le couvert du dîner fut mis dans le jardin, sous de grands massifs de lauriers roses, d’orangers et de cyprès.
À l’horizon, les voyageurs apercevaient les dômes dorés des mosquées, les mâts des navires à l’ancre, et tout un fouillis pittoresque de minarets, de coupoles et maisons peintes en gris, en rose et en bleu, environnées de ces éternels cyprès, l’arbre que l’on rencontre le plus fréquemment à Constantinople, et dont le noir feuillage fait si bien ressortir la beauté des constructions claires de l’Orient.
Tous les voyageurs, mais surtout Mme Rabican et Alberte, éprouvaient l’émotion que la beauté du site et du ciel de Constantinople produit toujours chez ceux qui y arrivent pour la première fois.
Un grand silence, à peine troublé par la rumeur lointaine du port et de la ville, s’élevait des jardins.
Un parfum, où dominaient la rose et le jasmin, se répandait dans l’atmosphère, montait des bosquets, et semblait pour ainsi dire saturer tout le paysage.
La table était somptueusement servie. À côté des vins et des mets de l’Europe, se trouvaient les produits spéciaux à Constantinople : le raki, sorte d’alcool que l’on extrait de l’arbre mastic et qui, d’abord incolore, se trouble et devient laiteux comme l’absinthe, quand on y verse de l’eau. Le docteur Van der Schoppen et Jonathan furent les seuls à apprécier ce breuvage, que son goût prononcé de térébenthine rend peu agréable aux Européens qui le goûtent pour la première fois.
Il y aussi des vins de Chio et de Samos, à la fois alcoolisés et sucrés comme ceux de l’Espagne et de la Sicile.
Parmi les mets, les dames n’apprécièrent que des confitures sèches de cédrat de Damas, et de délicieuses conserves de roses.
Du côté des hommes ont fit surtout honneur à certain ragoût de poulet, et de riz accommodé aux tomates et au safran.
Il y avait encore des pâtisseries au miel et des fruits de toute beauté : oranges, raisin muscat de l’Archipel, figues, limon, et surtout certaines pastèques auxquelles Yvon fit largement honneur.
Son père dut lui rappeler qu’en abusant de ce fruit, il s’exposait à la dysenterie et péchait contre la première vertu d’un explorateur sérieux : la sobriété.
— Je crois, dit paternellement le docteur Rabican, qu’Yvon peut s’abandonner, pour cette fois encore, à sa gourmandise. Il ne faut pas croire que nous trouverons aussi bonne chère dans tout l’Orient. Une fois engagés dans le désert, il nous arrivera sans doute d’être obligés de nous contenter de mouton grillé, ou même de racines cuites à l’eau.
Yvon rougit de se voir pris en faute, et abandonna la tranche rose de pastèque, qu’il avait entamée.
Après le café, qu’on servit avec le marc, dans de petites tasses entourées de filigranes d’argent, on apporta les sorbets, parfumés de diverses façons, et que l’on ne fabrique nulle part aussi bien qu’à Constantinople.
La nuit était presque entièrement tombée.
On avait allumé des cigarettes de latakieh.
Chacun s’abandonnait en silence à la magie de ce soir d’Orient, de ce ciel d’un azur profond de velours ou de pierre précieuse, de cette tiédeur de la brise parfumée, à la douceur de laquelle personne ne résiste.
Chacun rêvait, le docteur aux difficultés du voyage, dont il se reprochait en secret d’avoir fait partager les dangers à sa femme et à sa fille ; Yvon à la joie de commencer sa première exploration, le professeur Van der Schoppen au triomphe que son livre, documenté sur place, lui ferait obtenir près de ses confrères d’Europe.
Mme Rabican et sa fille s’entretenaient à voix basse de Ludovic.
Elles avaient pleine confiance dans le succès de l’expédition, et elles se sentaient presque joyeuses à la pensée de lutter par elles-mêmes pour retrouver le cher enfant disparu.
M. Bouldu lui, ne songeait à rien.
Depuis le commencement du voyage, il était d’une humeur charmante.
Avec une insouciance d’enfant, il s’abandonnait tout entier au plaisir d’avoir reconquis l’amitié du docteur Rabican et de traverser avec lui des pays nouveaux.
En savant qui a toujours plus tenu compte des idées que des obstacles matériels, il n’était pas loin de considérer l’expédition comme une simple promenade, que l’étude des courants atmosphériques de l’Asie centrale allait rendre pour lui particulièrement intéressante.
Quant à Jonathan qui, dans un coin ombragé par des massifs de lauriers-roses, sirotait à l’écart un verre de raki, il poursuivait toujours l’idée fixe de sa vengeance.
Cette vengeance, il la voulait à la fois complète et lucrative pour lui-même.
Il se demandait avec anxiété si le hasard le mettrait à même de réaliser ses projets, c’est-à-dire de faire périr tous les membres de l’expédition, avant qu’ils eussent rejoint Alban, qu’il comptait bien laisser se tirer d’affaire comme il l’entendrait.
Jonathan espérait que l’aéronaute et ses compagnons mouraient de faim et de froid sur leur rocher.
Il n’entrait pas dans les vues de l’Américain de faire un pas pour les secourir.
Au contraire, une fois l’expédition détruite, Jonathan regagnerait, au plus vite, l’Europe, avec ce qu’il pourrait emporter des notes et des manuscrits de ses compagnons ; et il reviendrait à Paris, où on le considérerait comme un héros.
Il recueillerait ainsi tous les bénéfices moraux et matériels du voyage ; il serait regardé comme un grand explorateur, ce qui lui permettrait, sans nul doute, d’organiser, pour son compte personnel, une autre expédition.
Il se voyait déjà, dans l’avenir, comblé d’honneurs et de richesses.
Estimé de tous, il reprendrait alors à son profit, les idées et les découvertes de M. Bouldu et d’Alban Molifer, sur le sort desquels il se proposait déjà d’écrire plus tard des pages attendrissantes.
Jonathan fut brusquement tiré de ses rêves de grandeur et de ses homicides projets par la voix aigre de M. Bouldu qui lui commandait de prendre note des courses et démarches à faire pour le lendemain.
Avant de regagner les confortables chambres de l’hôtel, on arrêta soigneusement l’emploi du jour suivant.
Le docteur Rabican et M. Bouldu devaient aller aux consulats russe et français faire viser les lettres de recommandation officielles dont ils étaient munis et en solliciter d’autres, ainsi que des passeports bien en règle pour les gouverneurs des régions de la Russie d’Asie qu’ils allaient avoir à traverser.
Yvon et le docteur Van der Schoppen devaient aller retenir sept cabines de première classe sur le paquebot le Volga de la Compagnie de navigation des bateaux à vapeur russes de la Mer noire.
Jonathan Alcott serait chargé du recensement des bagages, et s’occuperait en outre de la question des approvisionnements.
Comme toutes ces courses seraient sans doute terminées dans la matinée, il fut convenu que l’après-midi serait employée à faire visiter la ville à Mme Rabican et à Alberte.
Ces dispositions prises, tout Se monde se retira.
Le lendemain, dès la première heure, chacun courut s’acquitter de la mission dont il avait pris la responsabilité.
Le docteur Rabican et M. Bouldu reçurent aux consulats un accueil empressé. Leur départ avait été annoncé par tous les journaux, et il n’eût tenu qu’à eux de passer agréablement sept ou huit jours dans les salons de la haute société européenne de Constantinople.
Ils s’étaient excusés sur l’urgence de leur mission, et revenaient chargés d’un véritable monceau de lettres de recommandation.
Quant à Jonathan, pour être agréable aux dames, il avait acheté une abondante provision de ces délicieuses confitures qui avaient eu tant de succès la veille au soir.
II avait, en outre, fait emplette, dans un bazar, d’un gros pain d’opium de Smyrne, sous prétexte que cette substance serait un utile objet de trafic, lorsque l’expédition serait parvenue aux frontières de l’Empire Chinois.
Tout le monde trouva l’idée excellente, et l’opium fut glissé dans la pharmacie de voyage.
Après le déjeuner, qui eut lieu dans une des cours intérieures de l’hôtel, près d’une fontaine, dont l’eau retombait à gros bouillons dans une vasque de marbre blanc entourée de citronniers et d’orangers en caisses, on fit venir une longue voiture surmontée d’une sorte de tente en coutil blanc, et l’on partit pour visiter la ville.
Constantinople, située au centre de trois continents, bâtie entre deux mers, est comme la capitale du Vieux Monde.
Les Grecs, les Romains, les Byzantins et jusqu’aux Turcs y ont accumulé des merveilles.
Les explorateurs visitèrent successivement les quais de la Corne d’Or, la Pointe du Sérail où s’élèvent les Palais du Sultan, le Château des Sept Tours, terrible construction gothique où furent étranglés ou décapités tant de personnages historiques, et les remparts en ruine de Byzance, dont les créneaux se recouvrent d’un fouillis de ronces et de lentisques.
Ils visitèrent aussi l’extérieur de sept des principales mosquées qui, toutes, sont construites à peu près sur le même modèle.
Au centre, un vaste dôme écrasé, recouvert de feuilles de plomb ou de briques émaillées : tout autour, des minarets, c’est-à-dire de hautes colonnes cannelées et minces, munies, jusqu’à leur sommet, d’un escalier à jour.
C’est sur les minarets que se placent les « muezzins » pour appeler les fidèles à la prière.
Les mosquées s’élèvent toujours du centre d’un bois de sycomores et de cyprès qui abritent, sous des kiosques de marbre blanc, les tombes des anciens sultans.
La plus belle mosquée est l’ancienne basilique autrefois bâtie par Constantin sous l’invocation de Sainte-Sophie.
Comme Saint-Pierre de Rome, Sainte-Sophie est précédée d’une espèce de péristyle, que soutiennent d’énormes colonnes de granit.
La coupole est gigantesque.
L’intérieur où, grâce à un large pourboire ; les voyageurs purent jeter un coup d’œil, est décoré de colonnes de marbre, de jaspe, de porphyre et de granit égyptien, toutes précieuses, mais toutes différentes ; elles ont été apportées là, après avoir été enlevées par les Turcs à toutes les basiliques et à tous les palais de l’ancienne Byzance.
De la voûte, pendent des lampes de cuivre et des œufs d’autruche ; des tribunes de bois de cèdre s’étendent tout à l’entour.
Dans les environs d’une autre mosquée, on montra aux voyageurs la géante urne de porphyre qui a servi, dit-on, de tombeau à Constantin.
Quoique le temps dont ils disposassent fût très minime, les voyageurs auraient voulu tout voir.
Ils subissaient de plus en plus l’attrait profond de cette ville unique dont toutes les civilisations et tous les peuples se sont disputé la possession.
Constantinople, sous le merveilleux ciel de l’Orient, est une ville toute blanche.
Dans certains quartiers, elle ne semble, au premier abord, composée que de palais et de jardins superposés.
Partout, des avenues de sycomores centenaires aussi hauts quelquefois que les coupoles des mosquées ; partout, des cyprès et des cèdres reposent le regard de l’éclat insoutenable du ciel et de la blancheur aveuglante des maisons.
Les figuiers sont aussi très communs ainsi que des rosiers énormes.
Au-dessus de tous ces bois et de tous ces jardins voltigent, dans l’air bleu, des nuées de tourterelles et de pigeons blancs, qui donnent à Constantinople l’inoubliable aspect d’un jardin enchanté.
Après la mer couverte de blanches voiles, sillonnée de navires de toutes les nations et de tous les tonnages, depuis les kaifs dorés du Grand Seigneur qui ressemblent aux gondoles de Venise, jusqu’aux torpilleurs filant comme des flèches noires entre les vagues, on aperçoit, de l’autre côté du Bosphore, la côte d’Asie émaillée de jardins, de villes blanches, et dans le lointain les croupes de montagnes couronnées de forêts.
Mme Rabican éprouvait un tel enthousiasme pour ce décor féerique, qu’elle fit renvoyer la voiture, et voulut elle-même parcourir, à pied, quelques-uns des quartiers les plus pittoresques.
Constantinople est infiniment variée dans ses aspects.
À côté de quartiers et de monuments qui n’ont subi aucun changement depuis l’époque de la conquête, on trouve des coins entièrement européens, aussi animés à l’heure de la promenade, qu’une rue de Paris ou de Vienne.
Au contraire, dans certains faubourgs entièrement turcs, le touriste se heurte à des amas de décombres, à des masures construites avec les colonnes de marbre des palais.
Là, les habitants sont d’une saleté repoussante.
Des vieillards à longue barbe blanche fument philosophiquement leur chibouck au milieu d’enfants demi-nus et de chiens errants.
Avant de regagner l’hôtel, les voyageurs, quoique harassés de fatigue, voulurent terminer leur excursion par la visite des bazars.
Les bazars sont de longues et larges galeries voûtées, bordées de boutiques, où s’échangent et se vendent les objets les plus divers : les étoffes de l’Europe, les fourrures de la Russie, les châles des Indes et de la Perse, les tapis du Daghestan et de la Karamanie, l’essence de rose de Constantinople, les narghilés et les pipes de toute sorte, les unes en simple merisier d’Arménie, les autres enrichies de pierres précieuses, de bouquins d’ambre et de corail, pour fumer le tabac et le tombéki (haschich).
Mme Rabican fit emplette d’un manteau arabe, tissé de fils d’or et de poils de chèvre, et Alberte d’un long voile de gaze d’argent brodé d’arabesques merveilleuses.
Le docteur Rabican acheta un petit coffret de remèdes orientaux, Yvon un pistolet damasquiné et M. Bouldu une pipe à opium.
Van der Schoppen, en homme pratique, ne s’offrit qu’une paire de babouches en maroquin.
Quant à Jonathan il regardait avec un mépris tout américain ce fouillis d’objets d’art qu’il appelait dédaigneusement des colifichets.
Les voyageurs se couchèrent harassés.
Le paquebot qui devait les conduire à Poti, partait le lendemain, à dix heures.