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La Pucelle d’Orléans/13

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<La Pucelle d’Orléans


La Pucelle d’Orléans
Œuvres complètes de VoltaireGarniertome 9 (p. 202-213).

CHANT XIII


Argument.- Sortie du château de Cutendre. Combat de la Pucelle et de Jean Chandos : étrange loi du combat à laquelle la Pucelle est soumise. Vision du père Bonifoux. Miracle qui sauve l’honneur de Jeanne.



C’était le temps de la saison brillante,
Quand le soleil aux bornes de son cours
Prend sur les nuits pour ajouter aux jours,
Et se plaisant, dans sa démarche lente,
A contempler nos fortunés climats,
Vers le tropique arrête encor ses pas.
O grand saint Jean ! c’était alors ta fête[1] ;
Premier des Jeans, orateur des déserts,
Toi qui criais jadis à pleine tête :
" Que du salut les chemins soient ouverts ;
Grand précurseur, je t’aime, je te sers.
Un autre Jean eut la bonne fortune
De voyager au pays de la lune
Avec Astolphe, et rendit la raison[2],

Si l’on en croit un auteur véridique,
Au paladin amoureux d’Angélique :
Rends-moi la mienne, ô Jean, second du nom !
Tu protégeas ce chantre aimable et rare
Qui réjouit les seigneurs de Ferrare
Par le tissu de ses contes plaisants ;
Tu pardonnas aux vives apostrophes
Qu’il t’adressa dans ses comiques strophes :
Étends sur moi tes secours bienfaisants ;
J’en ai besoin, car tu sais que les gens
Sont bien plus sots et bien moins indulgents
Qu’on ne l’était au siècle du génie,
Quand l’Arioste illustrait l’Italie.
Protège-moi contre ces durs esprits,
Frondeurs pesants de mes légers écrits.
Si quelquefois l’innocent badinage
Vient en riant égayer mon ouvrage,
Quand il le faut je suis très-sérieux ;
Mais je voudrais n’être point ennuyeux.
Conduis ma plume, et surtout daigne faire
Mes compliments à Denys ton confrère.



En accourant, la fière Jeanne d’Arc
D’une lucarne aperçut dans le parc
Cent palefrois, une brillante troupe
De chevaliers portant dames en croupe,
Et d’écuyers qui tenaient dans leurs mains
Tout l’attirait des combats inhumains,
Cent boucliers où des nuits la courrière
Réfléchissait sa tremblante lumière ;
Cent casques d’or d’aigrettes ombragés,
Et les longs bois d’un fer pointu chargés,
Et des rubans dont les touffes dorées
Pendaient au bout des lances acérées.
Voyant cela, Jeanne crut fermement
Que les Anglais avaient surpris Cutendre :
Mais Jeanne d’Arc se trompa lourdement.
En fait de guerre on peut bien se méprendre,
Ainsi qu’ailleurs : mal voir et mal entendre
De l’héroïne était souvent le cas,
Et saint Denys ne l’en corrigea pas.



Ce n’étaient point des enfants d’Angleterre,
Qui de Cutendre avaient surpris la terre ;

C’est ce Dunois de Milan revenu,
Ce grand Dunois à Jeanne si connu ;
C’est La Trimouille avec sa Dorothée.
Elle était d’aise et d’amour transportée ;
Elle en avait sujet assurément :
Elle voyage avec son cher amant,
Ce cher amant, ce tendre La Trimouille,
Que l’honneur guide et que l’amour chatouille.
Elle le suit toujours avec honneur,
Et ne craint plus monsieur l’inquisiteur.



En nombre pair cette troupe dorée
Dans le château, la nuit, était entrée.
Jeanne y vola : le bon roi, qui la vit,
Crut qu’elle allait combattre, et la suivit ;
Et dans l’erreur qui trompait son courage,
Il laisse encor Agnès avec son page.



O page heureux, et plus heureux cent fois
Que le plus grand, le plus chrétien des rois
Que de bon cœur alors tu rendis grâce
Au benoît saint dont tu tenais la place !
Il te fallut rhabiller promptement ;
Tu rajustas ta trousse diaprée ;
Agnès t’aidait d’une main timorée,
Qui s’égarait et se trompait souvent.
Que de baisers sur sa bouche de rose
Elle reçut en rhabillant Monrose !
Que son bel œil, le voyant rajusté,
Semblait encor chercher la volupté !
Monrose au parc descendit sans rien dire.
Le confesseur tout saintement soupire,
Voyant passer ce beau jeune garçon,
Qui lui donnait de la distraction.



La douce Agnès composa son visage,
Ses yeux, son air, son maintien, son langage.
Auprès du roi Bonifoux se rendit,
Le consola, le rassura, lui dit
Que dans la niche un envoyé céleste
Était d’en haut venu pour annoncer
Que des Anglais la puissance funeste
Touchait au terme, et que tout doit passer ;
Que le roi Charle obtiendrait la victoire.
Charles le crut, car il aimait à croire.

La fière Jeanne appuya ce discours.
" Du ciel, dit-elle, acceptons le secours ;
Venez, grand prince, et rejoignons l’armée,
De votre absence à bon droit alarmée. "



Sans balancer, La Trimouille et Dunois
De cet avis furent à haute voix.
Par ce héros la belle Dorothée
Honnêtement au roi fut présentée.
Agnès la baise, et le noble escadron
Sortit enfin du logis du baron.



Le juste ciel aime souvent à rire
Des passions du sublunaire empire.
Il regardait cheminer dans les champs
Cet escadron de héros et d’amants.
Le roi de France allait près de sa belle,
Qui, s’efforçant d’être toujours fidèle,
Sur son cheval la main lui présentait,
Serrait la sienne, exhalait sa tendresse,
Et cependant, ô comble de faiblesse !
De temps en temps le beau page lorgnait.
Le confesseur psalmodiant suivait,
Des voyageurs récitait la prière,
S’interrompait en voyant tant d’attraits,
Et regardait avec des yeux distraits
Le roi, le page, Agnès, et son bréviaire.
Tout brillant d’or, et le cœur plein d’amour,
Ce La Trimouille, ornement de la cour,
Caracolait auprès de Dorothée
Ivre de joie, et d’amour transportée,
Qui le nommait son cher libérateur,
Son cher amant, l’idole de son cœur.
Il lui disait : " Je veux, après la guerre,
Vivre à mon aise avec vous dans ma terre
O cher objet, dont je suis toujours fou !
Quand serons-nous tous les deux en Poitou ? "



Jeanne auprès d’eux, ce fier soutien du trône,
Portant corset et jupon d’amazone,
Le chef orné d’un petit chapeau vert,
Enrichi d’or et de plumes couvert,
Sur son fier âne étalait ses gros charmes,
Parlait au roi, courait, allait le pas,
Se rengorgeait et soupirait tout bas

Pour le Dunois compagnon de ses armes :
Car elle avait toujours le cœur ému,
Se souvenant de l’avoir vu tout nu.



Bonneau, portant barbe de patriarche,
Suant, soufflant, Bonneau fermait la marche.
O d’un grand roi serviteur précieux !
Il pense à tout ; il a soin de conduire
Deux gros mulets tout chargés de vin vieux,
Longs saucissons, pâtés délicieux,
Jambons, poulets, ou cuits ou prêts à cuire.



On avançait, alors que Jean Chandos,
Cherchant partout son Agnès et son page,
Au coin d’un bois, près d’un certain passage,
Le fer en main rencontra nos héros.
Chandos avait une suite assez belle
De fiers Bretons, pareille en nombre à celle
Qui suit les pas du monarque amoureux ;
Mais elle était d’espèce différente,
On n’y voyait ni tetons ni beaux yeux.
" Oh ! oh ! dit-il d’une voix menaçante,
Galants Français, objet de mon courroux,
Vous aurez donc trois filles avec vous,
Et moi, Chandos, je n’en aurai pas une ?
Çà, combattons : je veux que la fortune
Décide ici qui sait le mieux de nous
Mettre à plaisir ses ennemis dessous,
Frapper d’estoc et pointer de sa lance.
Que de vous tous le plus ferme s’avance,
Qu’on entre en lice ; et celui qui vaincra
L’une des trois à son aise tiendra. "



Le roi, piqué de cette offre cynique,
Veut l’en punir, s’avance, prend sa pique.
Dunois lui dit : " Ah ! laissez-moi, seigneur,
Venger mon prince et des dames l’honneur. "
Il dit et court : La Trimouille l’arrête ;
Chacun prétend à l’honneur de la fête.
L’ami Bonneau, toujours de bon accord,
Leur proposa de s’en remettre au sort.
Car c’est ainsi que les guerriers antiques
En ont usé dans les temps héroïques :
Même aujourd’hui dans quelques républiques
Plus d’un emploi, plus d’un rang glorieux,

Se tire au dés[3], et tout en va bien mieux.
Si j’osais même en cette noble histoire
Citer des gens que tout mortel doit croire,
Je vous dirais que monsieur saint Mathias
Obtint ainsi la place de Judas.
Le gros Bonneau tient le cornet, soupire,
Craint pour son roi, prend les dés, roule, tire.
Denys, du haut du céleste rempart,
Voyait le tout d’un paternel regard ;
Et, contemplant la Pucelle et son âne,
Il conduisait ce qu’on nomme hasard.
Il fut heureux, le sort échut à Jeanne.
Jeanne, c’était pour vous faire oublier
L’infâme jeu de ce grand cordelier,
Qui ci-devant avait raflé vos charmes.



Jeanne à l’instant court au roi, court aux armes,
Modestement va derrière un buisson
Se délacer, détacher son jupon,
Et revêtir son armure sacrée,
Qu’un écuyer tient déjà préparée ;
Puis sur son âne elle monte en courroux,
Branlant sa lance, et serrant les genoux :
Elle invoquait les onze mille belles,
Du pucelage héroïnes fidèles[4].
Pour Jean Chandos, cet indigne chrétien,
Dans les combats n’invoquait jamais rien.



Jean contre Jeanne avec fureur avance :
Des deux côtés égale est la vaillance ;
Ane et cheval, bardés, coiffés de fer,
Sous l’éperon partent comme un éclair,
Vont se heurter, et de leur tête dure
Front contre front fracassent leur armure ;
La flamme en sort, et le sang du coursier
Teint les éclats du voltigeant acier.
Du choc affreux les échos retentissent ;
Des deux coursiers les huit pieds rejaillissent ;

Et les guerriers, du coup désarçonnés,
Tombent chacun sur la croupe étonnés :
Ainsi qu’on voit deux boules suspendues
Aux bouts égaux de deux cordes tendues,
Dans une courbe au même instant partir,
Hâter leur cours, se heurter, s’aplatir,
Et remonter sous le choc qui les presse,
Multipliant leur poids par leur vitesse.
Chaque parti crut morts les deux coursiers,
Et tressaillit pour les deux chevaliers.



Or des Français la championne auguste
N’avait la chair si ferme, si robuste,
Les os si durs, les membres si dispos,
Si musculeux que le fier Jean Chandos.
Son équilibre ayant dans cette rixe
Abandonné sa ligne et son point fixe,
Son quadrupède un haut-le-corps lui fit,
Qui dans le pré Jeanne d’Arc étendit,
Sur son beau dos, sur sa cuisse gentille,
Et comme il faut que tombe toute fille.



Chandos pensait qu’en ce grand désarroi
Il avait mis ou Dunois ou le roi ;
Il veut soudain contempler sa conquête :
Le casque ôté, Chandos voit une tête
Où languissaient deux grands yeux noirs et longs.
De la cuirasse il défait les cordons ;
Il voit (ô ciel ! ô plaisir ! ô merveille !)
Deux gros tetons de figure pareille,
Unis, polis, séparés, demi-ronds,
Et surmontés de deux petits boutons,
Qu’en sa naissance a la rose merveille.
On tient qu’alors, en élevant la voix,
Il bénit Dieu pour la première fois.
" Elle est à moi, la Pucelle de France !
S’écria-t-il ; contentons ma vengeance.
J’ai, grâce au ciel, doublement mérité
De mettre à bas cette fière beauté.
Que saint Denys me regarde et m’accuse ;
Mars et l’Amour sont mes droits, et j’en use. "



Son écuyer disait : " Poussez, milord ;
Du trône anglais affermissez le sort.
Frère Lourdis en vain nous décourage ;

Il jure en vain que ce saint pucelage
Est des Troyens le grand palladium,
Le bouclier sacré du Latium[5] ;
De la victoire il est, dit-il, le gage ;
C’est l’oriflamme ; il faut vous en saisir.
— Oui, dit Chandos, et j’aurai pour partage
Les plus grands biens, la gloire et le plaisir. "



Jeanne pâmée écoutait ce langage
Avec horreur, et faisait mille vœux
A saint Denys, ne pouvant faire mieux.
Le grand Dunois, d’un courage héroïque,
Veut empêcher le triomphe impudique :
Mais comment faire ? Il faut dans tout état
Qu’on se soumette à la loi du combat.
Les fers en l’air et la tête penchée,
L’oreille basse et du choc écorchée,
Languissamment le céleste baudet
D’un œil confus Jean Chandos regardait.
Il nourrissait dès longtemps dans son âme
Pour la Pucelle une discrète flamme,
Des sentiments nobles et délicats
Très-peu connus des ânes d’ici-bas.



Le confesseur du bon monarque Charle
Tremble en sa chair alors que Chandos parle.
Il craint surtout que son cher pénitent,
Pour soutenir la gloire de la France,
Qu’on avilit avec tant d’impudence,
A son Agnès n’en veuille faire autant ;
Et que la chose encor soit imitée
Par La Trimouille et par sa Dorothée.
Au pied d’un chêne il entre en oraison,
Et fait tout bas sa méditation
Sur les effets, la cause, la nature
Du doux péché qu’aucuns nomment luxure[6].



En méditant avec attention,
Le benoît moine eut une vision
Assez semblable au prophétique songe
De ce Jacob, heureux par un mensonge,

Pate-pelu dont l’esprit lucratif
Avait vendu ses lentilles en Juif[7].
Ce vieux Jacob (ô sublime mystère !)
Devers l’Euphrate une nuit aperçut
Mille béliers qui grimpèrent en rut
Sur des brebis qui les laissèrent faire.
Le moine vit de plus plaisants objets ;
Il vit courir à la même aventure,
Tous les héros de la race future.
Il observait les différents attraits
De ces beautés qui, dans leur douce guerre,
Donnent des fers aux maîtres de la terre.
Chacune était auprès de son héros,
Et l’enchaînait des chaînes de Paphos.
Tels, au retour de Flore et de Zéphyre,
Quand le printemps reprend son doux empire,
Tous ces oiseaux, peints de mille couleurs,
Par leurs amours agitent les feuillages :
Les papillons se baisent sur les fleurs,
Et les lions courent sous les ombrages
A leurs moitiés qui ne sont plus sauvages.



C’est-là qu’il vit le beau François premier.
Ce brave roi, ce loyal chevalier,
Avec Étampe heureusement oublie[8]
Les autres fers qu’il reçut à Pavie.
Là Charles-Quint joint le myrte au laurier,
Sert à la fois la Flamande et la Maure.
Quels rois, ô ciel ! l’un à ce beau métier
Gagne la goutte, et l’autre pis encore.
Près de Diane on voir danser les Ris[9],
Aux mouvements que l’Amour lui fait faire
Quand dans ses bras tendrement elle serre,
En se pâmant, le second des Henris.
De Charles neuf le successeur volage[10],
Quitte en riant sa Chloris pour un page,

Sans s’alarmer des troubles de Paris.



Mais quels combats le jacobin vit rendre
Par Borgia le sixième Alexandre !
En cent tableaux il est représenté :
Là sans tiare, et d’amour transporté :
Tournant le dos, troussant sa soutanelle,
Avec Vanoze il se fait sa famille[11] ;
Un peu plus bas on voit Sa Sainteté
Qui s’attendrit pour Lucrèce sa fille.
O Léon dix ! ô sublime Paul trois !
A ce beau jeu vous passiez tous les rois ;
Mais vous cédez à mon grand Béarnois,
A ce vainqueur de la Ligue rebelle,
A mon héros plus connu mille fois
Par les plaisirs que goûta Gabrielle[12],
Que par vingt ans de travaux et d’exploits.



Bientôt on voit le plus beau des spectacles,
Ce siècle heureux, ce siècle des miracles,
Ce grand Louis, cette superbe cour
Où tous les arts sont instruits par l’Amour.
L’Amour bâtit le superbe Versailles ;
L’Amour, aux yeux des peuples éblouis,
D’un lit de fleurs fait un trône à Louis :
Malgré les cris du fier dieu des batailles,
L’Amour amène au plus beau des humains
De cette cour les rivales charmantes,
Toutes en feu, toutes impatientes :
De Mazarin la nièce aux yeux divins[13],
La généreuse et tendre la Vallière,
La Montespan plus ardente et plus fière.
L’une se livre au moment de jouir,
Et l’autre attend le moment du plaisir.



Voici le temps de l’aimable Régence,
Temps fortuné, marqué par la licence,
Où la Folie, agitant son grelot,

D’un pied léger parcourt toute la France,
Où nul mortel ne daigne être dévot,
Où l’on fait tout excepté pénitence.



Le bon Régent, de son Palais-Royal,
Des voluptés donne à tous le signal.
Vous répondez à ce signal aimable,
Jeune Daphné[14], bel astre de la cour ;
Vous répondez du sein du Luxembourg,
Vous que Bacchus et le dieu de la table
Mènent au lit, escortés par l’Amour.
Mais je m’arrête, et de ce dernier âge
Je n’ose en vers tracer la vive image :
Trop de péril suit ce charme flatteur.
Le temps présent est l’Arche du Seigneur :
Qui la touchait d’une main trop hardie,
Puni du ciel, tombait en léthargie.
Je me tairai ; mais si j’osais pourtant,
O des beautés aujourd’hui la plus belle !
O tendre objet, noble, simple, touchant,
Et plus qu’Agnès généreuse et fidèle !
Si j’osais mettre à vos genoux charnus
Ce grain d’encens que l’on doit à Vénus ;
Si de l’Amour je déployais les armes ;
Si je chantais ce tendre et doux lien ;
Si je disais… Non, je ne dirai rien :
Je serais trop au-dessous de vos charmes.



Dans son extase enfin le moine noir
Vit à plaisir ce que je n’ose voir.
D’un œil avide, et toujours très-modeste,
Il contemplait le spectacle céleste
De ces beautés, de ces nobles amants,
De ces plaisirs défendus et charmants.
" Hélas ! dit-il, si les grands de la terre
Font deux à deux cette éternelle guerre ;
Si l’univers doit en passer par là,
Dois-je gémir que Jean Chandos se mette
A deux genoux auprès de sa brunette ?
Du seigneur Dieu la volonté soit faite :
_Amen, amen._ " Il dit, et se pâma,
Croyant jouir de tout ce qu’il voit là.

Mais saint Denys était loin de permettre
Qu’aux yeux du ciel Jean Chandos allât mettre
Et la Pucelle et la France aux abois.
Ami lecteur, vous avez quelquefois
Ouï conter qu’on nouait l’aiguillette[15].
C’est une étrange et terrible recette,
Et dont un saint ne doit jamais user
Que quand d’une autre il ne peut s’aviser.
D’un pauvre amant le feu se tourne en glace ;
Vif et perclus sans rien faire il se lasse ;
Dans ses efforts étonné de languir,
Et consumé sur le bord du plaisir.
Telle une fleur, des feux du jour séchée,
La tête basse et la tige penchée,
Demande en vain les humides vapeurs
Qui lui rendaient la vie et les couleurs.
Voilà comment le bon Denys arrête
Le fier Anglais dans ses droits de conquête.



Jeanne, échappant à son vainqueur confus,
Reprend ses sens quand il les a perdus ;
Puis d’une voix imposante et terrible,
Elle lui dit : " Tu n’es pas invincible :
Tu vois qu’ici, dans le plus grand combat,
Dieu t’abandonne, et ton cheval s’abat ;
Dans l’autre un jour je vengerai la France,
Denys le veut, et j’en ai l’assurance ;
Et je te donne avec tes combattants
Un rendez-vous sous les murs d’Orléans. "
Le grand Chandos lui repartit : " Ma belle,
Vous m’y verrez ; pucelle ou non pucelle,
J’aurai pour moi saint George le très-fort,
Et je promets de réparer mon tort. "

  1. L'auteur désigne clairement la fin du mois de juin. La fête de saint Jean le baptiseur, qu'on appelle Baptiste, est célébrée le 24 juin. (Note de Voltaire, 1762.)
  2. Ce que dit ici l'auteur fait allusion au trente-quatrième chant de l’Orlando furioso :
    Quando scoprendo il nome suo gli disse
    Esser colui che l'Evangelio scrisse.

    Voyez notre Préface, et surtout souvenez-vous qu'Arioste place saint Jean dans la lune avec les trois Parques. (Id., 1773.) — Le commencement de cette note est de 1762. Après la citation des deux vers de l’Orlando, Voltaire ajoutait : « Et au trente-cinquième, le même saint Jean l'Évangéliste dit à Astolfe :
    Gli scrittori amo, e fo il debito mio ;
    Ch' al vostro mondo fu scrittor' anche io....
    E bon convenne al mio lodato Cristo
    Render mi guidardon di si gran sorte.

    Nous n'osons traduire ces vers italiens, qui paraîtraient des profanations; cependant on ne s'en formalise pas en Italie : mais nous ne pouvons nous empêcher de louer notre auteur, lequel n'a jamais poussé si loin son innocent badinage. » (R.)
  3. Les exemples des sorts sont très-fréquents dans Homère. On devinait aussi par les sorts chez les Hébreux. Il est dit que la place de Judas fut tirée au sort; et aujourd'hui à Venise, à Gênes, et dans d'autres États, on tire au sort plusieurs places. (Note de Voltaire, 1762.) — C'est dans les Actes des Apôtres, i, 26, qu'il est dit que la place de Judas fut tirée au sort. (R.)
  4. Les onze mille vierges et martyres enterrées à Cologne. (N. de Voltaire, 1762.)
  5. C'était un bouclier qui était tombé du ciel à Rome, et qui était gardé soigneusement, comme un gage de la sûreté de la ville. (Note de Voltaire, 1762.)
  6. En 1750, c'était ici la fin du douzième chant; ce qui suit formait le treizième. (G.-A.)
  7. Notre auteur entend sans doute l'artifice dont usa Jacob quand il se fit passer pour Ésaü. Pate-pelu signifie les gants de peau et de poil dont il couvrit ses mains. (Note de Voltaire, 1762.) — Pate-pelu, expression rabelaisienne. Voyez Pantagruel, ancien prologue du quart livre. (R.)
  8. Anne de Pisseleu, duchesse d'Étampes. (Note de Voltaire, 1762.)
  9. Diane de Poitiers, duchesse de Valentinois. (Id., 1762.)
  10. Henri III et ses mignons. (Id., 1762.)
  11. Alexandre VI, pape, eut trois enfants de Vanoza. Lucrèce, sa fille, passa pour être sa maîtresse et celle de son frère : « Alexandri filia, sponsa, nurus. » (Note de Voltaire, 1762.) — Ces mots terminent l’épitaphe épigranimatique que Pontanus fit pour Lucrèce Borgia :
    Hic jacet in tumulo Lucretia nomine, sed re
    Thaïs, Alexandri filia, sponsa, nurus. (R.)
  12. La fameuse Gabrielle d'Estrées, duchesse de Beaufort. (Note de Voltaire, 1762.)
  13. Celle qui depuis fut la connétable Colonne. (Id., 1762.)
  14. Duchesse de Berry. (G. A.)
  15. On portait autrefois dos hauts-dc-chausses attachés avec une aiguillette; et ou disait d'un homme qui n'avait pu s'acquitter de son devoir que son aiguillette était nouée. Les sorciers ont de tout temps passé pour avoir le pouvoir d'empêcher la consommation du mariage : cela s'appelait nouer l'aiguillette. La mode des aiguillettes passa sous Louis XIV, quand on mit des boutons aux braguettes. (Note de Voltaire, 1762.)