La Réaction païenne/Partie III/Chapitre I

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L’Artisan du livre (p. 223-296).

CHAPITRE PREMIER

LE NÉO-PLATONICIEN PORPHYRE

I. Haute inspiration religieuse de Porphyre, en ses meilleures pages. — II. Les contradictions de ce remarquable esprit. — III. Christianisme et néo-platonisme. — IV. Les rapports de Porphyre avec le christianisme, antérieurement à son grand ouvrage de combat. Ses premiers opuscules. Sa formation philologique. — V. Par quelle méthode pouvons-nous reconstituer le traité Contre les chrétiens ? Le répertoire de textes dressé par Harnack. — VI. La critique porphyrienne des Évangélistes et des Apôtres. — VII. La critique de l’Ancien Testament. — VIII. Porphyre et le Christ. — IX. Porphyre et les dogmes chrétiens. — X. Ses vues sur le christianisme de son temps. — XI. Malveillance profonde avec laquelle il le juge. Porphyre et les polémistes antichrétiens modernes. — XII. Utilisation de son traité du côté païen. Prohibition portée contre l’ouvrage par Constantin. — XIII. Dans quelle mesure la pensée catholique a-t-elle été perméable aux objections développées par Porphyre ? — XIV. Comment le logicien a fait oublier le polémiste. Disparition finale du Contra Christianos.

I

Parmi les hommes, ce ne sont pas les voluptueux qui s’élèvent jusqu’à Dieu, ce sont ceux qui ont appris à supporter courageusement les plus grands maux… Nous devons considérer Dieu comme l’auteur de tout ce que nous faisons de bien ; quant au mal, la faute en est à nous, à notre libre choix : Dieu n’y est pour rien… Ce n’est pas dans le corps qu’apparaît Dieu, ni dans les âmes impures et obscurcies par le vice. Sa beauté sans tache, sa lumière resplendit dans la vérité. Plus on aime le corps et ce qui se rattache au corps, plus on ignore Dieu et l’on obscurcit en soi la vision de Dieu… Si vous vous souvenez toujours que, partout où va votre âme et où elle met votre corps en jeu, Dieu est témoin de vos pensées et de vos actions, vous vous surveillerez devant un témoin si saint, et vous, aurez Dieu avec vous… La religion a quatre fondements principaux : la foi, la vérité, l’amour, l’espérance. Il faut croire, parce qu’il n’y a pas de salut pour qui ne se tourne pas vers Dieu ; il faut mettre tous ses soins, toute son application à connaître la vérité sur Dieu ; quand on le connaît, il faut l’aimer ; quand on l’aime, il faut nourrir son âme de nobles espérances au sujet de la vie. C’est par les nobles espérances que les bons l’emportent sur les mauvais — tels sont les fondements de la religion… Les hommes atteints de la fièvre sont, du fait de la maladie, tourmentés sans cesse par la soif et ont envie des choses qui leur sont le plus contraires : de même ceux qui n’ont pas l’âme en bon état manquent toujours de tout et, par suite d’un appétit morbide, sont en proie à une soif insatiable de jouissances[1]

C’est à sa femme Marcella que, déjà sur le déclin de l’âge, Porphyre adressait ces exhortations pieuses, cet énergique sursum corda. Il l’avait épousée depuis peu — sans fortune, de santé chétive, et mère de sept enfants, dont les derniers étaient encore en bas âge. Ce qu’il avait aimé en elle (il le lui avoue avec une franchise peut-être un peu cruelle[2]), ce n’était pas la femme, mais une belle intelligence, capable de comprendre toutes les spéculations — et le souvenir de son premier mari, en qui il avait eu un compagnon de sa pensée. Obligé, après dix mois de mariage, de partir pour la Grèce, il la sentait toute désemparée. Sa lettre, qui n’est nullement une lettre intime, mais, comme disaient les anciens, un véritable « protreptique », a pour objet ou plutôt pour prétexte de l’aider à se ressaisir et à chercher dans la philosophie le réconfort dont elle a besoin.

Imaginons un chrétien cultivé de la fin du iiie siècle lisant cet opuscule. Certes, il y eût rencontré, en petit nombre, quelques passages inquiétants, quelques expressions inacceptables. Celles-ci, par exemple :

L’homme digne de Dieu est déjà en quelque sorte Dieu lui-même… Le sage est le seul prêtre, le seul homme religieux, le seul qui sache prier… Dieu n’est ni ému par les larmes et les supplications, ni honoré par les sacrifices, ni paré par la multitude des offrandes… L’âme est habitée ou par des dieux ou par des génies. Quand ce sont les dieux qui l’occupent, l’âme dit et fait le bien ; mais quand elle est habitée par un mauvais génie, elle ne fait rien que de mauvais[3].

Mais de quel cœur il eût approuvé l’esprit de piété, de détachement, d’ascétisme, la haute et forte inspiration religieuse qui y circule d’un bout à l’autre ! N’y eût-il pas perçu, dans tel passage que j’ai cité, comme un écho de saint Paul lui-même et une formule toute voisine de celle dont l’apôtre s’était servi pour définir les trois vertus fondamentales du chrétien, la foi, l’espérance, la charité[4] ? Quoi de plus rassurant qu’une telle analogie de pensée ?

II

C’est pourtant ce rigide et pieux idéaliste qui a été, après Celse, et plus encore que Celse, le plus redoutable adversaire que le christianisme ait rencontré durant les premiers siècles.

Au moment où Porphyre publia son grand traité contre les chrétiens, il était dans la force de l’âge et il avait derrière lui une production considérable, qu’il devait accroître jusqu’à sa mort. M. J. Bidez, qui en a dressé la liste avec une conscience scrupuleuse, trouve au total soixante-dix-sept numéros[5].

Né vers 232-233 à Tyr, ou dans quelque bourgade voisine de Tyr (peut-être plus au sud, à Batanaea, près de Césarée de Palestine, car les polémistes ecclésiastiques l’appellent souvent, avec une intention méprisante, « le Batanéote »), Porphyre, sémite hellénisé, s’était formé à Athènes sous la direction de Longin ; puis, vers trente ans, en 263, il avait rencontré à Rome Plotin, et il était devenu son disciple fervent et son ami. C’est lui, comme on sait, qui devait recueillir et classer les leçons de Plotin pour en former les « neuvaines », les Ennéades, ainsi dénommées parce que ces dissertations métaphysiques sont groupées assez arbitrairement en six séries de neuf livres — en l’honneur du nombre neuf, nombre mystérieux et sacré.

M. J. Bidez a résumé dans une page brillante les contradictions dont fut travaillé ce remarquable esprit[6] :

Esprit critique et naïveté, enthousiasme sincère et habile opportunisme, science solide et érudition puérile ; curiosité d’un Hellène avide de savoir et de comprendre, aberrations d’un occultiste ; libre allure d’une pensée qui discute et raisonne, docilité d’un croyant prêt à accepter toutes les révélations ; apostolat moral très élevé, accointances compromettantes ; vulgarisation lucide et facile, compilations, absurdités même : il semble qu’il y a de tout dans l’œuvre de Porphyre, et personne n’a encore essayé ni de cataloguer et de décrire chacun de ces éléments disparates, ni de dire comment ils ont pu se rencontrer.

Ce qui est sûr, c’est que quiconque s’y essaiera devra employer, non pas la méthode trop synthétique et trop systématique de Zeller dans sa Philosophie der Griechen, mais bien plutôt celle que M. Bidez lui-même a observée aussi fidèlement que l’insuffisance des sources le lui a permis : je veux dire une méthode nettement historique.

À ce prix seulement on pourra suivre les méandres d’une pensée souvent déconcertante, trop assujettie aux milieux qu’elle traversa, et où s’associèrent bizarrement les plus perçantes qualités critiques et — disait E. Renan[7] — « des choses si absurdes que les tables tournantes et les esprits frappeurs ne le sont qu’un peu plus ».

III

Un des traits les plus curieux de l’histoire du néo-platonisme, c’est la longue sympathie qu’il a éveillée dans les intelligences chrétiennes, alors qu’en son fond et par l’essentiel de ses vues, il offrait de quoi justifier de leur part bien des défiances.

D’une doctrine à l’autre, il y eut assez longtemps des contacts, des relations, j’allais dire des coquetteries. Néoplatonisme et christianisme purent quelquefois paraître, non pas des rivaux, mais des émules en spiritualisme, et presque des alliés. Origène avait été l’auditeur d’Ammonius Sakkas qui passait pour le fondateur de l’école néo-platonicienne à Alexandrie[8]. Dans ses dix Stromates (perdus), il cherchait un point d’appui pour le dogme chrétien chez Platon, Aristote, Numenius et Cornutus[9]. Ce Numenius d’Apamée, si goûté des néo-platoniciens du iiie siècle[10] quoiqu’il se rattachât plutôt au néo-pythagorisme, témoignait du respect aux Juifs et à leur législateur — il appelait Platon un « Moïse atticisant » (Μωσῆς ἀττικίζων[11]) — il admettait le sens figuré de certaines prophéties hébraïques et s’était intéressé à l’histoire de Jésus, qu’il transposait sur le plan allégorique[12]. Amelius, défenseur de Plotin contre ceux qui l’accusaient d’avoir plagié Numenius, définissait le Logos-Dieu, son incarnation, sa divinité dans des termes voisins du Prologue de saint Jean, et il rendait hommage à l’Apôtre, encore qu’il le désignât par ce terme quelque peu dédaigneux, ὁ βάρβαρος[13]. Au témoignage de saint Augustin — qui tenait le fait de Simplicianus, l’évêque de Milan — un platonicien aurait souhaité que ce Prologue du IVe Évangile fût gravé dans les églises en lettres d’or, à l’endroit le plus accessible aux regards[14].

L’attitude du chef de la secte, Plotin, est plus délicate à définir.

Plotin, à dire vrai, n’avait engagé aucune controverse directe avec les chrétiens. « Il n’y a pas dans les Ennéades, affirme J. Bidez[15], le moindre indice de malveillance pour le Christ et ses disciples. » On relève toutefois, dans le neuvième livre de la seconde Ennéade, celui qui est intitulé Contre les Gnostiques, des allusions indirectes, et peu favorables, au christianisme lui-même. Quels étaient ces gnostiques ? À quelle école se rattachaient-ils ? Carl Schmidt a pensé à une secte romaine, dont les origines devraient être cherchées du côté de la Syrie et de l’Égypte[16]. Mais Plotin — qui laissait volontiers à Porphyre et à Amelius le soin des controverses de détail[17] — en donne un signalement trop vague pour qu’on puisse déterminer avec précision le type particulier de ce groupe. Au surplus, ce qui importe, c’est de savoir si, sous couleur d’attaquer les théologiens gnostiques, Plotin aurait visé quelquefois les chrétiens. Carl Schmid le croit[18] et Joh. Geffcken l’admet également[19]. Quand Plotin gourmande ses adversaires de « mépriser le monde créé » et de prétendre « qu’il a été fait pour eux une terre nouvelle dans laquelle ils s’en iront, en sortant d’ici[20] » ; quand il leur reproche de s’intituler « les enfants de Dieu » à l’exclusion des autres hommes et de substituer au souci de l’ordre universel l’illusion égoïste d’une Providence qui ne s’exercerait qu’en leur faveur[21] ; quand il raille leur conception des maladies qu’ils prennent pour des « êtres démoniaques », susceptibles d’être chassés avec des formules, comme s’il était aisé de persuader aux gens de bon sens « que les maladies n’ont pas pour causes la fatigue, la réplétion, la vacuité, la corruption, en un mot des transformations qui ont leur principe en dedans ou au dehors de nous[22] », ou qu’il signale dédaigneusement leur habitude « d’appeler frères les hommes les plus vils[23] » alors qu’ils refusent ce nom au soleil, aux autres dieux du ciel, à l’âme même du monde, il est possible qu’il se soit clairement rendu compte que ses critiques allaient atteindre, par delà ses interlocuteurs immédiats, les chrétiens, si nombreux à Rome à cette époque. Cette confusion, Plotin n’a rien fait pour la prévenir.

Que l’esprit de ce chapitre soit d’ailleurs inconciliable avec la conception chrétienne de l’univers, c’est ce que laisse entendre l’éminent traducteur des Ennéades, Émile Bréhier. Il montre à quel point l’idée gnostique (mais chrétienne aussi) du monde sensible « comme d’un séjour momentané où des âmes, d’essence étrangère et supérieure à lui, viendront subir les épreuves destinées à préparer leur salut » est opposée à celle de Plotin, lequel justement ne veut pas permettre à la préoccupation du salut individuel de désorganiser la vision rationnelle du monde et « y oppose avec force la vieille tradition hellénique, pour qui la véritable fin de l’homme consiste à saisir sa place dans le système des réalités et non à s’y tailler un premier rôle[24] ».

Ame ardente, aux allures inspirées, qui portait dans ses méditations les plus abstraites une flamme enthousiaste, Plotin a pu faire illusion plus d’une fois aux chrétiens par sa puissante aspiration vers Dieu, par son vœu souvent exprimé que l’âme se purifiât de toute souillure, qu’elle renonçât aux convoitises terrestres, à tout ce qui pouvait retarder son élan et alourdir son essor vers ce Dieu ineffable. Au fond, sa pensée était toute païenne[25]. Rien que son affirmation de l’éternité et de l’incorruptibilité du monde excluait le dogme chrétien de la création et l’eschatologie chrétienne. Et que d’autres oppositions, à y regarder de près !

Un moment devait venir où les malentendus complaisants prendraient fin et où les accords de surface seraient rompus.

IV

Quels avaient été les rapports de Porphyre avec le christianisme, et quels sentiments avait-il témoignés à son égard avant d’entreprendre son grand ouvrage de combat ?

C’est une question de savoir jusqu’où, pendant son enfance et sa jeunesse, Porphyre s’était approché du christianisme ; et, dans l’état de nos connaissances, cette question paraît à peu près insoluble. Saint Augustin, qui n’avait pas eu en mains le Κατὰ χριστιανῶν, mais lisait plusieurs autres de ses ouvrages, ne le traite nulle part comme un « apostat ». Il écrit seulement dans la Cité de Dieu, X, 28 : « Ah ! si tu avais eu un véritable, un fidèle amour de la sagesse, tu aurais connu Jésus-Christ, vertu et sagesse de Dieu, et tout gonflé d’une science vaine et ampoulée, tu ne te serais pas écarté de son humilité si salutaire ! » (… nec ab eius saluberrima humilitate… resiluisses). Le mot resiluisses est d’une vivacité difficile à rendre : c’est proprement un bond en arrière. L’expression, toutefois, n’implique pas nécessairement l’abandon d’une croyance d’abord partagée : elle peut signifier aussi une antipathie irréductible à l’égard de certaines formes de la mentalité chrétienne. — D’autre part, l’historien Socrate (qui écrit vers le milieu du ve siècle) affirme que Porphyre « abandonna le christianisme » (τὸν χριστιανισμὸν ἀπέλειτε[26]). Il impute, il est vrai, cette désertion à une cause bien puérile : Porphyre aurait été « battu » par quelques chrétiens à Césarée de Palestine, et il aurait éprouvé de cet indigne traitement une telle colère que, dans sa mauvaise humeur (ἐκ μελαγχολίας), il aurait renoncé à la foi et songé dès lors à écrire un livre de polémique. L’anecdote paraît fort suspecte[27] ; cependant Socrate a dû la tirer, quitte à l’enniaiser à sa façon, d’Eusèbe de Césarée, qui avait réfuté Porphyre et était renseigné sur le passé de la communauté chrétienne de Césarée.

Ce qui est sûr, c’est que, catéchumène ou non, baptisé ou non, Porphyre s’était intéressé de bonne heure aux choses du christianisme. Il avait rencontré Origène dans sa première jeunesse, c’est lui-même qui nous l’apprend[28]. Il s’était certainement initié aux discussions ardentes de l’époque, et avec son intelligence déliée, sa curiosité toujours en éveil, il a fort bien pu savoir du christianisme tout ce qu’il en a su, sans y avoir été régulièrement initié.

S’il eut pour la foi nouvelle quelque goût momentané, cette complaisance ne dura pas longtemps. Dès ses premiers ouvrages, il prit position.

Nous n’avons plus sa Philosophie des Oracles, sorte de « bréviaire théurgique » où se décèle « la plus dégoûtante superstition[29] », mais nous en possédons d’importants extraits[30]. Porphyre y cite et y paraphrase un certain nombre d’oracles, qu’il doit en partie à des recueils antérieurs, et il en tire toute une théorie sur les rites et pratiques grâce auxquels l’âme pieuse peut obtenir son salut.

Quelques-uns de ces « oracles » ont trait au christianisme. La plupart des critiques jugent l’exégèse que Porphyre en donne avec un optimisme ou une indulgence qui m’étonne un peu. Geffcken ne veut pas que Porphyre ait attaqué le Christ lui-même[31]. « Dans la Philosophie des Oracles, déclare Harnack, Porphyre est non seulement un admirateur, mais un dévot du Christ divin[32]. » M. Bidez accepte l’idée que Porphyre ait eu comme objectif à cette époque « une noble conciliation que les chrétiens même pourraient accepter[33] ».

Voilà des affirmations surprenantes. Examinons les textes, ou mieux encore traduisons-les : c’est la vraie méthode.

Nous devons les plus significatifs à saint Augustin et à Eusèbe de Césarée. J’extrais de la Cité de Dieu le premier passage[34] :

Dans son ouvrage intitulé la Philosophie des Oracles, où il groupe et passe en revue de prétendues réponses divines sur des questions qui intéressent la philosophie, Porphyre raconte ceci (je cite ses propres paroles d’après la traduction latine faite d’après le grec) : « Quelqu’un demandait quel dieu il devait se rendre propice pour arriver à détourner sa femme du christianisme. Voici la réponse en vers que fit Apollon : « Il te serait peut-être plus facile de tracer des caractères sur l’eau, ou bien, ouvrant au souffle de l’air des ailes légères, de voler comme un oiseau, que de rappeler à la raison ta femme impie et souillée. Laisse-la donc persévérer à son gré dans ses folles erreurs ; que par ses lamentations elle célèbre un Dieu mort, condamné par d’équitables juges et qui, dans ses plus belles années, attaché par des clous de fer, a péri du pire des supplices[35]. »

Après ces vers d’Apollon, qui viennent d’être transposés en prose latine, Porphyre ajoute : « Le dieu a dévoilé par ces paroles le caractère inguérissable de leur préjugé entêté ; il déclare que les Juifs savent honorer Dieu mieux que ces gens-là (les chrétiens). »

Voilà donc un endroit, reprend Augustin, où Porphyre essaie de déshonorer le Christ et où il attribue aux Juifs une supériorité sur les chrétiens, en proclamant que ce sont les Juifs qui savent honorer Dieu !

Car c’est ainsi qu’il explique les vers d’Apollon : pour lui, ce sont des juges équitables qui ont mis le Christ à mort, et du moment qu’ils ont bien jugé, c’est donc que le Christ a mérité d’être puni.

Porphyre proclamait ailleurs la grandeur du Dieu des Juifs — toujours en faisant parler Apollon. Comme on lui demandait lequel des deux l’emportait, du Verbe (de la Raison) — ou de la Loi, le dieu était censé avoir répondu en ces termes :

C’est le Dieu générateur, le Roi suprême, devant qui tremblent et le ciel, et la terre, et la mer, et les mystérieux abîmes de l’enfer ; devant lui les divinités mêmes frémissent d’épouvante : ce Père, les saints Hébreux, dont il est la Loi, l’honorent grandement.

On a vu la réaction d’Augustin en présence des oracles rapportés (ou forgés) par Porphyre, tout jeune encore à cette époque. Le châtiment infligé au Christ a été, selon le philosophe, un juste châtiment. Et de croire au christianisme est une impiété et une souillure. Au surplus, les Juifs, au point de vue de la compréhension des choses religieuses, valent encore mieux que les chrétiens.

Le passage qui suit — il est inclus également dans la Cité de Dieu[36] — a des allures plus bénignes, mais on doit se demander si cette bienveillance apparente ne prépare pas une tactique hostile.

Ce philosophe dit aussi du bien du Christ, comme s’il oubliait les paroles outrageantes que nous venons de citer… il se donne les airs d’un homme qui va publier quelque chose de surprenant et d’incroyable : « Ce que je vais dire, observe-t-il, paraîtra sans doute paradoxal à quelques-uns. Eh bien ! les dieux ont proclamé que le Christ était très pieux et qu’il est devenu immortel ; ils font mention de lui avec des éloges. Quant aux chrétiens, ils les déclarent souillés, impurs, tombés dans les filets de l’erreur, et ils usent à leur égard de beaucoup d’autres termes aussi méprisants. » Porphyre cite ensuite de prétendus oracles divins, insultants pour les chrétiens. Il ajoute : « Interrogée sur la divinité du Christ, Hécate a répondu : « Que l’âme immortelle continue sa course, une fois séparée du corps, cela, tu le sais. A-t-elle rompu avec la sagesse, elle erre à jamais. Celle dont tu me parles est l’âme d’un homme très éminent par sa piété : mais à ceux qui l’honorent, la vérité demeure étrangère. » À ces prétendus oracles, Porphyre lie les remarques suivantes : « Hécate l’appelait donc un homme très pieux ; son âme disait-elle, comme celle des autres hommes pieux, a bénéficié, après qu’il fut mort, de l’immortalité ; mais c’est par ignorance que les chrétiens l’adorent. — À ceux qui lui demandaient : Pourquoi donc fut-il condamné ?, la déesse répondit par cet oracle : Le corps est toujours exposé aux exténuantes tortures ; mais l’âme des justes repose dans la céleste demeure. Toutefois, cette âme a été pour d’autres âmes, auxquelles les destins n’ont pas permis d’obtenir les faveurs des dieux et de posséder la connaissance de Jupiter immortel, une fatale occasion de choir dans l’erreur. Voilà pourquoi les dieux les haïssent : ceux dont le destin n’a pas voulu qu’ils connussent Dieu et reçussent les faveurs des dieux, il les a inévitablement fait tomber dans l’erreur. Mais il était lui-même un juste et, comme les justes, il a été admis dans le ciel. Aussi ne le blasphèmeras-tu pas, mais tu prendras en pitié la démence des hommes : de lui à eux, aisé est le péril, et rapide en est la pente[37] ! »

Eusèbe de Césarée a donné dans sa Démonstration évangélique[38] une partie de ce passage dans le texte grec original. Seulement il supprime presque toutes les observations désobligeantes sur les chrétiens[39]. Cela lui permet de tirer parti du témoignage rendu par les dieux eux-mêmes au Christ.

Vous voyez, s’exclame-t-il, que loin de passer pour un magicien et un charlatan, notre Sauveur Jésus, le Christ de Dieu, est reconnu comme rempli de piété, de justice, de sagesse, et comme un habitant des célestes demeures[40].

Augustin, qui, lui, ne fait pas de coupures ni ne cherche de faciles triomphes d’apologiste, se satisfait moins aisément :

Qui est assez sot pour ne pas voir, ou bien que ces oracles sont une fiction de cet homme de ruse — et j’ajoute : de cet ennemi acharné du christianisme — ou bien que ce sont d’impurs démons qui les ont rendus, afin d’autoriser pour les louanges qu’ils donnent au Christ le blâme qu’ils déversent sur les chrétiens, et de fermer de la sorte, si possible, la voie du salut éternel, où l’on ne s’engage que par le christianisme ?… Ils consentent qu’on les croie quand ils louent le Christ, pourvu qu’on les croie aussi quand ils critiquent les chrétiens, et que celui qui les aura crus sur l’un et l’autre point, tout en prodiguant des louanges au Christ, se refuse à être chrétien. De cette façon, tout loué qu’il sera, le Christ ne pourra le libérer de la domination des démons.

Quoi qu’en ait pensé (sans grande conviction d’ailleurs) J. Bidez, s’il y avait une « noble conciliation » que les chrétiens ne pussent accepter, c’était assurément celle-là — en admettant que Porphyre ait sérieusement songé à la leur offrir.

Vers le même temps où il publiait la Philosophie des Oracles, Porphyre composait un autre traité sur les Images des dieux.

« La mystique brutale de la Philosophie des Oracles, remarque J. Geffcken[41], est absente de ce nouvel opuscule. Mais au fond la même tendance y domine. De même que, sous les prétendus anciens oracles des dieux, Porphyre cherchait une profonde sagesse religieuse, ici il veut, en s’aidant partiellement de sources antérieures, montrer comment dans les images divines, telles que les a façonnées tout un passé de piété, le sens de la divinité est arrivé à se traduire. Presque tout y est absurde, mais avec quelques vues plus pénétrantes jetées çà et là. »

Dans cet ouvrage si accueillant à toutes les doctrines — non pas seulement à l’astrologie, mais à l’orphisme, au platonisme, au stoïcisme, au mysticisme, pour peu que l’auteur y trouve telle interprétation heureuse des rites cultuels — Porphyre a quelques paroles fort dures à l’égard de ceux qui se refusent à comprendre la signification véritable des images et des statues. J. Bidez[42] estime qu’il vise les chrétiens (en même temps que les Juifs) au début même de l’opuscule, là où il parle de « ces gens complètement ignorants (τοὺς ἀμαθεστάτους) qui, aussi stupides devant une statue qu’un illettré devant l’inscription d’une stèle, n’y comprennent rien et n’y voient pas autre chose que de la pierre, du bois et du métal ». — Certes, les philosophes et les lettrés païens ne s’étaient pas fait faute, eux non plus, de railler la dévotion aux images[43]. Mais il est douteux que Porphyre eût osé appliquer cette épithète « ἀμαθεστάτους » à un Plutarque, à un Lucien, ou même à un Démonax. Les chrétiens avaient hérité des Juifs l’horreur de « l’image taillée », le mépris et la peur des idoles, où ils soupçonnaient que parfois se dissimulaient les démons ; et l’un de leurs arguments favoris, c’était le ridicule du geste adorateur qui montait vers une matière inerte[44].

Il est vraisemblable que Porphyre écrivit ces deux ouvrages, la Philosophie des Oracles et les Images des Dieux, quelques années avant de connaître Plotin. Il fut présenté à celui-ci vers 263, à Rome même. Il avait alors trente ans, et Plotin en avait lui-même cinquante-neuf.

Plotin allait élargir les perspectives de sa pensée et lui ouvrir le monde infini des problèmes de la métaphysique et de la vie intérieure. Mais si nouveau que fût pour Porphyre cet enseignement vivifiant, il était déjà préparé par ses recherches et ses tendances acquises à s’associer aux efforts de son maître pour restaurer et moderniser l’antique sagesse des Hellènes. Ne s’était-il pas déjà essayé lui-même à tirer des cultes populaires une symbolique propre à en rehausser le prestige ?

Il apportait à Rome les dispositions les moins bienveillantes à l’égard du christianisme. Et ce n’était pas Plotin qui pouvait se sentir d’humeur à les réformer, puisque sa philosophie se faisait pratiquement solidaire des religions païennes, contrebattues par l’efficace propagande chrétienne.

En dépit de l’hostilité officielle (qui avait ses langueurs et ses lassitudes), les églises chrétiennes vivaient, prospéraient, recrutaient d’innombrables adeptes, communiquaient entre elles et constituaient une littérature d’une richesse surprenante[45]. Nulle part ce progrès n’était alors aussi sensible qu’à Rome, « siège social de l’Évangile[46] ». Porphyre et son maître devaient en être d’autant plus attristés que l’effort généreux des penseurs ne réussissait guère à rendre aux cultes officiels leur antique vitalité[47].

Il s’agissait d’arrêter à tout prix la défection des esprits cultivés et de les fixer dans l’hellénisme, interprété et revivifié. Plotin et Porphyre purent croire qu’une attaque savamment conduite sur le terrain intellectuel parachèverait les résultats obtenus par les rigueurs de la politique[48]. — Mais il n’était plus possible, une centaine d’années après Celse, de se contenter de la méthode qui lui avait suffi vers 170. Un travail scientifique considérable s’était opéré depuis la fin du second siècle au sein de la théologie chrétienne, avec des hommes comme Tertullien, Hippolyte de Rome, Novatien, Jules l’Africain, Origène. La Bible avait été étudiée avec passion. Elle était pour quantité d’âmes la nourriture totale de l’esprit et du cœur, le ferment des plus ardentes inspirations mystiques. L’interprétation de ce livre fondamental accaparait les meilleures intelligences de l’époque. Nul polémiste soucieux d’atteindre son objectif ne pouvait se dispenser de l’étudier de près et de s’informer des méthodes d’exégèse alors usitées dans les milieux chrétiens.

Si c’est Plotin qui songea à Porphyre pour cette tâche, il faut avouer qu’il eut la main heureuse.

Une des supériorités par où Porphyre rachetait partiellement les chimères et les absurdités de sa manie théurgique, c’est qu’il avait reçu à Athènes de son maître Longin une certaine formation critique. Nous ne sommes plus en mesure d’apprécier directement les méthodes de Longin. Le fameux Traité du Sublime lui a été attribué à tort, et il ne nous reste de lui que peu de chose. Mais il passait de son temps pour un philologue de premier ordre. Plotin, qui lui refusait le nom de philosophe, lui octroyait pleinement celui-là : « φιλόλογος μὲν ὁ Λογγῖνος, φιλόσοφος δὲ οὐδαμῶς[49] ». Porphyre le vante comme un esprit d’une critique acérée dont la supériorité était de tous reconnue[50], et il prit dans son commerce le goût du savoir positif, des comparaisons de textes, des discussions chronologiques. Il composa même une grande Chronographie, qui s’étendait depuis la prise de Troie jusqu’au règne de Claudius II (268-270 ap. J.-C.) : les fragments qui subsistent permettent de conjecturer qu’il lui avait donné comme substructure une documentation assez soignée[51]. Dans sa Vie de Plotin, il manifeste un certain souci — rare à cette époque — d’indiquer les étapes du développement intellectuel du philosophe et la qualité diverse de ses œuvres selon les périodes de sa vie. Ces observations ne sont pas très nuancées, mais enfin il a cru devoir les formuler. Proclus rapporte qu’au cours d’une explication du Timée de Platon, Amélius signalait à ses auditeurs une « aporie », c’est-à-dire une difficulté apparemment insoluble. Porphyre, entrant dans la salle pendant cet exposé, fit remarquer que la prétendue « aporie » venait d’une faute de texte, et qu’une correction très simple la ferait disparaître[52]. Il avait le goût de la controverse, et il y faisait toujours bonne figure.

Il s’aidait donc, dans l’examen du christianisme et de ses titres historiques, d’une intelligence très armée, où des éléments excellents s’associaient à des éléments de qualité suspecte, mais qui était parfaitement experte aux compulsations minutieuses et aux chicanes érudites.

V

C’est en Sicile, après 268, entre trente-cinq et quarante ans, que Porphyre se mit à l’œuvre. Il avait souffert à Rome, pour des causes que nous ignorons, d’une pénible crise de neurasthénie. Il avait même songé au suicide, et il lui avait fallu d’énergiques exhortations de Plotin pour qu’il y renonçât[53]. Celui-ci lui conseilla de voyager, de changer de cadre. Porphyre choisit Lilybée, où il savait qu’il retrouverait le célèbre philosophe Probus, et il y resta plusieurs années.

Le Κατὰ χριστιανῶν, que Harnack appelle « l’œuvre la plus étendue et la plus savante qui ait été composée durant l’antiquité contre le christianisme », prit la forme d’un ample traité en quinze livres.

L’ouvrage est perdu.

Une dizaine d’années après l’Édit de Milan, Constantin le proscrivit une première fois. Nous n’avons pas le texte même de son édit. Mais l’empereur y fait allusion dans la lettre qu’il écrivit « aux évêques et au peuple » après la condamnation d’Arius par le concile de Nicée[54] : « Arius, y déclarait-il, ayant imité les impies et les méchants, mérite de subir la même infamie qu’eux. Et donc, de même que Porphyre, l’ennemi de la véritable piété, pour avoir composé plusieurs écrits scélérats contre le culte de Dieu, a trouvé son juste salaire, à savoir un éternel déshonneur, la perte totale de sa réputation, et l’anéantissement de ses ouvrages impies… » (suivaient différentes mesures contre Arius et ses sectateurs, que Constantin voulait qu’on appelât désormais « porphyriens », puisqu’ils avaient agi avec une impiété pareille à celle de Porphyre).

C’était, notons-le en passant, le premier exemple d’un acte hostile du bras séculier contre un « ouvrage de l’esprit », pour motif d’hétérodoxie.

Longtemps après, en 448, les empereurs Valentinien III et Théodose II ordonnèrent de nouveau la destruction par le feu de tout ce que Porphyre avait écrit « contre le culte saint des chrétiens ». « Nous ne voulons pas, expliquaient-ils, que les ouvrages susceptibles de mettre Dieu en colère et de nuire aux âmes viennent même jusqu’aux oreilles des hommes[55]. »

Entre temps, les réfutations chrétiennes n’avaient pas manqué : la plus ancienne fut celle de Methodius d’Olympe, laquelle parut du vivant même de Porphyre, probablement en un seul livre. Vint ensuite le gros travail d’Eusèbe de Césarée, en vingt-cinq livres. Puis une nouvelle réfutation par Apollinaire de Laodicée, en trente livres. De tout cela, il ne nous reste que fort peu de chose. On retrouve la trace de l’ouvrage d’Eusèbe jusqu’au xvie et au xviie siècle, ce qui permet quelque faible espoir d’une heureuse découverte à venir. Mais on n’a pu, depuis lors, remettre la main sur les manuscrits signalés dans deux catalogues[56].

À ce prix, comment pouvons-nous nous former une idée du traité Contre les Chrétiens ?

Nous le pouvons, d’abord, grâce à un certain nombre d’extraits, dus surtout à saint Jérôme et à Eusèbe. Saint Jérôme fait de fréquentes allusions au traité de Porphyre. Il prend Porphyre directement à partie dans son Commentaire sur Daniel. Rien ne prouve, à dire vrai, qu’il ait lu l’ouvrage de ses yeux, encore qu’il ait songé un moment à écrire contre lui tout un livre[57]. Mais comme il a tiré ses citations des réfutations de Methodius, d’Eusèbe et d’Apollinaire, ses excerpta ont pour nous presque tout le prix d’une tradition directe. Ils constituent, avec les morceaux dus à Eusèbe, la base même de notre connaissance du Κατὰ χριστιανῶν et fournissent une pierre de touche pour discerner les fragments authentiquement porphyriens.

Depuis une cinquantaine d’années, une découverte nouvelle a considérablement accru ce fonds trop peu fourni.

Lors des polémiques entre catholiques et protestants, au xvie siècle, le jésuite français François de la Tour (Franciscus Turrianus) avait eu l’occasion d’utiliser des extraits d’un polémiste de l’antiquité chrétienne, Macarius Magnès, dont il avait lu à Venise un manuscrit[58]. Il en avait tiré, en particulier, un texte, souvent cité depuis, sur l’Eucharistie, où Macarius écartait nettement toute interprétation symbolique de la parole du Christ : « Ceci est mon corps… Ceci est mon sang. »

Ce manuscrit disparut entre 1552 et 1637.

Deux autres manuscrits du même ouvrage, signalés par Janos Laskaris en 1491-1492, l’un à Corigliano, l’autre au couvent du mont Sardo, ne purent davantage être retrouvés.

Mais voici qu’en 1867 le savant français Blondel fut autorisé à transcrire un manuscrit de Macarius, propriété personnelle d’un ancien conservateur de la Bibliothèque nationale d’Athènes, Apostolidès.

L’ouvrage était intitulé : Μονογενής ἢ Ἀποκριτικὸς πρὸς Ἕλληνας, titre assez étrange qui signifie : « Le Fils unique ou Réponse aux Grecs[59] ». Il est dédié à un certain Théosthènes et relate un colloque public entre un païen lettré et l’auteur lui-même. Le païen formule par série de six à dix ses objections sur divers passages du Nouveau Testament ; le chrétien oppose à chaque groupe de critiques une longue réponse et parle, au total, huit fois autant que son adversaire.

L’ouvrage comprenait originairement cinq livres (un livre pour chaque jour de dispute) ; toutefois, le manuscrit de Blondel était incomplet : il commençait au milieu d’un mot au septième chapitre du IIe livre et s’interrompait également au milieu d’un mot au trentième et dernier chapitre du IVe livre.

Blondel n’avait pas encore parachevé son édition, quand il mourut. Ce fut Paul Foucart, l’épigraphiste depuis célèbre, qui se chargea de la mettre au point et qui la publia en 1876[60].

Ce texte appela tout de suite l’attention des historiens de l’antiquité chrétienne. L’abbé Duchesne, alors au début de sa carrière scientifique, en fit le sujet de sa thèse latine de doctorat (1877). Il n’est guère de critiques qui aient pris au sérieux le cadre imaginé par Macarius Magnès, celui d’une controverse publique, car certains détails dans la mise en œuvre (ne fût-ce que cette façon de grouper les arguments pour et contre, au lieu de les opposer isolément) en décèlent l’invraisemblance.

La question était donc de savoir à quelle source païenne Macarius avait puisé les critiques dont il faisait état dans un cadre de son invention. Duchesne pensa à ce Hiéroclès (dont nous aurons à reparler bientôt) qui, gouverneur de Bithynie, publia entre 307 et 310 un opuscule intitulé Philalètès, contre les chrétiens. Mais il fallut bien reconnaître que les morceaux réfutés par Macarius ne correspondent qu’imparfaitement à l’idée que Lactance et Eusèbe de Césarée nous donnent du Philalètès. Lactance ne nous dit-il pas que Hiéroclès avait pris un ton bienveillant et patelin ? L’accent des objections que cite Macarius est, au contraire, d’une extrême âpreté.

Dès 1878, Wagenmann faisait remarquer les analogies qu’elles offraient avec les fragments, déjà connus, de Porphyre[61]. Et c’est dans cette direction qu’à part de rares dissidences[62] s’orienta depuis lors la critique. Les rapprochements institués par Harnack sont à ce point pertinents qu’ils emportent l’adhésion à cette hypothèse[63].

Elle ne souffre qu’une difficulté, qui est sérieuse, mais non pas insoluble. Macarius Magnès ne savait pas qu’il utilisait des objections de Porphyre. À un moment donné[64], il renvoie son adversaire païen à la Philosophie des Oracles du même Porphyre, ce qui prouve bien qu’il ne l’identifie nullement avec celui-ci.

Il faut donc admettre qu’entre Porphyre et Macarius Magnès s’est placé un excerpteur qui, vers le début du ive siècle[65], aura tiré de l’ample ouvrage de Porphyre un florilège plus maniable, en vue de populariser les idées du polémiste. Macarius a dû se servir de ces extraits, et s’il n’en a pas connu l’origine, c’est sans doute que le plagiaire n’avait pas pris la peine de l’indiquer. Les mœurs littéraires de l’antiquité étaient, comme on sait, assez peu scrupuleuses en pareil cas.

Si Macarius Magnès est celui-là même qui prit part au synode ad Quercum, tenu en 403, près de Chalcédoine, c’est donc seulement vers la fin du ive siècle qu’il aurait composé son Apocriticus, devenu pour nous la plus importante collection de textes porphyriens que nous possédions.

Depuis lors, Harnack a tiré cinq autres fragments de Porphyre, jusqu’ici non repérés, d’une note insérée par Fr. Feuardent dans son édition de Saint Irénée, parue à Cologne en 1595-1596[66].

Feuardent avait trouvé les éléments de cette note dans un manuscrit de Verdun, aujourd’hui perdu, qui contenait une chaîne[67] sur les quatre Évangiles. Ce sont des « réponses » à des objections contre les Évangiles. D’après les indications de Feuardent, elles provenaient d’une ample compilation formée par l’évêque Victor de Capoue (dans la première moitié du vie siècle). Victor les citait sous le nom de saint Polycarpe, l’évêque de Smyrne, martyrisé à quatre-vingt-six ans, en 155.

Harnack a pu démontrer, en s’aidant d’une autre « chaîne », sur l’Heptateuque, formée par Jean Diacre au ixe siècle[68], que Victor de Capoue avait extrait ces morceaux d’un ouvrage latin dirigé contre Porphyre[69]. Jean Diacre fait connaître le nom de l’auteur, un certain Pacatus.

Qui était ce Pacatus ?

Harnack pensa aussitôt à l’élève et ami du poète Ausone, Latinus Drepanius Pacatus, proconsul d’Afrique en 390, comes rerum privatarum en 393, de qui nous avons un Panégyrique de Théodose, prononcé à Rome devant le Sénat en 389[70]. Harnack suppose que la religiosité un peu vague dont témoigne ce Panégyrique se mua sur le tard en une foi plus ardente, dont un traité contre Porphyre aurait été le gage.

Cette attribution a soulevé des objections[71]. Mais quelle que soit l’identité véritable de Pacatus, les fragments recueillis par Harnack chez Feuardent peuvent être annexés à ceux que lui ont livrés ses autres sources. Il y en a deux (le second et le troisième) que l’on est obligé de dégager de la réponse de Victor de Capoue, et dont la teneur littérale ne nous est pas connue.

Wilamowitz-Moellendorff a « énucléé » encore un morceau porphyrien des premières pages de la Préparation évangélique d’Eusèbe de Césarée (I, ii, 1 et suiv.).

Ces éléments (sauf les cinq passages des Pseudo-Polycarpiana de Feuardent, trouvés après coup) sont venus se grouper et s’ordonner dans le grand répertoire qu’a formé Harnack, en 1916, pour les Abhandlungen de l’Académie de Berlin : Porphyrus « Gegen die Christen », 15 Bücher. Zeugnisse, Fragmente und Referate.

Les quatre-vingt-dix-sept textes qu’ils a réunis sont-ils tous sûrement de Porphyre ?

Un doute est permis quelquefois. Par exemple, dans la lettre 102, § 30[72], saint Augustin rapporte les railleries païennes à propos de l’histoire de Jonas, englouti par un cétacé (cetus), dans le ventre duquel il habite vivant pendant trois jours. La quaestio, c’est-à-dire la difficulté, avait été soumise par un ami à Quodvultdeus, qui l’avait renvoyée avec une série d’autres objections à Augustin. Celui-ci l’amorce, avant d’essayer de la résoudre, de la façon que voici : « Nec ipsa (quaestio) quasi ex Porphyrio, sed tanquam ex irrisione paganorum. » « Cette question n’est pas donnée comme tirée de Porphyre, mais des plaisanteries des païens. » Et il remarque plus loin : « J’ai déjà observé les ricanements et la lourde moquerie dont les païens accompagnent ce genre de questions[73]. » — Harnack a tout de même incorporé ce texte à son répertoire, sous le no 46. Il estime qu’il n’y a pas à tenir compte de la réserve d’Augustin, qui aurait cherché à disculper Porphyre, qu’il admirait tant comme philosophe. Mais si Augustin avait ressenti pour de bon cette préoccupation, il aurait également exonéré Porphyre de la responsabilité des questions qui précèdent celle-ci. Or, il les lui impute expressément[74].

Dans l’ensemble, le répertoire de Harnack répond aux plus sévères exigences de la critique. Harnack n’a pas essayé, comme s’y étaient risqués avant lui divers critiques, de reconstituer le contenu de chacun des livres de Porphyre. Les seuls livres cités dans les fragments dont nous disposons sont le Ier, le IIIe, le IVe, le XIIe, le XIIIe et le XIVe. Ces repères lui ont paru insuffisants. Il n’a pas voulu non plus, comme l’avait fait Lardner, ranger ces fragments d’après l’ordre des livres de la Bible. Finalement, il s’est décidé à adopter le cadre suivant. I. Critique des Évangélistes et des Apôtres, comme base de la critique du christianisme. II. Critique de l’Ancien Testament. III. Critique des actes et des paroles de Jésus. IV. L’élément dogmatique. V. L’Église contemporaine.

J’étudierai la critique de Porphyre dans ce même ordre, sans toutefois m’y asservir.

VI

« Les évangélistes sont les inventeurs, non les historiens des choses qu’ils racontent de Jésus[75]. »

Telle est la proposition fondamentale que Porphyre a voulu justifier par un examen approfondi des livres saints, en vue d’y relever les discordances, les contradictions, où se trahirait la fraude d’inhabiles faussaires.

Il comparait les deux généalogies du Christ, et sa démonstration, dont nous ne connaissons pas le détail, aboutissait à une accusation formelle de mensonge contre saint Matthieu[76]. Il traitait encore saint Matthieu d’ignorant pour avoir attribué à Isaïe une parole du Psalmiste[77], et il reprochait à saint Marc d’avoir, au seuil même de son évangile, imputé au seul Isaïe une citation prise pour moitié chez Isaïe, pour moitié chez Malachie[78]. Il observait que, dans les Actes (I, 18), Judas meurt « rompu par le milieu », tandis que d’après Matthieu (XXVII, 5), il se serait pendu[79] ; que saint Jean est le seul à raconter qu’un soldat transperça de sa lance le côté de Jésus crucifié et qu’il en sortit du sang et de l’eau (XIX, 33-34[80]) ; que saint Marc (V, 1 et suiv.) renchérit sur saint Matthieu (VIII, 31) à propos du nombre des porcs noyés dans le lac de Tibériade[81] ; qu’au surplus il est invraisemblable qu’un troupeau de deux mille porcs ait pu se trouver groupé en Judée, où cet animal était considéré comme impur et détesté[82], et qu’ils se soient noyés en si grande quantité dans un simple lac.

Il insiste sur la qualification de « mer[83] » donnée au lac de Tibériade par saint Matthieu, saint Marc et saint Jean, et y voit une exagération tendancieuse :

Ceux qui connaissent cet endroit rapportent qu’il n’y a point là de « mer », mais un petit lac formé par le fleuve au pied des montagnes de Galilée, près de la ville de Tibériade. De petites barques formées d’un seul tronc d’arbre le traversent aisément en deux heures : il ne peut s’y former ni vagues ni tempêtes. Marc a donc dépassé largement les limites de la vérité et a raconté une fable tout à fait ridicule[84].

Il s’agit ici de la tempête apaisée par le Christ[85]. Marc aurait dramatisé la situation pour faire croire que le Christ avait arrêté l’ouragan déchaîné et sauvé de l’abîme ses disciples.

C’est à ces histoires enfantines qu’on reconnaît que l’Évangile n’est qu’une scène sophistiquée[86].

Volontiers juxtaposait-il aussi les paroles à côté des paroles, les faits à côté des paroles, pour en souligner le désaccord. Dans saint Jean (VIII, 8), Jésus déclare à ses frères qu’il n’ira pas à la fête des Tabernacles ; or, il y monte tout de même (VIII, 10[87]). Il dit : « Ne craignez pas ceux qui tuent le corps. » Pourquoi donc souhaite-t-il, alors, que sa passion s’éloigne de lui[88] ? Il dit encore : « Vous avez toujours les pauvres avec vous ; mais, moi, vous ne m’avez pas toujours » (Matth., XXVI, 36), et ailleurs : « Voici que je suis avec vous jusqu’à la consommation des siècles » (Ibid., XXVIII, 20[89]). Le Christ menace les pécheurs de supplices éternels, et il déclare cependant : « Selon que vous aurez jugé, on vous jugera, et de la même mesure dont vous aurez mesuré on vous mesurera. » Quel rapport entre des peines indéfinies et un châtiment qui doit être proportionné à une certaine mesure, et par conséquent circonscrit dans le temps[90] ? — Et que de démentis infligés par les événements à d’imprudentes promesses ou à de chimériques prédictions ! Persistance de l’univers, en dépit de la menace incluse dans le verset de saint Matthieu, XXIV, 14[91] ; mort ignominieuse de saint Pierre, nonobstant les privilèges qui lui avaient été solennellement conférés[92] ; décollation de saint Paul, en dépit des assurances consignées dans les Actes, XVIII, 19-20[93] ; mort naturelle de saint Jean, à qui Jésus avait annoncé qu’il mourrait martyr[94] ; absence de tout nouveau Christ « depuis trois cents ans et davantage », en dépit de l’avertissement de Jésus : « Plusieurs viendront sous mon nom, disant : c’est moi qui suis le Christ » (Matth., XXIV, 5[95]), « à moins, ajoute Porphyre, que vous ne veuillez désigner ainsi Apollonius de Tyane, cet homme qui a eu toutes les parures de la philosophie » !

À soi seul, le récit de la Passion est plus significatif que tout le reste :

Chacun des évangélistes a écrit le compte rendu de la Passion non pas en plein accord, mais en pleine dissonance avec les autres. Ainsi, l’un raconte que quelqu’un présenta au crucifié une éponge pleine de vinaigre[96]. Un autre raconte autre chose : « Quand ils furent arrivés au lieu appelé Golgotha, il lui donnèrent à boire du vin mêlé avec du fiel, il y goûta et ne voulut point en boire[97]. » Et bientôt après : « Vers la neuvième heure, Jésus poussa un grand cri : « Eloim, Eloim, lama sabachtani », c’est-à-dire « mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné[98] » Celui qui raconte cela, c’est Matthieu. Mais en voici un troisième : « Il y avait là un vase plein de vinaigre. L’ayant attaché à une tige d’hysope, ils le présentèrent à sa bouche. Quand il eut pris du vinaigre, il dit « C’est consommé », et ayant incliné la tête, il rendit l’esprit[99]. » C’est Jean qui raconte cela. Un quatrième dit : « Et ayant crié d’une voix forte, il dit : « Père, je remets mon esprit entre tes mains[100]. » Celui-là, c’est Luc. — D’après cette histoire banale et contradictoire, on pourrait croire qu’il s’agit non pas d’un seul patient, mais de plusieurs. Car l’un dit : « Entre tes mains je recommande mon esprit » ; un second : « C’est consommé » ; un troisième : « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? » ; un quatrième : « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu couvert d’opprobres[101] ? » — Il est clair que cette fiction incohérente, ou bien représente plusieurs crucifiés, ou bien représente un seul qui meurt (si) mal[102], qu’il ne donne à ceux qui sont là aucune idée nette de ce qu’il souffre.

Mais si ces gens-là n’étaient pas capables de dire véridiquement de quelle façon il était mort et n’ont fait que de la littérature[103], c’est que sur tout le reste ils n’ont rien raconté non plus qui mérite confiance[104].

Les apôtres n’étaient que des rustres et de pauvres hères[105]. Ils ont suivi le Christ comme ils auraient suivi le premier venu qui aurait su jouer de leur déraison[106]. Ils se prévalaient de leurs miracles. Est-ce donc chose si imposante que de faire des miracles ? Apollonius (de Tyane) en a fait, Apulée en a fait — et des quantités. Ces prodiges ont aidé les apôtres à obtenir de l’argent des femmes riches qu’ils dupaient[107]. Car ils abusaient eux-mêmes de la candeur et de l’inexpérience de ceux qui les écoutaient[108].

L’hostilité de Porphyre ne fait que s’aigrir, quand il vient à parler de saint Pierre et de saint Paul. C’est qu’il n’ignore rien de leur rôle au sein du christianisme primitif et du rayonnement de leur influence.

En ce qui concerne Pierre, l’importance de ses prérogatives n’avait pas échappé à ceux qui observaient du dehors la foi nouvelle[109]. On a lu plus haut l’allusion de Phlégon de Tralles et comment il avait confondu, en certaines mentions, saint Pierre et le Christ. Cette erreur même décèle le prestige dont le souvenir de Pierre restait entouré. — Il semble que Celse fasse allusion aussi à saint Pierre là où, raillant de son style coutumier la résurrection du Christ, il veut qu’elle n’ait été attestée que « par une femme hystérique » (πάροιστρος) et « par un autre encore de la même bande d’imposteurs, soit qu’il portât dans sa constitution personnelle une disposition à de telles chimères et que, sous l’influence de sa propre imagination, il se fût formé un phantasme conforme à son désir, soit plutôt qu’il ait voulu par ce prétendu miracle jeter les gens dans la stupeur, et, grâce à ce mensonge, frayer la voie à d’autres impostures[110] ».

Les expressions qu’emploie Porphyre pour désigner saint Pierre sont d’un relief dont la vigueur dépasse tout ce que nous trouvons avant lui. Il l’appelle « le chef du chœur des disciples » (ὁ πρωτοστάτης τοῦ χοροῦ τῶν μαθητῶν[111]), « le coryphée et le premier des disciples » (ὁ κορυφαῖος καὶ πρῶτος τῶν μαθητῶν[112]), « celui à qui fut départi le pouvoir de diriger les affaires » (τῆς κορυφῆς τῶν πραγμάτων… τὴν ἐξουσίαν[113]). Bien entendu, l’ironie est sous-jacente, et c’est elle qui inspire toute la tactique de Porphyre.

Ce à quoi il s’applique, en effet, c’est à montrer la disproportion entre le rôle écrasant dévolu à l’apôtre et sa chétive personnalité. Pierre n’avait-il pas renié Jésus trois fois, parce qu’il avait eu peur d’une pauvre servante[114] ? Ne s’était-il pas mis à diverses reprises en contradiction formelle avec les préceptes de son Maître ? Le Christ lui avait prescrit de pardonner jusqu’à septante fois sept fois : il coupe une oreille au serviteur du Grand Prêtre, qui ne lui avait fait aucun mal et obéissait aux ordres reçus[115] ; il châtie sans pitié Ananias et Sapphira, qui s’étaient tout juste réservé, sur le prix de leur champ, une petite somme pour leurs indispensables besoins[116] ; en s’échappant de prison, il voue ses gardiens à une mort certaine[117] ; il a toujours une femme qui l’accompagne[118]. « Cela fait frissonner de penser qu’un tel homme tient les clés du ciel, qu’il lie et qu’il délie[119]. » Comment Jésus a-t-il pu les lui confier ? Son attitude à l’égard de Pierre est incohérente et incompréhensible. Il le traite durement au point de l’appeler « Satan » et « scandale » ; et puis, comme s’il avait oublié ce qu’il vient de dire, il formule la déclaration : « Tu es Pierre,  etc.[120]. » « Ou bien, quand il l’appelait « Satan », Jésus était ivre et vaincu par le vin ; ou bien, quand il lui remettait les clés du royaume des cieux, il esquissait des songes, comme en suggère l’imagination pendant le sommeil[121]. »

La fin de Pierre a d’ailleurs été aussi piteuse que l’avait été sa vie. Le Christ avait dit : « Les portes de l’Enfer ne prévaudront pas contre lui[122]. » Et cependant « on raconte qu’après avoir fait « paître » ses brebis pendant quelques mois à peine, il fut crucifié[123] ».

L’acrimonie de Porphyre se fait encore plus âpre à l’endroit de saint Paul. Celse connaissait fort mal les épîtres pauliniennes et Origène n’avait pas manqué de s’étonner de cette ignorance singulière. Porphyre, lui, les a lues de près, et il y a puisé, pour l’apôtre des Gentils, des sentiments de particulière antipathie.

Paul est, à ses yeux, l’illogisme même. Il affecte de faire fi de la circoncision, et il circoncit tout de même Timothée[124]. Il met la Loi juive en pièces, et puis il déclare qu’il faut y conformer ses actes[125]. Parmi une confusion pareille, que pouvaient y comprendre ceux qui suivaient ce guide ignorant[126] ? Il dit tantôt : « Je suis Juif », et tantôt : « Je suis Romain. » C’est une façon de n’être ni l’un ni l’autre, en voulant paraître l’un et l’autre, et cette duplicité montre qu’il était un menteur, habitué à vivre dans le mensonge, malgré son affirmation : « Je dis la vérité dans le Christ, je ne mens pas[127]. » De même, tantôt il défend de manger les viandes consacrées aux idoles, tantôt il déclare cet acte indifférent[128]. Il fait l’éloge de la virginité, puis se constitue le défenseur du mariage, puis avoue qu’il n’a pas de prescription spéciale du Seigneur au sujet des vierges[129].

L’eschatologie paulinienne, c’est-à-dire le tableau que trace l’Apôtre des destinées finales de l’univers et du jugement général, paraît à Porphyre le comble de l’absurdité.

Il faut donner ici l’essentiel de ces morceaux, où le néo-platonisme, disons mieux, où l’hellénisme marque si nettement ses positions. « Elle passe, avait dit saint Paul, la figure de ce monde[130] ! »

Comment, reprend Porphyre[131], la figure de ce monde pourrait-elle passer ? Quel est celui qui la ferait « passer », et à quelle fin ? Si c’était le Démiurge, il s’exposerait au reproche de troubler, d’altérer un ensemble paisiblement établi. Même si c’était pour l’améliorer qu’il en changeât la figure, il resterait encore en posture d’accusé pour n’avoir pas trouvé au moment de la création une forme adéquate et appropriée à l’univers et l’avoir laissé imparfait, frustré d’un aménagement meilleur. Et le moyen d’être sûr que c’est en quelque chose de beau que se transformerait l’essence de l’univers, lors de sa tardive fin ? Quel avantage procurerait une modification dans l’ordre des phénomènes ? Si vraiment la condition du monde visible est lugubre et digne d’inspirer de la tristesse, c’est un concert (de protestations) qui doit s’élever contre le Démiurge, oui, un concert de justes griefs, pour avoir disposé les éléments de l’univers d’une façon si fàcheuse, au mépris du caractère rationnel de la nature, pour ne s’en être aperçu qu’après coup et avoir décidé de tout changer.

Dans la première épître aux Thessaloniciens[132], saint Paul avait montré le Seigneur descendant du ciel, lors de son avènement, les morts ressuscitant et les vivants emportés avec eux sur les nuées au-devant du Christ :

Formidable mensonge ! s’écrie Porphyre. On mettrait cela en chansons devant les bêtes sans raison qu’en réponse on les ferait beugler et piailler avec un vacarme assourdissant, à l’idée d’hommes de chair s’envolant dans les airs comme des oiseaux, ou portés sur une nuée. C’est là le comble de la hâblerie, que des êtres vivants alourdis par le poids du corps empruntent la nature des oiseaux ailés et traversent l’atmosphère, comme une mer, en se servant comme véhicule d’une nuée. Cela serait-il possible, qu’il y aurait là un fait monstrueux, étranger à tout ordre régulier. La nature créatrice a dès l’origine assigné à chaque être une sphère appropriée, elle leur a attribué leur habitacle — la mer pour ceux qui vivent dans l’eau, la terre ferme pour ceux qui vivent sur un sol sec, l’air pour les oiseaux, l’éther pour les corps célestes. Que l’un d’eux s’éloigne de son habitacle propre et passe à un mode de vie, à un habitacle étranger, c’est l’anéantissement… Le Logos divin — qui crée du divin — n’a jamais changé et ne changera jamais rien à cela, quoiqu’il ait le pouvoir de modifier le lot échu aux êtres. Car sa puissance n’est pas l’unique règle de ses actes et de sa volonté. Il veut que les choses aient aussi leur règle intrinsèque, et il observe la loi de l’ordre. Il ne permet pas, quoiqu’il le puisse, qu’on navigue sur terre, qu’on laboure ni qu’on travaille la mer, pas plus qu’il ne fait du vice la vertu et de la vertu le vice. De même il n’ajuste pas à l’homme des ailes, ni ne place les étoiles en bas et la terre en haut…[133].

Porphyre est aussi le premier polémiste (à notre connaissance) qui ait tiré parti des dissentiments entre Pierre et Paul, tels que Paul les raconte au deuxième chapitre de son Épître aux Galates, à propos de l’attitude inconséquente de Pierre à l’égard des Gentils et des Judéo-chrétiens. Il s’était emparé du passage : « Quand Céphas vint à Antioche, je lui résistai en face parce qu’il était répréhensible, etc. » Cent vingt-cinq ans plus tard, l’interprétation de cet incident devait mettre aux prises saint Jérôme et saint Augustin, le premier admettant que cette dispute apparente n’était qu’une feinte, qu’une supercherie dont Pierre et Paul étaient préalablement tombés d’accord, le second se refusant à penser qu’un mensonge, même « officieux », ait jamais pu être utilisé par les apôtres, fût-ce pour le bien de l’Église. Le problème paraissait si épineux que certains catholiques prétendaient que Céphas était un autre personnage que Pierre lui-même : hypothèse que Jérôme repousse avec dédain, et qui lui paraît trahir un état d’esprit fort dangereux[134]. On sait quelle orchestration l’École moderne de Tubingue, avec Ferd.-Christian Baur, A. Schwegler, Ad. Hilgenfeld, Gust. Volkmar, donnera à ce débat fameux entre les deux apôtres. L’opposition entre saint Paul et les autres apôtres, entre les « pauliniens » et les « pétriniens » deviendra la pierre angulaire de toute la construction historique élevée par Baur de 1835 à 1853, date de la publication de sa Kirchengeschichte der drei ersten Jahrhunderte.

Porphyre s’était épargné la peine de reconstituer l’état d’esprit des deux protagonistes en présence du difficile problème de l’accession des Gentils au christianisme. Pour lui, Paul était simplement rongé d’envie à cause des miracles de Pierre et l’avait attaqué avec impudence ; quant à Pierre, il s’était lourdement trompé. Et de la petitesse de caractère de l’un comme de l’erreur de l’autre, Porphyre concluait que les dogmes qu’ils prêchaient l’un et l’autre n’étaient que pures fictions[135].

VII

Porphyre avait étudié l’Ancien Testament — comme le Nouveau — avec beaucoup de soin et il avait lié un étroit commerce avec les livres prophétiques[136]. Il ne subsiste pas grand chose de la critique qu’il exerçait sur cette partie de « l’histoire sainte ». Nous en connaissons toutefois la tendance générale et pouvons nous former quelque idée de l’un de ses plus remarquables spécimens.

Porphyre traitait avec sévérité le procédé de l’exégèse allégorique. On sait que, depuis saint Paul, l’usage constant des Églises, soit pour l’édification morale, soit pour la controverse et l’apologétique, avait vulgarisé parmi les chrétiens cette idée que le texte sacré était susceptible d’applications multiples, légitimement déduites de la lettre même. Cette façon d’entendre symboliquement les Écritures n’était pas nouvelle en soi. Les Juifs alexandrins en avaient largement usé. Philon pensait « que la lettre des saintes Écritures ressemble à l’ombre des corps et que les sens mystérieux qui s’en dégagent sont la vraie réalité[137] ». D’ailleurs, loin d’être étrangère aux habitudes d’esprit des Grecs, l’interprétation allégorique était devenue, au cours des siècles, partie intégrante de leur culture.

C’est surtout dans l’école catéchétique d’Alexandrie, au iiie siècle, avec Clément et Origène, que l’allégorie fut le plus consciemment érigée en système et le plus systématiquement utilisée.

Porphyre savait l’importance que les exégètes chrétiens attachaient à ce mode d’explication pour résoudre les difficultés de la Bible. Et il était bien aise de les frustrer d’une si précieuse ressource, en en disqualifiant non seulement l’abus, mais même l’usage. Voici ses observations qu’Eusèbe de Césarée a eu la bonne pensée de transcrire littéralement au VIe livre de son Histoire ecclésiastique[138].

Certaines gens, remplis du désir de trouver le moyen, non pas de rompre tout à fait avec la pauvreté des écritures judaïques, mais de s’en affranchir, recourent à des commentaires qui sont incohérents et sans rapport avec les textes et qui apportent, non pas une explication satisfaisante pour les étrangers, mais de l’admiration et de la louange pour les gens de la maison. Ils prônent, en effet, comme des énigmes les choses qui, chez Moïse, sont dites clairement, et ils les proclament pompeusement des oracles pleins de mystères cachés ; ils fascinent par la fumée de l’orgueil le sens critique de l’âme, puis ils font des commentaires. Cette sorte d’absurdité vient d’un homme que j’ai, moi aussi, rencontré dans ma première jeunesse, Origène… Grec élevé dans les études grecques, il est allé échouer dans cette entreprise barbare. Dans sa conduite il vivait en chrétien, et à l’encontre des lois ; mais dans les croyances relatives aux choses et à la divinité, il était Grec et il transportait l’art des Grecs aux fables étrangères. Il fréquentait, en effet, sans cesse Platon ; les œuvres de Numénius, de Kronius, d’Apollophane, de Longin, de Moderatus, de Nicomaque, et des hommes instruits dans les doctrines pythagoriciennes étaient son entretien et il se servait aussi des livres de Chérémon le Stoïque et de Cornutus. Ce fut auprès d’eux qu’il connut la méthode allégorique des mystères des Grecs ; il l’adapta ensuite aux Écritures des Juifs.

Le piquant de cette attitude, c’est que Porphyre était lui-même, pour son propre compte, et quand il s’agissait de revivifier les mythes antiques en les spiritualisant, un fervent de l’allégorie. Son Antre des Nymphes, où il multiplie autour d’un passage de l’Odyssée les interprétations les plus fantaisistes, n’est autre chose qu’une allégorie prolongée, l’antre devenant le monde, ou encore le symbole des puissances intelligibles, les nymphes figurant les âmes en général, le voile de pourpre représentant le sang et la chair, le miel tout principe de purification pour l’âme, etc., ce qui n’empêchait pas Porphyre de conclure avec quelque candeur en ces termes :

On ne doit pas croire que de telles interprétations soient forcées et ne voir en elles qu’hypothèses d’esprits subtils ; mais il faut considérer la sagesse antique, quelle était la raison d’Homère, et comme il a excellé en toute vertu ; ainsi on ne niera pas qu’il a mystérieusement figuré dans une fable des choses divines ; car il ne pouvait pas imaginer avec succès une fiction complète, sans emprunter à la vérité quelques traits[139].

Porphyre employait également l’allégorie dans sa Philosophie des Oracles[140] et dans ses Recherches homériques[141]. S’il l’interdit aux chrétiens, c’est par le même sentiment qui poussait ceux-ci à railler les stoïciens qui se travaillaient à prêter aux plus fâcheuses légendes une apparence plus ou moins philosophique : il ne veut pas qu’ils éludent les passages difficiles et compromettants, qu’il entend bien exploiter contre eux. C’est ainsi qu’il se refusait à tout transfert sur le plan spirituel de l’histoire d’Osée, s’unissant sur l’ordre de Yahweh à « une femme de prostitution[142] ». Il tenait à ce qu’on ne faussât ni ne transposât le « son » de l’Écriture en cet endroit, « volens scripturam sonare quod legitur », nous dit saint Jérôme.

Porphyre déclarait inauthentiques les écrits attribués à Moïse. « Il ne subsiste rien de Moïse, affirmait-il ; on dit que tous ses ouvrages ont été brûlés avec le Temple. Ce qui existe sous son nom a été composé onze cent quatre-vingts ans après sa mort, par Esdras, d’une façon peu exacte. Et ces écrits seraient-ils de Moïse, où le Christ y est-il désigné comme Dieu, Dieu-Logos ou Créateur du monde ? Qui a parlé de la crucifixion du Christ[143] ? » — J’ai dit que, pendant son séjour en Sicile, Porphyre avait composé une chronologie ; on peut soupçonner qu’il s’y était attaché à démentir les conclusions de la chronologie chrétienne. Une allusion d’Eusèbe nous fait voir qu’il avait utilisé l’Histoire phénicienne de l’énigmatique Sanchuniathon de Béryte, qu’il plaçait (comme Eusèbe lui-même) au temps de Sémiramis, antérieurement à la guerre de Troie[144]. Quand, au XIIe }livre de son ouvrage, il avait entrepris d’examiner de près le Livre de Daniel, il s’était enquis de toute une série d’historiens des Séleucides et des Lagides[145].

Il semble que ce XIIe livre était entièrement consacré à la discussion de l’authenticité du Livre de Daniel. L’idée fondamentale qui l’avait guidé est très clairement résumée par saint Jérôme : « Porphyre ne veut pas que ce livre ait été composé par l’auteur dont il porte le nom. Celui qui l’a rédigé vivait [non pas au temps de Cyrus, mais] au temps d’Antiochus, surnommé Épiphane [mort en 164, avant l’ère chrétienne]. Il vivait en Judée. Il a beaucoup moins prédit l’avenir qu’il n’a raconté le passé. Ce qu’il dit des temps qui précédèrent Antiochus est conforme à l’histoire ; ce qu’il a conjecturé pour les temps qui suivirent n’est que mensonge, étant donné qu’il ne pouvait connaître l’avenir[146]. »

Pour démontrer cette hypothèse, dont la fortune a été brillante parmi les exégètes modernes, Porphyre entrait dans le détail du texte et racontait longuement les luttes d’Antiochus Épiphane avec les Ptolémées. Par exemple, le « réveil de ceux qui dorment dans la poussière et qui se réveilleront, les uns pour une vie éternelle, les autres pour les opprobres, pour la réprobation éternelle » (Daniel, XII, 2), n’était nullement, selon lui, une allusion à la résurrection des pécheurs et des élus. Le pseudo-Daniel y décrivait simplement la situation d’Israël au lendemain de la défaite d’Antiochus et de la mort d’Antiochus lui-même en Perse. Les Juifs qui avaient défendu la Loi, ensevelis jusqu’alors comme dans un sépulcre d’épreuves et de misères, se levèrent dans la jubilation d’une victoire inespérée, tandis que les traîtres à la Loi, les partisans d’Antiochus, furent voués à une éternelle honte[147].

Saint Jérôme, qui nous a conservé beaucoup d’extraits de l’argumentation de Porphyre dans le Commentaire qu’il composa lui-même sur Daniel en 406-8, conteste diverses interprétations[148]. Il lui reproche, en particulier, de n’avoir pas établi une distinction assez marquée entre le livre même de Daniel et les additions grecques, c’est-à-dire les épisodes de Suzanne, de Bel et du Dragon, qui n’existent pas dans l’hébreu et n’ont pas de valeur canonique[149]. Cependant, Porphyre indiquait des concordances si frappantes entre les péripéties du règne d’Antiochus et les « prophéties » très précises de Daniel, que Jérôme, tout en maintenant le point de vue traditionnel « ne omnia quae legimus umbrae videantur et fabulae », trahit quelque gêne par endroits[150]. Un exégète catholique, que nul ne soupçonnera de témérité, loue Porphyre d’avoir « saisi avec une rare pénétration le sens véritable de certains passages » ; il trouve que les réponses de saint Jérôme « ne sont pas toujours heureuses », que « quelques-unes manquent de justesse et d’exactitude » et que « le savant docteur a parfois donné tort à Porphyre, là même où ce dernier avait raison[151] ».

VIII

Le sentiment personnel de Porphyre à l’égard du Christ, dans son grand ouvrage, a donné lieu, en ces derniers temps, à des interprétations si bénignes et « hypocoristiques[152] » qu’il importe, avant d’essayer une mise au point, de nous mettre directement en face des textes où il parle de Jésus.

D’une façon générale, l’attitude du Christ, dans plus d’un épisode de sa biographie, lui paraît étrange, inconcevable et tout à fait contradictoire à l’idée qu’on peut se former d’une âme divine, ou même d’une âme héroïque.

Par exemple, dans la scène de la tentation, le démon lui dit : « Jette-toi du haut du temple. » Et le Christ se contente de lui répondre : « Tu ne dois pas tenter Dieu, ton Seigneur[153]. »

Il me semble bien, reprend Porphyre[154], que s’il parle ainsi, c’est qu’il redoute le danger de la chute. Si, comme vous le dites, il a fait quantité d’autres miracles et ressuscitait les morts d’une seule parole, il aurait dû montrer immédiatement, en se jetant du haut (du temple) sans le moindre dommage physique, qu’il était capable d’en sauver d’autres aussi du péril, étant donné surtout qu’il s’est en une certaine mesure appliqué une parole scripturaire : « Les anges vous porteront en leurs mains, de peur que vous ne heurtiez votre pied contre quelque pierre. » Il était donc parfaitement à propos de montrer à ceux qui se trouvaient là dans le temple qu’il était l’enfant de Dieu[155] et qu’il pouvait se sauver lui-même et sauver les autres de n’importe quel danger.

Il s’étonne aussi et se choque de la manière de faire de Jésus au pays des Géraséniens[156]. Pourquoi Jésus cède-t-il à la prière des démons dont était habité le possédé errant parmi les tombeaux ? Ne savait-il donc pas que les démons n’ont d’autre but que de troubler ce monde ? N’était-il pas venu pour délivrer les hommes de leurs maux, au lieu de libérer des forces nuisibles ? Si toute cette histoire était autre chose qu’une pure invention, elle décèlerait chez le Christ une véritable méchanceté[157]. — C’est que Porphyre croit lui-même à l’action pernicieuse des démons ; il les considère comme des agents malfaisants qui travaillent l’imagination et le corps de l’homme, et dont l’homme ne se libère qu’au prix de toute une stratégie théurgique[158]. Il est donc tout disposé à partager la panique des Géraséniens[159].

Ailleurs[160] il s’en prend à la déclaration de Jésus sur « le prince de ce monde » qui doit être « jeté dehors ». « Quel est ce prince ? » demande Porphyre. Est-ce l’autocrator (l’Empereur) ou quelque être incorporel ? Et où sera-t-il « jeté » ? Comment pourrait-il être « jeté » dans un monde où il se trouve déjà, et dont il est proclamé « le prince » ? Et le moyen de supposer l’existence de deux mondes différents ? De quelque façon qu’on aborde le problème posé par l’affirmation initiale, il se décèle insoluble.

Mais ce qui provoque le plus de stupeur chez Porphyre, c’est le récit de la Passion.

La résignation du Christ, son humilité, les angoisses de son agonie, puis son silence obstiné sous les pires outrages, tout cela le déconcerte ou plutôt l’irrite. Il offre la plus véhémente contre-partie aux méditations émues de Pascal. « … Il a été humble, patient, saint, saint à Dieu, terrible aux démons, sans aucun péché. Oh ! qu’il est venu en grande pompe et en une prodigieuse magnificence, aux yeux du cœur, qui voient la sagesse[161] ! » Cette « magnificence » toute spirituelle, Porphyre ne la sent à aucun degré. Les paroles du Christ, à Gethsémani, par exemple, le : « Veillez et priez, afin que la tentation ne vienne pas sur vous[162] », le souhait que la souffrance « passe loin de lui », lui paraissent « pleines d’obscurité et de sottise », « indignes d’un Fils de Dieu, ou simplement d’un homme sage qui méprise la mort[163] ».

Pourquoi, conduit soit devant le grand-prêtre, soit devant le gouverneur, le Christ n’a-t-il articulé aucune parole digne d’un sage, d’un homme divin ? Il aurait pu cependant instruire son juge et les assistants et travailler à les rendre meilleurs. Il se laissa frapper, cracher au visage, couronner d’épines. Que ne fit-il comme Apollonius (de Tyane) qui, après avoir parlé hardiment à l’empereur Domitien, disparut (subitement) de la cour impériale et quelques heures après se montra de la façon la plus manifeste à Dicaearchia, aujourd’hui Puteoli ? Même s’il devait souffrir par ordre de Dieu, il aurait dû accepter le châtiment, mais ne pas endurer sa Passion sans quelque discours hardi, quelque parole vigoureuse et sage, à l’adresse de Pilate, son juge, au lieu de se laisser insulter comme le premier venu de la canaille des carrefours[164].

Comme on sent que l’image douloureuse et souillée de Jésus lui apparaît médiocre auprès de la traditionnelle image du héros grec, victime parfois de la fatalité, mais éloquent, prestigieux, sublime, même aux heures les plus désastreuses ! Il s’indigne également des conditions chétives dans lesquelles le Christ a cru devoir opérer cette fameuse résurrection « dont on jase partout[165] ». Pourquoi le Christ n’est-il pas apparu à Pilate, à Hérode, au Grand-Prêtre juif, ou mieux encore au sénat romain et au peuple, au lieu de se montrer à Marie-Madeleine, une femme du commun, sortie d’un pauvre village et qui avait été possédée par sept démons, ainsi qu’à une autre Marie, insignifiante campagnarde ? Il aurait ainsi épargné à ses fidèles l’accusation capitale d’impiété (ἀσέβεια), car nul n’aurait pu éluder une si éclatante démonstration. — Et pourquoi n’a-t-il pas fait une ascension à grand spectacle, au milieu d’un vaste concours de Juifs et de Grecs venus de toutes les nations, puisque c’est ainsi qu’il doit descendre, lors de la Parousie[166] ?

IX

La doctrine que les chrétiens rattachent à l’enseignement du Maître, les rites dont ils lui attribuent l’institution, inspirent à Porphyre des répugnances non moins vives.

Comme Celse l’avait fait déjà[167], Porphyre reproche aux fidèles de s’attacher à une « foi irrationnelle[168] » et de la recommander aux autres. Si vraiment les choses divines ont été cachées, ainsi que le prétend saint Matthieu[169], aux sages et aux prudents pour être révélées aux petits, il aurait fallu, à ce prix, rendre plus clair et moins énigmatique ce qui était écrit pour les enfants et les êtres encore dénués de raison :

Si c’est aux sages que les mystères sont cachés, aux enfants en bas âge et encore à la mamelle que, contre tout bon sens, ils se laissent voir, le mieux est dès lors de rechercher avec ardeur la déraison et l’ignorance. La grande trouvaille du Christ sur cette terre, c’est d’avoir dissimulé aux sages le rayon de la science pour le dévoiler aux êtres privés de sens et aux nourrissons[170] !

Porphyre donne à titre de spécimen de ces fâcheuses obscurités la parabole où le royaume du ciel est assimilé à un grain de moutarde[171]. Il ne se met pas en peine d’en chercher une interprétation historique, et la déclare tout bonnement inintelligible :

Ce sont là des imaginations, dignes, je ne dirai pas d’hommes, mais non pas même de femmelettes perdues de rêves. Quand on se mêle de parler de grands sujets, de sujets divins, encore faut-il, pour les rendre accessibles, user de moyens usuels, humains, et non pas de ces procédés si grossiers et incompréhensibles… Jamais pourtant la clarté n’eût été plus nécessaire, puisque tout cela est écrit, non pas pour les sages et les gens d’esprit, mais pour les petits enfants[172].

La prétendue « monarchie » chrétienne n’est qu’un polythéisme déguisé. D’abord, Dieu ne peut être vraiment « monarque » que s’il règne sur des êtres de même nature et de même espèce, c’est-à-dire sur d’autres dieux[173]. En fait, la façon dont les chrétiens définissent les anges — impassibles, immortels, incorruptibles — oblige à conclure que ce sont aussi des dieux. Il n’y a là qu’une question de mots, de dénomination (de même que les Grecs disent Athénè, les Latins Minerva). Leur essence est certainement divine. La réponse du Christ aux Sadducéens[174] le laisse clairement entendre[175]. À cette affirmation, Porphyre lie d’une façon un peu artificielle une apologie assez raisonnable des statues païennes. On sait qu’il avait largement développé ailleurs ses arguments[176]. Une statue, observe-t-il, c’est un memento pour le fidèle et un témoignage de respect : rien de plus. Les artistes donnent aux dieux la forme humaine, parce que l’homme est le plus beau des êtres vivants. Moïse lui-même ne parle-t-il pas du « doigt » de Dieu, dans l’Exode[177]. Et voici où Porphyre veut en venir :

Même en supposant que tel des Grecs soit assez obtus pour penser que les dieux habitent dans les statues, ce serait encore une conception plus pure que d’admettre que le Divin (τὸ Θεῖον) soit descendu dans le sein de la vierge Marie, qu’il soit devenu embryon, qu’après sa naissance il ait été enveloppé de langes, tout sali de sang, de bile — et pis encore[178].

Le système de l’Incarnation lui apparaît inacceptable. Pourquoi le Christ serait-il venu si tardivement, après avoir laissé l’humanité privée pendant tant de siècles du bienfait de la révélation ? Pourquoi aurait-il permis que se perdent sans secours d’innombrables âmes[179] ? — Et comment croire que le Fils de Dieu ait vraiment souffert sur une croix ? À quoi bon cette croix ? Comment a-t-il souffert, étant, par sa nature divine, « impassible » (ἀπαθής ὤν)[180] ?

Porphyre juge immorale la pratique baptismale (quand ce sont des adultes qui en bénéficient, cas très ordinaire à cette époque) : tant de souillures, d’adultères, de turpitudes lavés par une seule ablution, par une simple invocation du nom du Christ, au point que le catéchumène rejette tout son fardeau de péché comme un serpent se dépouille de sa peau ! Une pareille discipline est conseillère de vice et d’impiété[181].

Geffcken[182] se demande, à ce propos, si Porphyre aurait manifesté une rigueur si sévère à l’endroit des tauroboles et des crioboles, rites fétides et sanglants auxquels les païens de son temps attribuaient une vertu pareillement expiatrice.

Mais c’est surtout le rite eucharistique qui provoque l’indignation de Porphyre. Il en parle avec la même véhémence et les mêmes éclats que Juvénal, dans sa XVe satire[183], là où il décrit le hideux repas des habitants d’Ombi, en Égypte, dévorant un ennemi abattu et fait prisonnier. Pour lui, la communion est un acte de cannibalisme. Il évoque à son propos le festin de Thyeste, le mets abominable servi par Astyage à Harpage. Il affirme que, parcourût-on les pays les plus sauvages, celui des Macrobiens d’Égypte, des Phteirophages [= les Mangeurs-de-poux], des Rhizophages [= les Mangeurs-de-racines], des Herpetosites [= les Mangeurs-de-reptiles], des Mystroctes [= les Mangeurs-de-rats], on n’y verrait rien de pareil. Il traite les paroles du Christ dans saint Jean[184] : « Si vous ne mangez la chair du Fils de l’homme et ne buvez son sang, vous n’avez point la vie en vous-mêmes, etc. », de « bestiales » et d’ « absurdes ».

L’oreille ne supporte pas — je ne dis pas le fait lui-même, mais la simple mention de cette atrocité nouvelle et inouïe… Quand même une pareille affirmation aurait, à l’entendre allégoriquement[185], quelque sens mystérieux et profitable, l’odeur qu’elle exhale, en pénétrant dans l’âme, l’épouvante et la bouleverse, et le sens caché en est tout entier gâté ; c’est comme un vertige d’humaine calamité. Même dans les pires famines, les animaux dénués de raison ne se mangent pas entre eux… Il y a eu des maîtres qui ont proposé d’étranges, de bizarres idées. Mais ni chez les barbares, ni chez les Grecs de l’ancien temps, il ne s’est trouvé un historien, un philosophe pour inventer un tragique paradoxe à ce point inédit !

Et Porphyre suppose que c’est à dessein que Matthieu, Marc et Luc ont omis cette prescription, ayant senti qu’elle était étrangère à toute civilisation et inacceptable pour tout homme cultivé[186] !

Le dogme de la résurrection provoque de sa part une discussion plus sérieuse et plus serrée. Il savait l’importance capitale que ses adversaires y attachaient (fiducia Christianorum, resurrectio mortuorum, avait dit Tertullien[187]), et combien il avait été dès le début difficilement assimilable à la pensée païenne. Aussi est-il bien aise de résumer aussi fortement que possible les objections traditionnelles[188]. « Pourquoi Dieu interromprait-il à un moment donné la succession des créatures, la conservation indéfinie des espèces ? L’ordre qu’il a une fois déterminé doit être éternel, à la différence d’un ordre humain, toujours précaire. — Si l’univers était brusquement détruit et que la résurrection intervînt aussitôt, on verrait donc à côté de Priam ou de Nestor l’homme décédé trois ans avant l’événement ? — Puis, comment imaginer la reconstitution des organismes abolis ? Un homme fait naufrage : les mulets de mer dévorent son corps ; des pêcheurs mangent les mulets ; ils périssent eux-mêmes, et leurs cadavres sont mangés par des chiens, lesquels deviennent la proie des vautours ? Qu’est devenue la chair du naufragé ? »

On me répondra : « Dieu peut tout. » Mais cela n’est pas vrai. Dieu ne peut pas tout. Il ne peut faire qu’Homère n’ait pas été poète, qu’Ilion n’ait pas été détruite, que deux fois deux fassent cent, et non point quatre. Dieu, le voulût-il, ne peut devenir méchant, ni pécher, car il est essentiellement bon[189]… Et lui, le Créateur, il verrait le ciel — peut-on imaginer quelque chose de plus admirablement beau que le ciel ! — se liquéfier, les étoiles tomber, la terre disparaître, tandis que les corps pourris, anéantis, des hommes ressusciteraient, y compris ceux qui, avant la mort, offraient un aspect pénible et repoussant ? Même s’il lui était facile de les ressusciter avec une forme seyante, comment la terre contiendrait-elle tous les morts, depuis la naissance du monde, s’ils venaient à ressusciter ?

On veut trouver dans la résurrection du Christ ou dans celle de Lazare une sorte de préfiguration de la nôtre. Mais le rapport reste inopérant. Le Christ, par hypothèse, n’était point né comme nous ex semine[190]. Quant à Lazare, c’est son propre corps, non encore tombé en déliquescence, qu’il reprit. Le nôtre doit être, après bien des siècles, tiré d’un mélange confus. Ensuite, si l’état qui suit la résurrection est un état heureux, exempt des besoins terrestres, pourquoi le Christ ressuscité a-t-il goûté à des aliments et montré ses plaies ? S’il l’a fait pour convaincre un incrédule, ce n’a été qu’un semblant ; s’il les a montrées pour de bon, c’est donc que l’on gardera après la résurrection les vestiges du passé[191]. Où est alors la spiritualisation promise ?

L’idée que l’univers puisse finir lui est d’ailleurs insupportable. La promesse rapportée par saint Matthieu[192] : « Le ciel et la terre passeront, mais mes paroles ne passeront point », est qualifiée par lui de « mensonge » et de « vantardise ». Comment les paroles de Jésus subsisteraient-elles, une fois le ciel et la terre détruits ? Si le Christ admettait cette destruction, il imiterait les plus impies des hommes, ceux qui anéantissent leurs propres enfants[193]. Que la terre disparaisse, passe encore ! Mais le ciel ! Le ciel, c’est l’ordre, la permanence. Aurait-il par hasard commis des péchés[194] ?

L’esprit général de la morale chrétienne l’offense pareillement. Qu’elle s’occupe avant tout des âmes mal portantes, et non pas de celles qui vivent en santé et en beauté, n’est-ce pas là une étrange préférence ? Si ce sont les malades, les pécheurs qui ont besoin de Jésus, alors l’injuste est donc seul « appelé », à l’exclusion du juste[195] ? — Que signifient aussi les sévérités de l’Évangile à l’égard des riches, ses complaisances pour les pauvres ? Une maxime comme celle de saint Matthieu[196] : « Il est plus aisé qu’un chameau passe par le trou d’une aiguille, qu’il ne l’est à un riche d’entrer dans le royaume des cieux », aboutit à condamner le riche, même vertueux, et à magnifier le pauvre, même vicieux. Celui-ci n’a plus à se préoccuper de bien faire, puisque sa pauvreté suffira à le sauver. Ce n’est plus la vertu qui achemine l’homme au ciel, c’est le manque d’argent[197] !

Plusieurs des critiques qui se sont occupés de Porphyre estiment, je l’ai dit, qu’on aurait tort de lui prêter des intentions systématiquement hostiles à l’égard de Jésus. Ce que Porphyre blâmerait, ce ne serait pas tant la personne et les actes du Christ que l’image légendaire et conventionnelle fournie par les Évangiles et la littérature apostolique.

Harnack[198] se prévaut surtout du passage où Porphyre accuse les évangélistes d’avoir été non pas les historiens, mais les inventeurs de l’histoire de Jésus (ἐφευρετὰς, οὐχ ἵστορας τῶν περὶ τὸν Ἰησοῦν πράξεων[199]) et des nombreuses accusations de mensonge qu’il formule contre ceux-ci : « Quant à Jésus, affirme Harnack, comme tel il le laisse hors de cause, évidemment à dessein[200] », parce qu’il a pour lui « une estime cachée[201] ». Geffcken loue Porphyre d’avoir été le premier à distinguer entre le Christ et les chrétiens, entre le Christ et les relations fournies sur le Christ, entre le Christ et les altérations dont son enseignement fut l’objet[202]. « Sa philanthropie, écrit M. Bidez[203], lui fait éprouver pour la personne même du Christ et pour certaines parties de son enseignement plus que de la sympathie, presque du respect. C’est aux disciples de Jésus, c’est aux déformations dont ils sont les premiers auteurs, c’est « aux mythes » des Évangiles qu’il en veut. » Et Mgr Duchesne[204] : « Il ne s’en prend pas au Christ pour lequel il a, au contraire, beaucoup de considération, mais aux évangélistes… »

En dépit du suffrage concordant d’autorités si hautes, j’éprouve quelque peine à me ranger à ce point de vue.

Le seul texte où Porphyre formule une distinction expresse entre Jésus et ses historiens, c’est celui que nous offre le fragment no 58, qui vient d’être cité en partie[205], et où Porphyre commente la parole fameuse : « Il est plus aisé qu’un chameau passe par le trou d’une aiguille, etc. » Il marque, comme on a vu, les conséquences étranges d’un tel principe : le riche exclu du ciel par sa richesse même, le pauvre introduit au ciel par sa pauvreté même, et il ajoute : « Voilà pourquoi ces paroles ne me semblent pas provenir du Christ, si toutefois il a enseigné la règle de vérité (εἴγε τὸν τῆς ἀληθείας παρεδίδου κανόνα) : ce sont propos de gueux, avides de dépouiller les riches de leur avoir, à l’aide de ces inepties. » — Qu’on prenne, si l’on y tient, cette réserve pour un hommage rendu à Jésus ! Je l’entends, pour ma part, en tenant compte de la tonalité du morceau, comme une ironie à l’adresse des fidèles du Christ et du Christ lui-même : bel enseignement que le sien, qui aboutit au désordre social et à des renoncements absurdes, dont Porphyre cite aussitôt un récent exemple[206]. Et c’est ce Jésus que vous nous présentez comme le maître de toute vérité[207] ?

Le fait que Porphyre accuse les évangélistes d’avoir romancé l’histoire de Jésus n’implique d’ailleurs aucunement que cette histoire elle-même, dégagée de leurs fictions, lui inspire le moindre intérêt. La façon insultante dont il parle des apôtres est-elle donc faite pour rehausser le prestige du Christ, qui les avait choisis ? Quand, énumérant les défaillances de saint Pierre, il se récrie sur l’investiture singulière octroyée par Jésus à un si pauvre homme, camouflé en chef d’église, est-ce afin de mettre en relief la perspicacité de Jésus ? Or, ici, il n’y a pas conte inventé, πλάσμα τῆς ἱστορίας[208] : c’était un fait, avoué, proclamé par toutes les Églises que Pierre avait reçu du Christ une situation de premier plan — et il était, selon Porphyre, parfaitement inhabile à la recevoir.

Si Jésus fut tel que le montrent les Évangiles, Porphyre le vilipende sans merci. Mais comment se formerait-il de Jésus une image tout autre que celle que les Évangiles lui proposent ? Où en prendrait-il les traits ? De quel droit en imaginerait-il d’autres à sa fantaisie, sans l’appui d’une tradition ? On ne voit pas bien ce Jésus porphyrien, qui obtiendrait les respects du philosophe, tandis que le Jésus évangélique n’aurait mérité que ses dédains ? À cette tâche illusoire il ne s’est guère essayé, et ses ménagements mêmes ne sont pas libres d’arrière-pensées.

X

Il reste encore un aspect de la critique de Porphyre qui ne doit pas être négligé, car il a son importance historique. Comment a-t-il jugé le christianisme contemporain ?

Sur la vie des églises de son temps, il avait jeté des regards plus curieux et plus attentifs que Celse ne semble l’avoir fait. Il est d’ailleurs possible, on l’a vu, qu’il ait été catéchumène et qu’il ait même dépassé ce degré ; mais on ne saurait l’affirmer avec quelque certitude.

Porphyre savait la vitalité surprenante, la force d’expansion du christianisme dans la seconde moitié du iiie siècle. Pour essayer de mettre en échec la prédiction du Christ[209] d’après laquelle la fin du monde semble devoir survenir aussitôt que l’univers aura été totalement évangélisé, il constate que c’est désormais chose faite : l’Évangile a été prêché « dans les coins les plus reculés de la terre habitée[210] », sans que pourtant la redoutable échéance ait joué. Il faut que ce soit le chrétien Macarius Magnès qui proteste contre l’idée d’une propagation déjà si complète, vu que « il y a sept races d’Indiens qui vivent dans le désert du Sud-Est[211] et n’ont pas encore reçu la bonne nouvelle ; pareillement ces Éthiopiens du Sud-Ouest, qu’on appelle les Macrobes, et encore les Maurusiens, les peuplades qui habitent par delà l’Ister[212] ». Il n’est donc pas surprenant que le cataclysme soit toujours suspendu.

Porphyre a remarqué également les amples maisons (μεγίστους οἴκους) que les chrétiens se construisent ; ce sont de véritables temples où ils se rassemblent pour prier, alors qu’il leur serait loisible d’en faire autant dans leur propre demeure, puisqu’il est évident qu’où ils soient, Dieu les entend. De quel droit, dès lors, se moquent-ils des statues païennes et des autres manifestations sensibles de la piété populaire[213] ? — Ce témoignage est intéressant et corrobore utilement certaines données venues d’autres sources. Jusqu’à l’époque de Commode (180-192), il ne semble pas qu’il y ait eu d’églises, à proprement parler : on se réunissait dans des maisons privées. Mais c’est surtout à partir d’Alexandre Sévère (222-235) que se multiplièrent les édifices consacrés au culte chrétien[214]. Après le désastre de Valérien chez les Parthes (259), son fils Gallien prescrivit d’évacuer les « lieux de culte » des chrétiens[215]. Les bâtiments d’église étaient nombreux au moment des grandes persécutions du début du ive siècle[216]. Porphyre avait assisté à cette efflorescence et l’avait notée, non sans dépit.

Il est familier avec les catégories diverses entre lesquelles les croyants étaient répartis. À propos du « Pais mes agneaux, pais mes brebis », il écrit :

Je suppose que les πρόβατα (= les brebis), ce sont les fidèles (πιστοί) qui se sont avancés déjà jusqu’au mystère de la perfection (εἰς τὸ τῆς τελειώσεως προβάντες μυστήριον[217]), tandis que les « agneaux » signifient le groupe de ceux qui sont encore catéchumènes (τῶν ἔτι κατηχουμένων) et que l’on nourrit du tendre lait de la doctrine[218].

Il est également au courant de la hiérarchie catholique. Il s’empare de la promesse du Christ : « Voici les miracles qui accompagneront ceux qui auront cru :… ils prendront les serpents, et s’ils boivent quelque breuvage mortel, il ne leur fera aucun mal[219]. » Et il en tire ceci : « À ce prix, ceux qui sont choisis pour la prêtrise (τοὺς ἐκκρίτους τῆς ἱερωσύνης), et spécialement ceux qui briguent la dignité épiscopale ou la présidence (προεδρίας) devraient accepter de se laisser désigner par une coupe de poison : celui qui n’en recevrait aucun dommage serait préféré aux autres. Et celui qui se déroberait à l’épreuve décèlerait ainsi qu’il ne croit pas aux paroles de Jésus[220]. » Il bouffonne de même sur la foi qui est censée « déplacer les montagnes ». « Celui qui est incapable de déplacer une montagne ne mérite donc pas d’être compté dans la phratrie des fidèles. Et pas un seul des évêques et des prêtres n’est digne non plus du nom de croyant[221]. »

Il sait le rôle que les femmes jouent dans les églises, leur activité audacieuse et brouillonne, le « sénat » qu’elles osent y former et où se décident parfois les nominations sacerdotales[222]. Il se moque de celles qui tirent gloire de leur virginité, comme si c’était chose bien importante que la virginité, et qui, pour cela même se disent remplies de l’Esprit-saint, à l’instar de la mère de Jésus[223]. Les femmes sont une proie facile, et les apôtres savaient l’art de leur soutirer de l’argent[224]. Il en connaît, et de noble naissance, qui, de son temps même, se sont laissé endoctriner par les conseils évangéliques. On les a décidées à partager toute leur fortune entre les pauvres, à se réduire à la misère, à mendier à la porte des riches. « N’est-ce pas le comble de la disgrâce et du malheur d’en être réduit à convoiter le bien d’autrui après avoir perdu le sien sous prétexte de piété[225] ? »

Porphyre n’est pas un témoin que l’on puisse invoquer à l’appui de la thèse fameuse « de paucitate martyrum ». Il reproche au Christ de n’avoir rien fait pour épargner les pires châtiments à ceux qui le suivraient. S’il avait su s’imposer suffisamment pour que tous crussent en lui, on n’aurait pas vu le sénat et le peuple romain (ainsi que les autorités juives) « infliger la mort à ses partisans par un jugement général comme à des impies[226] ». Ailleurs, il fait encore une allusion aux souffrances et à la mort subies par d’innombrables coreligionnaires de saint Pierre et de saint Paul (μύριοι ὁμόδοξοι… πλῆθος ἀνδρῶν[227]). Le mot fameux d’Origène sur le petit nombre de chrétiens qui, « bien faciles à compter, périssent de temps en temps[228] », s’explique par cette circonstance qu’Origène écrivait son traité Contre Celse en 248, deux ans avant la terrible persécution de Dèce. Porphyre, lui, a vu se dérouler le drame, l’attaque pesante et massive, et il a tiré de ce spectacle sanglant non pas un cri de pitié, mais des arguments nouveaux pour accabler ses adversaires[229].

XI

Obscurité, incohérence, illogisme, mensonge, abus de confiance et sottise, Porphyre n’a guère vu autre chose dans le christianisme, à en juger par les membra disiecta de son œuvre.

Chaque fois que, se dégageant des collations de textes ou des exercices de dialectique, il prononce un jugement « de valeur », c’est le sarcasme qui s’impose à lui, et il ne cherche pas à en modérer l’expression indignée : Φεῦ τῆς ἀπαιδευσίας, τῆς κωμικῆς πλάνης ! (Fi ! quelle grossièreté ! quelle erreur comique[230] !) μῦθος, ὢ γῆρος, ὢ γέλως ὄντως πλατύς ! (Ô fable ! ô radotage ! ô rire largement épanoui[231] !) Εὖ γε τῆς ὄντως ὧδε βλακείας τῶν ρημάτων ! (Bravo pour la parfaite lâcheté de telles paroles[232] !) À ses yeux, l’Évangile est une « scène truquée[233] », une farce de tréteaux, comme celles qui soulèvent au théâtre la gaieté des spectateurs[234], une mauvaise plaisanterie de faiseurs de tours[235], une fâcheuse pièce vouée aux brocards et aux sifflets[236] ; les animaux eux-mêmes protesteraient en leur langage s’ils pouvaient comprendre[237]. Ces histoires puériles[238], bonnes pour des enfants en bas âge[239] et des femmelettes[240], on a quelque peine à les entendre sans colère. Mais mieux vaut encore les accueillir avec un « rire modéré[241] », juste revanche de la raison.

Tel est son état d’esprit. Pour lui, une lutte décisive est engagée entre la civilisation antique, telle qu’elle a été constituée par la tradition et par la loi (ἡ κατὰ νόμους πολιτεία[242]), et une entreprise impudente et barbare (βάρβαρον τόλμημα) qui en menace l’essence même[243]. De toute son âme partisane, il se jette dans la bataille. Sa pensée n’est pas une pensée paisible, ouverte, hospitalière, et qui cherche à comprendre celle d’autrui : elle reste sur la défensive — malveillante, soupçonneuse, ironique — et ne la quitte que pour attaquer.

Il est capable de remarques aiguës, capable aussi de vétilles presque niaises. On a pu noter ces alternatives dans certains des morceaux que j’ai traduits ou analysés. En voici encore un ou deux exemples.

Il s’empare du passage de saint Luc (XIV, 12) où Jésus conseille à celui qui veut donner à dîner ou à souper de n’inviter ni ses amis, ni ses frères, ni ses parents, ni ses voisins riches, « de peur qu’ils ne l’invitent à leur tour et ne lui rendent ce qu’ils auront reçu de lui », mais bien plutôt les pauvres, les estropiés, les boiteux, les aveugles, car ce qu’il fera pour eux lui sera rendu « à la résurrection des justes ». Porphyre ne tente pas le moindre effort pour deviner le sens caché de cet apparent paradoxe. Est-ce, chez le Christ, ferme dessein de subordonner tout intérêt personnel à la charité ? Ou faut-il soupçonner quelque intention de justifier l’orientation de la propagande chrétienne vers les Gentils, déshérités et infirmes sous le rapport spirituel ? Point ne lui chaut, il se contente d’épiloguer assez froidement sur les détails :

Il a voulu qu’on invitât au festin non pas ses amis, mais les infirmes. Alors, qu’un boiteux ou l’un quelconque de ces infirmes soit aussi un ami, il ne faudra donc pas l’inviter, en raison même de cette amitié ? À ce prix, il y a contradiction entre les préceptes. Si ce ne sont pas les amis, mais les boiteux et les aveugles qu’il faut inviter et qu’il arrive que ces disgraciés soient aussi nos amis, nous ne devons absolument pas les inviter[244] !

La parabole du grain de sénevé (Matth., XII, 31-38) lui paraît l’obscurité même, et tout de suite il s’en scandalise comme d’une sotte gageure audacieusement risquée[245]. L’intelligence « historique » lui fait parfois défaut à un degré qui déconcerte, quand on sait les autres puissances de son esprit.

Je ne puis accepter la définition qu’a donnée Paul Allard de Celse et de Porphyre, dont l’un serait le « Voltaire du paganisme », tandis que Porphyre « en serait plutôt le Renan[246] » ; et je comprends mal que J. Bidez paraisse la faire sienne[247].

S’il ne s’agissait que de comparer Celse et Porphyre, la chose serait aisée. Dans le détail ils se rencontrent souvent[248] ; seulement Celse avait des vues politiques, une vive préoccupation des destinées de l’Empire. Porphyre demeure, sinon étranger, du moins assez indifférent à ce souci. Il ne s’intéresse guère à la tradition des aïeux que sous son aspect religieux[249], et les tristes leçons de son siècle, la crise lamentable de 235 à 268, l’ont refroidi à l’égard de l’État, qu’il laisse se tirer d’affaire par ses propres moyens. — D’autre part, de Celse à Porphyre, le progrès critique est manifeste : ce n’est plus seulement la question de la divinité du Christ et de sa venue en ce bas monde qui est discutée, c’est toute la Bible qui est contrôlée, passée au crible, ponctuellement analysée.

Mais le point litigieux est de savoir à quelle famille d’esprits Porphyre se rattache. Le rapport me paraît bien plus sensible de Porphyre à Voltaire que de Porphyre à Renan. Edgar Quinet avait signalé cette filiation, dès 1838, dans un éloquent et perspicace article de la Revue des Deux Mondes[250]. Selon le système porphyrien, remarquait-il — et selon le système païen en général — « la partie miraculeuse des Écritures ne révèle que la fraude des uns et l’aveuglement des autres ; ce ne sont partout qu’imputations d’artifice et de dol. Il semble que le paganisme lui-même se plaigne, dans sa langue, que l’Évangile lui a enlevé le monde par surprise. Le ressentiment de la vieille société perce encore dans ces accusations. »

XII

Quel accueil le traité de Porphyre reçut-il lors de sa première apparition ?

Il ne paraît pas douteux qu’il ait fait une impression très vive, puisque trois réfutations, de plus en plus développées, se succédèrent pour en combattre l’influence[251]. Si l’on songe que l’ouvrage de Celse, paru en 178, avait attendu pendant soixante-dix ans la riposte d’Origène, on voit, à cette seule différence, combien la science ecclésiastique, en cette fin du iiie siècle, était déjà mieux armée.

Nous avons, d’autre part, de sérieuses raisons de penser qu’au début du ive siècle un excerpteur païen inconnu songea à utiliser l’ample travail de Porphyre sous une forme plus portative et en fit des extraits pour les besoins courants de la controverse[252].

Bien mieux, Lactance, l’auteur des Institutions divines, connut vers 303, pendant la persécution de Dioclétien, alors qu’il enseignait la rhétorique à Nicomédie, en Bithynie, un gouverneur païen, qui, parallèlement à son action coercitive, entreprit de désabuser ses victimes de leurs erreurs. Il ne le nomme pas, mais il s’agit certainement de ce Hiéroclès, auquel Eusèbe de Césarée devait s’en prendre dans un opuscule spécial vers 311-313. Or, c’est évidemment chez Porphyre qu’Hiéroclès était approvisionné d’arguments[253].

Ce qui est étrange, c’est que Lactance, qui était si bien au fait de l’effort païen dirigé dans les milieux intellectuels contre le christianisme et qui, dans ses Institutions, vise à dessein les esprits cultivés, ne prononce pas une seule fois le nom de Porphyre. Il y a bon nombre de ces bizarreries dans l’histoire littéraire des premiers siècles chrétiens. Croirait-on que Tertullien ne cite nulle part Hippolyte de Rome ni Clément d’Alexandrie, pas plus qu’Hippolyte ou Clément ne citent Tertullien ? Ni saint Ambroise ne parle de saint Jérôme, ni saint Athanase ne nomme saint Hilaire, qui avait tant souffert pour sa cause. Cassiodore a l’air d’ignorer saint Benoît, et réciproquement. Ces jeux singuliers du hasard, on les rencontrerait aussi dans la littérature « profane ». Horace ne nomme ni Ovide, ni Properce. Les contemporains de Plutarque gardent sur lui un silence absolu et Plutarque lui-même, si curieux d’esprit, ne mentionne aucun écrivain notoire de son époque, etc. Gardons-nous donc d’épiloguer sur le silence de Lactance. Il n’a pas lu Porphyre, voilà le fait. Et si ce fait étonne, c’est parce que Lactance écrivait quelques années avant la prohibition portée par Constantin contre l’ouvrage de Porphyre[254].

Cette condamnation officielle ne fit pas disparaître tous les exemplaires en circulation, puisqu’elle dut être renouvelée plus tard encore[255]. Mais elle en paralysa la diffusion avec une efficacité telle qu’en dehors de Méthodius d’Olympe, d’Eusèbe de Césarée et d’Apollinaire de Laodicée, auteurs des trois réfutations susdites, il n’est nullement démontré qu’aucun des auteurs chrétiens du ive et du ve siècle qui ont parlé de Porphyre, y compris saint Jérôme, ait puisé directement ce qu’ils en disent ou ce qu’ils en citent dans le Κατὰ χριστιανῶν.

XIII

Il ne faudrait d’ailleurs pas croire que la pensée catholique soit restée imperméable aux objections que Porphyre avait soulevées et que les réfutations mêmes qui leur étaient opposées faisaient connaître. Il suffit de s’être familiarisé avec la littérature des Quaestiones (en grec ζητήματα ou ἐρωτήσεις), qui se développe à partir du ive siècle dans les milieux catholiques cultivés, pour s’apercevoir de l’ardeur passionnée avec laquelle les plus difficiles problèmes y étaient discutés. Il en est un sur lequel Porphyre avait particulièrement insisté, qui paraît avoir retenu d’une façon pressante l’attention des controversistes : c’est celui que posaient les apparentes contradictions des Évangiles. L’historien Eusèbe de Césarée l’avait déjà étudié, à propos de l’enfance du Christ et des récits de sa résurrection, dans un grand ouvrage dont un extrait important subsiste[256]. Saint Jean Chrysostome y touche plus d’une fois, vers 390, dans ses Homélies sur saint Matthieu[257]. La lettre 120 de saint Jérôme[258], adressée à une certaine Hedibia[259], qui, du fond de la Gaule (de extremis Galliae finibus) lui avait écrit à Bethléem pour lui soumettre ses perplexités, répond à douze questions dont six portent sur les circonstances de la Résurrection. Saint Augustin a consacré tout un traité en quatre livres à « l’accord » des Évangélistes, le De Consensu evangelistarum, où il vise certainement, au moins dans un passage[260], les néoplatoniciens de son temps. Dans la première moitié du ve siècle, Hesychius de Jérusalem examine soixante et une difficultés sur le même sujet[261]. Et il ne sera pas trop malaisé, je crois, de repérer, à travers les recueils parfaitement orthodoxes de Quaestiones, la trace des critiques porphyriennes, qui avaient sourdement fait leur chemin dans les esprits[262].

Mais on ne les liait plus guère à leur auteur et c’est peut-être là une des raisons qui expliquent les vicissitudes assez curieuses de la réputation de Porphyre.

XIV

Du côté païen, il ne semble pas qu’on ait rendu justice à l’importance de son œuvre de polémiste. Il avait vivement blessé le sentiment religieux païen par la critique qu’il avait exercée sur le culte traditionnel, dans le seul dessein de l’épurer. Sa Lettre à Anébon, avec ses questions captieuses sur les dieux, les démons, la mantique, la prière, parut de plus en plus sacrilège à mesure que le néo-platonisme s’enfonça davantage dans les pratiques théurgiques, encore que l’intention secrète qui l’avait dictée à Porphyre ne fût assurément ni sceptique ni dénigrante. Les dévots du paganisme durent souffrir du parti que la polémique chrétienne en tira, comme aussi des arguments efficaces qu’elle sut trouver dans la Philosophie des Oracles.

Du côté chrétien, on connaissait en gros le rôle que Porphyre avait assumé. « Hostis Dei », « veritatis inimicus », « sceleratarum artium magister », c’est ainsi que vers le milieu du ive siècle l’appelait Firmicus Maternus, lequel avant sa conversion le traitait courtoisement de « Porphyrius noster ». Pourtant on continuait de lire diverses parties de son œuvre, et il bénéficiait du prestige durable de la philosophie néo-platonicienne. N’était-ce pas lui qui avait vulgarisé la pensée de Plotin ; qui avait clarifié et rendu assimilable aux jeunes intelligences la Logique d’Aristote ? C’est chez Porphyre que saint Jérôme, jeune homme, s’initia à cette logique aristotélicienne : son ex-ami Rufin eut même le mauvais goût de lui en faire plus tard grief, aux temps de leur querelle[263]. — Quant à saint Augustin, il a des mots assez durs à l’égard de Porphyre ; il discute fortement dans la Cité de Dieu certaines de ses opinions ; il sait qu’il fut Christianorum acerrimus inimicus. Mais, en somme, il parle de lui avec respect : philosophus nobilis, magnus gentilium philosophus, doctissimus philosophorum, voilà de quelles épithètes il le décore[264]. Il le met à côté de Pythagore et de Platon, il le loue d’avoir rougi des extravagances du paganisme et croit qu’il s’est amélioré en une certaine mesure au contact des chrétiens[265]. Il a même la naïveté de supposer que si Platon et Porphyre avaient combiné ensemble deux opinions qu’ils professèrent séparément sur la destinée des âmes, facti essent fortasse christiani, « ils seraient peut-être devenus chrétiens[266] » ! Au fond, Augustin n’a jamais pu oublier ce qu’avait été pour lui la philosophie néo-platonicienne dans une période où, déjà séduit par le catholicisme, il se cherchait encore, l’avidité heureuse avec laquelle il s’était ouvert à son influence, l’ardeur enthousiaste qu’elle lui avait inspirée. C’est plus tard seulement qu’il se rendit compte de ce que cette prévention à l’égard du néo-platonisme pouvait avoir d’imprudent : il accentua alors ses réserves et marqua ses points de désaccord[267].

À l’époque où Porphyre composait le Κατὰ χριστιανῶν, la bataille entre le christianisme et le paganisme pouvait paraître encore d’issue incertaine. Et Porphyre était fondé à penser que les armes qu’il apportait à ses coreligionnaires les aideraient puissamment. Mais moins de quarante ans après éclatait le coup de théâtre qui allait changer du tout au tout la situation qu’il avait connue. L’Église se réconciliait avec l’État romain, elle entrait dans une ère de prospérité matérielle, et sa puissance spirituelle, étayée de l’appui des pouvoirs publics, s’épanouissait presque sans obstacle. Le « testament de l’hellénisme », comme Harnack appelle l’ouvrage de Porphyre, sombra dans l’oubli.

Durant tout le moyen âge, Porphyre sera un des « classiques » de la philosophie, pour son Introduction aux catégories d’Aristote, traduite en latin par Marius Victorinus, commentée par Boèce. Et cette gloire de tout repos, nul souvenir importun ne viendra plus la compromettre.


  1. Ép. à Marcella (éd. Nauck, dans la Teubneriana), §§ 7 ; 12 ; 13 ; 20 ; 26 ; 27.
  2. Ép. à Marcella, § 33.
  3. Ibid., §§ 15 ; 16 ; 19 ; 21.
  4. I Corinthiens, XIII, 13. L’origine de cette formule a donné lieu à de grands débats entre Harnack, Reitzenstein, Cœssen, Geffcken. Leur discussion est résumée dans Geffcken, Der Ausgang des griechich-rœmischen Heidentums, Heidelberg, 1920, p. 271-272.
  5. Vie de Porphyre, p. 65*.
  6. Op. cit., p. ii.
  7. Nouvelles Études d’histoire religieuse, 1884, p. 29.
  8. Eusèbe de Césarée, dans son Hist. eccl., VI, 19, 6-7, a embrouillé la question en confondant le néo-platonicien Ammonius Sakkas, lequel n’avait rien écrit, avec un autre Ammonius, écrivain chrétien, auteur d’un ouvrage où il montrait l’accord de Moïse et de Jésus. Voy. Bardenhewer, II² (1914), p. 107, et Th. Zahn, dans Zeitsch. f. Kirchengeschichte, 1920, p. 1-22, 311-336.
  9. Saint Jérôme, Ép., 70, 4 : « … Omnia nostrae religionis dogmata de Platone et Aristotele, Numenio Cornutoque confirmans. »
  10. Porphyre, Vie de Plotin, § 14.
  11. F. Thedinga, De Numenio philosopho platonico, Bonn, 1875, fr. XIII.
  12. Ibid., fr. XXIV ; cf. Origène, Contra Celsum, I, 15 ; IV, 51.
  13. Eusèbe, Prép. évang., XI, 18, 26 ; XI, 19 (Patrol. gr., 21, 900).
  14. Cité de Dieu, X, 29 (p. 450, l. 33, Dombart).
  15. Op. cit., p. 69.
  16. Texte und Unters., N. F., 5 (1901), p. 36 et suiv.
  17. Porphyre, Vie de Plotin, § 16.
  18. P. 83 et suiv.
  19. Zwei griechische Apologeten, Leipzig et Berlin, 1907, p. 296.
  20. Ennéades, II, 9, 5 (trad. Bréhier, II, 115).
  21. Ibid., II, 9, 9 (p. 124).
  22. II, 9, 14 (p. 130).
  23. II, 9, 18 (p. 137).
  24. T. II, p. 109-110.
  25. « Le mode de pensée de Plotin est païen dans son noyau le plus intime. » (K. Vogt, Neuplatonismus und Christentum, Berlin, 1836, p. 135).
  26. Hist. eccl., III, 23, 37 (Patrol. gr., 64, 444).
  27. Elle est reproduite, avec des enjolivures, dans une Theosophia attribuée à Aristocritos (fin ve siècle), qui a dû la tirer, lui aussi, d’Eusèbe : voy. Buresch, Klaros, 1889, p. 124.
  28. Ap. Eusèbe, Hist. eccl., VI, 19, 5. Le texte est cité plus loin, p. 264. Porphyre s’est d’ailleurs trompé en affirmant qu’Origène était né païen.
  29. Ce sont les expressions dont se sert Geffcken, Ausgang…, p. 59.
  30. Ils ont été réunis par G. Wolff, Berlin, 1856.
  31. Zwei griech. Apol., p. 298 et 303.
  32. Texte und Unters., 37, 4, p. 141, note. Cf. Abhandl. der Kön. preuss. Akad. d. Wiss., 1916, p. 87 : « … Christus gegenüber sehr pietätsvoll. »
  33. Op. cit., p. 20. Il est vrai que Bidez trahit dans ce qui suit quelque scrupule sur sa propre affirmation.
  34. XIX, 23 (Dombart, dans la Teubneriana, 3e  éd. [1918], t. II, p. 393).
  35. Dombart écrit : « Pergat quo modo vult inanibus fallaciis perseverans et lamentari [fallaciis] mortuum Deum cantans… » C’est le texte du Sangallensis 178 (ixe s.), du Monac. (Fris.) 6259 (xe s.), du Monac. (Aug.) 3831 (xe s.) et de trois autres mss. parisiens du xve siècle. Dombart marque donc une lacune après perseverans et met entre crochets le second fallaciis, qui ne figure pas dans un ms. tardif (cod. Patav. n. 1469, s. xiv). Le Regius vetus codex des Bénédictins portait : « perseverans lamentari mortuum deum et cantans… ». Au surplus, le sens général n’est pas douteux.
  36. XIX, 23 (Dombart, II, p. 394).
  37. Lactance allègue dans les Instit. div., IV, viii, 13, un « oracle » grec, conçu dans un esprit analogue, qu’il a peut-être tiré de Porphyre. C’est une réponse d’Apollon de Milet, consulté sur la divinité du Christ : « Il était mortel par la chair, sage par ses œuvres merveilleuses. Mais condamné par le jugement des Chaldéens, il fut cloué à la croix et subit une mort douloureuse. »
  38. III, 7 (Heikel, p. 140). Son texte correspond à celui d’Augustin depuis les mots : « Ce que je vais vous dire paraîtra peut-être paradoxal. »
  39. Il conserve seulement les mots ἣν σέβειν ἀγνοοῦντας τοὺς χριστιανούς.
  40. Bossuet a cité les oracles de Porphyre dans le même esprit qu’Eusèbe, chez qui il les avait sans doute pris (Disc. sur l’Hist. universelle, seconde partie, chap. xxvi) : « Paroles pompeuses et entièrement vides de sens, remarque-t-il, mais qui montrent que la gloire de Notre-Seigneur a forcé ses ennemis à lui donner des louanges. »
  41. Der Ausgang…, p. 61.
  42. P. 21. M. Bidez a donné en appendice le texte du traité.
  43. Voy. l’excellent chapitre de Charly Clerc, Les théories relatives au culte des images chez les auteurs grecs du iie siècle après Jésus-Christ, Paris, s. d. [1915], p. 89-124.
  44. Clerc, Ibid., p. 124 et suiv.
  45. Voy. Batiffol, La Paix constantinienne, p. 125 et suiv. ; Harnack, Mission und Ausbr. des Christentums, I², p. 417.
  46. L. Duchesne, Hist. anc. de l’Église, I, 537.
  47. Geffcken estime, d’après les données épigraphiques, que la décadence de ces cultes se précipita dans la seconde moitié du iiie siècle : Der Ausgang…, p. 89. Théodoret de Cyr (Graec. aff. curatio, XII ; Patrol. gr., LXXXIII, 1150) cite une plainte de Porphyre sur le délaissement où sont tenus les dieux : « Maintenant, écrivait Porphyre, on s’étonne que la maladie se soit emparée depuis tant d’années de la cité, alors que ni Esculape ni aucun autre dieu n’y a plus accès. Depuis que Jésus est honoré, personne n’a ressenti un bienfait public des dieux. »
  48. Saint Augustin interprétait à peu près de la sorte la pensée de Porphyre : Cité de Dieu, X, 32 (Dombart, éd. Teubner, I, 456, l. 13 et suiv.).
  49. Porphyre, Vie de Plotin, § 14.
  50. Ibid., §§ 20 et 21.
  51. C. Müller, Fragm. historicorum graec., t. III, p. 688 et suiv.
  52. Bidez, op. cit., p. 46.
  53. Voy. Cumont, Comment Plotin détourna Porphyre du suicide, dans la Revue des Études grecques, t. XXXII (volume du Cinquantenaire, 1921), p. 113 et suiv.
  54. Socrate, Hist. eccl., I, 9 (Patrol. gr., 67, 88) ; Gélase, Hist. eccl., II, 36. Seeck a élevé des doutes sur l’authenticité de cette pièce (Zeitsch. f. Kirchengeschichte, 17 [1897], p. 48 et suiv.). Cependant, saint Athanase en parle dans l’Hist. Arianorum ad monachos, § 50, en 358 (Patrol. gr., 25, 753) et Théodose II s’y réfère dans une loi de 435 (Haenel, Corpus Legum, p. 247).
  55. Cod. Theod., XVI, 6, 66 ; Cod. Justinian., I, 1, 3 ; cf. Socrate, Hist. eccl., I, ix, 30. — Sans doute un certain nombre d’exemplaires avaient-ils survécu à l’enquête prescrite par Constantin. — Dans son Sermon sur saint Babylas, prononcé vers 382 (I, ii), saint Jean Chrysostome affirme que, de tant de philosophes et d’orateurs qui ont écrit contre le christianisme, les écrits sont devenus un tel objet de risée que « s’ils se sont conservés en quelque endroit, c’est chez les chrétiens qu’on peut les trouver ». Il ne prononce ailleurs pas le nom de Porphyre.
  56. Un catalogue de Rodosto (= Tekir Dagh, sur la mer de Marmara) rédigé entre 1565 et 1575 : cette ville a été en partie détruite par un incendie en 1838 ; un catalogue du monastère Iwiron, au mont Athos, Cod. 1280, du xviie siècle.
  57. C’est ce qu’il dit lui-même Comm. in Ep. ad Gal. 1, II (Patrol. lat., 35, 341).
  58. F. Turrianus, Adversus Magdeburgenses, Colon, 1573, I, 5, p. 21 ; II, 3, p. 165 ; II, 13, p. 208.
  59. Le mot μονογενής pour désigner le Christ revient six fois dans le texte de Macarius.
  60. Le manuscrit copié par Blondel et Foucart n’est plus à la Bibliothèque nationale d’Athènes (voir la lettre du conservateur à G. Scualkhausser, dans Texte und Unters., XXXI, 4, p. 202) et personne n’a réussi à remettre la main dessus. Harnack laisse entendre (Abh. d. Kön. preuss. Ak. d. Wiss., 1916, p. 15, n. 2) que le manuscrit existe encore, mais qu’il est soustrait à la publicité « pour des raisons ecclésiastiques ». On ne comprendrait guère tant de mystère, puisque l’édition Blondel-Foucart, qui en est la reproduction, se trouve dans toutes les grandes bibliothèques.
  61. Jahrb. für deutsche Theologie, t. XXIII (1878), p. 269 et suiv.
  62. Par exemple, T. W. Crafer, Journal of Theol. Studies, VIII (1907), p. 401-423, 456-471 ; XV (1914), p. 360-395, 481-512.
  63. Texte und Unters. XXXVII, p. 137-141 ; Abhandl. d. Kön. preuss. Akad. der Wiss., 1916, no 1, p. 16-17.
  64. Apocr., III, 42.
  65. Voy. Apocr., IV, 5.
  66. Sitz.-Ber. de l’Académie de Berlin, 1921. La note de Feuardent est liée à l’Adv. Haereses, III, iii, 4. Cf. la réédition de Feuardent, 1639 (Bibl. nat., Rés., C. 443), p. 241 ; Migne, Patrol. gr., 5, 1025 ; Patres Apostolici, éd. Funk-Diekamp, t. II (Tübingen, 1913), p. 377-401.
  67. C’est-à-dire des extraits de commentaires, groupés au-dessous du texte qu’ils expliquent.
  68. Cette chaîne figure dans le Parisinus no 838 (= Sangerm. 60), s. x, fol. 130. Elle a été étudiée par Pitra, dans le Spicil. Solesm., t. I (Paris, 1852), p. 266-301 et p. l-liv.
  69. L’attribution à Polycarpe reste assez énigmatique. Harnack suppose la méprise de quelque scribe qui aura faussement complété le nom légèrement effacé de Pacatus (P…ca…us), lui-même presque inconnu.
  70. Éd. W. Baehrens, Leipzig, 1911, dans les Panegyrici latini, XII. C’est dans ce panégyrique qu’on lit au § 12 (Baehrens, p. 217), l’allusion fameuse à l’affaire priscillianiste et aux évêques bourreaux « qui assistaient de leur personne aux tortures et allaient repaître leurs yeux et leurs oreilles des souffrances et des gémissements des accusés ».
  71. W. Baehrens les a mises en relief dans un article de l’Hermès, t. LVI (1921), p. 443 et suiv. Latinus Drepanius Pacatus écrivait en un fort bon latin, tandis que les fragments offrent quelques tours irréguliers (mox pour mox ut ; propterea quasi pour propterea quod). Puis, il n’était déjà plus jeune en 389 (voy. Paneg. Theodosii, § 5). Harnack s’aventure donc quelque peu en admettant — pour prouver sa conversion tardive — que c’est encore lui qui, vers 431, songeait à raconter en vers la vie de saint Paulin de Nole (Epist. Uranii ad Pacatum, dans Patrol. lat., 53, 866).
  72. Corpus Script. eccl. lat., t. XXXIV, p. 570.
  73. Saint Jérôme fait allusion, lui aussi, à ces ironies païennes sur le compte de Jonas, dans son Commentaire in Ionam, II, 1. Déjà Celse en avait tiré parti (Orig., C. Celse, VII, 53, 57).
  74. Le fragm. no 81 (= saint Augustin, Ép., 102, 8) paraît également fort suspect, quoique ceux qui avaient soumis ce texte à Augustin prétendissent l’avoir tiré de Porphyre. Il a été certainement rédigé par un Occidental, sans doute un Italien (notez ante Latium… ab ipso Latio… in fines Italos), et renferme une grosse erreur chronologique, ou du moins une singulière confusion entre le christianisme et le judaïsme, que Porphyre n’aurait pas commise.
  75. Fragm. no 15. Toutes les références renvoient aux textes réunis par Harnack, selon leur numéro de série.
  76. Fragm. no 11.
  77. Fragm. no 10 : cf. saint Jérôme, Brev. in Ps. LXXVII (Patrol. Lat., 26, 1045). La leçon Ἠσαίου (Matth., XIII, 35) ne se rencontre que dans un très petit nombre de manuscrits, et aucune version antique ne la donne. Mais saint Jérôme (cf. Anal. Mareds., III, ii, p. 79) et Eusèbe de Césarée (in Ps., LXXVII [LXXVIII], 2) la connaissaient.
  78. Fragm. no 9.
  79. Fragm. no 17. Pour les différentes versions de la mort de Judas, cf. Dom Leclercq, Dict. d’archéol. chr. et de lit., fasc. LXXX-LXXXI, article Judas Iscariote.
  80. Fragm. no 16. Porphyre ajoute que le témoignage de véracité que se décerne Jean (v. 35) est d’un « niais », car le moyen qu’un témoignage soit vrai, quand l’objet sur lequel il porte est irréel ?
  81. Fragm. no 49.
  82. Ibid.
  83. Θάλασσα. Saint Luc dit toujours λίμνη, lac.
  84. Fragm. no 55. En fait, le lac de Tibériade a une superficie de 170 kilomètres carrés ; la profondeur est de 45 mètres au centre et elle atteint 250 mètres vers le bord méridional.
  85. Marc, IV, 37 et suiv.
  86. Σκηνὴν σεσοφισμένην.
  87. Fragm. no 70 : cf. saint Jérôme, Dial. adv. Pelag., ii, 17 (Patrol. lat., 23, 53)
  88. Fragm. no 62. Cf. Matth., X, 28, et XXVI, 39.
  89. Fragm. no 61.
  90. Fragm. no 91. Cf. Matth., VII, 2.
  91. Fragm. no 13.
  92. Fragm. no 26.
  93. Fragm. no 36.
  94. 2e  fragment des Pseudo-Polycarpiana (voy. plus haut, p. 248). Porphyre paraît ignorer la tradition légendaire dont le premier témoin est Tertullien dans son De Praescriptione, 36, 3 : l’apôtre Jean plongé, à Rome, dans l’huile bouillante. Il est vrai qu’il était sorti indemne de cette épreuve et avait alors subi la relegatio in insulam.
  95. Fragm. no 60.
  96. Marc, XV, 36.
  97. Matth., XXVII, 33-34.
  98. Matth., XXVII, 46.
  99. Jean, XIX, 29-30. Porphyre parle d’un « vase » (σκεῦος) plein de vinaigre. Saint Jean mentionne seulement une éponge (σπόγγον). La leçon porphyrienne ne se rencontre pas ailleurs.
  100. Luc, XXIII, 46.
  101. Εἰς τι ὠνείδισας με ; Harnack a étudié cette leçon dans les Sitz.-Ber. de l’Acad. de Berlin, 1901, I, p. 261 et suiv. On la retrouve sous sa forme latine dans le Colbert. Paris (exprobrasti), le Vindob. (in opprobrium dedisti), le Bobbiensis (maledixisti). Harnack serait disposé à croire que c’est la leçon originelle, admise par Marc pour éluder la difficulté de concevoir le Christ abandonné par son Père à l’heure de la mort ; ὠνείδισας fait songer à l’ὠνείδιζον de Marc, XV, 32. Il est question aussi de l’ὀνειδισμὸς τοῦ Χριστοῦ, dans Hébr., XI, 26 ; XIII, 13, et Rom., XV, 3.
  102. δυσθανατοῦντα. La pensée n’est pas très nette. Duchesne proposait δὶς θανατοῦντα : correction qui serait fort bonne si (comme le fait remarquer Harnack) il y avait seulement deux évangélistes, et non pas quatre.
  103. παντάπασιν ἐρραψῷδησαν.
  104. Fragm. no 15.
  105. Fragm. no 4
  106. Fragm. no 6.
  107. Fragm. no 4.
  108. Fragm. no 5.
  109. Voy. Harnack, Festgabe für Karl Müller, Tübingen, 1922, p. 1-6 ; Petrus im Urteil der Kirchenfeinde des Altertums ; K. G. Goetz, Petrus als Gründer und Oberhaupt der Kirche und Schauer von Gesichten nach den altchristlichen Berichten und Legenden (dans les Unters. zum Neuen Test., hsg. von H. Windisch, fasc. 13, Leipzig, 1927).
  110. Ibid., II, 55 (Koetschau, I, p. 179, l. 25 et suiv.).
  111. Fragm. no 23.
  112. Fragm. no 26.
  113. Ibid.
  114. Ibid., et no 25.
  115. Fragm. no 24.
  116. Fragm. no 25. Saint Jérôme fait allusion dans l’Ép. 130, 14, § 4 au stultus philosophus qui accuse saint Pierre d’avoir appelé sur eux la mort, alors qu’il n’a fait que prédire la sentence divine.
  117. Fragm. no 26.
  118. Ibid.
  119. Ibid.
  120. Fragm. no 23. Cf. Matth., XVI, 23 ; X, 16-18. On remarquera que Porphyre inverse l’ordre des faits.
  121. Ibid.
  122. αὐτοῦ. Sur cette leçon tout à fait exceptionnelle (au lieu de αὐτῆς, désignant l’Église), voy. Lagrange, l’Évangile selon saint Matthieu, Paris, 1923, p. 327.
  123. Fragm. no 26. On ne sait où Porphyre a recueilli cette donnée sur la courte durée de l’épiscopat de saint Pierre.
  124. Fragm. no 27.
  125. Fragm. no 31.
  126. Fragm. no 30 ; cf. no 20.
  127. Fragm. no 28 ; voy. Ép. aux Rom., IX, 1. — Macarius Magnès, dont les ripostes sont parfois bien vagues, n’a pas le bon esprit de répondre qu’un Juif pouvait être légalement citoyen romain : il s’en tire par un froid jeu de mots sur Rome (= ρώμη, la force).
  128. Fragm. no 33.
  129. Fragm. no 33.
  130. I Corinth., VII, 31.
  131. Fragm. no 34.
  132. I, iv, 14 et suiv.
  133. Je me demande si l’historien ecclésiastique Eusèbe de Césarée, qui avait lu de ses yeux le Κατὰ χριστιανῶν, n’y a pas pris le développement parallèle qu’il a inséré dans son traité Contre Hiéroclès, § 5 et 6, en l’utilisant d’une façon fort peu adroite contre Apollonius de Tyane.
  134. Comm. in Ep. ad Gal. I, ii (Patrol. lat., 35, 341) : Ad extremum si, propter Porphyrii blasphemiam, alius nobis fingendus est Cephas, ne Petrus putetur errasse, infinita de Scripturis erunt radenda divinis quae ille — quia non intellegit — criminatur.
  135. Fragm. nos 21 et 22.
  136. C’est Théodoret, l’historien de l’Église, qui en fait la remarque. Fragm. no 38.
  137. De Confus. linguarum, no 138 (Cohn et Wendland, II, 256).
  138. Chap. xix (trad. Grapin, dans la collection Hemmer-Lejay, t. II, p. 205).
  139. § 36 ; trad. Trabucco, p. 33.
  140. Éd. Wolff, p. 147 et suiv.
  141. Éd. Schrader, p. 99, 1 ; 114, 23.
  142. Osée, I, 2 ; cf. fragm. no 45. Saint Jérôme, à qui est dû ce texte, ne nomme pas expressément Porphyre, mais toutes les vraisemblances inclinent à admettre que c’est à Porphyre qu’il pense.
  143. Fragm. no 68.
  144. Prépar. évang., I, ix-x. — La réalité historique de ce Sanchuniathon est souvent contestée. Voy. l’article qui lui est consacré dans la Real-Encyklopädie de Pauly-Wissowa.
  145. Ils sont énumérés fragm. no 43 C.
  146. Fragm. no 43.
  147. Fragm. no 43 W.
  148. Ibid., C ; E ; F ; J (Harnack a divisé ce très long fragment au moyen de lettres).
  149. « … Quae nullam Scripturae sanctae auctoritatem praebeant. »
  150. Ibid., I, 143 et suiv. : « Haec ille in sugillationem nostri artificiosissimo sermone composuit, quae etiamsi potuerit approbare non de Antichristo dicta, sed de Antiocho, quid ad nos qui non omnibus Scripturarum locis Christi probamus adventum et Antichristi mendacium ? »
  151. F. Vigouroux, les Livres saints et la critique rationaliste, t. I (1886), p. 180.
  152. Voir plus haut, p. 233.
  153. Matth., IV, 6-7.
  154. Fragm. no 48.
  155. Θεοῦ παῖς. Porphyre emploie à dessein cette expression qu’on rencontre dans la Didachè, dans l’Épître de Barnabé, chez l’apologiste Athénagore et souvent chez Origène. Voy. Harnack, dans Sitz.-Ber. de l’Acad. de Berlin, XXVIII (1926), p. 212-238.
  156. Luc, VIII, 26 ; Marc, V, 1 ; Matth., VIII, 28.
  157. Fragm. no 49.
  158. Voy. le De Abstinentia, II, 38-43 (éd. Herscher, Didot) ; la Lettre à Anébon (éd. Parthey, Jamblichi de Mysteriis liber, Berlin, 1857, p. xxix et suiv.).
  159. Cf. Luc, VIII, 37.
  160. Fragm. no 72.
  161. Pensées, no 793 ; éd. Brunschwicg.
  162. Matth., XXVI, 41 ; Marc, XIV, 38 ; Luc, XXII, 46. Le texte de Porphyre « … ἵνα μὴ παρέλθῃ ὑμᾶς (l’unique ms. porte ἡμᾶς) ὁ πειρασμός » (au lieu de ἵνα μὴ εἰσέλθητε εῖς πειρασμόν) ne se retrouve nulle part ailleurs.
  163. Fragm. no 62.
  164. Fragm. no 63.
  165. τῆς πανταχοῦ θρυλουμένης. Fragm. no 64.
  166. Fragm. no 65. Comp. Celse, dans Origène, Contra Celsum, II, 54 et 63.
  167. Contra Celsum, I, 29.
  168. Fragm. no 73, ἄλογος πίστις ; cf. fragm. no 1, l. 17, ἀλόγῳ καὶ ἀνεξετάστῳ πίστει.
  169. XII, 25.
  170. Fragm. no 52.
  171. Matth., XIII, 31-33.
  172. Fragm. no 54.
  173. Fragm. no 75.
  174. Matth., XXII, 20-30.
  175. Fragm. no 76 ; cf. no 78.
  176. Voir plus haut, p. 238.
  177. XXXI, 18. — Fragm. no 76.
  178. Fragm. no 77.
  179. Fragm. nos 81 et 82. Cf. Celse, ap. Origène, IV, 7.
  180. Fragm. no 84. La théorie philosophique de l’ « impassibilité » divine a été étudiée récemment par J. K. Mozley, The impassibility of God, Cambridge, 1926. On en trouve l’écho jusque chez les poètes : cf. Ovide, Métam. II, 621 « … neque enim caelestia tingui | ora licet lacrymis » et déjà Euripide, Hippolyte, vers 1396 « À mes yeux, dit Artémis, sont interdits les pleurs. » — On voit la justesse de l’observation de saint Augustin qui, interpellant Porphyre dans la Cité de Dieu (X, 28), lui dit : « … Hunc autem Christum esse non credis : contemnis eum propter corpus ex femina acceptum et propter crucis opprobrium. »
  181. Fragm. no 88. Porphyre emploie ici les expressions « techniques » de la pénitence chrétienne (συγγνώμη, ἀμαρτάνειν, ἀπόλυσις, etc.).
  182. Ausgang…, p. 269, note 91.
  183. Vers 78 et suiv. Il y a même entre Juvénal et Porphyre de sensibles analogies de raisonnement.
  184. VI, 53.
  185. ἀλληγορικῶς.
  186. Fragm. no 69. À ce prix, l’Évangile de saint Jean représenterait un niveau de pensée et de culture inférieur à celui des synoptiques. Les néo-platoniciens étaient, en général, d’un autre sentiment. Voy. plus haut, p. 228.
  187. De Resurr. Carnis, I (Œhler, II, 467).
  188. Fragm. no 94.
  189. Sur ce point le chrétien Origène eût été d’accord avec Porphyre : « Nous ne nous réfugions pas, avait-il écrit, dans cette affirmation que tout est possible à Dieu, car nous savons fort bien qu’il ne faut pas entendre ce mot « tout » des objets qui n’existent pas ou qu’on ne peut concevoir. Nous disons aussi que Dieu ne peut commettre des actes mauvais : autrement Dieu aurait le pouvoir de cesser d’être Dieu. » Cf. E. de Faye, Origène, t. III, Paris, 1928, p. 33.
  190. « Si Christi, inquiunt, quo modo potest haec convenire resurrectioni natorum ex semine, eius qui nulla seminis condicione natus est ? » Harnack remarque que cette idée de chrétiens nés ἐκ τοῦ σπέρματος χριστοῦ est « ungewöhnlich ». Mais je crois qu’il faut lier haec à eius qui… : cette construction, un peu dure, est exigée par le sens. Dès lors, l’idée « insolite » signalée par Harnack disparaît du texte.
  191. Fragm. no 92 = saint Augustin, Ép., 102, 2.
  192. XXIV, 35.
  193. Fragm. no 90².
  194. Fragm. no 89.
  195. Fragm. no 87.
  196. Matth., XIX, 24.
  197. Fragm. no 58.
  198. Texte und Unters., 37, 4, p. 111 et 135.
  199. Fragm. no 15.
  200. « Jesus als solchen lässt er augenscheinlich absichtlich aus dem Spiel » (p. 136).
  201. « Eine verborgene Hochschätzung » (p. 137). Comp. Dogmengeschichte, I³, p. 477.
  202. Ausgang…, p. 65 ; Zwei griech. Apol., p. 303 n.
  203. Vie de Porphyre, p. 77.
  204. Hist. anc. de l’Église, I, 554.
  205. P. 278.
  206. Voy. plus loin, p. 284-285.
  207. Si le fragm. no 56 (= saint Jérôme, Comm. in Matth., XV, 17) vise Porphyre (qui n’est pas nommé), comme cela paraît fort probable, Porphyre aurait accusé le Christ de ne rien entendre à la physiologie (à propos du passage ci-dessus de saint Matthieu).
  208. Fragm. no 49, lignes 44-45.
  209. Matth., XXIV, 14.
  210. Fragm. no 13.
  211. Macarius paraît avoir écrit en Orient, sans doute en Syrie.
  212. Le Danube.
  213. Fragm. no 76.
  214. Lampride, Vita Alexandri Severi, § 41, a signalé un rescrit favorable de cet empereur au sujet d’un locus naguère publicus que les chrétiens avaient occupé pour un usage cultuel et que des popinarii (des cabaretiers) revendiquaient.
  215. Eusèbe, Hist. eccl., VII, 13 (Θρησκεύσιμος).
  216. Voy. la description que donne Eusèbe, Ibid., VIII, 1, 5 : « On ne se contentait plus des édifices d’autrefois, et dans chaque ville on faisait sortir du sol de vastes et larges églises. »
  217. C’est-à-dire jusqu’au baptême. Ce mot πιστοί (chrétiens accomplis) revient plusieurs fois chez Porphyre : voy. encore fragm. nos 73 ; 95 ; 97.
  218. Fragm. no 26.
  219. Matth., XVI, 15.
  220. Fragm. no 96.
  221. Fragm. no 95.
  222. Fragm. no 97.
  223. Fragm. no 33.
  224. Fragm. no 4.
  225. Fragm. no 58. Sans doute est-ce cette quasi-mendicité volontaire qui fait horreur à Porphyre, car dans sa Lettre à Marcella (§ 27 et suiv., 33) il loue vivement les âmes qui ont tué en elles-mêmes le goût de la jouissance sous toutes ses formes et dominent les appétits physiques.
  226. Fragm. no 64 : μὴ δόγματι κοινῷ καταψηφίσωνται θάνατον ὡς ἀσεβῶν τῶν πειθομένων αὐτοῦ. Encore un passage à annexer à l’imposante série de textes qui prouve que la théorie de Mommsen sur la base juridique des persécutions était ruineuse et qu’à l’origine de ces sévices il y eut un non licet esse christianos (= le δόγμα κοινόν dont parle Porphyre).
  227. Fragm. no 36.
  228. Contra Celsum, III, 8.
  229. Personnellement, il approuvait, semble-t-il, les rigueurs officielles : voy. le fragm. no 1, lignes 14-15 : « Quels châtiments trop sévères pourrait-on infliger à des hommes qui, déserteurs des lois de la patrie, etc. » Je ne crois pas qu’il ait été le moins du monde « acquis à la tolérance légale » (Batiffol, la Paix constantinienne…, p. 147).
  230. Fragm. no 49, ligne 15.
  231. Fragm. no 49, ligne 12.
  232. Fragm. no 27, ligne 4.
  233. Fragm. no 55, ligne 19.
  234. Fragm. no 27, ligne 5 : τοιοῦτον ὀκρίβαντα, γελοίου μηχανήματα αἱ τῶν θεάτρων σκηναὶ ζωγραφοῦσι.
  235. Fragm. no 27, ligne 5 : τοιοῦτον θαυματοποιούντων (le ms. a θαυματοποιῶν) ὄντως τὸ παραπαίγνιον (le ms. porte παραπάλλιον [?] : mais παραπαίγνιον se rencontre dans Eusèbe, Prép. évang., VII, 2, 2, et le mot παίγνιον apparaît dans les fragm. nos 32 et 49).
  236. Fragm. no 23, ligne 17.
  237. Fragm. no 35, ligne 9.
  238. Fragm. no 55, ligne 18.
  239. Fragm. no 49, ligne 50.
  240. Fragm. no 54, ligne 5.
  241. μετρίῳ γέλωτι : fragm. no 34, ligne 20.
  242. Fragm. no 39, ligne 26, et les expressions citées plus loin, p. 434, note 2.
  243. Ibid.
  244. Ce texte ne figure pas dans le répertoire de Harnack. C’est un des cinq morceaux qu’il a trouvés après coup chez le pseudo-Polycarpe : voy. plus haut, p. 248. Il figure dans les Sitz.-Ber. de l’Acad. de Berlin, 1921, p. 270.
  245. Fragm. no 54. Cf. plus haut, p. 272.
  246. La persécution de Dioclétien, 2e  éd., t. I, p. 78.
  247. Vie de Porphyre, p. 77.
  248. Certains de ces parallèles ont été déjà signalés. Voy. encore Origène, Contre Celse, V, 4, et fragm. no 76 ; II, 24 ; 63, et fragm. no 62 ; II, 1, et fragm. no 709 ; V, 14, et fragm. nos 35 et 94.
  249. Voy. la Lettre à Marcella, § 17, « le plus grand fruit de la piété, c’est d’honorer le divin κατὰ τὰ πάτρια ». Notez aussi dans le fragm. no 1 les expressions οἱ τῶν πατρίων ἐθῶν ἀποστάντες (ligne 7) ; οἱ τῶν πατρίων φυγάδες (ligne 15) ; τὸ μεταθέσθαι… τῶν οἰκείων (ligne 17).
  250. 1er  décembre 1838, p. 589.
  251. Voy. plus haut, p. 243.
  252. Voy. p. 247.
  253. Voy. p. 310.
  254. Voy. plus haut, p. 242.
  255. L’empereur Julien paraît en avoir eu un à sa disposition.
  256. Patrol. gr., 22, 879-1006. Fragments syriaques publiés par Baumstark, dans l’Oriens Christianus, I (1901), p. 378-382.
  257. Patrol. gr., t. LVII et LVIII.
  258. Corp. Script. eccl. lat., t. LV, p. 470-515.
  259. Ibid., t. XLIII, p. 1 et suiv.
  260. I, vi, 11 (Patrol. lat., 34, 1052).
  261. Patrol. gr., t. 93, 1391-1448.
  262. Voy. p. 487.
  263. Rufin, Contra Hieron., II, 19, 10, 12, 13.
  264. Voy. De Civitate Dei, VII, 25 ; VIII, 12 ; XIX, 22.
  265. Ibid., XXII, 27.
  266. Sermo, 241, § 6 et 7 (Patrol. lat., 38, 1137).
  267. Cette évolution, déjà sensible dans les Confessions, s’achève dans les Rétractations : voy. surtout I, 1, 12 : « Laus ipsa, qua Platonem vel Platonicos seu Academicos philosophos tantum extuli quantum impios homines non oportuit, non immerito mihi displicuit. »