La Reliure française/5

La bibliothèque libre.


D. Morgand & C. Fatout (p. 71-105).
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Fragment de bande sur le « Basilii Opera » aux armes de Henri II et de Diane.
Fragment de bande sur le « Basilii Opera » aux armes de Henri II et de Diane.
Fragment de bande sur le « Basilii Opera » aux armes de Henri II et de Diane.


V


Sauf un petit nombre d’érudits et d’artistes chercheurs, on vivait, il y a quelques années encore, sur la légende ; on semblait ne vouloir reconnaître, dans les œuvres d’art de ce merveilleux seizième siècle, que la main des artistes italiens attirés en France par François Ier. Ce voile d’erreurs est aujourd’hui dissipé, et l’on voit s’agrandir chaque jour davantage la part qu’il faut attribuer aux artistes français de la Renaissance.

Certes les Italiens furent pour la décoration des livres nos initiateurs, quant à l’emploi de la dorure sur cuir ; mais l’effort des Relieurs français fut plus soutenu, plus durable, et ils ne tardèrent pas à les laisser bien loin en arrière.

Aucun règne ne nous a laissé autant de reliures importantes que celui de Henri II. Par un examen attentif des livres de cette époque, on peut s’assurer que trois ou quatre doreurs habiles ont travaillé en même temps.

Nous disons avec intention doreurs et non relieurs ; l’ornementation extérieure du livre était faite à cette époque par des artisans « doreurs sur cuir », et la reliure proprement

dite était exécutée chez le libraire, qui était le plus souvent imprimeur-libraire et relieur à la fois.

Dans un ouvrage plein de recherches et de savoir[1], il est dit cependant à tort que la dorure était faite par les écriniers ; mais les fabricants d’écrins, de coffrets à bijoux et à essences, d’aumônières, d’étuis à ouvrage, les bottiers même qui faisaient travailler alors les doreurs de profession, avaient moins que les relieurs besoin de les avoir sous la main.

Si la construction d’une reliure exige des soins de tous les instants et un certain goût de la part de l’ouvrier qui l’exécute, il est bien évident que le côté artistique de l’objet consiste dans l’ornementation extérieure.

Pour avoir laissé tant d’œuvres supérieures, la dorure a donc été faite à l’époque de la Renaissance par des artisans spéciaux sous la direction des grands artistes de ce temps, qui, après avoir fait des dessins typographiques pour l’intérieur, ne dédaignaient pas de concourir à la richesse de la couverture du livre.

Ces maîtres faisaient des modèles pour la reliure, comme ils en faisaient pour la céramique, l’orfèvrerie, les armures ; ils croyaient toujours, et avec raison, faire de l’art : l’épithète baroque d’art industriel n’avait pas encore été trouvée.

Presque tous les doreurs à la mode firent pour les écriniers, dont l’industrie fut très-importante aux seizième et dix-septième siècles, des œuvres de la plus grande richesse. Un riche collectionneur étranger, M. Spitzer, qui avait envoyé à l’Exposition rétrospective du Trocadéro, en 1878, des objets d’art de la plus haute valeur, possède, entre autres chefs-d’œuvre, deux coffrets recouverts de cuir. L’un est décoré d’un dessin d’entrelacs de l’époque de Henri II, qui peut rivaliser avec les plus beaux monuments de la Reliure de cette époque ; l’autre, orné d’une merveilleuse composition dans le style de la Reliure de de Thou, dont nous donnerons la reproduction dans le courant de cet ouvrage, est un magnifique spécimen de l’art du doreur à la fin du seizième siècle.

Nous n’avons pas vu de coffrets que nous puissions attribuer d’une façon sûre à le Gascon, mais il est certain qu’il en exécuta, et ses nombreux imitateurs en ont laissé un grand nombre. Un dernier exemple : M. Léopold Double, qui a réuni tant d’œuvres de toute sorte de l’art français du dix-huitième siècle, est le possesseur d’un petit coffret exécuté par le doreur qui fit les dentelles de Derome.

Revenons aux reliures de Henri II. Il y aurait un grand intérêt à connaître les noms de ces maîtres doreurs, si l’on pouvait leur donner d’une façon certaine la paternité de telle ou telle reliure célèbre ; ne pouvant le faire, puisqu’ils ne signèrent pas leurs œuvres, il ne faut citer les relieurs anciens qu’avec une réserve extrême, les connaîtrait-on tous par les Inventaires ou les Livres de comptes.

On nous permettra de comparer les petites choses aux grandes, et de dire que si les noms de Jean Goujon, de Germain Pilon ne peuvent être prononcés sans causer une sorte d’émotion devant ceux qui s’intéressent à l’art français de la Renaissance, c’est que leurs œuvres inséparables de leur nom reviennent aussitôt à la mémoire, et que l’on semble, en en parlant, ressentir à nouveau le plaisir que l’on a goûté dans la contemplation de ces merveilles !

Un nom surtout que l’on serait heureux de retrouver pour le transmettre à la postérité est celui de cet incomparable

doreur qui, dédaignant les fers gravés à l’avance<ref>

Pour toutes les grandes dorures que nous allons citer, il n’existe pas un motif gravé, à l’exception des emblèmes, dans l’exécution de ses dessins ; ils sont entièrement « à filets ». Voici les instruments tout primitifs avec lesquels il a fait tant de chefs-d’œuvre. </ref>, aborde sans hésitation les plus grandes difficultés de l’arabesque et produit des œuvres comme :

Le superbe in-folio Pandectarum Juris Florentinis, tomus II. (Bibliothèque Mazarine.) Nous donnons la reproduction du dos et du plat de ce volume. (Pl. III.)

Pauli Jovii Illustrium Virorum vitae, Florentiae, 1551. (Bibliothèque nationale.) Le dessin est d’une extrême élégance ; nous donnons le dos de ce joli volume.

Salvianus : Aquatilium Animalium historia, 1554. (Bibliothèque de Poitiers.)

Jacques Bassantin : Discours astronomiques. Lyon, Jean de Tournes, 1557. (Bibliothèque nationale.) Ce magnifique in-folio, en grand papier, porte cinq fois répétés sur les plats le chiffre de Henri II et celui de Catherine de Médicis entrelacés : quatre au milieu des compartiments que forme l’entrelacs dans les angles (nous en donnons un dans ce chapitre), le cinquième au centre du dessin ; ce dernier est plus grand et enveloppé d’une couronne de feuillage autour de laquelle s’enroule un ruban portant l’inscription suivante en grec : « Qu’elle apporte la lumière et un temps serein ! »

Vie des Hommes illustres grecs et romains, 1559. (Bibliothèque du Louvre.) Ce volume a été brûlé dans l’incendie

de 1871.
PLANCHE III.


Pandectarum Juris Florentini.


Tomus II.


Reliure aux armes de France entourées des arcs, et aux chiffres de Henri II et Diane de Poitiers.


Bibliothèque Mazarine.


Fragment de bande sur le « Basilii Opera » aux armes de Henri II et de Diane.
Fragment de bande sur le « Basilii Opera » aux armes de Henri II et de Diane.
PLANCHE IV.

Herold : Originum ac Germanicarum antiquitatum libri.


Bâle, 1557.


Reliure faite pour Henri II, aux armes de France.


Bibliothèque nationale.


Reliure faite pour Henri II, aux armes de France.
Reliure faite pour Henri II, aux armes de France.
Herold : Originum ac Germanicarum antiquitatum libri.

Bâle, 1557. Cette Reliure est, au point de vue de la composition et de l’exécution du dessin, une des plus complètes qu’ait produites la Renaissance, et l’un des rares volumes de Henri II qui ne portent pas les emblèmes. L’arabesque est en argent, le milieu en or. (Pl. IV.)

Les Sept Livres de Diodore (Bibliothèque nationale), d’une composition si savante et d’une exécution si forte que l’on ne sait qui on doit le plus admirer du maître qui en composa le dessin, ou de l’artisan qui l’interpréta d’une façon aussi magistrale. Il est exécuté en argent.

Dans certains volumes de la Renaissance, l’oxydation de ce métal a rendu les traits complètement noirs ; si le maroquin employé est en même temps de couleur sombre, le dessin semble avoir disparu. Mais quel plaisir on éprouve, en les copiant comme étude, à faire revivre ces compositions grandioses qui sont l’œuvre des artistes auxquels on doit les frontispices célèbres de cette époque !

Il fit encore pour François II quelques volumes très-importants, comme la Cosmographie de Munster. Bâle, 1556. In-fol.

Gelenius : Notitia provinciarum Imperii Romani. Bâle, 1552. In-fol.

Dion Cassius : Romanae historiae libri, de graecis latine facti. Bâle, 1558. In-fol.

Nous ne connaissons de lui, sous le règne de Charles IX, que peu de volumes ; mais l’un d’eux est la Geographia di Claudio Tolomeo Alessandrino, imprimée à Venise en 1561, que possède la Bibliothèque de Lyon. Ce fut probablement sa dernière œuvre. La dorure exécutée sur vélin est un véritable tour de force comme difficulté vaincue. Le dessin, qui est magnifique, porte au centre du plat et au dos le chiffre de Catherine de Médicis, les deux K enlacés au double C du Roi.

Il possédait une collection de fers azurés ; cependant il s’en servit rarement, préférant la liberté des filets aux entraves qu’apportent toujours à l’imagination les fers gravés. On utilise, mais on ne peut créer une chose réellement nouvelle pour chaque volume.

Mais quel usage il sut en faire, et combien cette exécution est supérieure à celle de ses rivaux ! Dans les innombrables dessins de reliures anciennes que nous avons réunis comme documents, il en est un qu’il exécuta pour Charles IX avec sa collection de fers azurés. Il porte au centre le milieu royal, avec les armes de France tirées dans le haut de ce milieu dont nous parlerons tout à l’heure ; le double C du Roi est placé de chaque côté de l’image de saint Michel, et au-dessous on voit ce titre : LIBRI. LEGVM. PH. BODOSIANI. L’exécution est excellente, et si nous avions pu savoir où se trouve actuellement ce volume, nous en aurions donné la reproduction, car il est, avec le Grolier de Mgr le duc d’Aumale que nous avons reproduit, un des rares exemples de très-riches reliures où il se soit servi de ces fers. Il ne faisait avec eux que des milieux sur de grands volumes, sans autre ornementation. Ces milieux, qui étaient pour lui des choses toutes simples, sont de véritables modèles d’agencement et de goût. Un autre volume, Digestorum, Florentiae, 1553 (Bibliothèque Mazarine), sur lequel il employa sa collection presque entière pour exécuter une bande formée de rinceaux et de fers azurés, offre cette particularité

que la bande est en mosaïque de maroquin incrusté. Le seul fer dont il usa assez fréquemment est le milieu ci-dessous :

Milieu servant d’entourage aux armes de France sous les Valois.
Milieu servant d’entourage aux armes de France sous les Valois.
Milieu servant d’entourage aux armes de France sous les Valois.


Il s’en servit sur les volumes de Henri II, de François II, de Charles IX. Les petites armes de France sont alors tirées dans le haut de cet ovale, et les chiffres disposés au-dessous.

Nous ne croyons pas que ce fer lui ait appartenu en propre ; il était probablement confié alternativement à différents doreurs pour les reliures du Roi[2].

Nous le revoyons en effet, sous Charles IX, tiré par un mauvais doreur sur le Pierre Paschal, Henrici Galliarum Regis elogium. Paris, 1560. In-fol. La bande du bord de ce volume veut imiter une exécution à filets : c’est une tricherie indigne ; elle est poussée à l’aide d’un fer que ce profane ne peut arriver à raccorder ; puis, ne sachant comment se tirer des angles, il les rompt avec de vieux clous italiens « plein or ». Des fers italiens en France sous Charles IX ! Du reste, cet artisan de dixième ordre avait déjà réemployé pour la jeune Marie Stuart les bandes italiennes.

La Notice de la Bibliothèque nationale, à la suite de la description de ce volume et la reproduction de l’inscription qui couvre une partie du plat, choisit cet instant pour dire que Claude Piqué[3], nouvellement découvert par un de nos confrères, fut le relieur de Charles IX. Pour la première fois qu’on le cite, ce pauvre Claude Piqué n’a pas de bonheur, et voilà le nom du filleul de notre honorable confrère accolé pour toujours à une œuvre bien mauvaise, dont il n’est peut-être pas le coupable. Au reste, la Notice ne dit pas que Claude Piqué soit l’auteur de cette reliure ; elle dit seulement qu’il était relieur de Charles IX. On ne saurait avoir trop de prudence en citant des noms de relieurs. Revenons à notre grand maître inconnu.

Les dos, cet écueil des doreurs vulgaires, sont traités par lui avec une ampleur et une facilité merveilleuses ; nous en avons dessiné quelques-uns que nous donnons ci-contre.

La difficulté d’arriver à faire un dos en rapport avec le merveilleux dessin de l’in-folio « Pandectarum Juris Florentinis », dont nous avons donné la reproduction, est extrême ; elle est vaincue sans efforts. Dans le second exemple, le dos du Paul Jove est certes moins bien composé, mais il est étonnant de verve ; l’arabesque semble née d’un seul jet, et exécutée avec autant de rapidité que l’éclair de talent qui l’a conçue.

Mais c’est l’œuvre tout entière de ce grand artiste qu’il faudrait pouvoir livrer à l’admiration des amateurs. Certes on trouve dans les Reliures que les Èves firent exécuter pour de Thou, et plus tard dans les le Gascon, une habileté de main remarquable ; mais aucun doreur ne s’est élevé aussi haut. Comme la terre se transforme sous les doigts d’un sculpteur habile, les arabesques savantes, les gracieuses volutes semblent naître sous son outil ; les parallèles ne sont pas observées, mais les variantes mêmes sont charmantes ; on ne sait à laquelle donner la préférence, et nul n’a poussé à un tel degré le sentiment exquis de la forme.

Le plus grand nombre des volumes de Henri II et Diane appartient, comme style, soit aux Reliures à entrelacs et fers à filets, soit aux Reliures à entrelacs et fers azurés.

Beaucoup de ces dorures, qui ont été exécutées par des artistes différents, sont d’une belle composition ; mais il y en a également de très-médiocres, où l’on sent la production hâtive et le travail surmené. On se prend à regretter que tous les beaux dessins de cette époque n’aient pu être interprétés par le maître dont nous venons de parler. Que n’a-t-il fait le Vicomercatus, Aristotelis De naturali auscultatione commentarii, de la Bibliothèque nationale ? Quel chef-d’œuvre il aurait tiré de ce dessin d’une si belle ordonnance et qui produit une telle impression de grandeur, malgré la faiblesse de l’exécution ! Particularité curieuse ! tandis que dans les entrelacs des Grolier empruntés aux Italiens les combinaisons de droites dominent, les entrelacs des Henri II et des Grolier français sont presque entièrement formés de courbes. On peut s’en rendre compte en comparant aux reliures sûrement italiennes les quatre volumes in-folio : Galien, Opéra omnia, Bâle, 1549, de la Bibliothèque nationale, aux armes et emblèmes de Henri II. Variée pour chaque tome, l’ornementation donne quatre compositions où les courbes sont presque exclusivement employées.

Pour les moins riches volumes, la décoration est en bandes formées de rinceaux et de fers azurés, sans entrelacs. Au centre des bandes, ces volutes sont rompues par doubles D. H. entrelacés.

BERNA . CORII VIRI CLARISSIMI ME . DIOLA . PATR . HISTORIA


Histoire de Milan


(Bibliothèque Mazarine.)


Entrelacs noirs sur fond fauve.



Quelques-unes des reliures de Henri II sont ornées de larges bandes d’entrelacs purs exécutés à filets, sans autre adjonction de fers que les emblèmes, croissants, carquois, chiffres, etc.[4]. Ces bandes sont d’une richesse de composition extrême ; elles ne sont pas particulières aux reliures, nous les retrouvons à cette époque sur une foule d’objets. Elles forment des frises superbes sur des vases de faïence émaillée, sur des buires, des aiguières en étain. Parmi les beaux modèles que le South Kensington Museum de Londres a réunis, et qui ont tant aidé aux progrès artistiques de l’Angleterre dans ces dernières années, il y a plusieurs pièces de céramique hors ligne, décorées d’entrelacs dessinés par les mêmes ornemanistes qui firent les modèles de ces reliures françaises du Roi et de Diane. Sur les livres, ces entrelacs sont en général noirs, le fond fauve,les croissants blancs. Il y eut toute une série de volumes appartenant à Henri II, ornés de dessins de ce genre ; elle est réunie presque entière à la Bibliothèque nationale.

La reliure la plus importante de ce style est celle de la Geographia Berunghieri, in-folio, imprimée à Florence vers 1480 (Bibliothèque nationale), dont nous donnons la reproduction. (Pl. V.) Citons encore :

L’Æneas Sylvius, Historia Bohemiæ. (Bibliothèque nationale.)

L’Histoire De Milan (Bibliothèque Mazarine), dont nous donnons un fragment.

Le Fl. Vegetius, De Re militari. (Bibliothèque Mazarine.)

Nous avons eu l’occasion de dessiner, lors de nos visites d’étude aux bibliothèques de province, les bandes des portes de l’église Saint-Maclou de Rouen ; elles sont recouvertes d’entrelacs composés exactement dans le même esprit que ceux dont nous venons de parler. Ces portes célèbres furent longtemps attribuées à Jean Goujon, sans preuves certaines, bien que cet éminent sculpteur ait travaillé quelque temps dans cette ville. Les dessins d’entrelacs employés comme frises sont innombrables au seizième siècle. Virgile Solis, Baltazar Sylvius, Briot, ont laissé dans leurs œuvres une foule de modèles de bandes où ils ont dépensé tous les trésors de leur fertile imagination.


Armes de Henri II entourées des arcs.
Armes de Henri II entourées des arcs.
Armes de Henri II entourées des arcs.
Les Reliures de Henri II portent presque toutes des

emblèmes. Les arcs ne servent pas seulement à envelopper les armes comme dans les volumes dont nous donnons la reproduction, ils se présentent sur les livres de mille façons différentes, et quelquefois même prennent une importance considérable ; ils arrivent à faire partie du squelette du dessin, comme dans le volume de la Bibliothèque nationale : Instruction d’un prince chrestien. Lyon, 1548. Les historiens sont encore divisés sur le double D. H. ; certains ne veulent y voir que deux C et un H.

« On croit communément reconnaître, dit M. H. Martin, le chiffre de Diane entrelacé avec celui de Henri sur tous les frontons, sur toutes les frises des édifices du temps ; on le voit vingt fois reproduit sur la plus belle des façades du Louvre, entre les merveilles du ciseau de Jean Goujon et de Paul Ponce ; on le voit jusque sur les parois de la chapelle de Fontainebleau ! Ce chiffre cependant est officiellement celui du roi Henri et de la reine Catherine, un H accolé de deux C ; mais il est facile de le prendre pour un H entrelacé de D : il n’est pas douteux que Henri ne l’ait choisi à cause de l’équivoque. » L’explication est ingénieuse ; mais que veulent dire alors les croissants, les arcs, les carquois ? Non, Henri II mêlait sans scrupule le chiffre de sa maîtresse au sien.

On sait quel rôle effacé a joué la reine Catherine pendant la vie de son époux si elle se dédommagea dans la suite, et « madame Diane », c’est dans ces termes respectueux qu’elle la désignait elle-même, était bien reine plus que la jeune épouse, qui « ne devait à son titre que l’honneur de donner des enfants au Roi[5]». La Notice de la Bibliothèque nationale, cette fois par trop prudente, désigne ainsi les livres qui portent, avec les armes de France, les croissants et les arcs : « Reliure aux armes de Henri II, avec chiffre et emblèmes. » Le nom de Diane qui vient sur toutes les lèvres en contemplant ces volumes n’y est pas même prononcé.

Nous espérons, au moins pour les reliures, trancher la question ; nous nous contenterons de donner à l’appui de notre opinion une preuve tirée du sujet même que nous traitons.


Chiffre de Henri II et de Catherine de Médicis

Chiffre de Henri II et de Catherine de Médicis sur les Discours astronomiques de Jacques Bassantin. (Biblioth. nation.)

Il est évident que ce chiffre est celui de Henri et Catherine ; de même qu’il reste établi dans notre esprit que celui-ci, que l’on rencontre grand ou petit, au trait ou en plein or, est bien celui de Henri et de Diane de Valentinois :

Le double D. H.
Le double D. H.
Le double D. H.

On fit aussi, mais plutôt dans le commencement du règne de Henri II, des reliures qui portent au centre du plat la médaille à son effigie. L’usage des médailles frappées sur les livres fut assez fréquent en Italie ; nous en avons vu ornés de médailles antiques. Un volume de la Bibliothèque nationale porte sur un plat l’effigie de Néron, et sur l’autre celle d’Hadrien.

Aussi nous considérons ces reliures comme italiennes.

Le bibliothécaire à qui le Roi confia la garde de ces trésors était digne de sa mission ; ce fut le fameux Jacques Amyot, si connu par ses ouvrages, sa traduction de Plutarque, et d’un des livres favoris des bibliophiles, le Daphnis et Chloé de Longus, que l’on ne cesse de réimprimer. Né à Melun dans l’indigence, il s’éleva par son mérite à une brillante fortune, devint précepteur des enfants de Henri, et plus tard évêque d’Auxerre et grand aumônier de France. Il avait été, en 1567, maître de la librairie, charge qu’il conserva jusqu’en 1594.

Il nous reste à parler, avant de terminer ce chapitre, d’une des plus belles et des plus curieuses reliures du seizième siècle : la Sainte Bible, en français, Lyon, 1558.

Ce volume a été exécuté pour Nicolas Fumée, seigneur de la Touche, abbé de Couture, qui fut plus tard évêque de Beauvais, dit la Notice rédigée avec soin par la Bibliothèque nationale pour l’exposition de ces reliures. Un de ses ancêtres, Adam Fumée, chancelier de Louis XI, né en 1430, mort à Lyon en 1494, avait réuni une splendide collection de livres.

Ce qui est très-rare au seizième siècle, ce volume est orné de mosaïques de cuirs incrustés. Le fond est fauve, le cartouche et l’arabesque rouges.

La composition du triple cartouche ou cuir est des plus savantes ; les arabesques qui l’accompagnent ont une grande élégance, et semblent indiquer que ce volume est sorti des mains du grand artiste dont nous avons parlé à propos des livres de Henri II. Malheureusement le procédé d’incrustation a ruiné le dessin et en a rendu la lecture difficile ; aussi le désir que nous avions de le faire connaître et la crainte de le voir mal rendu, vu son état, par un procédé de gravure, nous ont décidé à en faire le dessin. Si l’on ne peut juger du charme de l’exécution ancienne, on pourra au moins apprécier le mérite de la composition.

Le dos sans nerfs est orné d’un cartouche semblable à celui du plat, mais un peu simplifié.

H. de Henri II, coupé du croissant de Diane.
H. de Henri II, coupé du croissant de Diane.
H. de Henri II, coupé du croissant de Diane.
LA SAINTE BIBLE. Lyon, 1558. Exemplaire de N. Fumée. Bibliothèque nationale
LA SAINTE BIBLE. Lyon, 1558. Exemplaire de N. Fumée. Bibliothèque nationale
LA SAINTE BIBLE. Lyon, 1558.


Exemplaire de N. Fumée.


Bibliothèque nationale.

  1. M. Clément De Ris, les Amateurs d’autrefois.
  2. Nous avons depuis retrouvé ce fer, déjà employé sous le règne de François Ier, sur une reliure où il entoure les armes et l’emblème de la salamandre. Cette découverte est venue confirmer notre supposition.
  3. Voir aux Notes.
  4. Les tranches offrent les mêmes motifs d’ornementation que les plats.
  5. Henri Martin.